Prière pour la paix

« Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix.
Là où est la haine, que je mette l’amour.
Là où est l’offense, que je mette le pardon.
Là où est la discorde, que je mette l’union.
Là où est l’erreur, que je mette la vérité.
Là où est le doute, que je mette la foi.
Là où est le désespoir, que je mette l’espérance.
Là où sont les ténèbres, que je mette la lumière.
Là où est la tristesse, que je mette la joie.
Ô Seigneur, que je ne cherche pas tant à être consolé qu’à consoler, à être compris qu’à comprendre, à être aimé qu’à aimer.
Car c’est en se donnant qu’on reçoit, c’est en s’oubliant qu’on se retrouve, c’est en pardonnant qu’on est pardonné, c’est en mourant qu’on ressuscite à l’éternelle vie. »

Prière attribuée à Saint François

Un film, Un Livre

Un pays qui se tient sage
David Dufresne

Des dizaines de lycéens à genoux, les mains sur la tête pendant des heures. Un des policiers qui les surveille les filme longuement avant de lâcher ce commentaire satisfait : « Voilà une classe qui se tient bien sage ! ». Loin au-delà de Mantes-la-Jolie où elles avaient été prises en décembre 2018 à l’issue d’une manifestation tumultueuse, ces images avaient glacé par leur cruauté gratuite et par les mauvais souvenirs qu’elles évoquaient. David Dufresne a choisi de paraphraser ce policier mal inspiré pour le titre de son premier film documentaire. Bâti avec les vidéos prises sur le vif par des journalistes ou des manifestants des divers mouvements sociaux entre octobre 2018 et février 2020 — des Gilets-Jaunes à l’opposition à la réforme de retraites — il est consacré aux violences policières.

Le thème est certes controversé, mais avec un bilan de 2 500 blessés, 25 éborgnés, 5 mains arrachées et 2 morts, la condamnation par l’ONU, la Cour européenne des droits de l’homme et Amnesty International de l’usage disproportionné de la force, les faits ne peuvent pas être éludés, et encore moins niés, comme le prouvent les images : les pratiques de maintien de l’ordre se sont incontestablement durcies en France ces dernières années.  De plus, le climat social, très mouvementé à la veille du confinement de l’hiver dernier, risque de se tendre avant longtemps, alors que la sagesse du préfet Grimaud en 1968 ne semble pas partagée par les autorités actuelles, et encore moins par des individus comme le préfet Lallement nommé à Paris au plus fort du mouvement des Gilets Jaunes.

Le maintien de l’ordre n’est pas un simple sujet technique ; c’est d’abord un sujet citoyen. Le considérer comme tel en va du bon fonctionnement de la démocratie qui, comme le rappelle une intervenante, n’est pas fondée sur le consensus, mais sur le dissensus, c’est à-dire sur la confrontation libre des points de vue, par, et par-delà, les élections. Le film place le débat sous l’augure d’une phrase de Max Weber : « L’État détient le monopole de la violence légitime ». Il est alimenté par des victimes, des syndicalistes policiers, des juristes, des historiens, des sociologues et des anthropologues qui commentent les images et les éclairent selon leurs disciplines et leurs points de vue. Le sujet clé est la légitimité de l’État à employer la violence, une légitimité qui ne se résume pas à la simple légalité. En effet, si la légalité est la prérogative du gouvernement, sa légitimité n’est acquise que dans la mesure où le contrat social est respecté, car si l’État gouverne, le peuple, lui, reste souverain. En démocratie du moins. La réflexion se prolonge (de manière un peu trop théorique, peut-être) en explorant le concept de violence qu’à son tour il ne faut pas confondre avec la brutalité puisque la violence est inscrite dans la nature tandis que la brutalité, elle, est un choix. Son usage, quelles que soient les circonstances, est donc avant tout une décision politique.

