Un livre, un film

La disparue de Saint-Maur
Jean-Christophe Portes

J.C.PORTES, La Disparue de Saint-Maur,
Paris, City Poche, mai 2019, 8,50 €.

Paris en novembre 1791 ; tel est le cadre du roman historico-policier de Jean-Christophe Portes. Plongé dans les convulsions d’une Révolution qui s’emballe depuis l’arrestation de Louis XVI à Varennes, d’un pouvoir qui vacille et qui est à ramasser, des menaces qui grondent aux frontières ; le jeune Victor Dauterive se lance dans une nouvelle enquête. L’officier de gendarmerie essaie de découvrir pourquoi Anne-Louise Ferrières, fille d’une famille noble désargentée, a disparu. Tout serait simple s’il n’était aussi sollicité par le marquis Gilbert du Mortier de La Fayette, de retour de ses terres auvergnates de Chavaniac, afin de discréditer Jérôme Pétion lancé à la conquête de la mairie de Paris.

Deux histoires distinctes sans lien entre elles si ce n’est Dauterive. Le lecteur attend qu’elles se rencontrent mais J.C.Portes profite de l’une pour dénoncer les turpitudes d’une société hiérarchisée d’Ancien Régime peu soucieuse de la condition féminine, et de l’autre pour évoquer les menaces qui pesaient sur la nouvelle France. Le gendarme affronte de multiples dangers, aidé par une intrépide Olympe de Gouges.
L’ambiguïté d’Orléans et de François Sergent, le clin d’œil aux Genevois Mallet, les intrigues d’une monarchie acculée, les affrontements au sein des factions révolutionnaires constituent le décor !

L’auteur a le souci de décrire ses personnages et la générosité d’en proposer une mince biographie en début d’ouvrage. C’est d’une Révolution dont il s’agit ; un changement des élites qui nourrit rancoeurs et appétits.

Ce roman a l’ambition d’être historico-social. Alexandre Dumas a offert à Portes une espionne : Lady Arrabella Winter et Eugène Sue lui a suggéré les enfants miséreux, abandonnés des Mystères de Paris*. L’auteur s’attache à présenter la capitale française et Londres à la fin du XVIIIème siècle. On comprend que les distances entre « la ville lumière », ainsi qualifiée depuis que Nicolas de la Reynie eût installé des lanternes et des flambeaux dans beaucoup de rues et demandé aux habitants d’éclairer leurs fenêtres à l’aide de bougies et lampes à huile, et ce que nous appelons désormais la banlieue**, étaient longues à parcourir…point de RER. Le héros avale les kilomètres, affronte les périls, subit cachot et tortures ; est menacé, se fait tirer dessus et tout cela en 560 pages ! On découvre aussi les doutes qui animent le héros sur cette Révolution qu’il appelle de ses vœux tout en craignant les excès qu’elle semble porter. Avec Dauterive, on perçoit ce que les sentiments humains peuvent amener à faire : jalousie, ambition, envie,…

Sur la forme, on peut regretter des fautes de frappe voire les erreurs orthographiques. On peut déplorer l’utilisation de termes adaptés à l’époque côtoyant d’autres qui paraissent très anachroniques. On décèle des entorses à la chronologie des événements, des opinions personnelles que l’on pourrait discuter sur la manière dont sont évoqués les événements de cette année 1791. Que ce soit le décret contre les prêtres réfractaires, la pression des émigrés, le décret d’Allarde abolissant les corporations au nom de la liberté d’entreprendre ou la loi Le Chapelier interdisant la reconstitution de toute association professionnelle de patrons et de salariés. Quant au fond, l’apparition fugitive d’une femme aperçue dans l’atelier de David n’apporte pas grand chose à l’intrigue, à moins que dans de prochaines péripéties, …
Mais soyons indulgents, le roman historique n’a d’autre ambition que de nous permettre d’entrer dans l’intimité d’une époque, d’imaginer ce que vécurent les gens d’alors, petits et puissants. Ce n’est pas Dumas, mais c’est épique. Les deux intrigues sont un peu convenues et le dénouement alambiqué mais on se laisse entraîner dans cette aventure échevelée qui ne fut qu’une parenthèse. En effet, Farcy court toujours et on se demande si Victor parviendra à le rattraper en 1792, année qui marque la fin d’un monde.

Un livre agréable à lire, d’autant plus que vous serez peut-être tentés de lire les trois autres aventures du ci-devant Victor Brunel de Saulon, chevalier d’Hauteville.

* « Ce 16 novembre 1717, a été ramassé un garçon nouvellement né, trouvé exposé et abandonné dans une boîte de sapin blanc exposé dans le parvis de Notre-Dame, sur les marches de l’église Saint-Jean le Rond, que nous avons fait à l’instant porter à la Couche des Enfants Trouvés pour y être nourri et allaité en la manière accoutumée ». Ce bébé baptisé le lendemain sous le nom de Jean le Rond, ce fut …d’Alembert.
** Banlieue, Au Moyen Âge, banlieue désigne la distance d’une lieue où les habitants vivent sous la même autorité, où s’exerce le droit de ban.


Erik Lamert


La Femme des steppes, le Flic et l’œuf
Wang Quanan

Sur l’océan d’herbes roussies par le vent et le gel navigue une bergère tout emmitouflée, bien calée entre les deux bosses de son chameau asiatique, ou juchée haut sur son petit cheval, comme un centaure, son fusil d’un autre âge à portée de main, si quelquefois elle croisait un loup (dans ce pays, il ne pourrait être que solitaire, comme elle). La femme des steppes suit des pistes invisibles, ou visibles à elle seule et aux êtres qui vivent dans l’intimité de la plaine immense : des animaux, moutons, chevaux, et de rares hommes, selon des parcours rectilignes, comme l’inexorable horizon. Des histoires de vie et de mort naissent et finissent aux croisées de ces droites patientes ; elles se révèlent tantôt fertiles et joyeuses, tantôt tordues par les hasards, effacées par les pièges du temps. La naissance, la vie, le travail, la langue, la musique, l’amour, la mort, tout est rudimentaire, comme une ascèse, un équilibre fondé sur l’essentiel, sur une émotion qui ne fait pas de sentiment, sur l’obstination à parcourir son propre destin.
Les acteurs n’en sont plus, tellement ils portent en eux leur humanité universelle et la vérité de leur terre mongole ; ce n’est pas une moto, une voiture, une radio qui chante Elvis Presley ni la lointaine Oulan Bator qui les compromettra. Pour l’instant, car qui sait ce que l’avenir réserve. Il est encore contenu dans un œuf de dinosaure, dans le désir d’enfant d’une bergère, dans le corps d’un jeune flic ingénu, dans les attentions d’un proche, dans un couple formé malgré lui et celui qui tarde à s’accomplir dans son évidence.
La caméra discrète cadre le plus souvent des plans larges qui laissent deviner l’immensité tout entière ; et quand l’objectif se resserre sur l’intimité de la yourte, du poêle ou d’un feu de camp, on n’oublie pas l’infini dans laquelle toute vie, si minuscule soit-elle, se déroule.
Le film ne repose pas sur une intrique policière ou sociétale, ni sur le charme apprêté d’acteurs connus et reconnus, encore moins sur les effets spéciaux ; il n’est pas soutenu par le mode d’emploi émotionnel d’une musique envahissante ou par d’autres artifices spectaculaires. Il est tout en recherche de vérité et de simplicité, et il élève tout ce qu’il montre à la dimension symbolique. En un mot, c’est une œuvre d’art, et c’est devenu suffisamment rare pour se précipiter au cinéma prendre ce bain de nature et d’humanité.

Jean Chavot