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Saint Jean Chapitre 1

Le Prologue 1-18

Introduction

  1. Probablement composé en dernier, le Prologue a été comparé à l’ouverture d’une symphonie, par sa solennité, son atmosphère et la densité de son contenu. Pour Jean, c’est plus qu’une ouverture, plus qu’une « introduction à l’évangile », c’était en somme une synthèse de ce même évangile. En effet, y figurent déjà :
    • les grands thèmes : le Verbe – la Vie – la Lumière – la Gloire – la Vérité – le Monde – le Témoignage – Croire « au nom de »…
    • les grandes oppositions : Lumière / Ténèbres – Dieu / le Monde – Foi / Incrédulité.
  2. Les exégètes ont également remarqué que le Prologue présentait par endroits les caractéristiques très nettes d’une hymne mise en vers, selon le rythme, la musicalité et la déclamation araméenne ou grecque (les v. 1.2.3.4.5.10.11.14.16), hymne probablement récitée ou chantée par les communautés chrétiennes primitives.
  3. Le Prologue semble composé selon le procédé littéraire du parallélisme inversé, où les versets se correspondent deux à deux mais en sens inverse.
  4. Enfin, le Prologue est truffé de réminiscences bibliques, ainsi que de similitudes théologiques pauliniennes. En particulier :
    • Gn. 1, 1-6 (la Création)
    • Ex. 25, 8 (planter sa tente) ; 34, 6 (La grâce et la vérité) ; 40, 34 (la Gloire de Dieu)
    • Nb. 35, 34
    • Pr. 8, 22-31 et 12, 21 (la Sagesse)
    • Si. 24, 2-29 qui décrit le périple de Dame Sagesse selon un itinéraire très proche de celui du Verbe (intimité avec Dieu – antériorité à la création – part à l’œuvre créatrice – présence dans le monde – habitation au milieu des hommes – bienfaits partagés)
    • Col. 1, 15-20 (primauté absolue du Christ)
    • 1Co. 8, 6 (Le Christ antérieur à la création et auteur de celle-ci)
    • Ph. 2, 6-11 (même parallélisme exprimant l’incarnation du Fils)
    • Ep. 1, 5.13 (même but : notre filiation divine en Jésus).

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Construction des versets 1 à 18

EDITO

Chrétien en temps de crise

Crise économique, crise financière, crise climatique, crise diplomatique, crise sociale, crise sanitaire, crise morale… la litanie est si longue qu’elle nous semble décrire l’état normal du monde. Peut-être est-ce bien le cas : proches de nous, même les « Trente Glorieuses » — mythique période de paix et d’abondance après laquelle tout aurait dégénéré — furent traversées de grandes misères, de conflits extrêmement violents, de famines dévastatrices… Il est vrai qu’au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, les peuples qui l’avaient subie purent avoir le sentiment que le pire était derrière eux. « Plus jamais ça » entendait-on. Mais ce vœu pieux a-t-il suffi à éradiquer le mal ? Force est de constater que non. Il perdure, entrecoupé de périodes où l’on se flatte de l’illusion qu’il a été vaincu. Car une crise n’est pas un phénomène en soi mais la manifestation brutale de tensions qui lui préexistent et qu’elle ne résout généralement pas, exactement comme un tremblement de terre n’est qu’un épisode de mouvements tectoniques profonds, ou une poussée de fièvre celui d’un mauvais état de santé chronique. Ainsi, à y regar-der de près, les crises comme celles évoquées plus haut sont toujours la manifestation des mêmes penchants au conflit, à la violence, à la domination, à l’avidité, au mensonge, à la négligence, à l’affirmation d’intérêts particuliers contre l’intérêt commun.

