Un Livre

Gloire et misère de l’image après Jésus-Christ
Olivier Rey

Gloire et misère de l’image après Jésus-Christ.
Olivier Rey.
Éditions Conférence. Collection Choses humaines. 306 pages. 25 €

Olivier Rey propose une passionnante étude de la représentation religieuse, de Jésus à nos jours, dans un livre de grande qualité, abondamment illustré, d’un prix extraordinairement modique (25 €) pour un travail aussi soigné. La réflexion de l’auteur nous fait visiter ou revisiter l’Histoire de l’art, et nous éveille également à une réflexion profonde et plus que jamais opportune sur ses rôles, ses dérives, son avenir.

Dès sa naissance, le christianisme est confronté à l’interdit judaïque sur les représentations de Dieu dont la communication est conçue comme verbale, à l’exclusion de toute autre. Mais devenu témoin de l’incarnation en Jésus, l’homme peut dès lors se voir à l’image de Dieu, en tant que copie. « Voici donc l’immense « défi » auquel le christianisme confronte l’image : par la figuration, introduire à la transfiguration de l’ici-bas en ici-haut. » La contemplation de l’image de Jésus porte à se rapprocher du Père par la voie de la ressemblance commune et à le contempler dans le visage du frère humain, du prochain. L’image comporte le danger du fétichisme, c’est-à-dire d’adorer l’œuvre elle-même au lieu de ce qu’elle invite à contempler. C’est oublier que la fonction de l’art religieux n’est pas d’évoquer le sensible, mais l’intelligible. Ainsi, l’image artistique de Jésus représente non pas son humanité sensible, mais ce qui est intelligible, divin, dans son humanité. Ce défi fut relevé différemment en Orient avec l’icône et en Occident avec la relique ; plus d’ici-haut, en somme, en Orient, et plus d’ici-bas en occident, mais aussi plus de liberté. Chacune des traditions assume à sa manière un rôle de dévotion conjugué à une fonction ornementale. En Occident, la peinture assume également une fonction de pédagogie populaire en remplacement de la lecture inabordable des textes, et celle de favoriser la méditation privée des lettrés, à travers les enluminures par exemple.

L’image religieuse fait entrer l’invisible dans le visible, à l’imitation de l’incarnation, selon l’assertion de Denys l’aéropagite : « Dieu n’est rien de ce qui n’est pas, rien de ce qui est ». Elle associe donc longtemps figuratif et non-figuratif de manière à inviter à regarder au-delà de la représentation explicite, matérielle, car « (…) en même temps que chaque créature fait signe vers le Créateur, elle manifeste aussi la distance qui l’en sépare ». Mais peu à peu, avec la Renaissance, un certain naturalisme — une attention grandissante portée aux éléments naturels et à leur interprétation — fait reculer le symbolisme, induisant une perte de la dimension religieuse au profit de la dimension esthétique, et la peinture qui nourrissait la méditation vise dès lors à provoquer la sensation. C’est l’époque de la Réforme ou l’iconoclasme protestant, paradoxalement, contribue à sa manière à l’avènement de l’ère artistique en générant le collectionnisme des œuvres qu’il a révoquées. L’Église réagit en accroissant encore le caractère artistique des représentations, s’éloignant ainsi radicalement et définitivement de l’icône. Et les représentations de Dieu, humanisées ou au contraire éthérées, disparaissent à mesure que le monde se désenchante et que la relation entre art et dévotion se dissout pour ne plus devenir qu’une abstraction tout humaine.

Dans son achèvement contemporain, l’évolution aboutit à ce constat dont chacun fera la part de la perte ou du progrès : « Le sacré n’est plus dans les figures à peindre mais dans la figure de l’artiste ».