Rencontre régionale

Le 14 mai 2023 au couvent St François de PARIS
sur le thème « la sobriété subie ou choisie »

C’est toujours avec bonheur que les fraternités de Créteil, St Denis, Meaux se retrouvent. Vaste et complexe thème qui ne manque pas d’intérêt, de convictions, de questions …
Le temps de prière du matin donne le tempo : « Si l’espérance t’a fait marcher … » « Bienheureux le serviteur qui rend tous ses biens au Seigneur (..) (Adm 18)
« Les laïcs franciscains (..) bien conscients que selon l’évangile, ils ne sont qu’administrateurs des biens qu’ils ont reçus en faveur des enfants de Dieu. » (Projet de vie 11)

Il ne fallut pas moins de 4 colonnes sur le grand tableau blanc pour noter toutes les expressions spontanées du brainstorming pour qualifier « la sobriété » selon qu’elle est choisie, qu’elle s’impose, qu’elle est subie …
Quelques mots reviennent : simplicité, partage, responsabilité, altruisme, limite, choix, ….. sans donner, pour autant, moins d’importance à tous les autres ….

L’Eucharistie, avec la participation d’une grande assemblée et de nombreux enfants dans la chapelle du couvent fut belle et festive. Dans son homélie, Fr Joseph à partir du texte de Pierre insiste sur l’importance du « rendre compte de l’espérance qui est en nous ». « Osez » !

Le repas partagé, sur les tables promptement installées dans le cloître, fut un bon et beau moment de convivialité.
« Loué sois tu mon Seigneur pour frère soleil » qui illumina notre sortie, après repas, dans la verdure du jardin fleuri des frères.


Fr Jean Baptiste Auberger nous fit ensuite rencontrer François d’Assise dans son choix de la pauvreté, son choix d’une vie sobre qui évolue au cours de sa vie.
Il donne son manteau : choix de donner ce dont il n’a pas besoin mais dont un autre a besoin.
L’Evangile de la St Mathias : partir en mission sans bâton, sans rechange ….mangeant et buvant ce que l’on nous donnera. » (Luc 3,7- Mth 10,10) « Voilà ce que je veux » s’écrie François.
Sobriété plus large que la nourriture. Etre en situation de dépendance. La sobriété n’est pas la pauvreté, pas l’ascèse pénitentielle. Mais un choix volontaire, joyeux, pour que d’autres puissent satisfaire leurs besoins. Légende de Pérouse 1 : « François fit préparer un repas au frère qui la nuit avait faim ». « Accorder à son corps ce qui lui est nécessaire. »
Deux raisons à la sobriété :

  • Disponibilité pour la rencontre de Dieu
  • Accepter toujours moins que ce que l’on nous offre, ce qui pourrait conduire à plus pauvre que soi.

Les petits groupes qui ont suivi, de façon ludique ou plus sérieuse, ont mis en évidence la société de consommation, le discernement nécessaire pour faire un choix …


Plusieurs questions jaillissent en conclusion de cette journée : des choix radicaux qui engagent l’avenir des enfants …. Des exemples de jeunes adultes qui posent des actes en vue de l’avenir de la planète : voyages en train, pas de télé … là une objection apparait « Et si le travail scolaire nécessite la recherche d’un document à trouver sur internet …

La question de la foi n’est pas absente. Combien parmi nos enfants participent à la vie en Église, en dehors de rassemblements ponctuels ?

Quoi qu’il en soit la transmission des valeurs est importante – en réciprocité.

Au terme de cette rencontre, la soif d’actualisation se fait sentir. Mais n’est ce pas cette
interrogation qui est la meilleure conclusion de la journée : « comment en tant que Franciscains continuer l’héritage de St François pour le bien de notre société ? »

Appel pour chacun de nous !

« Rien ne changera sur la terre des hommes si la justice meurt entre nos mains. Il nous sera vain de parler du royaume si la richesse encombre nos chemins ! »

Sœur Marie-France

Frère Damien

La province franciscaine du Bienheureux Jean Duns Scot a fait mémoire du centenaire de la naissance d’un frère qui a marqué la francophonie par la traduction des sources franciscaines. L’article ci-dessous est le témoignage (remanié) du frère Luc Mathieu lors d’un après-midi qui lui a été consacré au couvent St François de Paris.

Le Frère Damien, Georges Vorreux. (1922-1998)
Né à Roubaix, en 1922, sur la paroisse tenue par les franciscains, dans le quartier populaire du « cul de four. »
En 1940, Georges, devint frère Damien dans le noviciat franciscain d’Amiens, c’était les années de guerre et d’occupation. En avril-mai 40, la ville d’Amiens fut partiellement détruite sous les bombardements précédent l’arrivée des troupes allemandes. Le couvent, situé près de la gare fut en partie détruit et évacué. Les novices franciscains, dont frère Damien, se regroupèrent au couvent de Quimper, pour poursuivre un noviciat assez agité. Au bout d’une année, les frères qui avaient émis leur profession temporaire de 3 ans, rejoignirent le couvent de Champfleury, à Carrières-sous-Poissy, où étaient regroupés les étudiants du premier et du deuxième cycle d’études cléricales.