Crise ! Le mot est incessamment rabâché par les instances politico-médiatiques qui décrivent des conséquences sans aborder jamais réellement la difficile question des causes, propageant l’illusion que « ça ira mieux après », que l’on fait « tout pour que ça change », et comme rien ne se produit qu’un rebond — une « vague » — ou qu’une nouvelle aggravation, les peuples se désespèrent, se désintéressent de la politique (entendue comme l’art du vivre ensemble), ou se rallient à des démiurges de pacotille, experts en technocratie et en démagogie auxquels ils abandonnent comme des enfants leur conscience, leur responsabilité et leur pouvoir. Il en sourd une angoisse personnelle et collective qui à son tour nourrit les conditions des crises dans un cercle vicieux dont on se demande comment sortir, et si même cela est possible. Parmi ces peuples, des femmes et des hommes de conscience et de bonne volonté, dont politiciens et médias font généralement peu de cas, proposent des solutions profondes au mal profond. Et parmi ces femmes et ces hommes, les chrétiens ont par vocation une place déterminante à prendre, animés qu’ils sont par la Foi, l’Espérance et la Charité. Jésus est-il né dans une famille riche à une époque de paix et d’abondance pour tous ? François a-t-il continué la vie de patachon que la fortune de son père lui garantissait à Assise dans un siècle de douceur et d’opulence ? Par-delà l’ironie de ces questions, il faut se souvenir qu’ils ont tous les deux, le second imitant l’autre, montré à l’humanité que le seul chemin de la Paix et du Bien était celui de la Charité, c’est-à-dire de la fraternité, de la justice, du partage et du refus de la violence. C’est sur ce chemin que l’Espérance se révèle et s’élève, par l’actualité de l’amour du prochain comme préfiguration du Royaume et comme expérience de l’amour de Dieu. En s’efforçant de voir grandir en lui l’Espérance et la Charité, un chrétien apprend à refuser la tentation du conflit, de la violence, de la domination, de l’avidité, du mensonge, de la négligence, de l’affirmation de ses intérêts contre l’intérêt commun. Il combat cette tentation en lui et dans le monde, avec la clairvoyance, la constance, la douceur et le courage dont l’Esprit Saint l’accompagne sur la route difficile de la sainteté, dans la conscience que son salut individuel est lié au salut de tous. Ne s’attachant qu’au bien, un chrétien ne peut s’arrêter à la notion de crise, car il perçoit le mal qui la provoque, l’adversaire qu’il récuse résolument. Si bien que cette notion même, telle qu’elle est galvaudée aujourd’hui, lui apparaît comme un des masques du mal.

Cependant, le mot crise (Κρίσις) que les Grecs nous ont légué à travers les Romains a aussi un autre sens que celui de la rupture brusque, brève et intense d’une situation d’équilibre. Il pouvait également signifier tout autre chose pour eux, et donc aujourd’hui pour nous : l’acte de discerner, de choisir et de décider. La Foi qui ouvre à l’Esprit Saint en donne le désir, l’intelligence, le courage et la force. Pour un chrétien, il n’existe qu’une crise, une seule, et c’est sa vie entière avec ses épreuves, ses doutes, ses combats contre la tentation, son travail incessant pour faire en lui toute la place à l’Esprit Saint et à l’amour, sa vie vécue de la naissance à la mort comme cheminement vers la Vie éternelle.

Le comité de rédaction

Cycle Duns Scot 2/5

Le mystère de l’Incarnation

Pour Duns Scot, l’Incarnation est l’œuvre la plus grande et la plus belle de toute l’histoire du salut. Il affirme qu’elle n’est conditionnée par aucun fait contingent, qu’elle est l’idée originelle de Dieu d’unir toute la création à lui-même dans la personne et la chair du Fils. Ainsi il soutient que le Fils de Dieu se serait fait homme même si l’humanité n’avait pas péché.

Il écrit ceci dans la Reportata Parisiensa : « Penser que Dieu aurait renoncé à une telle œuvre si Adam n’avait pas péché ne serait absolument pas raisonnable! Je dis donc que la chute n’a pas été la cause de la prédestination du Christ et que – même si personne n’avait chuté, ni l’ange ni l’homme – dans cette hypothèse le Christ aurait été encore prédestiné de la même manière. » (in III Sent., d. 7, 4).

Duns Scot est certes conscient qu’en réalité, à cause du péché originel, le Christ nous a rachetés à travers sa Passion, sa Mort et sa Résurrection. Mais pour lui, l’Incarnation est depuis toute éternité projetée par Dieu le Père dans son plan d’amour. Elle est l’accomplissement de la création et rend possible à toute créature, dans le Christ et par son intermédiaire, d’être comblée de grâce et de rendre gloire à Dieu dans l’éternité.