Le documentaire a deux manques importants : d’abord les images ne rendent pas suffisamment compte des stratégies de maintien de l’ordre sur le terrain, souvent remises en cause par des policiers eux-mêmes qui en souffrent dramatiquement, ensuite les hautes instances juridiques et policières ont refusé de témoigner. Ce dernier regret montre à quel point il est important que ce film existe, et combien il est urgent d’aller le voir, car les violences policières commises, avérées, continuent d’être renvoyées à leurs victimes, ou minimisées, ou simplement niées par le gouvernement. C’est inadmissible pour le passé, et très inquiétant pour l’avenir, alors que l’État central qui décrète unilatéralement des couvre-feux préfère embaucher 12 000 agents de police plutôt que 12 000 infirmières…

Jean Chavot


Fratelli tutti

Pape François, Fratelli tutti, Cerf, Paris, 2020, 216 pages. 4,50€

Nul doute que la lettre encyclique Fratelli tutti du Pape François sera l’objet de débats et de controverses. Mais n’est-elle pas guidée par le souffle de l’Évangile qui bouscule ?
J’imagine déjà les partisans d’un ordre établi crier à la naïveté voire au communisme cosmopolite ; bref…tout fout le camp ! Pourtant ceux-là même qui arguent, lorsque cela les arrange, de l’infaillibilité pontificale n’hésitent pas à cultiver l’incohérence dans leurs commentaires acerbes et vengeurs. Souvenez-vous du motu proprio favorable au rite tridentin que vous défendiez au nom de cette infaillibilité !
Structurée en huit chapitres aux titres évocateurs, Fratelli tutti est une encyclique sociale, digne de Rerum Novarum (Léon XIII), et puisée à la même inspiration que de Laudato si’ : nous sommes tous dans la même barque !
À la faveur de ces huit thèmes, le Saint-Père nous enjoint à la fraternité universelle et à un monde ouvert. Le souci de développer une éthique sociale qui se nourrit de solidarité, d’accueil doit animer l’action des chrétiens en chemin, présents et engagés dans le monde, afin de délivrer un message évangélique de charité sociale.

Souvent, il est reproché à l’Église de ne pas s’engager dans les grandes questions du temps excepté lorsqu’il s’agit de gérer les alcôves des fidèles. Désormais, l’Institution exprime sa perception de la vie de la cité, comme le souhaitait le père dominicain Chenu : « Le chrétien, c’est celui qui a un œil sur l’Évangile et un œil sur le journal. ». L’Église doit constituer un poil à gratter qui rappellerait aux politiques ce qu’est le bien commun qu’ils devraient cultiver avec résolution : « Si l’Église respecte l’autonomie du politique, elle ne limite pas sa mission au domaine privé » (276)
Le néo-libéralisme, doxa contemporaine, pour laquelle seules comptent les lois du marché (209) favorise les comportements individualistes, fruits pervers des espoirs des années 60. Dans ce document, François constate par ailleurs que notre monde se claquemure, abandonnant sur le chemin tant de petits. Il y a ces étrangers devant lesquels sont dressées des barrières, et pourtant François estime qu’ « Il y a de la place pour tout le monde » (99). Il affirme que le sens de l’existence est « le droit de se réaliser intégralement comme personne » (128). Il va même jusqu’à envisager la « pleine citoyenneté pour tous les migrants » (129-130). La critique des dérives d’un néo-libéralisme dérégulé qui abandonne tant de frères sur le bord de la route ne saurait ouvrir la voie aux populismes. Ériger des frontières ne saurait convenir (80-83), rejeter l’autre par un populisme simplificateur contraire à la foi ne constitue pas une solution : « La foi, de par l’humanisme qu’elle renferme, doit garder un vif sens critique face à ces tendances et aider à réagir rapidement quand elles commencent à s’infiltrer… » (86)
Rencontre, dialogue, bienveillance ; ce ne peut être audible que si l’on accepte d’affronter les ombres de l’histoire. Oui, il y a des mémoires historiques cachées ; oui, il convient de les dévoiler (Shoah 247, esclavage 86) ; le rétablissement de la paix est à ce prix. « La vérité est une compagne indissociable de la justice et de la miséricorde. » (227) À l’encontre de ce que prônait l’Église, François remet en cause le concept cher à Saint-Augustin et Saint-Thomas d’Aquin de « guerre juste » Il doit être possible de trouver la paix sans passer par le conflit.

