Un livre, Une Expo

Un livre

Michel Sauquet – Libres, simples et heureux. Retourner à l’essentiel avec saint François, Mame, 120 pages, 13,90 €

Libres, simples et heureux, trois adjectifs qui semblent relever du registre onirique. C’est pourtant ce que propose d’appréhender Michel Sauquet dans un court ouvrage constitué de témoignages. La pensée de « François » constitue le fil conducteur de la réflexion sur les comportements adoptés face à une nature qui souffre de notre avide consommation et de notre cruelle insouciance. Le Pape François, souvent sollicité dans ce petit ouvrage rappelle dans Laudato si’ que nous ne sommes pas Dieu[1]. Les expériences relatées sont celles de personnes qui opèrent des choix de vie cohérents avec le message de Saint-François. Ces témoignages me renvoient au magnifique conte initiatique du Petit Prince : identifier l’accessoire et l’essentiel[2], invisible pour les yeux. Tous les personnages recherchent le contentement et rares sont ceux qui peuvent être sauvés sauf l’allumeur de réverbères qui a le sens de la mission. Finalement, le voyage constitue une métaphore de notre humanité. Les hommes se condamnent à la frustration en cherchant la maîtrise ce qui conduit au manque et à l’ennui. Pour Saint-Exupéry, on ne voit bien qu’avec le cœur ; il cultive une morale de responsabilité. 

En lisant le « recueil de témoignages » de Michel Sauquet, je perçois un chemin de vie d’une extrême ambition, tel celui que l’on trouve dans les contes initiatiques de l’aviateur-écrivain et de Pamela Lyndon Travers[3]. Les expériences contées incitent au retour à l’essentiel, un peu comme dans Le Petit Prince qui vient sur terre puis repart[4]. Même si l’auteur rassure dès l’introduction en affirmant « qu’il ne s’agit pas d’être dans le sacrifice…mais de rompre nos chaînes d’addiction, …[5] », on referme le livre avec un étrange sentiment de culpabilité ; le sacrement de réconciliation apparaît dès lors indispensable. Adopter des comportements responsables lorsque nous épargnons[6], lutter contre notre peur de manquer[7], accepter le partage de son lieu de vie[8], se détacher de son ego[9], rechercher un sens à la vie[10], accorder son activité aux valeurs de sa foi[11], sortir de sa zone de confort[12], adopter une discipline végétalienne[13] ; autant de défis à relever. Las ! J’avoue que je ne dispose pas de l’énergie, de la volonté de mener tous ces combats. Nul doute pourtant que nos modes de vie et de consommation conduisent à de nouvelles formes d’esclavage[14]

Pourtant, les témoins incitent à un bouleversement de nos modes de vie qui engagerait des conséquences économiques et sociales brutales[15]  

Dans cette ode à suivre un chemin exigeant, on peut discuter avec humilité l’interprétation des écrits de Descartes. En effet, sous les plumes de Michel Sauquet[16] et de Jean Bastaire[17] , René Descartes est soupçonné de penser que l’être humain possède la terre avec charge à lui de l’exploiter sans limites. Or, dans son Discours de la méthode le philosophe tourangeau écrivit « Se rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature[18] » et non « l’homme est maître et possesseur de la nature, … ». Cela change tout, car pour Descartes, le terme de maître n’est pas Dominus ; ce n’est pas « celui qui domine » mais plutôt Magister ; « celui qui maîtrise[19] ». Il s’agit plutôt de mieux maîtriser la nature, l’environnement dans lequel évolue l’homme. Ainsi, l’homme ne serait plus à la merci d’une nature perçue comme son adversaire. L’ouvrage philosophique fut rédigé au XVII° siècle, sa démarche consistait plutôt à libérer l’être humain des caprices de la nature qu’il affrontait. À l’aide des sciences, l’homme pouvait désormais rendre cette nature utile en cultivant ses connaissances. 

Il n’y avait donc pas chez Descartes une vision de légitimité prédatrice empruntée à une hubris, triste enfant de la nuit[20] ; mais bien de permettre à l’homme de sortir de sa servitude face aux risques naturels[21]. Il suggérait donc que l’homme pouvait aspirer à dominer la nature, même si sa connaissance demeurerait toujours imparfaite. Le XIX° siècle alla plus loin avec l’interprétation de la philosophie positiviste : « À quoi sert Dieu si les sciences permettent de comprendre ? »

Il y a dans ce petit ouvrage des questions fondamentales soulevées à de multiples reprises depuis le siècle de Saint-François[22].  La doxa ultra-libérale qui préside à la marche de notre monde appauvrit sans cesse les plus pauvres et enrichit les plus riches. Supprimer la pause du dimanche au nom du réalisme économique, penser que plus ; c’est mieux[23], accréditer la « théorie du ruissellement » pour défendre certaines décisions fiscales, se vouer au culte du productivisme[24] sont autant de manifestations du règne de l’économique et du financier aux dépens du politique. Tout cela constitue des obstacles titanesques à l’érection d’une société de fraternité universelle. La course effrénée après le temps, la soif de consommation sont autant d’écueils pour retrouver l’essentiel. 

Les témoins sollicités par Michel Sauquet, lancés sur les traces de Saint-François, prônent l’humilité, la solidarité universelle cosmique, l’écologie intérieure et extérieure[25] ; fondations indispensables à un retour à l’essentiel. L’optimisme et l’émerveillement[26] doivent guider sur le chemin de l’engagement citoyen même si certains ont dû capituler face au veau d’or[27]

Les enjeux planétaires semblent gigantesques, mais, pour autant, ne doit-on pas apporter notre humble participation à l’œuvre commune[28] ? 

Les contributeurs de ce livre sont-ils de doux illuminés à l’humilité radieuse[29] ou les éclaireurs du monde de demain[30] ? 