Chantal Auvray

Saint Jean chapitre 21

L’apparition au bord du lac
21 (suite)

L’Eglise sera confiée à un pasteur : à un homme, au nom du Christ

➡️ Ce pasteur n’est qu’un homme, qui plus est un pécheur pardonné. Remarquons le triple reniement, la triple profession d’attachement au Seigneur et la triple investiture de fonction.
S’il y a remise d’autorité, cette autorité doit avoir pour fondement l’amour de Jésus. Le texte joue sur 2 verbes grecs, que nous traduisons en français par le même ‘aimer’. Les 2 premières questions de Jésus comporte le verbe « αγαπεω » – aimer du même amour que Dieu nous porte. Tandis que Pierre répond en utilisant le verbe « φιλεω » – aimer avec tout ce que l’homme peut porter en lui, en tant qu’homme, d’amour. Et c’est Jésus qui, la 3ème fois, change de verbe.
➡️ Ce pasteur est un délégué (… mes agneaux… mes brebis, dit Jésus) : ce ne sont pas ceux du pasteur. Et celui-ci reste lui-même brebis du Seigneur.
➡️ Ce pasteur est investi de la fonction pastorale dans sa plénitude, telle que l’a vécue Jésus « Bon Pasteur ». Il s’agira pour Pierre de conduire, d’unifier, de conforter, de faire entendre sa voix , c’est à dire enseigner, de connaître les brebis du Seigneur, de les mener dans les bons pâturages, autrement dit de les sanctifier, de donner sa vie pour elles comme le Bon Pasteur (cf. l’allusion de Jésus à la mort de Pierre).

L’Eglise sera toujours l’Eglise de la croix (allusion à la mort de Pierre)

« … un autre te ceindra, et te conduira là où tu ne voudrais pas » (21, 18-19)
➡️ L’Eglise sera toujours appelé à revivre pour elle-même le mystère du Christ souffrant, y compris la croix ( « … tu étendras les mains », allusion probable à la mort sur la croix, comme le Christ).
➡️ « … le genre de mort par lequel Pierre devait glorifier Dieu ». Par sa mort, Pierre témoigne de l’absolu de Dieu, comme le Christ l’avait fait avant lui. En la personne de son chef, l’Eglise est responsable du témoignage de cette priorité absolue.

L’Eglise sera toujours l’épouse qui attend le retour de son Epoux (allusion au sort mystérieux de Jean)

« … S’il me plaît qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? » (21, 22)
Alors que Pierre témoignera du mystère du Christ souffrant, Jean, lui, témoignera du Christ encore et toujours attendu. Car l’Eglise ne serait pas l’Eglise, si elle ne vivait pas cette attente du retour de son Seigneur.
• cf. 1Co. 11, 26 : « Vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne ».
• cf. aussi la prière de l’Esprit et de l’Epouse, dans l’Apocalypse (22, 17-20)
• cf. enfin le refrain insistant de la liturgie primitive : « Viens, Seigneur Jésus ! »

L’Eglise sera toujours l’Eglise de Pierre et celle de Jean

Cette scène de l’apparition au bord du lac de Tibériade laisse apparaître l’importance, et presque la priorité par moments, du disciple que Jésus aimait :
➡️ c’est lui, ici, qui, le premier, reconnaît le Seigneur… avant Pierre ;
➡️ c’était lui aussi qui, au tombeau, était arrivé avant Pierre, et avait tout compris.
➡️ A la Cène, il était placé près de la poitrine du Maître, et Pierre passe par lui pour interroger Jésus.
➡️ Mais dès le début déjà, il précédait Pierre : près de Jean-Baptiste, il fit avant Pierre la connaissance de Jésus
➡️ Et on le voit ici figurer en tant que dernier disciple dont parle Jésus dans l’évangile de Jean.
➡️ Nous avons donc 2 hautes figures dans cette scène de l’apparition au bord du lac, celle de Pierre (l’apôtre ‘pasteur’) et celle de Jean (l’apôtre ‘disciple’). Mais il faut être disciple d’abord, pour pouvoir être appelé comme « pasteur ».
Qu’est-ce que cela veut dire ? Sinon que la marche à la suite de Jésus, la proximité, l’écoute de sa parole, et finalement l’intimité avec lui seront toujours prioritaires par rapport à toute « fonction » ultérieure ou charisme particulier. L’Eglise sera toujours une Eglise de disciples, ou alors, ce ne sera plus l’Eglise.
➡️ Toutefois, Jésus, dans cette scène, s’adresse d’abord à Pierre, pour lui confier une mission de pasteur de son Eglise. Jésus veut donc que son Eglise ne soit jamais sans pasteurs.