Il n’y a pas de doute, ce texte est une critique du système « néolibéral », des « populismes » et des dérives « individualistes » de la mondialisation ; ces pandémies économico-sociales qui se propagent dans le monde actuel. François d’Assise ouvre la réflexion et Charles de Foucault, l’artisan du dialogue avec les musulmans la clôt. Ces deux inspirateurs illustrent la volonté pontificale de promouvoir une Église accueillant tout être humain. Une Église du dialogue, ouverte à l’autre même s’il n’est pas catholique. C’est aussi ce souci qui conduit François à solliciter d’autres « frères » : Martin Luther King, Desmond Tutu, Mahatma Mohandas Gandhi. (286). Testament spirituel, utopie ou vision prophétique ? Le Pape bouscule les lignes, secoue le monde englué dans une globalisation sans frein et engage un ambitieux défi évangélique :« changer le cours de l’histoire en faveur des pauvres » (165),

ÉRIK LAMBERT.


Événements en novembre


La formation «En chemin trinitaire avec St François»
en région parisienne.

• 1er week-end : du vendredi 19 au dimanche 21 novembre 2021

•. 2ème week-end : du vendredi 17 au dimanche 19 décembre 2021

L’objectif de cette formation est de permettre aux participants d’acquérir une intelligence de leur expérience spirituelle – chrétienne et franciscaine – et de pouvoir en rendre compte, ce qui permet de donner un ancrage solide à la vie fraternelle et de proposer à d’autres ce chemin franciscain.

Il y avait 50 inscrits aux week-ends de mai et juin 2021 ce qui était le quota de la formation.
Si vous étiez inscrits , merci de confirmer votre inscription pour ces nouvelles dates.

Cependant si vous avez le désir de suivre cette formation, une liste complémentaire est ouverte.
N’hésitez pas à envoyer un mail à l’adresse ci-dessous :
formationenchemin@gmail.com



Connaissez-vous Vox franciscana, la revue  internationale  de l’Ordre Franciscain Séculier ?

Cette revue donne les nouvelles importantes des fraternités nationales du monde entier et rend compte de l’activité du CIOFS (Conseil International de l’Ordre Franciscain Séculier).
 Le numéro d’automne est paru et vous pouvez le lire en français.
•Cliquer ici pour le télécharger•

Du 9-3 à l’Aveyron central

Témoignage sur un changement de vie
(1ère partie) 

Vue de l’abbaye cistercienne de Bonnecombe dans l’Aveyron

Membre de la fraternité franciscaine séculière depuis le 4 octobre 2016, je travaillais jusqu’au 1er août 2020 comme salariée, au sein de l’association Le Rocher Oasis des Cités, une association catholique d’éducation populaire implantée dans 9 quartiers urbains en difficulté. La particularité de cette association est d’avoir des équipes qui font le choix de venir vivre dans les cités. Nous habitions au nord de Bondy, en Seine-Saint-Denis, mon mari Émeric et moi, pour cette raison. Parallèlement à ma mission de responsable des relations institutionnelles du Rocher, je travaillais depuis 2015 avec Émeric à un projet de centre de formation sur l’écologie environnementale et sociétale. Ce projet rejoignait en effet nos aspirations respectives : celle d’Émeric à protéger la nature, née de ses nombreux voyages à pied dans des contrées sauvages et la mienne à mener une vie plus fraternelle avec toutes les créatures, inspirée de notre frère François. Nous nous étions aussi fortement sentis encouragés dans notre entreprise par la sortie de l’encyclique Laudato si’ en juin 2015, qui montrait bien que « tout est lié ».

Nous avions assez rapidement baptisé notre projet « Propolis ». L’allégorie nous semblait bonne. Nous voulions que notre projet serve l’homme et la nature. La propolis est en effet une substance fabriquée par l’abeille pour entretenir et assainir la ruche, en colmater les fissures. Il suffisait de considérer la ruche comme notre « maison commune » : planète ou/et communauté humaine. Nous cherchions bien sûr un lieu pour établir Propolis et de fil en aiguille, une piste s’est ouverte en Aveyron, fin novembre 2017. L’abbaye cistercienne de Bonnecombe, au sud de Rodez, était en effet disponible à ce moment-là et l’évêché de Rodez et Vabres, qui en est propriétaire, cherchait repreneur. Nous avons décidé de faire le saut en nous installant en Aveyron, non loin de Bonnecombe, en avril 2019, puis en nous établissant à l’abbaye-même le 1er août 2019. Nous continuons aujourd’hui d’étudier la faisabilité de notre projet dans ce bien, bâti en 1167 et très largement reconstruite à la fin du XIXème siècle, heureusement dans un style médiéval.  