Le STO – et le couvent d’Epinal
En 1943 dix-huit étudiants de Champfleury furent réquisitionnés pour le STO, Service des travailleurs en Allemagne. De grands débats agitèrent la communauté : fallait-il se soumettre à la Loi, et donc collaborer avec l’envahisseur, ou devait-on imiter les nombreux jeunes qui s’esquivèrent en se cachant loin de Paris, à la campagne, ou qui allèrent rejoindre les divers réseaux de la Résistance en combattant dans les maquis ? Les autorités religieuses étaient divisées sur la question. Le cardinal Suhard, archevêque de Paris conseilla aux séminaristes et religieux de ne pas se dérober afin de rester solidaires avec la classe ouvrière et, puisque les prêtres n’étaient pas admis au STO, qu’au moins des séminaristes et religieux s’y engagent pour assurer une présence chrétienne aux ouvriers déportés. Quelques frères, en désaccord allèrent se cacher en province, dans leur famille, d’autres, dont Damien, furent envoyer travailler dans la gare de Triage d’Achères, à quelque kms du couvent. Un travail préparatoire à leur envoi en Allemagne. Travail très pénible et dangereux, comme caleurs de wagons de marchandises, les frères supportèrent cette peine, car ils pensaient ainsi échapper au transfert en Allemagne.
Mais quelques mois après ils furent convoqués pour le départ en Allemagne. Seize se trouvèrent à la gare de l’Est¸ en habit franciscain, dont le frère Damien Vorreux qui hésitait beaucoup sur le choix de l’ensemble. Certains frères profitèrent de plusieurs ralentissements du train pour sauter tour à tour sur la voie et s’évanouir dans la nature. Ne pouvant envisager de revenir à Champfleury, où il aurait été retrouvé par la police. F. Damien choisit de rejoindre, à pied, le couvent d’Epinal. Au bout de deux ans, voyant qu’il n’était pas recherché par la police, Damien réintégra le scolasticat de Champfleury pour terminer ses études de théologie. D’où il partit résider au couvent Saint-François de Paris pour suivre des études de lettres en Sorbonne.

Enseignement à Fontenay-sous-Bois (de 1951 à 1957, puis de 1963 à 1975).
Ayant obtenu deux certificats, de lettre classique et de latin, Damien fut nommé professeur de lettres au Collège de Fontenay-sous-Bois, où il se révéla être un professeur fort doué, bon pédagogue, et apprécié de tous les élèves.
Parallèlement à cet enseignement, frère Damien continue à s’intéresser aux sources franciscaines, en particulier par des traductions : La vie de Ste Claire de Thomas de Celano, en 1953, les Ecrits de François, en 1956, et la mise en chantier de la traduction de la Vita prima de Celano, publiée en 1960.
Séjour à Vézelay, comme vicaire paroissial (1957-1963)
Le chapitre provincial de 1957 l’envoya à Vézelay, comme vicaire paroissial. Fr Damien s’y passionna pour la figure de Ste Marie-Madeleine et pour l’histoire et l’architecture de la basilique. Il publia quelques articles et études à ce sujet et rédige même un petit guide pour les pèlerins. La bibliothèque provinciale conserve un gros dossier, partiellement inexploité sur ses travaux.
Retour à Fontenay, comme professeur de lettres (1963-1975)
Il traduisit aussi quelques livres et articles étrangers consacrés aux sources franciscaines. C’est durant son deuxième séjour à Fontenay-sous-Bois qu’il fera paraître, en 1968, la première édition du Totum qui contient l’ensemble des sources franciscaines du XIIIe et XIVe s. –. Il continuera à travailler sur ces textes pour préparer la deuxième édition de 1981.
Bibliothécaire au couvent de Paris (1975-1998)
A partir de septembre 1975, frère Damien vient résider au couvent Saint-François de Paris où il consacrera la plus grande partie de son temps à la Bibliothèque provinciale et à son fonds franciscain, jusqu’à son décès en 1998. Le P. Damien accueillait volontiers des chercheurs¸ des thésards et autres correspondants pour les aider et les orienter dans leurs recherches. Innombrables furent les bénéficiaires de son aide et de nombreuses publications mentionnèrent avec gratitude ses interventions généreuses.
En 1992, à l’occasion du centenaire de la province franciscaine de Paris, il publia l’histoire de la province : « Cent ans d’histoire franciscaine », avec l’aide de quelques coopérateurs.
Parmi ceux qui bénéficièrent de l’aide de Damien, je cite l’auteur et poète Julien Green que Damien conseilla pour sa vie de François d’Assise et dont il assura la rédaction des notes historiques et littéraires. Le même Julien Green avait accepté de préfacer le livre de Damien « François d’Assise dans les Lettres françaises ».
Portrait du frère Damien.
Fr. Damien était un religieux humble et discret, très attaché à la figure de saint François d’Assise. C’était un « littéraire », excellent pédagogue, qui aimait faire aimer les beaux textes et avait une connaissance exceptionnelle de la littérature française, et tout autant de la littérature franciscaine. Il était très serviable en communauté et rendait souvent des services aux autres frères. Tous appréciaient sa fréquentation, ses conversations, son humour, et ses réponses à leurs questions. Bien qu’il ait été souvent consulté et recherché par des personnages, plus ou moins célèbres pour leurs travaux, il n’en faisait pas état en communauté et était tout autant disponible pour rendre de menus services à des inconnus, dans un total désintéressement. Il avait une grande sensibilité et était très fidèle en amitié et reconnaissant pour les services rendus.