[1] N°67,
[2] On retrouve par ailleurs cette idée dans le livre de M.Sauquet, page 24.
[3] Du reste, était-ce un hasard si les aventures de la « sautillante » Mary Poppins furent initialement éditées en France par l’éditeur chrétien Desclée de Brouwer ?
[4] Et si le Christ était dans son esprit ?
[5] Page 16. 
[6] Page 21.
[7] Page 22.
[8] Page 30.
[9] Page 41.
[10] Page 43.
[11] Page 51.
[12] Page 64.
[13] Page 96.
[14] Page 23, Nous avons apprécié la phrase « …ce n’est pas parce que je peux faire quelque chose que je dois le faire ; ce n’est pas parce que je peux m’offrir tel bien que je dois le faire…Et ce n’est pas non plus parce que je ne peux pas le faire que le monde va s’écrouler. »
[15] Page 28 : « on peut vivre avec moins sans pour autant dépérir : certes moins de dépenses culturelles, mais aussi moins de vêtements, moins de carburant, moins d’appareils ménagers, moins de dépenses de restaurant… ». Une solide anticipation est souhaitable car l’impact économique et social risque d’être spectaculaire. 
[16] Page 10.
[17] Page 88.
[18] « …On peut en trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie”. Page 168 de la version de la Pléiade. 
[19] Au sens d’expert. 
[20] Érèbe, divinité née du chaos représentant les ténèbres. 
[21] Dans le texte de Descartes « Nature » comporte une majuscule, ce qui manifeste la dimension supérieure du concept appréhendé.
[22] The Limits to Growth, (publié en français sous le titre Halte à la croissance ?) connu sous le nom de « Rapport Meadows » publié par le Club de Rome le 1eroctobre 1972. 
[23] Et qu’enlever quelque chose est associé à une perte page 39.
[24] Laurent Grzybowki pages 34-35. On achète environ deux fois plus de vêtements qu’il y vingt ans, que l’on porte …deux fois moins ! page 56.
[25] Page 105.
[26] Laudato si’ n°11
[27] Le 14 mars dernier, Emmanuel Faber était démis de ses fonctions de président de Danone « avec effet immédiat » suite à la fronde des actionnaires. Évoqué pages 110-111.
[28] Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! «  Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. » Légende amérindienne citée par Pierre Rabhi.
[29] Page 43.
[30]  Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. Mark Twain ou Winston Churchill.


Une Expo

Botticelli, artiste et designer.
En savoir + : Musée Jacquemart-André

Botticelli au musée Jacquemart André jusqu’au 24 janvier 2022, (10€ à 17€)

Le Florentin Alessandro Filipepi, alias Sandro Botticelli (1445-1510), est l’une des figures majeures de la Renaissance (le Quattrocento) qui traversa la péninsule de la Sicile à la Lombardie au XVème siècle, avant de vivifier le reste de l’Europe. La République de Florence était alors dominée par la famille Médicis qui donna deux reines à la France au siècle suivant. Son mécénat favorisa l’envolée artistique dans la Cité-État, en particulier celle de Botticelli (de botticello, ou « petit tonneau »). Fils d’un artisan tanneur, il apprit le dessin comme apprenti chez l’un de ses frères orfèvre. Très doué, il ne tarda pas à s’initier à la peinture chez un grand maître : Filippo Lippi. Il acquit rapidement une très belle et longue renommée qui ne déclina qu’avec l’émergence de deux autres éminents Florentins : Léonard de Vinci, puis Michel-Ange.

Chacun a dans les yeux quelques-uns des tableaux de Botticelli, comme Le Printemps ou La Naissance de Vénus, qui sont aussi emblématiques de cette période faste que La Joconde, peinte un peu plus tard. Cette exposition d’une quarantaine d’œuvres prêtées par d’importants musées européens est l’occasion de découvrir ou de redécouvrir d’autres œuvres, et par là une richesse créative exceptionnelle qui dépasse l’artiste lui-même, car on peut aussi y admirer le travail de contemporains qu’il a influencés, voire employés. En effet, la pratique artistique de cette époque était très différente que celle que nous connaissons. Botticelli créait de toutes pièces, certes, mais il déclinait ensuite ses motifs en série, à l’aide de « cartons » qui permettaient de les reproduire, ce dont s’occupait ses disciples dans le cadre du travail d’atelier en vigueur alors, pratique collective très éloignée — malheureusement peut-être — de nos conceptions actuelles. Cet aspect historique est très bien expliqué sur des panneaux dans les diverses salles de l’exposition, ainsi que l’évolution du peintre, de sa technique comme de ses inspirations et influences, replacée dans le contexte d’une époque mouvementée sur tous les plans : artistique, intellectuel, politique, religieux…

L’exposition qui se clôturera le 24 janvier 2022 n’a que deux défauts : celui d’être relativement chère (de 10 à 17 €), et celui de nous laisser un peu sur notre faim, notamment parce qu’elle ne présente pas d’œuvres très connues, hormis la merveilleuse Madone au livre et l’éblouissante La Belle Simonetta qui fait l’affiche pour l’occasion. Mais après tout, est-ce un défaut ? Car la présence de chefs-d’œuvres universellement connus aurait peut-être occulté la beauté d’images qui ne sont pas moins belles. Un dernier reproche, toutefois, aux commissaires pour ce curieux sous-titre donné à l’exposition. S’il est incontestable que Botticelli fut, pour notre bonheur, un très grand artiste, on ne voit pas bien à quoi correspond l’appellation anachronique de « designer «. Peut-être à une incapacité d’accepter que nous ayons aujourd’hui beaucoup de leçons à prendre d’une époque si bouillonnante de créativité ?…

Jean Chavot