Notre projet Propolis visera notamment à promouvoir un style de vie sobre et heureux, en faveur de cinquante étudiants pendant 9 mois, de septembre à mai, qui   viendront se former sur les questions environnementales et sociétales, en vivant à Bonnecombe, avec des cours le matin et des activités manuelles et ateliers d’échanges de talents l’après-midi. Mais, sans attendre le lancement du projet, nous tentons déjà de convertir dans ce sens notre vie quotidienne, encouragés par les traditions rurales et la beauté de la nature de notre nouveau territoire d’adoption.  Alors bien sûr, la conversion écologique ne se fait pas en un jour. En témoignent les exemples suivants. Comme l’abbaye est située dans une combe et que la côte est raide et sinueuse pour en sortir, il est très difficile d’opter pour le vélo et je passe mon temps à prendre ma voiture pour faire des courses et des démarches administratives diverses. Je rêve du moment où nous pourrons relancer la production hydroélectrique du moulin de l’abbaye, qui a fonctionné jusqu’en 1997, pour alimenter une voiture électrique. Je vais aussi toujours régulièrement au supermarché, car le potager – qu’une bénévole zélée a lancé en juin 2020 –, ne donne pas encore de quoi alimenter la table tous les jours. Mais, là aussi, les perspectives sont prometteuses, puisqu’au printemps prochain, le potager devrait s’agrandir d’une forêt-jardin. Qu’il est difficile aussi de résister à une proposition amicale ou familiale de « petit voyage » en avion vers l’Europe centrale, le Proche-Orient, etc. Heureusement que l’enclavement de l’Aveyron freine la bougeotte. Dans un autre registre, à présent que la pollution due au numérique a dépassé celle provoquée par le transport aérien [1], il devient urgent de devenir plus sobre dans sa production d’emails, ses envois de photos, de vidéos, etc. Il faut donc sans cesse arbitrer sur l’utilité/coût pour la planète de chaque action de communication pour notre confort personnel et pour notre projet. 

Il faut donc se remettre en question sur tous les fronts…

Christine Fisset  (FFS)


[1] Le numérique émet aujourd’hui 4 % des gaz à effet de serre du monde, c’est 1,5 fois plus important que le transport aérien ! Envoyer un simple mail rejette en moyenne 10 grammes de CO², soit l’énergie nécessaire pour faire fonctionner les machines qui envoient, transportent et stockent les informations. Plus une pièce jointe est volumineuse, plus cela pollue. Enfin, toute donnée stockée en ligne consomme de l’énergie. 
Sources : The Shift Project /Greenpeace.

On ne convertit que ce qu’on aime

On ne convertit que ce qu’on aime : si le chrétien n’est pas en pleine sympathie avec le monde naissant, s’il n’éprouve pas en lui-même les aspirations et les anxiétés du monde moderne, s’il ne laisse pas grandir en son être le sens humain, jamais il ne réalisera la synthèse libératrice entre le ciel et la terre d’où peut sortir la parousie du Christ universel. Mais il continuera à s’effrayer et à condamner presque indistinctement toute nouveauté, sans discerner, parmi les souillures et les maux, les efforts sacrés d’une naissance.
S’immerger pour émerger et soulever. Participer pour sublimer. C’est la loi même de l’incarnation. Un jour, il y a deux mille ans déjà, les papes, disant adieu au monde romain se décidèrent à  » passer aux barbares ». Un geste semblable et plus profond, n’est-il pas attendu aujourd’hui ? Le monde ne se convertira aux espérances célestes du christianisme que si, préalablement, le christianisme se convertit, pour les purifier et les diviniser, aux espérances de la terre.

Teilhard de Chardin 

Le Bon Pasteur (Chap 10, 1-30)

Introduction

  1. Le contexte pastoral palestinien : Une bergerie en Palestine, c’était un enclos en pleine campagne, gardé, de nuit, par un portier, où se rassemblent, pour la nuit, plusieurs troupeaux, ramenés par leurs bergers respectifs. Le matin, les bergers se présentent à la porte de l’enclos, y pénètrent, et lancent chacun leur cri d’appel spécifique. Les brebis reconnaissent tout de suite leur berger.
  2. Dès le début du texte, on note une certaine incohérence : Jésus se prétend à la fois le vrai berger et la porte ! Nous avons sans doute là deux petites paraboles qui ne furent pas prononcées le même jour, et qui furent ensuite juxtaposées.
  3. Comme toujours, chez Jean, il faut dépasser un premier niveau d’interprétation, sentimental et pieux (nous sommes les petites brebis du Seigneur, il prend soin de chacun d’entre nous, nous comptons beaucoup pour lui…). En réalité, derrière la parabole se cachent des révélations théologiques importantes et solennelles qui sont à la base de notre foi :

Le Messie, c’est moi !
J’ai le pouvoir de donner aux miens la Vie éternelle
La Vie éternelle, c’est le même genre d’intimité qu’entre le Père et moi
Je suis l’unique sauveur du monde.