Fr Luc Mathieu ohm

En quoi la pratique de l’art nous élève-t-elle ?

Lorsque frère Joseph m’a demandé en quoi la pratique de l’art m’élevait, la question tombait comme une coïncidence. En effet la veille, je partageais mon parcours avec un artiste qui venait d’intégrer le Groupement Intensité dont je fais partie. A la fin de la conversation, il conclut : « la pratique de l’art a vraiment contribué à t’élever ». Comment en est-il arrivé là ? Par une suite d’exemples, dont je n’avais pas réellement conscience, et qui montraient que je m’étais ouverte aux autres. Contrairement au stéréotype qui veut que l’artiste soit un être égocentrique et enfermé dans son atelier, pour progresser dans ma pratique, j’ai dû, petit à petit, sortir de ma tanière et m’intéresser au monde qui m’entoure.

Le désir de créer m’est tombée dessus, une nuit alors que j’étais adolescente. A partir de ce moment, créer était devenu vital. Créer me donnait le sentiment d’exister. J’étais plus à l’écoute des ressentis et j’ai commencé à regarder les choses différemment. Je cherchais l’inspiration et je l’ai trouvée partout autour de moi. Pratiquer l’art m’a ancrée dans la réalité et d’un coup tout est devenu intéressant. Le monde qui m’entourait, loin d’être insipide ou laid, s’est révélé passionnant : une œuvre à part entière, véritable source d’inspiration.
Après une première période d’euphorie créative, un manque s’est fait sentir. Dessins, peintures, expériences, s’entassaient et tombaient aussitôt dans l’oubli. Tout ce que je vivais, seule avec moi-même semblait incomplet. Il manquait l’autre. Ainsi après avoir appris à ouvrir les yeux, j’allais apprendre à partager.

Lors de mon premier vernissage, ma mère est venue. Personne d’autre. Probablement parce-que je n’avais invitée qu’elle. Lorsque des inconnus me demandaient si j’étais l’artiste, je ne savais même plus mon nom, et de toute façon je n’avais pas trop envie de leur parler puisque je ne les connaissais pas. Partager ce n’est pas seulement montrer ce qu’on fait, c’est prendre soin de l’autre, s’intéresser à lui, l’inviter, créer un lien.
L’art est une leçon de vie. Il m’a appris énormément de choses mais pour ma part ce sont vraiment ces deux points _ ouvrir les yeux et partager_ qui m’ont élevée.

A mon tour j’ai posé la question aux personnes que j’ai rencontrées en expo (un bon moyen d’engager la conversation) et aux lecteurs de mon infolettre.

Les points qui sont le plus souvent revenus sont :
• L’ouverture aux autres et à l’espace.
• L’apprentissage de l’humilité, la quête et la recherche permanente. Le besoin de prendre du recul.
• Amélioration de notre bien-être.
• Voir la réalité avec d’autres lunettes et apprendre à apprécier les différences de points de vue.

Un petit rusé m’a aussi envoyé la réponse de Chat GPT, l’IA qui fait la une de l’actualité depuis quelques temps. Elle a répertorié six points qui forment un résumé bien complet. Je laisse les plus curieux aller lui poser la question. Pour les autres, voici sa conclusion :
« Dans l’ensemble, la pratique de l’art peut vous élever en vous permettant de vous exprimer, de développer votre créativité, d’améliorer votre perception, d’explorer de nouvelles idées, de trouver un bien-être émotionnel, et de stimuler votre réflexion et votre remise en question. C’est une expérience enrichissante qui peut contribuer à votre épanouissement personnel et à votre croissance intellectuelle et émotionnelle. » (Chat GPT)
Et vous, en quoi l’art vous élève-t-il ?