Fr Joseph

Prière Juillet Août

Très cher Dieu,

J’espère que tu vas bien, avec tout ce que tu as à être (quand je dis j’espère, on se comprend). Loin de moi l’idée de me mettre à ta place, mais si j’étais toi, je manquerais de reconnaissance. Je me trouve souvent bien ingrat moi-même, c’est pourquoi je t’écris, afin de te remercier. Ça te changera. On te prie toujours pour te demander quelque chose qui manque, mais ce quelque chose, on oublie trop souvent qu’on l’a déjà, t’oubliant toi par la même occasion. Alors, très cher Dieu, pour le vent qui soulève ma lettre, pour ce doux soleil de printemps, pour les amis que je connais et que je ne connais pas, pour l’amour qui rend importantes les petites choses et modestes les grandes, pour les idées et les rêves qui me traversent, pour le toit sur ma tête que n’a pas emporté la tempête et pour le repas qui m’attend, merci.

Ton fidèle

Un livre (Aout)

La Colère de l’archange
Un livre de Bertrand Révillion

B.Révillion, La Colère de l’archange, Salvator, Paris, 2022, 188 pages.

L’Église a pratiqué l’omerta durant de longues années en étouffant nombre d’affaires de dérives sexuelles. À partir de novembre 2018, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église fut constituée, ouvrant la boîte de pandore. La CIASE rendit un rapport de 2 500 pages le 5 octobre 2021 qui, comme le déclara Jean-Marc Sauvé, fut « l’histoire d’un naufrage ». La parole fut rendue aux victimes mais qu’en fut-il des bourreaux ? Nous les avons croisés, côtoyés, nous avons échangé avec eux et parfois nous les avons conviés à notre table. 

Ébranlé par les révélations des turpitudes au sein de l’Église, l’ancien journaliste Bertrand Révillion imagine en un style très épuré une histoire d’amitié entre deux enfants devenus religieux ; amitié anéantie par l’abjection. À la faveur de la liberté romanesque, il campe un prêtre médiatique, Antoine-Tonio et son ami, l’archevêque Baudouin qui a progressé dans la hiérarchie ecclésiastique. Révillion partage en à peine 200 pages le désarroi qui l’habite face à une Église qui regarde vers le passé sans affronter en vérité ses démons[1].

Sans doute, notre Église de France est-elle secouée dans ses certitudes depuis le concile Vatican II. Sans doute, est-elle confrontée à la crise des vocations sacerdotales dans un monde gagné par le matérialisme où elle ne trouve plus sa place. Sans doute se sent-elle agressée ; sans doute pense-t-elle qu’elle survivra en se recroquevillant dans un réflexe identitaire. Pourtant, l’Évangile incite à regarder au large ; invités que nous sommes à aller dans la paix du Christ, à repartir dans le monde tel qu’il est et non tel que nous le rêvons[2]. La nostalgie d’un supposé âge d’or révolu, l’aspiration au retour d’une liturgie d’une autre époque, la sacralisation du ministère sont autant de manifestations d’une rigueur idéologique. Certes, les certitudes sont confortables, certes l’humain est fragile et appréhende le doute, mais le cœur de la foi n’est pas de savoir comment on célèbre, il ne consiste pas à ergoter sur des questions morales, à se crisper sur des questions vestimentaires. Confronté à la faute de son ami, l’archevêque Baudoin a perdu la foi et l’espérance[3], a refusé le pardon ; il est à l’image de nombre de chrétiens : tourmenté par la question du mal. Pour raviver la flamme, il lui fallait un archange en colère, Saint Michel, le guerrier, défenseur de la foi et de l’Église auquel le pape François a confié l’État de la Cité du Vatican. L’archange prit malicieusement l’apparence d’une femme, ces femmes qui n’ont guère la place qui leur revient, pourtant, en d’autres temps, elles s’approchèrent du tombeau. Cette femme, c’est Camille, loin de l’Église mais soucieuse de son prochain qui réveille la soif de charité endormie de l’archevêque accablé. Le cœur de la foi c’est aimer l’autre ; c’est tendre la main. 

Révillion bouscule le lecteur, interroge le chrétien, sollicite notre foi. Nous plongeons dans les ténèbres du mal mais l’espérance point au cœur de la tempête ; celle de la vraie foi, celle de l’Évangile. 

Érik Lambert.