Le Messie, c’est moi

  • Parler de « berger » ou de « pasteur », c’était provoquer une résonance immédiate et profonde en Israël, qui a été longtemps un peuple nomade et éleveur avant de se sédentariser et devenir agriculteur.
  • Déjà les rois de Babylone et d’Assyrie aimaient à s’appeler « bergers » de leur peuple. 
  • En Israël, Jésus n’est pas le premier à utiliser cette image ; elle est traditionnelle dans l’AT : 
    • C’est d’abord YHWH qui se nomme le « berger » de son peuple, et qui est invoqué comme tel (cf. les Psaumes). 
    • Puis il chargera Moïse de cette fonction, et plus tard David
    • Enfin, par la bouche du prophète Ezéchiel (ch. 34), YHWH reprend l’image : il se repent d’avoir confié ce rôle aux dirigeants de son peuple (les rois, pour qui la fonction a été une occasion de profit personnel). Dans un 1er temps, il médite de reprendre lui-même ce rôle et de l’assumer seul. Dans un 2nd temps, il envisage la venue d’un nouveau David, à qui seul il réservera ce titre de « pasteur », mais il s’agira alors d’un vrai pasteur, d’un bon berger… Ce sera le Messie.
  • En reprenant cette image à son compte – « c’est moi le bon berger » – Jésus laisse entendre tout à fait clairement qu’il est le Messie. 
  • Il ajoute un indice très parlant : « mes brebis auront la vie en abondance ». Or, l’abondance était un des signes des temps messianiques : quand le Messie serait là, disaient les scribes et docteurs, il ouvrirait l’ère de l’abondance.
  • Enfin, Jésus fait siens les sentiments de colère de son Père, et il dénonce lui aussi les faux bergers mercenaires ou brigands : les mercenaires, ce sont sans doute les mauvais rois d’Israël, jusqu’aux derniers qui régnaient encore (Hérode et ses fils), mais probablement aussi la caste politico-religieuse de Jérusalem (grands prêtres et familles sacerdotales);  les brigands, ce sont les faux messies (comme Theudas et Judas le galiléen, dont parlent Ac. 5, 36), qui se levaient périodiquement du temps de Jésus.

PIE XI : Un pape dans son temps

2ème épisode : Un pape engagé dans la tempête de l’entre-deux-guerres.