Merci à Frère Joseph, Marianne Martinez, Brigitte Loriers, Françoise Salmon et Philippe Sauvan-Magnet pour leurs contributions à cet article.

Laura Loriers alias Le Graveur Fou
Auteur des Péripéties d’une artiste au XXIe siècle.
www.legraveurfou.com

L’apocalypse de saint Jean

Introduction

Un livre étrange. Le théâtre, le climat et le style tranchent nettement avec tout le reste du N.T., particulièrement avec les évangiles.
Un texte hermétique, dont le langage constamment symbolique semble fait pour les seuls initiés.

AUTEUR
Jean, se nomme l’auteur lui-même, qui se dit relégué à Patmos et se qualifie de prophète. La plus ancienne tradition le tient pour Jean l’évangéliste, mais on en a douté assez vite (différences de style, de thèmes théologiques et d’atmosphère). Il est possible que des disciples de Jean y aient pas mal mis la main, une école johannique.

DATE = entre 90 et 96 (sous Domitien finissant), quoique 17, 9-11 semblerait situer la rédaction après la persécution de Néron sous Vespasien (vers 69-79). Auquel cas, deux hypothèses : ou bien une partie de l’œuvre serait de l’époque de Vespasien ; ou bien l’auteur, comme l’auteur de Daniel en 160 av. JC., ferait de l’anti datation, c’est-à-dire décrirait le passé comme s’il était encore à venir.

CIRCONSTANCES
L’EGLISE est dans la tourmente. Nous sommes au temps de la 3° génération chrétienne. Non seulement le Christ n’en finit pas de revenir, mais voilà que se déchaîne une ère de persécutions sous un empereur mégalomane, Domitien. – Déjà Néron, 30 ans plus tôt, avait déclenché pour la 1ère fois une persécution venant de la puissance romaine (et non plus des juifs), mais c’avait été le caprice d’un fou. Sous Domitien le motif devient spécifiquement religieux : l’empereur se fait appeler « Seigneur et Dieu », et exige qu’on lui rende un culte, sous peine de prison, de confiscation, de déportation et même de mort. Et la Province romaine d’Asie fait du zèle. Le problème pour 1’Eglise est très grave et le danger mortel, à la fois au dehors et au dedans :

  • Vis-à-vis des autorités, 1’Eglise ne peut transiger, ce serait un blasphème envers Dieu et le Christ. Mais c’est risquer la persécution, la fin du développement, et même l’extinction progressive de la foi.
  • Mais à l’intérieur, certains chrétiens inspirés par le courant « gnostique » – désignés nommément comme « nicolaïtes » à Ephèse et Pergame – distinguaient entre le « matériel » dans l’homme (son extérieur, son corps, ses gestes) et le « spirituel » qui seul compte (l’intérieur, le cœur, les pensées, l’intention). Ils acceptaient donc de faire les quelques simagrées cultuelles pour être tranquilles.

Sous Domitien, empereur de 81 à 96, 1’Eglise revivant la même situation de prétentions impériales impies, Jean ne trouve pas de meilleur modèle que Daniel et son mode d’expression grandiose, triomphal et secret.

