Je m’imagine

L’actualité parfois nous bouscule, nous réveille et nous révèle. Je voudrais m’arrêter sur ce que l’on appelle désormais « la crise des migrants ». Elle a agi en moi comme un révélateur ; elle m’a ouvert les yeux sur ce qui m’entoure et que je ne voyais pas.
Peu souvent, jusqu’alors, je n’avais réalisé la chance que j’ai d’avoir grandi et de vivre dans un pays en paix. Dans un pays que j’ai parfois envisagé de quitter, mais uniquement motivée par la soif de découvrir de nouveaux horizons. Jamais par peur de la guerre, de sa violence, de ses privations.

« Qu’aurais-je
fait si cet
inconnu nommé
Joseph m’avait
demandé
l’hospitalité ? »

J’ai donc grandi dans un pays en paix où la pratique de ma religion n’a jamais été dangereuse ni problématique. Et pourtant, comme j’ai pesté, en vacances le plus souvent, quand il me fallait parcourir plusieurs dizaines de kilomètres en campagne avant de trouver une messe. Et là encore, une fois arrivée, combien j’ai pu râler devant le ton monocorde du prêtre octogénaire et les voix chevrotantes de l’assemblée ! Je n’ai jamais risqué ma vie pour assister à un office ni craint quoi que ce soit en affirmant ma foi, si ce n’est quelques railleries bien inoffensives.
Enfin, ces exodes d’Afghans, de Syriens, d’Irakiens ou de Lybiens sont venus me bousculer dans mon nid douillet. Parce qu’ils m’obligent à me poser une question, et par là-même à me remettre en question : suis-je capable d’ouvrir ma porte à celui qui frappe ? Suis-je capable, pour l’accueillir, de chambouler mon confort et mon quotidien tranquille ?
En cette période de Noël, cette interrogation prend tout son sens, alors que je vois Joseph tirant son âne dans les rues de Bethléem, inquiet de voir Marie le ventre tendu par la vie qui point, soucieux de n’avoir pour elle et l’enfant à naître aucun logis correct. Je m’imagine cette nuit-là. Qu’aurais-je fait, alors, si cet inconnu m’avait demandé l’hospitalité ? Aurais-je ouvert ma porte, et par là-même mon cœur, ou lui aurais-je demandé de passer son chemin pour ne surtout pas risquer de troubler ma tranquillité ?

ANNE-DAUPHINE JULLIAND
Journaliste, Écrivain

(avec l’aimable autorisation de la revue ‘Panorama
-magazine de spiritualité chrétienne- N° 524, année 2015)