L’encyclique Quas Primas du 11 décembre 1925 institua la fête du Christ-Roi montrant le souci de Pie XI de faire pénétrer l’esprit chrétien dans la législation des peuples et de faire reconnaître juridiquement par les Etats, l’Eglise comme souveraineté spirituelle et supranationale. Fidèle à cette ambition, il signa de multiples concordats[1] avec les états baltes (1922-1927), la Pologne en 1925, la Tchécoslovaquie et le Portugal en 1928, la Yougoslavie (1935), la Roumanie (1939). Le rétablissement de relations normales avec l’Etat italien par les accords du Latran de 1929, signés avec Mussolini nourrissait une volonté diplomatique affirmée. Certes, a posteriori, l’accord du 11 février 1929 peut heurter mais il répondait au souci du Pape de donner à l’institution une existence temporelle. Il s’agissait d’un traité politique qui réglait la « question romaine » [2]. Le concordat comportait par ailleurs un volet financier et déclarait le catholicisme seule religion de l’État italien, rendant obligatoire l’enseignement catholique dans les écoles primaires et secondaires et reconnaissant au droit canonique  ses effets civils[3]. Nul doute que ce fut aussi un précieux succès de prestige pour le dictateur italien Benito Mussolini. Sensible au monde de son temps, Pie XI refusa les intransigeances catholiques qui guidaient l’action de Pie X. Il se voulait fervent défenseur des droits de l’Église et d’une conception chrétienne de la société face à un contexte de l’entre-deux-guerres qui suscitait engagements politiques, positionnements et reconfigurations des lignes de fracture au sein du monde catholique. Le xixe siècle avait été celui de positions intransigeantes de refus de la modernité et de retrait de la vie publique, tel ne fut pas l’esprit du pontificat d’Achille Ratti. Ainsi, avec Pie XI, la question de l’intervention, de la norme et de l’action des catholiques fut fondamentale. Une appréhension nouvelle de l’articulation entre autorité hiérarchique institutionnelle et responsabilité individuelle des catholiques fut cultivée dans ce contexte mouvementé. 
A l’égard de l’Allemagne hitlérienne, Pie XI crut pouvoir parvenir à un modus vivendi qui l’incita à conclure un concordat avec von Papen[4] le 20 juillet 1933. 
Pourtant, les rapports du Saint-Siège avec les régimes totalitaires se détériorèrent. Pie XI engagea une lutte contre les totalitarismes au nom de la dignité chrétienne. Ce fut d’abord avec l’homme de Predappio[5]lorsque l’État fasciste nourrit l’ambition d’embrigader les jeunesses catholiques, ce que le souverain pontife dénonça en 1931 par l’encyclique rédigée en italien Non Abbiamo bisogno
1937 fut l’année de l’apaisement[6]. Pourtant, le développement du racisme national-socialiste, de la propagande néo-païenne, de la mobilisation politique de la jeunesse allemande, conduisit Pie XI à lancer contre l’hitlérisme l’encyclique Mit Brennender Sorge[7] de mars 1937 dans laquelle il proclama « nous sommes tous des sémites » ! Ce texte adressé exceptionnellement en allemand et non en latin afin que les évêques allemands, puissent le diffuser aisément et qu’il pût être lu dans les églises du pays abordait la « situation religieuse dans le Reich allemand ». Quelques jours plus tard, L’encyclique Divini Redemptoriscondamnait quant à elle le communisme athée considéré « intrinsèquement pervers »avec lequel « l’on ne peut admettre sur aucun terrain la collaboration avec lui de la part de quiconque veut sauver la civilisation chrétienne ».
En revanche, il montra une certaine sympathie pour la « croisade » du général Franco et établit des relations diplomatiques avec lui en juin 1938. 
Un Pape qui s’engagea donc dans les bouleversements de son temps mais aussi un Pape qui nourrit son pontificat de l’esprit franciscain…

ÉRIK LAMBERT.


[1] Concordat : Négociations et texte entre le Saint-Siège et le chef d’un État pour réglementer les rapports du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel.
[2] Question romaine : occupation et annexion des États pontificaux par l’Italie en 1870. À partir des accords du Latran, le Vatican reconnaissait l’Italie et cette dernière reconnaissait le royaume d’Italie avec Rome comme capitale. 
[3] Interdiction du divorce par exemple.
[4] Franz von Papen, conservateur catholique fut  l’ami personnel de plusieurs papes dont Pie XI et Pie XII. Il reçut de Pie XI le titre honorifique de « chambellan du Pape », est fait chevalier de l’ordre souverain de Malte et Grand croix de l’ordre de Pie IX. Il négocia avec Monseigneur Pacelli, devenu Secrétaire d’État et futur Pape Pie XII, le concordat avec l’Allemagne qu’il signa à Rome en 1933. Les relations avec la papauté furent plus difficiles avec les violations répétées du concordat par le régime nazi. Papen joua un rôle important dans le ralliement du primat d’Autriche Theodor Innitzer à l’Anshluss en 1938, que Pacelli et Pie XI déplorèrent. Innitzer déclara : « Les catholiques viennois devraient remercier le Seigneur pour le fait que ce grand changement politique se soit déroulé sans effusion de sang, et prier pour un grand avenir pour l’Autriche. Il va de soi que tout le monde devrait obéir aux ordres des nouvelles institutions ». Les autres évêques autrichiens adoptèrent la même position dans les jours qui suivirent et remercièrent l’Allemagne d’avoir « sauvé l’Autriche du péril bolchevik ». Lors de la publication de cette déclaration de soutien à l’Anschluss, le 18 mars, Innitzer apposa la mention Heil Hitler à côté de sa signature.
[5] Lieu de naissance de Mussolini.
[6] Politique menée par le Premier ministre britannique Neville Chamberlain et suivie par la France qui prône l’« appeasement » (apaisement) à tout prix avec le Führer allemand. Beaucoup de responsables politiques français demeuraient à le remorque de la stratégie du Foreign office. Georges Bonnet d’avril 1938 à septembre 1939 en fut un exemple flagrant. « Apogée » dc cette politique, les accords de Munich de septembre 1938. A sa descente d’avion, Neville Chamberlain, toujours plein d’illusions, n’hésita pas à affirmer que le Führer «est un homme sur qui l’on peut compter lorsqu’il a engagé sa parole».En France, au lendemain des accords de Munich, tous les journaux titrent à la une : La Paix ! Daladier est accueilli à son retour au Bourget par une foule en délire. Pourtant, le 5 octobre 1938, Churchill lança : «Nous avons subi une défaite totale et sans mélange (…). Notre peuple doit savoir que nous avons subi une défaite sans guerre, dont les conséquences nous accompagneront longtemps sur notre chemin». La postérité retint de lui cette formule, dans une lettre postérieure :«Ils ont accepté le déshonneur pour avoir la paix. Ils auront le déshonneur et la guerre».
[7] On peut traduire : Avec une brûlante inquiètude.