Fr Joseph

« François…ou quand l’autorité se fait service. » 2ème partie

Comme nous l’avons vu précédemment, François a voulu que tous ceux qui exerceraient une autorité au sein de l’Ordre vivent cette charge, non comme un pouvoir, mais comme un service auprès de leurs frères.
A leur tête, figurent le ministre général et les ministres provinciaux. Leurs tâches sont nombreuses et variées. Le ministre provincial doit, par exemple, faire respecter la Règle, convoquer le chapitre provincial, élire le ministre général, confier les charges, recevoir les postulants, assurer le lien avec l’Église. Il doit aussi pourvoir aux besoins des frères, sur le plan matériel, mais également les accompagner et les corriger, sur le plan spirituel, car l’âme de ses frères lui a été confiée et il aura à en rendre compte devant le Seigneur. (1Reg 4, 6) Ainsi, si un frère « veut se conduire en esclave de la chair et non dans la docilité à l’Esprit…son ministre et serviteur fera de lui ce que, selon Dieu, il jugera le plus à propos. Tous les frères, les ministres et serviteurs comme les autres, auront soin de ne jamais se troubler ni s’irriter à cause du péché ou du mauvais exemple d’autrui…Que de leur mieux, au contraire, les frères viennent en aide spirituellement au coupable ». (1 Reg 5, 6-8) Le ministre est donc appelé à visiter ses frères le plus souvent possible, à leur donner des avis spirituels et à stimuler leur générosité. « Les frères qui sont ministres et serviteurs des autres frères visiteront leurs frères, les avertiront, les corrigeront avec humilité et charité, sans leur prescrire jamais rien qui soit contre leur âme et contre notre règle. Quant aux frères qui sont sujets, ils se rappelleront que, pour Dieu, ils ont renoncé à leur volonté propre. Je leur prescris donc avec force d’obéir à leurs ministres en tout ce qu’ils ont promis au Seigneur d’observer et qui n’est pas contraire à leur âme et à notre règle. » (2 Reg 10, 1-3)
C’est une conception de l’obéissance très singulière que celle de François : certes, l’autorité du ministre est réelle et les frères sont tenus de lui obéir. Pour autant, il ne s’agit pas d’obéir à un homme en tant que tel, le ministre, mais au Christ qu’il représente et donc d’obéir par amour pour Dieu : « Un sujet ne doit pas considérer l’homme dans son supérieur, mais Celui pour l’amour duquel il a choisi d’obéir. » (2 Cel 151) Cette obéissance est un exemple parfait de la désappropriation, si chère à François, puisqu’elle conduit à renoncer à sa volonté propre pour s’en remettre à la volonté de Dieu : « Un sujet croit parfois sentir qu’une autre orientation serait meilleure et plus utile pour son âme que celle qui lui est imposée : qu’il fasse à Dieu le sacrifice de son projet, et qu’il se mette en devoir d’appliquer plutôt celui du supérieur. Voilà la véritable obéissance, qui est aussi de l’amour : elle contente à la fois Dieu et le prochain. » (Adm 3, 5-6)
C’est pourquoi les frères sont invités à obéir avec humilité, simplicité, rapidité et à persévérer dans cette voie. Mais le ministre ne peut commander, au nom de l’obéissance, sans une raison grave, et il ne peut aller contre l’esprit de la Règle : « Si un ministre donnait à un frère un ordre contraire à notre règle de vie ou à sa conscience, le frère ne devrait pas obéir, car il ne peut être question d’obéissance là où il y a faute et péché. » (1 Reg 5,2)
François, connaissant bien la propension de l’homme à transformer son autorité en autoritarisme, même dans la vie religieuse, a voulu contourner cet écueil et limiter les éventuelles dérives au sein de l’Ordre. D’une part, cette clause de conscience autorise les frères à ne pas obéir à un ordre qui irait conte la Règle ou contre le salut de leur âme. D’autre part, les frères qui reçoivent une charge, par élection ou par nomination, ne l’exercent que durant un temps donné et la remettent en fin de mandat. Pas de ministre à vie chez les frères mineurs ! François ajoute même dans la seconde Règle que si un ministre général n’était plus jugé « apte au service et au bien commun de tous », les frères devraient en élire un autre. (2 Reg 8,4) Animé par l’esprit de service, le ministre ne doit pas s’approprier sa fonction: «Aucun ministre, aucun prédicateur, ne revendiquera comme un bien propre, soit sa charge de ministre des frères, soit l’office de prédicateur ; mais à l’heure même où on le lui enjoindrait, il devrait abandonner sa charge sans contester. » (1 Reg 17,4) Les biographes nous disent que François fustigeait les frères qui ambitionnaient les honneurs et les hautes responsabilités ou qui s’offusquaient de ne pouvoir conserver leur charge.
François trace lui-même le portrait qui devrait être celui du ministre général, « le père de cette famille » : Il doit mener une vie digne, avoir une bonne réputation et faire preuve de discernement. Il doit savoir partager son temps entre la prière et le soin de l’Ordre qui lui a été confié. Il doit être impartial dans ses relations et répondre « avec douceur » aux besoins de chacun. Il se comportera avec simplicité, et ce d’autant plus si c’est un érudit. Il devra se méfier de l’argent et se montrer exemplaire dans son usage. Et surtout, il doit avoir des qualités de cœur : consoler ceux qui souffrent, apaiser et soulager ceux qui sont tourmentés, ne pas avoir peur de s’abaisser « pour ramener à la douceur les obstinés ». (2 Cel 185) Lorsqu’un frère commet une faute, il ne doit point s’irriter contre lui, mais l’accueillir « en toute patience et humilité », « l’aider avec une affectueuse douceur » et à chacun il doit témoigner « autant de bonté qu’il voudrait s’en voir témoigner à lui-même ». (1 Let 43-44)
Cependant, François ajoute que le ministre doit veiller à ce que son indulgence ne soit pas excessive car elle pourrait introduire tiédeur et relâchement. (2 Cel 186)
On le voit bien, la tâche des ministres n’est pas aisée : il s’agit d’être à la fois « fermes pour commander » et « indulgents pour pardonner », « ennemis du péché » et « médecins des pécheurs », c’est pourquoi François recommande aux frères de les honorer et de les aimer car ils portent un lourd fardeau. (2 Cel 187)
Quand l’autorité se fait service, c’est toujours la miséricorde et l’amour qui l’emportent, comme l’illustre si bien la Lettre à un ministre : « Voici à quoi je reconnaîtrai que tu aimes le Seigneur, et que tu m’aimes, moi, son serviteur et le tien : si n’importe quel frère au monde, après avoir péché autant qu’il est possible de pécher, peut rencontrer ton regard, demander ton pardon, et te quitter pardonné. S’il ne demande pas pardon, demande-lui, toi, s’il veut être pardonné. Et même si après cela il péchait encore mille fois contre toi, aime-le plus encore que tu m’aimes, et cela pour l’amener au Seigneur. »

