Vivre l’incertain dans l’espérance

L’année 2020 nous aura tous incités à multiplier des liens à distance, par téléphone ou visioconférence, vers des personnes avec qui nos attaches étaient parfois distendues. Comme si l’éloignement, paradoxalement, réussissait à nous rapprocher.

Pour ma part, depuis le mois de mars, j’ai pris l’habitude d’appeler toutes les semaines au téléphone une vieille amie confinée dans la chambre étroite et sombre d’un Ephad aux règles très strictes. À l’approche de ses 95 ans, loin de sa famille, elle voit les toutes dernières années de sa vie restreintes à la solitude et à l’attente. Les visites sont interdites la plupart du temps en raison du taux de contamination dans l’établissement, et les repas lui sont servis dans sa chambre.

Toutes les semaines, nos entretiens téléphoniques commencent de la même façon : « c’est dur ! » Elle me décrit l’épreuve que constituent ces journées entières sans parler à personne, sans lire (elle est devenue presque aveugle), sans autre distraction qu’une télévision qu’elle ne voit que trouble et qui lui apporte beaucoup plus de nouvelles anxiogènes que stimulantes. Mais invariablement, à mesure que notre conversation se poursuit, elle me dit continuer à prier et à cultiver l’espérance, seul moyen pour elle de tenir, en plus du lien que ses amis maintiennent à distance avec elle.

Une telle résistance dans l’épreuve m’impressionne et force mon admiration. Elle fait de nos coups de fil un rendez-vous hebdomadaire que j’attends désormais au moins autant qu’elle. Car comment ne pas s’émerveiller, dans l’ambiance d’incertitude totale dans laquelle nous sommes plongés, le courage et la foi de cette femme qui, comme Job jadis, se refuse à se révolter, et reste à l’écoute, dans sa nuit, de l’amour divin ?

Une telle période de profond abattement, nous savons que saint François l’a bien connue, notamment lorsqu’il a pris conscience des fortes turbulences qui se produisaient à l’intérieur de l’Ordre, comme nous le rappellent si bien les premières pages de Sagesse d’un pauvre. Mais ce qu’Éloi Leclerc, son auteur, fait observer, c’est que François, au cœur de ses souffrances physiques et psychologiques, retient bien moins des ténèbres leur obscurité que les clartés qu’elles révèlent (verrait-on les étoiles en plein jour ?), les germes d’espérance qu’elles contiennent.

François, jongleur de Dieu, poète de la louange, nous dit que les pires drames de ce monde ne sauraient anéantir notre espérance et faire oublier l’amour infini du Père. Par son courage, dans la solitude de sa terne chambre d’Ephad, c’est aussi, en pleine deuxième vague de la pandémie, le message que nous transmet inlassablement cette amie, et qui peut tellement nous aider tous à vivre l’incertain un peu plus sereinement.

Michel Sauquet