La province franciscaine du Bienheureux Jean Duns Scot a fait mémoire du centenaire de la naissance d’un frère qui a marqué la francophonie par la traduction des sources franciscaines. L’article ci-dessous est le témoignage (remanié) du frère Luc Mathieu lors d’un après-midi qui lui a été consacré au couvent St François de Paris.
Le Frère Damien, Georges Vorreux. (1922-1998)
Né à Roubaix, en 1922, sur la paroisse tenue par les franciscains, dans le quartier populaire du « cul de four. »
En 1940, Georges, devint frère Damien dans le noviciat franciscain d’Amiens, c’était les années de guerre et d’occupation. En avril-mai 40, la ville d’Amiens fut partiellement détruite sous les bombardements précédent l’arrivée des troupes allemandes. Le couvent, situé près de la gare fut en partie détruit et évacué. Les novices franciscains, dont frère Damien, se regroupèrent au couvent de Quimper, pour poursuivre un noviciat assez agité. Au bout d’une année, les frères qui avaient émis leur profession temporaire de 3 ans, rejoignirent le couvent de Champfleury, à Carrières-sous-Poissy, où étaient regroupés les étudiants du premier et du deuxième cycle d’études cléricales.
Le STO – et le couvent d’Epinal
En 1943 dix-huit étudiants de Champfleury furent réquisitionnés pour le STO, Service des travailleurs en Allemagne. De grands débats agitèrent la communauté : fallait-il se soumettre à la Loi, et donc collaborer avec l’envahisseur, ou devait-on imiter les nombreux jeunes qui s’esquivèrent en se cachant loin de Paris, à la campagne, ou qui allèrent rejoindre les divers réseaux de la Résistance en combattant dans les maquis ? Les autorités religieuses étaient divisées sur la question. Le cardinal Suhard, archevêque de Paris conseilla aux séminaristes et religieux de ne pas se dérober afin de rester solidaires avec la classe ouvrière et, puisque les prêtres n’étaient pas admis au STO, qu’au moins des séminaristes et religieux s’y engagent pour assurer une présence chrétienne aux ouvriers déportés. Quelques frères, en désaccord allèrent se cacher en province, dans leur famille, d’autres, dont Damien, furent envoyer travailler dans la gare de Triage d’Achères, à quelque kms du couvent. Un travail préparatoire à leur envoi en Allemagne. Travail très pénible et dangereux, comme caleurs de wagons de marchandises, les frères supportèrent cette peine, car ils pensaient ainsi échapper au transfert en Allemagne.
Mais quelques mois après ils furent convoqués pour le départ en Allemagne. Seize se trouvèrent à la gare de l’Est¸ en habit franciscain, dont le frère Damien Vorreux qui hésitait beaucoup sur le choix de l’ensemble. Certains frères profitèrent de plusieurs ralentissements du train pour sauter tour à tour sur la voie et s’évanouir dans la nature. Ne pouvant envisager de revenir à Champfleury, où il aurait été retrouvé par la police. F. Damien choisit de rejoindre, à pied, le couvent d’Epinal. Au bout de deux ans, voyant qu’il n’était pas recherché par la police, Damien réintégra le scolasticat de Champfleury pour terminer ses études de théologie. D’où il partit résider au couvent Saint-François de Paris pour suivre des études de lettres en Sorbonne.
Enseignement à Fontenay-sous-Bois (de 1951 à 1957, puis de 1963 à 1975).
Ayant obtenu deux certificats, de lettre classique et de latin, Damien fut nommé professeur de lettres au Collège de Fontenay-sous-Bois, où il se révéla être un professeur fort doué, bon pédagogue, et apprécié de tous les élèves.
Parallèlement à cet enseignement, frère Damien continue à s’intéresser aux sources franciscaines, en particulier par des traductions : La vie de Ste Claire de Thomas de Celano, en 1953, les Ecrits de François, en 1956, et la mise en chantier de la traduction de la Vita prima de Celano, publiée en 1960.
Séjour à Vézelay, comme vicaire paroissial (1957-1963)
Le chapitre provincial de 1957 l’envoya à Vézelay, comme vicaire paroissial. Fr Damien s’y passionna pour la figure de Ste Marie-Madeleine et pour l’histoire et l’architecture de la basilique. Il publia quelques articles et études à ce sujet et rédige même un petit guide pour les pèlerins. La bibliothèque provinciale conserve un gros dossier, partiellement inexploité sur ses travaux.
Retour à Fontenay, comme professeur de lettres (1963-1975)
Il traduisit aussi quelques livres et articles étrangers consacrés aux sources franciscaines. C’est durant son deuxième séjour à Fontenay-sous-Bois qu’il fera paraître, en 1968, la première édition du Totum qui contient l’ensemble des sources franciscaines du XIIIe et XIVe s. –. Il continuera à travailler sur ces textes pour préparer la deuxième édition de 1981.
Bibliothécaire au couvent de Paris (1975-1998)
A partir de septembre 1975, frère Damien vient résider au couvent Saint-François de Paris où il consacrera la plus grande partie de son temps à la Bibliothèque provinciale et à son fonds franciscain, jusqu’à son décès en 1998. Le P. Damien accueillait volontiers des chercheurs¸ des thésards et autres correspondants pour les aider et les orienter dans leurs recherches. Innombrables furent les bénéficiaires de son aide et de nombreuses publications mentionnèrent avec gratitude ses interventions généreuses.
En 1992, à l’occasion du centenaire de la province franciscaine de Paris, il publia l’histoire de la province : « Cent ans d’histoire franciscaine », avec l’aide de quelques coopérateurs.
Parmi ceux qui bénéficièrent de l’aide de Damien, je cite l’auteur et poète Julien Green que Damien conseilla pour sa vie de François d’Assise et dont il assura la rédaction des notes historiques et littéraires. Le même Julien Green avait accepté de préfacer le livre de Damien « François d’Assise dans les Lettres françaises ».
Portrait du frère Damien.
Fr. Damien était un religieux humble et discret, très attaché à la figure de saint François d’Assise. C’était un « littéraire », excellent pédagogue, qui aimait faire aimer les beaux textes et avait une connaissance exceptionnelle de la littérature française, et tout autant de la littérature franciscaine. Il était très serviable en communauté et rendait souvent des services aux autres frères. Tous appréciaient sa fréquentation, ses conversations, son humour, et ses réponses à leurs questions. Bien qu’il ait été souvent consulté et recherché par des personnages, plus ou moins célèbres pour leurs travaux, il n’en faisait pas état en communauté et était tout autant disponible pour rendre de menus services à des inconnus, dans un total désintéressement. Il avait une grande sensibilité et était très fidèle en amitié et reconnaissant pour les services rendus.
Fr Luc Mathieu ohm