P. Clamens-Zalay

Prière

AIDE-MOI A ETRE DE CE MONDE

Aide-moi à te rencontrer, moi qui si souvent encore vis et agis comme si tu n’étais pas là.
Aide-moi à être de ce monde
mais avec toi, en moi
dans mon cœur,
dans ma chair vivante,
dans mes gestes d’homme.
Aide-moi à être celui qui marche,
qui marche dans la vie, là où marchent les hommes, avec eux, l’un d’eux,
mais sans regarder mes pieds,
sans tâtonner comme un aveugle,
le regard droit comme celui qui voit
je voudrais,
oh ! oui, Seigneur, je voudrais de toutes mes forces
qu’en me regardant marcher au milieu d’eux
comme un voyant, ils soient libérés de leur angoisse.

Michel Quoist

Un Livre Une Expo

Le Nageur
Un livre de Pierre Assouline

Pierre Assouline,
Le Nageur, Paris, Gallimard, 2023,
256 pages, 20 €

Il y a des histoires de vie plongées dans la « grande histoire » qui demeurent ignorées. Le récent livre de Pierre Assouline lève le voile sur la tragédie que vécut un nageur méconnu, même si quelques piscines portent son nom : Alfred Nakache. Il fut pourtant une célébrité durant les années 1930 et dans l’immédiat après-guerre. Son histoire est celle des juifs de France durant les années sombres, elle est aussi celle d’une rivalité humaine. Même si un certain polémiste, éphémère candidat à la magistrature suprême l’oublie ou se vautre dans le mensonge, c’est bien Philippe Pétain qui abolit le décret Crémieux et déchut les Juifs d’Afrique du Nord de la nationalité française. Or, Alfred Nakache fit partie de ces juifs français qui perdirent leur qualité de Français. Pierre Assouline, bon connaisseur des années sombres, adepte des longueurs de piscine, rend hommage au petit gars de Constantine. La trame chronologique repose sur la rivalité qui scelle probablement le sort du nageur d’Auschwitz. L’avenant, souriant et résistant, fruste nageur, Alfred Nakache et l’élégant brasseur, flambeur antisémite, milicien, collaborateur, Jacques Cartonnet. Deux nageurs qui s’affrontaient à coups de records de France et d’Europe ; des collectionneurs de titres nationaux qui s’opposaient même dans leurs styles de nage. Soutenu par la plupart des autres nageurs d’alors, relativement protégé par les victoires apportées à la France, soutenu par le commissaire général-tennisman bondissant pétainiste Jean Borotra[1], Nakache fut victime de la presse collaborationniste « le Youtre le plus spécifiquement youtre de la Youtrerie[2] » et très probablement dénoncé par son rival : « Si je le ­revois, je le tue » aurait dit « Artem »[3]Nakache, le juif algérien subit le sort de ses coreligionnaires, déporté avec sa femme et sa fille de deux ans, gazées à leur arrivée à Auschwitz. Il survit, un matricule tatoué sur le bras ; les SS l’obligeant à plonger afin de chercher les clés et les cailloux qui étaient lancés au fond d’une citerne d’eau croupie et glacée. Les sadiques aimaient en effet humilier les talentueuses victimes de la folie nazie. Les gardiens organisaient ainsi des matchs de football entre SS et Totenjüden à Belzec[4] ou entre SS et Sonderkommandos à Auschwitz ; des combats de boxe entre des champions devenus faméliques et des brutes présentes dans les camps.  

Évacué à la faveur des marches de la mort, il vit mourir le boxeur Young Perez[5], avant d’être libéré de Buchenwald par les Américains.  Sorti de l’enfer des camps, donné pour mort, cadavérique, il participa toutefois aux Jeux Olympiques de Londres en 1948 et reprit son métier de professeur de sport. C’est à Cerbères que le licencié du TOEC mourut à 67 ans en pratiquant sa natation quotidienne. 

Outre de tristes histoires de vie, le livre est aussi celui d’un écrivain féru de natation, sensible à l’histoire d’un enfant qui a surmonté sa peur de l’eau lorsque ses camarades quelque peu espiègles lancèrent ses chaussures dans l’eau, qu’il dut récupérer pour éviter l’ire familiale. C’est aussi celui d’un homme qui surmonta l’horreur grâce à la passion qui l’animait. L’ouvrage précis et documenté, foisonne de détails, d’anecdotes parfois inédites telle celle qui rappelle que les déportés devaient coudre les poches de leurs pantalons car les Allemands trouvaient arrogant qu’ils se promènent les mains dans les poches. 

