EDITO

En grec le mot « polis » signifie la cité. Pour les Athéniens du Vème siècle, la cité constituait un État. Les citoyens participaient aux affaires publiques de la démocratie ce qui leur conférait des droits mais aussi des devoirs ; exception dans un monde où régnaient les pouvoirs tyranniques. Si l’étymologie « pouvoir du peuple » peut induire en erreur, tant le système antique n’avait guère à voir avec ce que nous vivons en France de nos jours, il n’en demeure pas moins que les idées de Dracon, Solon, Pisistrate et Clisthène ont essaimé. En démocratie le chrétien est-il légitime à participer aux débats et à s’engager ?

En cette période très agitée au cours de laquelle les joutes françaises pré-électorales paraissent très superficielles, la question paraît presque futile.

Pourtant, en son temps, le Christ s’engagea. Hérode ne fit il pas massacrer des enfants par crainte d’affronter un rival potentiel ? Jésus ne s’éleva-t-il pas contre l’ordre établi ? (Lc 22, 25 et 31-32) N’a-t-il pas refusé de participer à la révolte contre l’occupant romain ? N’a-t-il pas, contre les usages, côtoyé Romains, parias juifs, collecteurs d’impôts,…? Ne fut-il pas accusé d’être hostile aux Romains bien qu’il considérât qu’il convenait de verser l’impôt à César ? Enfin, ne mourut-il pas de manière infamante, nanti de l’acronyme fort politique « Jésus de Nazareth, roi des juifs », son tombeau gardé par des soldats mandés par des pharisiens soucieux d’éviter que des disciples n’exploitassent « politiquement » sa mort ? S’il est vrai que Paul appela les Corinthiens à éviter de s’engager par orgueil, le chrétien n’en a pas moins une conscience, ce que Paul rappela : « Que personne ne cherche son propre intérêt, mais que chacun cherche celui d’autrui. ». Or, lorsque d’aucuns en appellent aux racines judéo-chrétiennes et invoquent l’héritage du Galiléen, les chrétiens doivent-ils demeurer muets ?

Les racines s’entremêlent et si nous cherchons désespérément à les discerner, il convient de puiser dans l’effervescence médiévale qui brassa des peuples, des cultures, des croyances. Rendons à César ce qui est à César et à Eisenhower ce qui lui appartient. En effet, le diable prit le visage des totalitarismes, qu’ils fussent antisémites ou athées, et il fut vaincu. Dès lors, les années 1950 furent celles de la renaissance du judéo-christianisme démocratico-compatible. Cette renaissance du concept de judéo-christianisme fut l’occasion d’appréhender la géopolitique sous l’angle d’un choc des civilisations. Ces errements simplificateurs ont volé en éclats à la faveur du conflit russo-ukrainien ; les nostalgies d’une époque fantasmée, sublimée, sont autant de placebos réducteurs qui conduisent à l’exclusion. Or, le christianisme est universel, il est né au Proche-Orient et il s’est épanoui sur tous les continents : il est de tous les temps et de tous les lieux.

L’Évangile est politique, il en appelle à notre responsabilité, celle qui conduit à ne pas se jeter dans le bras d’un sauveur par peur d’un monde qui semble nous échapper. Invoquer un homme ou une femme providentiel par aveuglement peut mener au chaos. Le Christ n’aspira pas à endosser ce rôle sur terre lorsqu’il répondit à Pilate : « Mon Royaume n’est pas de ce monde ». Alors que nous serons amenés à glisser un bulletin dans l’urne, il nous faut exercer notre devoir de citoyen, mais aussi de chrétien. Notre choix sera celui de l’universalité, de l’Amour de nos frères et sœurs en Christ, car les politiques sont au service du bien commun et non de quelques groupes qui, au nom de supposées racines défendues par un obscurantisme né de certitudes devenues vérités, font de l’exclusion leur fonds de commerce. L’Évangile porte un message d’Amour et de liberté ; il nous reste donc, à l’aube de la Semaine Sainte, à faire le choix de la liberté et de l’accueil du pauvre et du petit.