Une expo, Un livre

Small is beautiful

La galerie Joseph ouvre à Paris, dans le marais, une vingtaine de lieux à des événements variés. Elle propose actuellement, 116 rue de Turenne, une exposition présentée comme un événement en lui-même. En effet nous dit-on : « Small is beautiful, Miniature Art, est la première exposition européenne à réunir 20 artistes de l’Art Miniature et révéler leurs œuvres physiques au grand public. » Jusque là, l’Art miniature était un phénomène lié à ce qu’il est convenu d’appeler les « réseaux sociaux » où elles s’exposaient en image, à l’instar du Street-Art, autre tendance de l’art contemporain.

Les œuvres, comme le titre l’indique, sont à peu près toutes minuscules, au point que des loupes sont à disposition pour les contempler. Sous cloche pour beaucoup, elles mettent en scène des figurines placées dans des univers sobres ou au contraire très détaillés, souvent de manière incongrue, décalée, avec — on le comprend — une extrême minutie qui constitue une grande part de leur valeur spectaculaire. Quant à leur valeur artistique, inégale, on est en droit, au-delà de tout conservatisme, de se poser quelques questions. Suffit-il à une œuvre d’être petite (small) pour être belle (beautiful) ? Où est la nouveauté dont elles se targuent lorsqu’on connaît la longue et magnifique tradition de la miniature, des enluminures médiévales aux portraits en vogue de la renaissance au XIXème siècle ? À quoi rime une telle minutie, si ce n’est à une certaine absurdité, lorsque les œuvres sont reproduites sur de grandes photographies afin d’être visibles du public ? La performance de maquettiste, pour impressionnante qu’elle soit, constitue-t-elle à elle seule un sujet d’admiration, un talent artistique ? Toutes ces questions trouvent des réponses positives dans deux aspects. Le premier est que la miniaturisation du sujet, de la figure, permet le développement relatif de son contexte, dans des dimensions bien plus larges que celles de la peinture ou de la sculpture traditionnelles. Son replacement surprenant dans une réalité quotidienne dont émane parfois une vraie poésie, un humour riche de sens, nous invite à prêter attention à la beauté et au sens des petites choses sur lesquelles nous marchons tous les jours. Le second aspect est l’impression enfantine qui résulte de toutes ces œuvres : il est toujours bon de retomber en enfance, au temps où nous jouions avec des petits soldats, où nous nous inventions des mondes pour les entourer, où nous étions maîtres d’un univers que nous avions créé, loin de celui des adultes où nous nous sentions nous-mêmes si minuscules… Si l’amateur d’Art trouvera difficilement son compte dans cette exposition, ses enfants, en revanche, y seront parfaitement dans leur élément : ils y verront, mis en scène, le jeu qu’ils pratiquent eux-mêmes sans aucune prétention. Cela éveillera en eux une conscience artistique très profitable, éventuellement mise en œuvre dans des ateliers proposés en marge de l’exposition.

Une dernière question, tout de même, pour les adultes qui s’adonnent à l’Art miniature, penchés sur leur loupe : hormis la mode, qu’est-ce qui les pousse à ces créations minuscules qui requièrent un si énorme travail ? De quoi jouissent-ils à faire sortir de leurs mains ces univers recréés ? On peut oser une réponse qui est une autre question : dans un monde sans Dieu, l’homme devenu géant devant ses œuvres se rêve-t-il en deus ex machina ?

Jean Chavot


La Splendeur et l’infamie d’Erik Larson

E.Larson, La Splendeur et l’infamie, Paris, Le Cherche midi, 2021, 688 pages. 24,90 €.