[1] …que « l’Église a trop longtemps maintenue sur ces affaires pour protéger sa réputation et éviter le scandale. » Page 144.

[2] « Mais le profond fossé entre la parole de Jésus et l’attitude de l’Église me retient sur son seuil, je le crains pour longtemps » Page 134.

[3] « Baudoin avait longtemps rêvé à l’avènement d’une Église plus humble, moins affirmative, acceptant l’inévitable fragilité d’une foi qui claudique et avance à tâtons, cherchant à espérer plus qu’à décréter, osant descendre de la chaire de ses certitudes pour marcher pieds nus, comme le Christ, dans la poussière du chemin en compagnie des pèlerins d’Emmaüs parcourus par le doute que nous sommes tous. Une Église qui, au lieu de s’enferrer si longtemps dans le déni aurait eu, comme Pierre au troisième chant du coq, le courage d’avouer dans les larmes ce reniement effroyable dans lequel elle avait laissé des enfants se noyer. » Page 178.

EDITO

Le don du pardon

Chaque instant de nos vies recèle une occasion de pardon, car chaque instant nous confronte aux limites de notre capacité de charité, envers le prochain, mais aussi et d’une manière souvent plus complexe et moins évidente, envers nous-mêmes. C’est pourquoi Jésus sous invite, en pardonnant chaque jour « jusqu’à soixante-dix fois sept fois » (Mt 18,22), à nous y employer autant que nous respirons. En effet, la faculté de pardonner est certainement notre ressource la plus précieuse pour vivre avec les autres et avec nous-mêmes, dans l’amour de Dieu pour les fidèles et dans la concorde pour les hommes de bonne volonté. Mais voilà, avouons-le : pardonner n’est ni facile ni simple, pour personne, au point que l’on se demande si cela nous est bien naturel, si ce ne serait pas au contraire l’épreuve de toute une vie.

Pourtant, l’actualité nous en présente par trop l’opportunité dans le spectacle continu des injustices et des violences, de la guerre, de la misère, du meurtre ou de l’agression pour quelques billets, parfois pour rien, et cela jusque dans l’intimité des foyers. Tous ces crimes, plus ou moins grands, exaspèrent en nous une peur, une tristesse et un ressentiment qui remettent le pardon aux mains de la justice des hommes, c’est-à-dire à d’autres et à plus tard, après le châtiment. Mais quel sens le châtiment a-t-il lorsqu’il n’est au fond qu’une vengeance ou une punition, une violence qui répond à la violence ? Qu’est-ce que le pardon s’il est soumis à la condition d’une réparation haineuse, victoire militaire ou peine de prison ? Nous nous rendons d’autant plus sourds à ces questions que nous nous sentons directement victimes de quelqu’un ou de quelque chose, ou simplement incompris ou malaimés. Cela pose une nouvelle question et ses déclinaisons : Pourquoi m’est-il plus difficile de pardonner un fait, une attitude dont je suis moi-même la victime ? Pourquoi une injustice à ma porte m’est-elle dix fois plus insupportable qu’une injustice mille fois plus grande à dix mille kilomètres ? Serait-ce que la préservation de mon intégrité et de mes intérêts vaut davantage que les principes selon lesquels je me targue de vivre ? N’est-ce pas là une contradiction qui me prédispose malgré moi à perpétuer l’injustice et la violence au nom de ma sauvegarde personnelle ? Dans ces conditions si misérablement humaines que je reconnais comme miennes, comment puis-je ouvrir mon cœur et mon âme au pardon que je désire tant ?

Le verbe pardonner (du latin per, et donare) signifie donner tout, donner complètement. C’est assez dire combien le pardon est à la fois l’expression et la condition de l’amour. Ainsi Jésus nous enseigne-t-il par son ultime commandement : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » auquel il ajoute immédiatement : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jean 15,12-13). Et dans le cri même de l’agonie : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23,34). Tout l’Évangile appelle indissolublement à l’amour et au pardon que le Christ a manifestés constamment tout au long de sa mission, et encore après son supplice en pardonnant à Pierre trois fois ses reniements et à Paul ses persécutions pour en faire les guides de son Église naissante. Mais si profonde soit notre foi et notre désir de l’imiter, nous ne sommes pas Jésus. Rattrapés que nous sommes par notre condition humaine, aucun de nous n’est capable de pardon — de don total — sans l’aide de l’Esprit. C’est l’Esprit en nous qui pardonne, qui nous donne la force de demander et d’accorder le pardon. Nous sommes pardonnés à la mesure ou nous pardonnons, comme nous sommes aimés à la mesure où nous aimons, sans aucune limite de réparation ni de réciprocité.