La fraternité, une réponse en temps de crise

L’actualité est riche d’évènements qui nous provoquent et suscitent en nous des réactions diverses, qui vont de l’inquiétude à la sidération, en passant par la peur, l’indignation, la révolte et la tentation de la violence. La Covid 19 et ses statistiques mortuaires, l’assassinat de Samuel Paty, les appels à la haine, l’explosion du chômage, les difficultés économiques de beaucoup, la montée des populismes, les multiples conflits avec leurs lots de massacres et de destructions, les évènements climatiques, les promesses non tenues, les migrations et les détresses qui les accompagnent et enfin, hier, le nouvel attentat de Nice. Autant de faits et de constats qui peuvent nous plonger dans la désespérance et le repli sur soi, ou, ce qui serait pire, le passage à une riposte violente envers d’hypothétiques coupables.
Face à cet inventaire, on trouve néanmoins de bonnes nouvelles qui nous font espérer un monde meilleur ; l’accord de paix au Soudan, les avancées de l’Union Européenne que la pandémie a sortie de sa léthargie, les gestes de solidarité, la générosité des donateurs, la primauté souvent donnée au bien commun, le dévouement des aidants et des soignants …

Et puis, nous avons les prises de parole du pape François et son encyclique « Fratelli Tutti » qui nous remet sur un chemin d’espérance en nous rappelant nos racines franciscaines et nous provoquant ainsi à les revisiter.

François qui a connu la pandémie de la lèpre et a pris soin des lépreux, (1 Celano 17)
François qui a connu la violence, dans la guerre entre Assise et Pérouse, et en est revenu,
François qui a demandé à ses frères de nourrir les brigands, (Le Miroir de Perfection 66 :  » car on ramène mieux les pécheurs avec la douceur de la piété qu’avec une cruelle réprimande »)
François qui ne s’est pas révolté fasse aux insultes du lépreux possédé, et l’a guéri, (Fioretti 25)
François, enfin, homme de paix, qui est allé à la rencontre du Sultan pour le convertir et qui a trouvé en lui un ami. (LM 9,8)