Il y a des personnages que des circonstances exceptionnelles font entrer dans l’histoire ou les font sortir à nouveau des caves de l’histoire. Ainsi Winston Churchill, jeune ministre perdit-il à Gallipoli une bonne partie de son crédit. 
L’opération engagée au printemps 1915 fut une catastrophe imputée au jeune premier lord de l’Amirauté, alors âgé de 40 ans, en poste depuis 1911, Winston Churchill. Soucieux que les soldats britanniques cessent de « mâchouiller du barbelé dans les Flandres », il pensa à s’emparer du détroit des Dardanelles, mais l’armée ottomane commandée par le jeune colonel Mustafa Kemal, futur Atatürk, mit en échec les troupes françaises et celles de l’Empire britannique[1]. Vaincus par les Turcs et les épidémies les troupes réembarquèrent piteusement. Or, Churchill fut désigné comme le principal responsable du désastre des Dardanelles. Les politiques fuirent dès lors le « vieux lion ». Pourtant, au printemps 40, ce fut vers celui qui avait toujours tempêté contre les nazis et la frilosité de Chamberlain à Munich en septembre 1938[2], que se tournèrent les Britanniques. Devenu premier ministre le 10 mai 1940, quelque peu par défaut, il dut mener un pays désormais ultime rempart contre les gargantuesques ambitions hitlériennes.
De nombreux ouvrages furent et sont consacrés à Churchill[3], mais celui de Larson offre un intérêt certain par son approche originale. Chronique intimiste de l’Annus horribilis qui courut de mai 1940 à mai 1941. Isolé face à la puissance dominatrice nazie, le Royaume-Uni dut affronter la succession de défaites et la bataille d’Angleterre, préalable indispensable à la réussite de l’hypothétique réussite de l’opération « Seelöwe »[4]. Larson téléporte son lecteur dans la chambre de Churchill qu’il croise en peignoir à la sortie de son bain. Il est là lorsque Winston s’exprime devant le Parlement le 13 mai 1940[5], et est assis sur les bancs de Communes le 4 juin[6]. Plongé dans le quotidien d’un homme exceptionnel avec ses faiblesses, son charisme et ses éclairs de génie. Entraîné dans les bourrasques de l’automne 1940 lorsque Hitler engagea une nouvelle tactique consistant à bombarder systématiquement les villes britanniques dans l’espoir d’abattre le moral anglais.  Emporté dans le Blitz qui frappa les quartiers populaires de l’East End de Londres mais aussi le palais de Buckingham puis de nombreuses villes britanniques. Londres bombardée 57 nuits de suite avant que le brouillard n’offrît un répit aux habitants… Puis ce furent les villes du royaume telle Coventry réduite en cendres dans la nuit du 14 au 15 novembre. On imagine partager un Johnnie Walker Black Label, et une bouteille d’eau-de-vie dès le lever du matin avec de l’eau gazeuse. On fume un « Romeo y Julieta », alors que Mary Churchill, agitée par ses émois sentimentaux, vit de manière parfois insouciante sa vie de jeune femme avant de s’engager au sein du Women’s Voluntary Service.  Nous passons des week-ends dans les résidences de Chequers Court à Ellesborough et de Ditchley Park avec les invités du natif prématuré du palais de Blenheim. Clémentine, intelligente et vive est à ses côtés avec nous alors que Randolph, coureur de jupons, buveur, colérique accumulant les dettes de jeux perd sa femme, la belle Pamela[7] lassée des frasques de son époux. Nous soutenons ses efforts afin de convaincre Roosevelt d’engager son pays dans le conflit. Nous sommes épuisés par le rythme de Churchill, toujours en mouvement qui monte en pleine nuit sur les toits du 10 Downing Street pour observer les avions allemands bombardant la capitale anglaise. Parfois, oubliait-on que ce géant de la seconde guerre mondiale était aussi un mari et un père de famille. On discute avec John Colville, le secrétaire particulier, avec Lord Beaverbrook, l’ami intime du Premier Ministre, craint et sans cesse démissionnaire mais aussi avec le physicien Frédérick Lindemann, surnommé le « Prof » le lobe scientifique du cerveau churchillien. Farci d’anecdotes, reposant sur des documents historiques souvent inédits[8], l’aventure que vit le lecteur au fil de courts chapitres est celle d’un grand homme, imprévisible, déterminé, indomptable, intrépide mais si humain lorsqu’il verse des larmes le 3 juillet 1940 après la tragédie de Mers-el-Kébir[9]
Ainsi, si l’on plongeait dans l’histoire des futurs du passé, que serait-il survenu si Lord Halifax, pressenti par beaucoup dont George VI, avait occupé le poste de Premier Ministre ? Foin de cela, car l’ouvrage de Larson ne manie pas l’uchronie, il nous entraîne dans un passé qui fut celui d’un homme avant d’être celui d’un géant. 

