UNE ÉGLISE FRATERNELLE.

Le ciel est gris et les nuages s’amoncellent en notre monde. Le climat est sombre ; la pandémie rôde et les peuples grondent. Les foules s’agitent embrasées par les paroles de Trump, Bolsonaro, Orban ou Zemmour. Les protochronistes attisent de chimériques nostalgies alimentant les « Freedom convoy » qui, du Canada, cinglent vers l’Europe, alors que des migrants cherchent cette minuscule parcelle de bonheur dont ils sont privés. Tout semble contraintes pour les oubliés de l’enrichissement planétaire : vaccins, passes sanitaires, indigence des revenus, mépris, hausse des prix de l’énergie, complot des élites, … Certes, l’histoire n’est pas un éternel recommencement mais il y a analogie avec d’autres temps. Prenons garde aux convulsions des masses ; il souffle un vent mauvais, de ceux qui présagent les tempêtes. La résistance à l’oppression figure dans l’article 2 de la DDHC de 1789 et devient un droit dans l’article 35 de celle du 24 juin 1793. L’Église ne peut être la « grande muette » en ces temps troublés ; elle ne le fut pas lorsque les mouvements des années 1830 bousculèrent l’ordre confortable né du traité de Vienne. Félicité de Lamennais publia Paroles d’un croyant qui en appelait à l’insurrection contre l’injustice au nom de l’Évangile alors que son ami dominicain Lacordaire rejoignait le combat des ouvriers. Après beaucoup d’atermoiements et de déchirements, l’Église se rangea du côté de ceux qui souffraient.
« Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » avait écrit Luc ; paroles prophétiques pour permettre de sortir d’un doux aveuglement, de ne pas réagir en « privilégiés » apeurés lorsque rugissent les oubliés du CAC 40. Léon XIII montra le chemin dans son Encyclique Rerum Novarum de mai 1891 : «Ainsi, les fortunés de ce monde sont avertis que les richesses ne les mettent pas à couvert de la douleur, qu’elles ne sont d’aucune utilité pour la vie éternelle, mais plutôt un obstacle, qu’ils doivent trembler devant les menaces insolites que Jésus-Christ profère contre les riches; qu’enfin il viendra un jour où ils devront rendre à Dieu, leur juge, un compte très rigoureux de l’usage qu’ils auront fait de leur fortune. ». N’est-ce pas à nous chrétiens de mettre nos pas à la suite de l’Évangile en entraînant les parangons du « ruissellement », du « trickle down economics » ? La doxa néo-libérale qui pose que les revenus des plus riches contribuent à la croissance de l’activité économique profitant à l’ensemble de la société est illusoire. La suppression de l’ISF, l’instauration du prélèvement forfaitaire unique, la « flat tax » pour les revenus du capital, en faveur des « premiers de cordée » est une fable et la réponse des peuples pourrait être virulente. Lamennais écrivit « Le cri du pauvre monte jusqu’à Dieu, mais il n’arrive pas à l’oreille de l’homme. » alors que Léon XIII, fidèle à l’épître de Jacques écrivit à son tour : « Voilà que le salaire que vous avez dérobé par fraude à vos ouvriers crie contre vous, et que leur clameur est montée jusqu’aux oreilles du Dieu des armées ». Là réside la conscience du chrétien qu’interpelle François :
« Aucun effort de pacification ne sera durable, il n’y aura ni harmonie, ni bonheur dans une société qui s’ignore, qui met en marge et abandonne dans la périphérie une partie d’elle-même »
« L’injustice assombrit tout…Qu’il est méprisable, en revanche, celui qui amasse, celui qui a un cœur si petit, si égoïste, et qui ne pense qu’à emporter une mise qu’il devra laisser derrière lui après sa mort ! Parce que personne n’emporte rien dans la tombe. Je n’ai jamais vu de camion de déménagement derrière un cortège funèbre! Ma grand-mère nous disait : le linceul n’a pas de poche. ». Notre baptême ne nous enjoint-il pas d’aider ceux qui sont à la peine ?
Sans doute les franciscains sont-ils à la pointe de cette indispensable prise de conscience par fidélité à Saint-François, le Poverello qui écrivit dans sa première règle : « Les frères doivent se réjouir quand ils se trouvent parmi des gens de basse condition et méprisés, des pauvres, des infirmes, des malades et des lépreux et des mendiants des rues ». L’Église nourrit une conscience sociale parfois muselée par sa crainte d’affronter les bourrasques fragilisant l’ordre établi auquel elle semble contribuer. Pourtant, elle n’est pas au service des puissants car elle est celle d’un pauvre charpentier galiléen.
Ne nous y trompons pas, nous vivons des moments de bouleversements, la colère gronde. Il ne s’agit pas de gauche ou de droite mais de « classes malheureuses » s’opposant aux « classes heureuses » dans un conflit nourri d’amertume. L’Église a un message d’espérance à porter, sa place est aux côtés de ceux qui souffrent. La communauté chrétienne cultive la vertu de charité dont l’apôtre Paul fut un serviteur : « La charité est patiente ; elle est bénigne ; elle ne cherche pas ses propres intérêts ; elle souffre tout ; elle supporte tout ».
Dans un monde pétri d’injustices, où gonflent les bénéfices des sociétés transnationales, où les dividendes fructifient grassement, les damnés de la terre frappent à la porte et nos communautés chrétiennes doivent les entendre.
Négliger la colère des « petits » qui enfle sans cesse avec des accents insurrectionnels voire nihilistes sollicite nos consciences. Il nous faut aller au large, briser nos conforts, nous convertir et en fidélité avec Marie : déployer nos bras, élever les humbles et combler de biens les affamés. L’Église doit être voix et action auprès de l’humanité et offrir la « bonne nouvelle ». « Il faut aujourd’hui de l’or, beaucoup d’or, pour jouir du droit de parler ; … Silence au pauvre» Ne cédons pas aux sirènes du veau d’or, écoutons les petits qui hurlent leur désespoir et contribuons avec nos charismes au retour d’une Église fraternelle et soucieuse de ceux qui demeurent en marge.