Le pape François invite toute l’humanité à fraterniser, non pas comme des frères qui se chamaillent en se jalousant, comme Caïn et Abel, mais en apprenant à vivre ensemble, en acceptant que l’autre soit différent, sans volonté de domination, ni sur l’homme, ni sur la création. Il tire des admonitions le titre de l’encyclique: « Considérons, tous les frères, le bon Pasteur …« (Adm 6.1). Il réaffirme avec force les grandes lignes directrices qui doivent guider notre vie sociale, dans « sa dimension universelle« (6) et collective « constituer un « nous » qui habite la maison commune« (17), respectueuse de toute création (18), sans oublier personne (28), qui favorise « la proximité, la culture de la rencontre« (30), qui nous fasse retrouver « une passion partagée pour une communauté d’appartenance et de solidarité« (32-36). Face aux migrations « il faut réaffirmer, le droit de ne pas émigrer, c’est-à-dire d’être en condition de demeurer sur sa propre terre« (38) et que, « l’Europe, … a … le double devoir moral de protéger ses citoyens, et celui de garantir l’assistance et l’accueil des migrants.« (40). Il conclut ce 1er chapitre par cette exhortation : « Marchons dans l’espérance!« (55).
Après une longue dissertation sur l’étranger, en référence à la parabole du Bon Samaritain, (chap.2), le pape aborde au 3ème chapitre la question du communautarisme qui peut toucher tous les groupes humains, y compris les religions : « Les groupes fermés et les couples autoréférentiels, qui constituent un « nous » contre tout le monde, sont souvent des formes idéalisées d’égoïsme et de pure auto-préservation.« (89) Plus loin,il fait référence à notre devise républicaine: « La fraternité a quelque chose de positif à offrir à la liberté et à l’égalité.« (103) et « l’individualisme ne nous rend pas plus libres, plus égaux, plus frères.« (105) Il loue la solidarité: « Je voudrais mettre en exergue la solidarité qui, comme vertu morale et attitude sociale …« (114) et met l’accent sur la fonction sociale de la propriété, sur la destination universelle des biens.(118-120). Suivent un quatrième chapitre intitulé « un cœur ouvert au monde » et un cinquième sur « La meilleure politique« , « Une meilleure politique mise au service du vrai bien commun est nécessaire« (154) et appelle à une charité sociale et politique; il nous pose la question: « Peut-il y avoir un chemin approprié vers la fraternité universelle et la paix sociale sans une bonne politique?« (176) Au sixième chapitre qui a pour titre « Dialogue et amitié sociale » le pape appelle de ses vœux une nouvelle culture, « la culture de la rencontre« (216). Le septième chapitre est un long plaidoyer sur le sens et la valeur de la paix , le sens et la valeur du pardon, contre la guerre et la peine de mort (255). Le huitième et dernier chapitre, « Les religions au service de la Fraternité dans le monde« , avec un appel à l’unité des chrétiens (280) et « l’Appel à la paix, à la justice et à la fraternité« (285), qui reprend le document d’Abou Dhabi du 4 février 2019 :

« Au nom de Dieu qui a créé tous les êtres humains égaux en droits, en devoirs et en dignité, et les a appelés à coexister comme des frères entre eux, pour peupler la terre et y répandre les valeurs du bien, de la charité et de la paix.
Au nom de l’âme humaine innocente que Dieu a interdit de tuer, affirmant que quiconque tue une personne est comme s’il avait tué toute l’humanité et que quiconque en sauve une est comme s’il avait sauvé l’humanité entière.
Au nom des pauvres, des personnes dans la misère, dans le besoin et des exclus que Dieu a commandé de secourir comme un devoir demandé à tous les hommes et, d’une manière particulière, à tout homme fortuné et aisé.
Au nom des orphelins, des veuves, des réfugiés et des exilés de leurs foyers et de leurs pays ; de toutes les victimes des guerres, des persécutions et des injustices ; des faibles, de ceux qui vivent dans la peur, des prisonniers de guerre et des torturés en toute partie du monde, sans aucune distinction.
Au nom des peuples qui ont perdu la sécurité, la paix et la coexistence commune, devenant victimes des destructions, des ruines et des guerres.
Au nom de la « fraternité humaine » qui embrasse tous les hommes, les unit et les rend égaux. Au nom de cette fraternité déchirée par les politiques d’intégrisme et de division, et par les systèmes de profit effréné et par les tendances idéologiques haineuses, qui manipulent les actions et les destins des hommes.
Au nom de la liberté, que Dieu a donnée à tous les êtres humains, les créant libres et les distinguant par elle.
Au nom de la justice et de la miséricorde, fondements de la prospérité et pivots de la foi.
Au nom de toutes les personnes de bonne volonté, présentes dans toutes les régions de la terre.
Au nom de Dieu et de tout cela, Al-Azhar al-Sharif – avec les musulmans d’Orient et d’Occident –, conjointement avec l’Eglise catholique – avec les catholiques d’Orient et d’Occident –, déclarent adopter la culture du dialogue comme chemin ; la collaboration commune comme conduite ; la connaissance réciproque comme méthode et critère.
« (285)

Faisons connaître ce texte, reconnaissons nos erreurs, et proposons-nous, dans le monde, comme sœurs et frères de cette fraternité universelle que François appelait de ses vœux.

Jean-Pierre Rossi