Erik Lambert


[1] On regardera avec intérêt le film de Peter Weir avec Mel Gibson, Gallipoli sorti en 1981 mais surtout le très beau La promesse d’une vie avec un remarquable Russell Crowe.
 [2] À l’automne 1938 suite aux funestes accords de Munich, Churchill affirma : « […] Je vais commencer en disant la chose la plus impopulaire et la plus indésirable […], ce que tout le monde voudrait oublier ou faire semblant de ne pas voir, mais qui doit néanmoins être cité, à savoir que nous avons subi une défaite cinglante et totale, et que la France a à en souffrir peut-être plus que nous […]. Ne croyez pas que c’est la fin. C’est seulement le commencement du jugement, la première gorgée, le premier avant-goût d’une coupe amère qui nous sera tendue année après année, à moins que dans un suprême rétablissement de notre santé morale et de notre ardeur guerrière, nous nous relevions et combattions pour la liberté comme par le passé ».
« Ils ont eu le choix entre le déshonneur et la guerre ; ils ont choisi le déshonneur, et ils auront la guerre« .
[3] On pourrait se reporter avec grand intérêt aux biographies de A.Roberts, F.Kersaudy, et F.Bedarida.
[4] La Bataille d’Angleterre, débuta officiellement le 10 juillet 1940 lorsque la Luftwaffe, l’aviation allemande de Göring, lança, depuis ses bases du Nord Pas-de-Calais, un premier raid au-dessus de la Manche pour bombarder des convois de navires britanniques. Le 16 juillet 1940, Hitler diffusa sa Directive n°16 qui déclencha les préparatifs de l’Opération Seelöwe (« Lion de Mer » ou « Otarie » en français) : « Puisque l’Angleterre, en dépit d’une situation militaire désespérée, ne montre aucun signe de compréhension, j’ai décidé de préparer une opération de débarquement et, si besoin, de la mettre à exécution. Le but de cette opération sera d’éliminer toute possibilité que le territoire national anglais serve de base à la poursuite de la guerre contre l’Allemagne et, le cas échéant, de l’occuper entièrement ». Le 20 août 1940, il remercia la poignée de pilotes de la Royal Air Force qui avaient repoussé les attaques aériennes allemandes et préservé l’Angleterre d’une invasion qui eut été fatale à la liberté en Europe :« Jamais, dans l’histoire des guerres, un si grand nombre d’hommes n’ont dû autant à un si petit nombre » (« Never in the field of human conflict was so much owed by so many to so few »).
[5] « Je n’ai à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur » (« I have nothing to offer but blood, toil, tears, and sweat »),[6] « Nous combattrons sur les plages, nous combattrons sur les terrains d’atterrissage, nous combattrons dans les champs et dans les rues, nous combattrons dans les montagnes ; nous ne nous rendrons jamais » (« We shall fight on the beaches, we shall fight on the landing grounds, we shall fight in the fields and in the streets, we shall fight in the hills ; we shall never surrender »)…
[7] Pamela Harriman, considérée parfois comme une courtisane, surnommée « La grande horizontale ». Mariée en 3ème noce en septembre 1971 avec l’ambassadeur américain William Averell Harriman avec lequel elle avait entretenu une liaison pendant la guerre.
[8] Y compris le journal de Goebbels. Le volume 1943-1945 est paru chez Tallandier.
[9] Le 3 juillet 1940, la Royal Navy attaque la flotte française amarrée dans la rade nord-africaine de Mers el-Kébir, près d’Oran (1297 morts et 350 blessés chez les marins français). L’objectif était d’éviter que la flotte française ne devienne allemande.