Et si d’étranges idées inspiraient les décideurs ?

L.Rhinehart, Jésus-Christ président (Jesus Invades George : An Alternative History) Forges de Vulcain, 458 pages, 20 €.

Jeune, jamais il ne me serait venu à l’esprit qu’un jour un raz-de-marée populiste pût s’emparer du monde voire de la France. C’était l’ère des illusions qui repoussait les bateleurs de foire dans des profondeurs groupusculaires. 
Pourtant, avant les sinistres rodomontades du président-histrion Trump, il y eut George Walker Bush, 43ème Président des États-Unis. Homme le plus puissant de la planète, coutumier des gaffes et des lapsus, il fut à l’origine d’un néologisme peu flatteur à son endroit : le bushisme
Luke Rhinehart, écrivain américain, auteur d’un ouvrage « culte » semi-autobiographique L’Homme-dé[1], imagine que Jésus, un peu naïf, demande à son père de tenter de mettre un terme aux souffrances de l’humanité en prenant le contrôle de l’âme d’un homme de grand pouvoir en évitant toutefois une nouvelle crucifixion. Il jette son dévolu sur le Texan néoconservateur en lutte contre le terrorisme George Walker Bush. Le choix n’est pas dû au hasard puisque le Président américain fut frappé par un renouveau mystique lors de son double mandat. L’humour est omniprésent mais derrière cette posture de façade, émergent nombre de questions afférentes aux décisions prises durant les 8 ans de cette présidence. Habité par le Christ qui s’exprime à sa place sans qu’un Bush simplet et impuissant puisse l’en empêcher, le « Président-Jésus » conduit la politique américaine sur des voies très surprenantes pour son entourage médusé. Est-il devenu fou ? Un exorcisme est nécessaire afin de le faire revenir à la raison. Mais n’est-ce pas le malin qui se fait passer pour Jésus ? 
Uchronie malicieuse dans laquelle apparaissent ceux qui ont côtoyé le Président : sa femme, mais surtout Dick Cheney prêt à remplacer avantageusement un Bush pris de folie et Donald Rumsfeld, membre fondateur du think tank néoconservateur Project for the New American Century. On s’affiche chrétien mais tout de même pas au point de prendre des décisions inspirées de l’Évangile. Nul doute que l’esprit de George Walker a sombré lorsqu’il annonce que l’armée américaine doit arrêter de tuer des hommes et qu’il convient qu’elle se retire d’Irak. Inspiré par Jésus, il part sans escorte au cœur de Sadr City, échappant miraculeusement à tous les attentats. Même Karl Rove[2] ne parvient pas à faire entendre raison à son poulain. Rhinehart profite de sa farce burlesque pour dénoncer les mœurs politiques et les combinaisons dont sont friands les politiciens d’outre atlantique[3]. Il n’hésite pas à blâmer les sombres actions de la politique extérieure américaine par la bouche du Machiavel républicain. Ainsi, la politique moyen-orientale qui permet à Israël de créer la premier pays prison de l’histoire[4] ou les mensonges qui ont « justifié » l’intervention de 2003 en Irak[5]. Rove se réjouit de la crédulité des deux tiers de l’opinion américaine persuadés que Saddam Hussein et al-Qaida développaient une bombe atomique fourrée à l’arsenic et que, Egypte et Arabie saoudite étaient des alliées alors que presque tous les terroristes du 11 septembre étaient saoudiens ou égyptiens. Rhinehart égratigne aussi au passage les démocrates et suggère ce que sont les limites de la démocratie à une époque où nos nations sont menacées par le populisme. Il rejoint là un illustre ancêtre déjà soucieux au XIX°siècle des dérives inhérentes à ce système politique[6].  Espiègle, sans retenue, l’auteur n’hésite pas à imaginer la nuit trioliste ébouriffante offerte à Laura. Mais, Jésus ne s’intéresse pas vraiment aux péchés, il privilégie de grandes questions : « quand beaucoup de monde se fait tuer, ou meurt de faim ou vit dans des conditions horribles ».[7] Bush imagine disposer des pouvoirs de Jésus et tente même de marcher sur les flots du lac de Tibériade lorsqu’il se rend en Israël. George se plaint tout de même de ce Jésus, mec taciturne voire autoritaire.
Mais le trio infernal a perdu le contrôle de sa marionnette devenue celle du Galiléen. La loufoquerie du Président ne plaît pas à l’administration républicaine qui apprécie peu ces étranges idées de partage, de générosité, de paix[8].
La mission de Jésus est un échec et Dieu s’interroge : « Ça ne marche jamais. Je commence à Me dire que j’ai dû arranger les choses pour que ça finisse toujours comme ça » [9]
Rhinehart, disparu à l’automne dernier, avait déjà imaginé un savoureux roman, celui d’une invasion d’extra-terrestres en forme de ballons de plage poilus[10], adeptes du jeu et de la rigolade, offre à la faveur de Jésus-Christ président une belle satire de l’administration Bush, de la société et de la démocratie américaines ; théâtre des machinations, des magouilles, des mensonges au service d’ambitions et d’intérêts particuliers. 

ÉRIK LAMBERT.


[1] L.Rhinehart, (de son vrai nom George Powers Cockcroft), L’Homme-dé, 1971. Un psychiatre joue les décisions prises dans sa vie aux dés. [2] Karl Rove, https://www.courrierinternational.com/article/2003/06/05/karl-rove-le-cerveau-de-george-bush
[3] Karl Rove, voulant discréditer un candidat démocrate, avait volé du papier à en-tête dans son bureau puis avait rédigé des invitations assurant « de la bière gratuite » et « des filles » lors d’une réception organisée peu de temps après. Il avait ensuite distribué les invitations à des marginaux et des clochards.
[4] Page 205 sur les territoires palestiniens. 
[5] Page 207.
[6] « Aux États-Unis, la majorité se charge de fournir aux individus une foule d’opinions toutes faites, et les soulage ainsi de l’obligation de s’en former qui leur soient propres. Il y a un grand nombre de théories en matière de philosophie de morale ou de politique, que chacun y adopte ainsi sans examen sur la foi du public ; et, si l’on regarde de très près, on verra que la religion elle-même y règne bien loin comme doctrine révélée que comme opinion commune (…) la foi dans l’opinion commune y deviendra une sorte de religion dont la majorité sera le prophète. »
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Vol .2.
[7] Page 369.
[8] Clin d’œil à la chanson de Moustaki qui est si émouvante. https://www.youtube.com/watch?v=JcuMkP16K5o
[9] Page 457.
[10] L.Rhinehart, Invasion, Paris, Forges de Vulcain, 448 pages.