C’est pourquoi, après Pâques, la Pentecôte que nous venons de fêter revêt une telle importance dans notre long et chaotique apprentissage de la sainteté. Car avec la Paix que Jésus nous donne à travers les apôtres, tous les dons de l’Esprit Saint sont offerts à notre usage pour comprendre et vivre l’amour et le pardon. Il nous reste à ouvrir nos cœurs, à vouer nos âmes et à nous abandonner en conscience à l’Esprit Saint. N’est-ce pas un merveilleux devoir de vacances ?

Le comité de rédaction

Cycle sur les traces de ma vie

Ce très beau texte d’Adémar de Barros interpelle.
Nous vous proposons de le lire et de le méditer.


Les interviews qui vont suivre au cours de ces mois sont autant de traces que de témoignages qui nous rendent lisible et visible cette si douce discrétion de la présence du Seigneur à nos côtés.

Interview N°3
Guillaume Régnauld

Interview N°2
Frère Luc Mathieu (OFM)

Interview N°1
Anne-Marie & Guy

Sur le sable, les traces de ma vie

Cette nuit, j’ai eu un songe :
je cheminais sur la plage accompagné du Seigneur.
Des traces sur le sable rappelaient le parcours de ma vie :
les pas du Seigneur et les miens.
Ainsi nous avancions tous deux
jusqu’à la fin du voyage.
Parfois une empreinte unique était marquée,
c’était la trace des jours les plus difficiles,
des jours de plus grande angoisse,
de plus grande peur, de plus grande douleur…
J’ai appelé :
« Seigneur, tu as dit que tu étais avec moi
tous les jours de ma vie,
j’ai accepté de vivre avec toi.
Pourquoi m’avoir laissé seul aux pires moments ? »
Il m’a répondu :
« Mon fils, je te l’ai dit :
Je serai avec toi tout au long de la route.
J’ai promis de ne pas te quitter.
T’ai-je abandonné ?
Quand tu ne vois qu’une
trace sur le sable
c’est que, ce jour-là,
c’est moi qui t’ai porté. »

Adémar de Barros, poète brésilien

Cycle Duns Scot 1/5

La vie de Duns Scot

Sur sa tombe est gravée l’inscription suivante : « L’Angleterre l’accueillit ; la France l’instruisit ; Cologne, en Allemagne, en conserve la dépouille ; c’est en Ecosse qu’il naquit ». Comme tout étudiant et professeur de son temps il voyagea beaucoup !

Né probablement en 1266 dans un village qui s’appelait précisément Duns, non loin d’Edimbourg il fut attiré par le charisme de François d’Assise et entra chez les Frères mineurs. En 1291, il fut ordonné prêtre. Duns Scot fut dirigé vers des études de philosophie et de théologie auprès des universités d’Oxford et de Paris. Il entreprit ensuite l’enseignement de la théologie dans ces mêmes universités (mais aussi à Cambridge), en commençant à commenter, comme tous les Maîtres de ce temps, les Sentences de Pierre Lombard.

Lorsqu’un grave conflit éclata entre le roi Philippe IV le Bel et le Pape Boniface VIII, Duns Scot s’éloigna de Paris et préféra s’exiler volontairement plutôt que de signer un document hostile au Souverain Pontife, ainsi que le roi l’avait imposé à tous les religieux. Avec les Frères franciscains, il quitta le pays.

Toutefois, les rapports entre le roi de France et le successeur de Boniface VIII redevinrent rapidement amicaux, et en 1305, Duns Scot put rentrer à Paris pour y enseigner la théologie sous le titre de Magister Regens. Par la suite, ses supérieurs l’envoyèrent à Cologne comme professeur du Studium de théologie franciscain. Là, il mourut le 8 novembre 1308, à 43 ans à peine, laissant toutefois un nombre d’œuvres important.

En raison de la renommée de sainteté dont il jouissait, son culte se diffusa rapidement dans l’Ordre franciscain. Mais c’est au XXème siècle seulement qu’il fut déclaré bienheureux par le pape Jean-Paul II le 20 mars 1993.

Chantal Auvray