La sobriété – 1ère partie : « Y a-t-il une sobriété heureuse ?»

La crise sanitaire de cette année 2020 nous a obligés à limiter ou à cesser une partie de nos dépenses. Ces restrictions que nous avons d’abord subies, par manque d’accès à toutes les offres multiples et variées auxquelles nous sommes habitués, peut-être avons-nous réussi, au fil du temps, à leur donner sens en redécouvrant ce qui se cache derrière des vocables comme « tempérance », « modération », « frugalité » … en un mot la « sobriété », si chère à notre pape François.
La sobriété évoque l’idée de privation volontaire, de refus d’une consommation débridée, de renoncement aux plaisirs et à l’agitation de ce monde. Alors, pour celui qui est sans cesse sollicité à consommer toujours plus ou pour celui qui vit dans l’extrême dénuement, laisser entendre que la sobriété peut être « heureuse », et conduire au bonheur, est difficile à concevoir.
Pierre Rabhi, pionnier de l’agroécologie, prône la sobriété heureuse « comme une sorte d’antidote à la société de la surabondance sans joie dans laquelle les pays dits développés se sont enlisés […] L’observation objective des faits met en évidence la nécessité absolue de placer l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations, ainsi que l’économie et tous nos moyens à leur service […] La sobriété, dans ce cas, devient facteur de justice et d’équité, mais cela nécessite obligatoirement de renoncer au modèle actuel. » (Pierre Rabhi, Vers la sobriété heureuse)

Que nous dit le pape dans Laudato Si ? « La sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière consciente, est libératrice. » (LS 223) « La spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir avec peu. C’est un retour à la simplicité qui nous permet de nous arrêter pour apprécier ce qui est petit, pour remercier des possibilités que la vie offre, sans nous attacher à ce que nous avons, ni nous attrister de ce que nous ne possédons pas. Cela suppose d’éviter la dynamique de la domination et de la simple accumulation de plaisirs. » (LS 222).

L’un comme l’autre affirment que nous ne pouvons continuer à épuiser ainsi les ressources de la Terre car il n’en va pas uniquement de l’avenir de notre planète, mais, de manière plus urgente, de l’avenir de l’homme. Nous avons développé un système dans lequel une infime partie de la population mondiale consomme, à elle seule, la presque totalité de ce qui est produit. Non seulement nous créons toujours plus d’inégalités et d’injustices, mais ce déséquilibre dans lequel nous nous sommes installés ne peut que conduire à des conflits et à des guerres. Les pays pauvres n’accepteront plus d’être les laissés pour compte de la mondialisation et les premières victimes d’un réchauffement climatique dont les pays riches sont en grande partie responsables.

Comme citoyens, nous pouvons faire le choix d’une certaine sobriété au quotidien, en interrogeant tous les aspects de notre vie : consommation, alimentation, habitat, travail, déplacements, loisirs, vacances, santé, en les analysant sous l’angle de l’utilité et de la nécessité, de la dépendance qui peut en découler, des conditions de fabrication (proximité, niveau de pollution, mais aussi droit du travail et droits de l’homme). Et, au final, nous y trouverons plus de joie que dans l’escalade sans fin de la satisfaction de besoins qui ne sont pas les nôtres mais ceux que l’on nous impose.
Comme chrétiens, nous pouvons découvrir combien la sobriété peut être heureuse car elle porte en elle la promesse d’un bonheur tout autre. François d’Assise en est la parfaite illustration : dans une société médiévale faisant la part belle aux marchands, au pouvoir des seigneurs et à la concurrence entre cités, dans un temps où l’Église vivait dans l’opulence et l’omnipotence, il a fait le choix radical d’un retour à la pauvreté évangélique. Non pas pour la pauvreté en elle-même, mais parce qu’elle est le seul chemin qui nous ouvre au Père et à la fraternité universelle. En se dépossédant de ses biens et de toute volonté de domination, François se fait le frère de toute créature, en particulier de la plus petite, la plus pauvre, la plus méprisée, et avec elle il peut rendre tous biens au Père, Lui qui est le seul Bien.

Cependant, ne soyons pas dupes, vouloir introduire plus de sobriété dans son existence, n’est pas si facile et suppose des remises en cause ou des renoncements. Si le pape présente cette attitude comme « libératrice », c’est parce qu’elle conduit immanquablement à prendre du recul sur tout ce qui mène ce monde mais l’écarte bien trop souvent du Royaume. Choisir la sobriété, c’est rechercher plus de simplicité et une certaine forme de pauvreté dans notre existence, c’est-à-dire renoncer à la toute puissance et accepter de tout recevoir comme un don. Or ce qui nous est donné n’est pas fait pour être amassé et retenu égoïstement, mais pour être partagé. C’est aussi réduire le temps que nous consacrons à nos chers écrans pour nous rendre plus disponibles à Dieu et à nos frères, pour vivre avec eux, non pas la communication, mais la communion…

Concluons en citant Mgr Colomb, qui écrivait dans sa Lettre pastorale, à l’occasion des 5 ans de Laudato Si : « Partout dans le monde chrétien des hommes et des femmes se sont levés pour rappeler l’essentiel : la recherche d’une vie simple, équilibrée, une vie tournée vers Dieu, tendue vers l’espérance du Royaume à venir et marquée par la fraternité et la solidarité envers les plus pauvres. Car l’essentiel pour le croyant n’est pas d’abord la sauvegarde de la planète. L’essentiel est de se tourner vers ce qui est éternel en usant de manière équilibrée de ce qui est transitoire. » (Vers une sobriété heureuse, 1er mai 2020)

P. Clamens-Zalay