On peut être rétif au style très particulier de Pierre Assouline mais, en des temps où le souvenir des horreurs du joug nazi s’estompe, à une époque où l’on ose affirmer sans ciller que le seul régime de collaboration d’Europe qui ne fut pas mis en place par les nazis protégea ses juifs nationaux, savoir ce que fut la vie d’Alfred Nakache contribue à appréhender ce que fut la réalité d’un régime criminel.

Érik Lambert.   


[1] Remplacé le 18 avril 1942 par Joseph Pascot.
[2] Je Suis partout
[3] « Le poisson » en hébreu, surnom donné à Alfred Nakache 
[4]https://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/mars/Source/Documents/MCP/bordeaux/HK_Bordeaux_Le_sport_europeen_a_lepreuve_du_nazisme.pdf
[5] Boxeur juif originaire de Tunisie, champion du monde poids mouches en 1931, déporté en 1943. Un film Victor Young Perez est sorti en 2013.


Degas en noir et blanc
A voir à la BNF jusqu’au 03 septembre 2023

Pour vous y rendre 👉 c’est Ici

Qui ne se souvient des innocentes ballerines qui s’évertuaient autrefois à décorer les couloirs de nos écoles ? Ces reproductions aux couleurs passées portaient la signature d’Edgar Degas. Elles en côtoyaient d’autres de Pissaro, Monet, Renoir… comme dans une exposition du mouvement impressionniste dont il fut l’un des fondateurs. Ce serait une ignorance coupable de ne voir en lui que le peintre des petits rats de l’Opéra tant son œuvre est d’une richesse et d’une diversité exceptionnelles. L’exposition présentée jusqu’au 3 septembre à la Galerie Mansart de la Bibliothèque nationale de la rue Richelieu (infiniment plus élégante que son rejeton mitterrandien) est une excellente occasion, pour 10 € tout au plus, de faire connaissance avec une facette moins connue de l’un des plus grands et plus audacieux artistes de la seconde moitié du XIXe siècle. Et pour trois euros de plus, il est possible de visiter tout le site après son heureuse rénovation achevée l’année dernière, notamment son musée, sans oublier de glisser un regard dans sa magnifique salle ovale où se sont escrimées des générations de chercheurs plus ou moins studieux.

Comme son titre l’indique, l’exposition est consacrée à la prédilection de Degas pour le noir et blanc, c’est-à-dire à sa recherche de la nuance lumineuse menée tout au long de sa vie en utilisant les ressources du crayon, du fusain, de la plume ou du lavis, et de toutes les techniques de gravure ou d’estampe — eau forte, aquatinte, pointe sèche, monotype, vernis mou, lithographie… (une vidéo les présente au public) — qu’il a lui-même développées ou renouvelées avec une inventivité extraordinaire, afin de saisir une incomparable qualité de clair-obscur telle qu’il la percevait dans les lieux fermés, caf’conc’, théâtres, coulisses, cabinets de toilette féminins, intérieurs bourgeois, sans oublier les maisons closes où il promena son regard sur les nuances subtiles de l’ombre qui caresse la chair et enténèbre les chevelures. Il employa sa capacité à capturer le mouvement pour croquer des instantanés si troublants de vérité poétique que ses contemporains, dans son époque de profonde mutation, semblent nous parler aujourd’hui de leur humanité inaltérable. On peut deviner en cela son goût prononcé pour le coup d’œil et de crayon d’un Daumier ou d’un Gavarni, entre autres, dont il collectionna les estampes, et aussi comprendre sa dernière passion presque compulsive — de son propre aveu — pour la photographie dont l’exposition nous donne de beaux exemples. Son esthétique particulière ne s’y dément pas malgré la nouveauté de l’artifice technique, autre preuve du génie de l’artiste par ailleurs éclatant dans les nombreux chefs-d’œuvre parmi la soixantaine de réalisations que l’exposition nous donne à découvrir.

