La fraternité, une réponse en temps de crise

L’actualité est riche d’évènements qui nous provoquent et suscitent en nous des réactions diverses, qui vont de l’inquiétude à la sidération, en passant par la peur, l’indignation, la révolte et la tentation de la violence. La Covid 19 et ses statistiques mortuaires, l’assassinat de Samuel Paty, les appels à la haine, l’explosion du chômage, les difficultés économiques de beaucoup, la montée des populismes, les multiples conflits avec leurs lots de massacres et de destructions, les évènements climatiques, les promesses non tenues, les migrations et les détresses qui les accompagnent et enfin, hier, le nouvel attentat de Nice. Autant de faits et de constats qui peuvent nous plonger dans la désespérance et le repli sur soi, ou, ce qui serait pire, le passage à une riposte violente envers d’hypothétiques coupables.
Face à cet inventaire, on trouve néanmoins de bonnes nouvelles qui nous font espérer un monde meilleur ; l’accord de paix au Soudan, les avancées de l’Union Européenne que la pandémie a sortie de sa léthargie, les gestes de solidarité, la générosité des donateurs, la primauté souvent donnée au bien commun, le dévouement des aidants et des soignants …

Et puis, nous avons les prises de parole du pape François et son encyclique « Fratelli Tutti » qui nous remet sur un chemin d’espérance en nous rappelant nos racines franciscaines et nous provoquant ainsi à les revisiter.

François qui a connu la pandémie de la lèpre et a pris soin des lépreux, (1 Celano 17)
François qui a connu la violence, dans la guerre entre Assise et Pérouse, et en est revenu,
François qui a demandé à ses frères de nourrir les brigands, (Le Miroir de Perfection 66 :  » car on ramène mieux les pécheurs avec la douceur de la piété qu’avec une cruelle réprimande »)
François qui ne s’est pas révolté fasse aux insultes du lépreux possédé, et l’a guéri, (Fioretti 25)
François, enfin, homme de paix, qui est allé à la rencontre du Sultan pour le convertir et qui a trouvé en lui un ami. (LM 9,8)

Le pape François invite toute l’humanité à fraterniser, non pas comme des frères qui se chamaillent en se jalousant, comme Caïn et Abel, mais en apprenant à vivre ensemble, en acceptant que l’autre soit différent, sans volonté de domination, ni sur l’homme, ni sur la création. Il tire des admonitions le titre de l’encyclique: « Considérons, tous les frères, le bon Pasteur …« (Adm 6.1). Il réaffirme avec force les grandes lignes directrices qui doivent guider notre vie sociale, dans « sa dimension universelle« (6) et collective « constituer un « nous » qui habite la maison commune« (17), respectueuse de toute création (18), sans oublier personne (28), qui favorise « la proximité, la culture de la rencontre« (30), qui nous fasse retrouver « une passion partagée pour une communauté d’appartenance et de solidarité« (32-36). Face aux migrations « il faut réaffirmer, le droit de ne pas émigrer, c’est-à-dire d’être en condition de demeurer sur sa propre terre« (38) et que, « l’Europe, … a … le double devoir moral de protéger ses citoyens, et celui de garantir l’assistance et l’accueil des migrants.« (40). Il conclut ce 1er chapitre par cette exhortation : « Marchons dans l’espérance!« (55).
Après une longue dissertation sur l’étranger, en référence à la parabole du Bon Samaritain, (chap.2), le pape aborde au 3ème chapitre la question du communautarisme qui peut toucher tous les groupes humains, y compris les religions : « Les groupes fermés et les couples autoréférentiels, qui constituent un « nous » contre tout le monde, sont souvent des formes idéalisées d’égoïsme et de pure auto-préservation.« (89) Plus loin,il fait référence à notre devise républicaine: « La fraternité a quelque chose de positif à offrir à la liberté et à l’égalité.« (103) et « l’individualisme ne nous rend pas plus libres, plus égaux, plus frères.« (105) Il loue la solidarité: « Je voudrais mettre en exergue la solidarité qui, comme vertu morale et attitude sociale …« (114) et met l’accent sur la fonction sociale de la propriété, sur la destination universelle des biens.(118-120). Suivent un quatrième chapitre intitulé « un cœur ouvert au monde » et un cinquième sur « La meilleure politique« , « Une meilleure politique mise au service du vrai bien commun est nécessaire« (154) et appelle à une charité sociale et politique; il nous pose la question: « Peut-il y avoir un chemin approprié vers la fraternité universelle et la paix sociale sans une bonne politique?« (176) Au sixième chapitre qui a pour titre « Dialogue et amitié sociale » le pape appelle de ses vœux une nouvelle culture, « la culture de la rencontre« (216). Le septième chapitre est un long plaidoyer sur le sens et la valeur de la paix , le sens et la valeur du pardon, contre la guerre et la peine de mort (255). Le huitième et dernier chapitre, « Les religions au service de la Fraternité dans le monde« , avec un appel à l’unité des chrétiens (280) et « l’Appel à la paix, à la justice et à la fraternité« (285), qui reprend le document d’Abou Dhabi du 4 février 2019 :

« Au nom de Dieu qui a créé tous les êtres humains égaux en droits, en devoirs et en dignité, et les a appelés à coexister comme des frères entre eux, pour peupler la terre et y répandre les valeurs du bien, de la charité et de la paix.
Au nom de l’âme humaine innocente que Dieu a interdit de tuer, affirmant que quiconque tue une personne est comme s’il avait tué toute l’humanité et que quiconque en sauve une est comme s’il avait sauvé l’humanité entière.
Au nom des pauvres, des personnes dans la misère, dans le besoin et des exclus que Dieu a commandé de secourir comme un devoir demandé à tous les hommes et, d’une manière particulière, à tout homme fortuné et aisé.
Au nom des orphelins, des veuves, des réfugiés et des exilés de leurs foyers et de leurs pays ; de toutes les victimes des guerres, des persécutions et des injustices ; des faibles, de ceux qui vivent dans la peur, des prisonniers de guerre et des torturés en toute partie du monde, sans aucune distinction.
Au nom des peuples qui ont perdu la sécurité, la paix et la coexistence commune, devenant victimes des destructions, des ruines et des guerres.
Au nom de la « fraternité humaine » qui embrasse tous les hommes, les unit et les rend égaux. Au nom de cette fraternité déchirée par les politiques d’intégrisme et de division, et par les systèmes de profit effréné et par les tendances idéologiques haineuses, qui manipulent les actions et les destins des hommes.
Au nom de la liberté, que Dieu a donnée à tous les êtres humains, les créant libres et les distinguant par elle.
Au nom de la justice et de la miséricorde, fondements de la prospérité et pivots de la foi.
Au nom de toutes les personnes de bonne volonté, présentes dans toutes les régions de la terre.
Au nom de Dieu et de tout cela, Al-Azhar al-Sharif – avec les musulmans d’Orient et d’Occident –, conjointement avec l’Eglise catholique – avec les catholiques d’Orient et d’Occident –, déclarent adopter la culture du dialogue comme chemin ; la collaboration commune comme conduite ; la connaissance réciproque comme méthode et critère.
« (285)

Faisons connaître ce texte, reconnaissons nos erreurs, et proposons-nous, dans le monde, comme sœurs et frères de cette fraternité universelle que François appelait de ses vœux.

Jean-Pierre Rossi