« Étranger, mon frère »

A l’origine de tout être, de toute chose, il y a un seul et même principe, Dieu. L’amour divin qui unit le Père, le Fils et l’Esprit est à la source de la Création et il en est la finalité : « L’amour a donné l’être à la création et c’est l’amour qui l’amènera à son accomplissement, à célébrer l’amour éternel de la Trinité et à y participer. » (Ilia Delio, L’humilité de Dieu) Dieu a donc voulu l’homme avant qu’il ne soit, il l’a modelé à son image et à sa ressemblance et lui a insufflé la vie. « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ…Il nous a choisis en lui avant la fondation du monde…Il nous a prédestinés à être des fils adoptifs par Jésus Christ. » (Ep 1, 3-5) C’est en Christ que nous est révélé cet amour du Père pour toute créature, amour bienveillant et débordant qui fait de nous des fils, et donc des frères.
« Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres », tel est le commandement que le Seigneur nous livre et qui nous engage…non pas simplement à aimer nos proches ou ceux qui nous font du bien, mais à aimer tout homme, toute femme, qu’il nous est donné de rencontrer, comme le Christ nous a aimés, jusqu’à donner sa vie pour nous. « Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort. Quiconque hait son frère est un homicide… A ceci nous avons connu l’Amour : celui-là a donné sa vie pour nous. Et nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères. Si quelqu’un, jouissant des biens de ce monde, voit son frère dans la nécessité et lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ? Petits enfants, n’aimons ni de mots ni de langue, mais en actes et en vérité. » (1Jn 3, 14-18)
L’étranger, plus que tout autre, incarne ce frère vers lequel nous ne sommes pas portés naturellement. Trop souvent, il est perçu comme une menace, comme celui qui pourrait mettre en danger des valeurs qui nous sont chères, qu’elles soient culturelles, religieuses, sociales ou politiques. La peur nous conduit à un repli communautaire et à l’exclusion, convaincus que nous sommes, d’avoir à défendre ce qui nous est propre, ce qui nous appartient. Le pape François n’a de cesse de nous mettre en garde contre cette attitude : « Respectant l’indépendance et la culture de chaque nation, il faut rappeler toujours que la planète appartient à toute l’humanité et est pour toute l’humanité, et que le seul fait d’être nés en un lieu avec moins de ressources ou moins de développement ne justifie pas que des per¬sonnes vivent dans une moindre dignité. Il faut répéter que les plus favorisés doivent renoncer à certains de leurs droits, pour mettre avec une plus grande libéralité leurs biens au service des autres ». (Pape François, Evangelii gaudium 190)
L’Ancien Testament, d’ailleurs, appelait déjà le peuple juif à ne pas rejeter l’étranger et à lui ouvrir son cœur : « Si un étranger réside avec vous dans votre pays, vous ne le molesterez pas. L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte. » (Lv 19,33-34)
C’est bien l’amour qui doit nous animer, qui doit convertir notre regard pour découvrir en cet étranger un frère à aimer « en actes et en vérité ». La parabole du bon Samaritain nous invite à nous faire le prochain de tous ceux qui souffrent, quelles que soient nos différences. « Cette rencontre miséricordieuse entre un Samaritain et un Juif est une interpellation puissante qui s’oppose à toute manipulation idéologique, afin que nous puissions élargir notre cercle pour donner à notre capacité d’aimer une dimension universelle capable de surmonter tous les préjugés, toutes les barrières historiques ou culturelles, tous les intérêts mesquins. » (Pape François, Fratelli tutti 83)
« J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » (Mt 25, 35)…accueillir ce frère que tout sépare de moi, en apparence, c’est se faire proche de lui, dans un esprit de service qui rejette toute tentation de domination ou d’exclusion, c’est lui redonner sa dignité d’enfant de Dieu, c’est reconnaître en lui le visage du Christ car, nous dit Jésus, « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! » (Mt 25,40)
Concluant le séminaire de Liverpool sur la migration, en 2008, les évêques africains et européens réaffirmaient la dignité du migrant et rappelaient qu’il « est une occasion de grâce qui vient de Dieu et porte avec lui une nouvelle richesse de culture, de spiritualité, d’intellect et d’intelligence, de créativité et surtout d’humanité ».
A l’exemple de François d’Assise qui « appelait frères et sœurs les créatures même les plus petites, car il savait qu’elles et lui procédaient du même et unique principe » (LM 8,6), construisons « un monde plus fraternel et plus évangélique » en accueillant « d’un cœur humble et courtois tout homme comme un don du Seigneur et une image du Christ ». (Projet De Vie 13.14)

P. Clamens-Zalay