Elle est organisée selon l’évolution chronologique des expérimentations d’Edgar Degas, accompagnées par des amis tels que Camille Pissaro, Mary Cassatt, Felix Bracquemont et bien d’autres, de ses premières copies de Rembrandt ou de Dürer à la réinvention du monotype dont il fait lui-même les tirages, chaque fois différents, en passant par la création d’une revue intitulée Le jour et la Nuit, qui restera lettre morte, jusqu’à sa pratique novatrice de la lithographie retravaillée qui donne lieu à la merveilleuse série de ses « nus de femmes à leur toilette ». Il contrôle l’impression de ses gravures afin que chacune soit, non pas une répétition, mais une étape de sa recherche expressive toujours plus avancée, quitte à les retravailler à l’aide de différentes techniques graphiques et picturales pour en faire des « dessins imprimés » — comme il nommait lui-même ses estampes. Manquant de moyens financiers pour poursuivre ses coûteuses innovations et surtout souffrant de graves problèmes oculaires, il se consacra plus particulièrement à la sculpture et au pastel avant que la cécité puis la surdité ne l’entraînent dans la misère, jusqu’à son enterrement à l’automne 1917, à 83 ans, où ce géant de l’art ne voulut d’autre discours d’hommage que : « Il aimait le dessin. »

Jean Chavot

EDITO DE JUILLET

Liberté ou sécurité ?

Le 7 juin dernier, dans le cadre d’une « clarification » du code de procédure pénale voulue par le gouvernement, le sénat autorisait l’activation du micro et de la caméra du téléphone portable à l’insu de son propriétaire. S’il est vrai que cette disposition est limitée dans son usage, il n’en reste pas moins qu’elle prend place dans un ensemble dont nombre de sénateurs — entre autres — dénoncent la confusion, et plus généralement dans un recul constant des libertés pu-bliques et privées. La raison invoquée, qui rendrait nécessaires ces atteintes répétées, est partout et toujours la même : la sécurité. Celle-ci n’étant pas plus assurée pour autant, la course en avant qui en résulte, de lutte anti-terroriste en mesures anti-covid, fait penser à la définition de la folie selon Einstein : faire toujours la même chose et s’attendre à un résultat différent. Quoi qu’il en soit, la question du rapport entre sécurité et liberté s’impose à nous, et plus précisément celle du poids de la technologie dans leur balance.

On voit déjà un paradoxe dans l’usage actuel de la technologie en elle-même. Destinée à offrir de nouvelles possibilités et donc de nouvelles libertés, elle se trouve produire l’effet contraire en réduisant l’autonomie et le pouvoir de décision de l’individu qui, par exemple, confie ses choix d’itinéraire, d’achat, d’opinion et même de vie sentimentale à des applications, au détriment de son libre arbitre, de la rencontre avec le prochain et des cadeaux de la providence. Certes, il ne s’agit pas là à proprement parler de sécurité, mais de praticité. Toutefois les deux se confondent dans l’illusion d’une maîtrise du destin si absolue qu’en seraient écartés tout danger, toute épreuve, toute surprise… rêve d’une sécurité parfaite où se vivrait la satisfaction de tous les désirs : une sorte d’Éden 2.0, en somme, où, démiurge de sa propre existence, chacun en contrôlerait tout, de la procréation assistée à la mort décidée.

Jésus est apparu dans un monde en proie à de multiples craintes et dangers. Mesurons ce que le décalogue et les lois mosaïques apportèrent de structuration et de sécurité au peuple hé-breu. Ces lois organisèrent la vie et la liberté collectives de manière plus harmonieuse et durable, telle la règle du sabbat protégeant le repos du travailleur. En accomplissant un miracle ce jour-là, ou lorsque ses disciples affamés arrachèrent des épis, Jésus fut accusé de transgresser la loi divine. Au contraire, il n’était pas venu l’abolir, mais l’accomplir, c’est-à-dire lui donner tout son sens divin que la stricte observance littérale des Pharisiens avait fini par dévoyer : « Le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat », dit-il. En prenant cette liberté, Jésus nous montre que c’est le Père qui nous l’accorde par Sa loi et que toute autre liberté que l’homme se donne à lui-même doit être rendue — pour employer un raccourci — à César. Cela signifie pour un chrétien que la liberté consiste à se laisser défaire de ses penchants contraires à l’Évangile afin de pro-gresser dans la voie de la sainteté. Jésus ne l’impose jamais, ses recommandations sont toujours précédées de « Si tu veux… ». Mais il ne s’agit pas d’affirmer une volonté personnelle, bien plutôt de la soumettre à celle du Père, sur la terre comme au ciel : « Père, si tu le veux […] non pas ma volonté, mais la tienne. », dit-il encore au jardin de Gethsémani.

Dans notre société technologique que son idolâtrie du confort rend sourde au Verbe divin, comment s’étonner que la liberté se conçoive comme l’espace du bon plaisir que rien ne limite, pas même les lois naturelles. Et comment s’étonner qu’il en résulte un sentiment profond et diffus de désordre, de menace, lequel engendre dans un cercle terriblement vicieux une demande crois-sante de sécurité. Que la technologie soit appelée au secours pour l’assurer montre à quel point celle-ci occupe dans les esprits la place d’un dieu omnipotent. Pourtant, quiconque est animé par la foi l’apprend chaque jour : il n’est de liberté ni de sécurité qu’en Dieu, unies en une seule et même grâce qui est le salut.

Le comité de rédaction