« Orgueil et humilité »

« Les laïcs franciscains accueilleront, d’un cœur humble et courtois, tout homme comme un don du Seigneur et une image du Christ. » (Projet de Vie 13)

2nde partie : L’humilité selon St François

Un épisode des Fioretti, en apparence anodin, nous en donne une première approche. Le frère Massée, voulant éprouver l’humilité du Saint, l’interroge ainsi : « Pourquoi tout le monde court-il après toi et pourquoi chacun semble-t-il désirer te voir, et t’entendre, et t’obéir ? De corps, tu n’es pas bel homme, tu n’as pas grande science, tu n’es pas noble ; d’où te vient-il donc que tout le monde court après toi ? » Et François de lui répondre : « Dieu n’a pas trouvé sur terre de plus vile créature, il m’a, pour cette raison, choisi pour confondre la noblesse et la grandeur et la force et la beauté et la science du monde, afin que l’on connaisse que toute vertu et tout bien viennent de lui et non de la créature, et que nul ne puisse se glorifier en sa présence, mais que quiconque se glorifie dans le Seigneur, à qui appartient tout honneur et gloire dans l’éternité. » (Fior 10) Ces paroles pourraient s’apparenter à de la fausse humilité, il n’en est rien ; François n’attend aucun démenti, aucune protestation de Massée car il a le sentiment profond de sa pauvreté, de son insignifiance, de sa « petitesse ». Être humble, c’est d’abord pouvoir se placer en vérité sous le regard de Dieu, et non sous le regard des hommes qui n’a jamais la juste mesure. « Heureux le serviteur qui, lorsqu’on le félicite et qu’on l’honore, ne se tient pas pour meilleur que lorsqu’on le traite en homme de rien, simple et méprisable. Car tant vaut l’homme devant Dieu, tant vaut-il en réalité, sans plus. » (Adm 20,1-2) Être humble n’est pas se dévaloriser, se rabaisser, car cela reviendrait à rester centré sur soi-même, or l’humilité a le narcissisme en horreur. Être humble, c’est contempler Dieu pour mettre en lumière, certes, le fossé qui sépare la créature de son Créateur, mais surtout l’amour incommensurable du Père pour celui qu’il a tiré du néant, et c’est pouvoir se réjouir d’un tel amour. L’humilité se vit donc dans la vérité, la sérénité et la joie pour celui, et c’est le cas de François, qui accepte devant Dieu et devant ses frères de s’accueillir tel qu’il est, avec ses grandeurs et ses faiblesses.

L’humilité de François nait de sa contemplation du Christ qui lui découvre l’humilité de Dieu : « le Très-Haut », « le roi tout puissant », le « roi du ciel et de la terre » s’est penché vers nous, s’est courbé bien bas et s’est donné tout entier à nous en prenant chair de notre chair. De l’incarnation à la crucifixion, dans l’Eucharistie comme dans le Lavement des pieds, c’est un Dieu humble et pauvre qui nous est révélé dans le Christ. « Voyez: chaque jour il s’abaisse, exactement comme à l’heure où, quittant son palais royal, il s’est incarné dans le sein de la Vierge; chaque jour c’est lui-même qui vient à nous, et sous les dehors les plus humbles; chaque jour il descend du sein du Père sur l’autel entre les mains du prêtre.» (Adm 2,16-18) C’est dans ce même mouvement d’abaissement que le Christ se met à genou devant ses disciples pour leur laver les pieds. A l’école du Christ, François a compris que l’humilité ne consiste pas à être petit ou à se sentir petit, mais à se faire petit, à se faire le serviteur de tous.

C’est pourquoi il en fait une vertu centrale dans sa vie, comme dans celle de ses frères, appelés chaque jour à faire l’expérience de la minorité et du service. Tout d’abord, s’agissant de leurs relations fraternelles, il les exhorte à ne pas calomnier, ne pas envier les autres, ne pas les jalouser, à éviter les disputes, à accepter les reproches, à se montrer patient, obéissant, compatissant…Mais surtout, il les invite à adopter une attitude de désappropriation : ne rien s’attribuer à soi-même, mais reconnaître que tout vient de Dieu, les biens, les honneurs, les bonnes actions…Il recommande à ses frères « de s’appliquer à l’humilité en tout, de ne pas se glorifier, se réjouir, s’enorgueillir intérieurement des bonnes paroles et bonnes actions, ni même d’aucun bien que Dieu dit, fait ou accomplit parfois en eux ou par eux [ …] Soyons-en fermement convaincus : nous n’avons à nous que les vices et les péchés. » (1 R 17,5-7)

L’humilité qu’il prône rejette toute forme de domination et se refuse à asservir une autre créature, la plus petite soit-elle, au nom d’une fraternité partagée et reçue d’un même Père, Lui, le Très Haut qui se fait, par amour pour nous, le Très Bas. « O humilité sublime, ô humble sublimité ! Le maître de l’univers, Dieu et Fils de Dieu, s’humilie pour notre salut, au point de se cacher sous une petite hostie de pain ! Voyez, frères, l’humilité de Dieu, et faites lui l’hommage de vos cœurs. Humiliez-vous, vous aussi, pour pouvoir être exaltés par lui. Ne gardez pour vous rien de vous, afin que vous reçoive tout entiers Celui qui se donne à vous tout entier.» (Lettre à tout l’Ordre 27-29)

P. Clamens-Zalay