Dieu est-il pour nous « le Consolateur » ? 2nde partie

Après avoir abordé la notion de « consolation » dans les textes bibliques, il s’agit, dans cette seconde partie, d’en découvrir le sens dans la spiritualité ignatienne car elle en est l’un des fondements. Une autre vision de la consolation, pour éclairer notre foi…
Ignace disait, à la fin de sa vie, qu’il ne pouvait vivre «sans consolation, c’est-à-dire sans éprouver en son âme quelque chose qui ne venait et ne pouvait venir de lui-même, mais avait sa source en Dieu seul».
C’est durant sa jeunesse (dont certains épisodes ne sont pas sans rappeler ceux de la vie du jeune François d’Assise) qu’il va faire cette expérience. Blessé en défendant la citadelle de Pampelune assiégée par les Français, il passe sa convalescence dans le château familial. Sans projet, sans envie, il trompe son ennui dans des lectures, non pas des romans de chevalerie qu’il affectionne tant, mais des ouvrages pieux, les seuls disponibles en ce lieu. Il se rêve alors réalisant, tantôt les exploits d’un chevalier au service d’une grande dame, tantôt les miracles et les hauts faits d’un nouveau saint, à l’image de Saint François et de Saint Dominique. Peu à peu, il comprend que si ses rêves de grandeur en ce monde l’enthousiasment sur le moment, ils le laissent ensuite « sec et mécontent. Mais quand il pensait aller nu-pieds à Jérusalem […], non seulement il était consolé quand il se trouvait dans de telles pensées, mais encore, après les avoir laissées, il restait content et allègre. » (Ignace de Loyola, Récit) Il prend conscience que la vraie consolation, celle qui vient de Dieu, procure une joie et une quiétude que rien ne peut éteindre, contrairement aux fausses consolations. Ainsi, s’opère en lui une conversion qui n’échappe pas à son entourage et qui le conduit à suivre le dessein de Dieu.
Pour Ignace, la consolation n’est donc pas simplement le baume que Dieu vient apposer sur nos souffrances pour nous permettre de les dépasser. Il expérimente la consolation comme un temps privilégié de rencontre avec le Seigneur ; les jésuites parlent des « visites de l’Esprit dans l’âme humaine ». De cette union au Seigneur naissent une joie et une paix profondes, inaltérables, même si les douleurs et les épreuves sont encore présentes. Ignace écrit dans les Exercices spirituels : « j’appelle consolation toute augmentation d’espérance, de foi et de charité, et toute joie intérieure qui appelle et attire l’âme aux choses célestes et au soin de son salut, la tranquillisant et la pacifiant dans son Créateur et Seigneur. » (ES n°316) A la consolation, il oppose la désolation, c’est à dire : « les ténèbres et le trouble de l’âme, l’inclination aux choses basses et terrestres, les diverses agitations et tentations qui la portent à la défiance, et la laissent sans espérance et sans amour, triste, tiède, paresseuse, et comme séparée de son Créateur et Seigneur. » (ES n°317) Certes, la désolation peut ruiner tout ce que la consolation avait établi jusque-là, mais il est intéressant de noter qu’elle ne se définit pas en elle-même, mais uniquement en tant que le contraire de la consolation. Le Christ, par sa mort et sa résurrection, a vaincu définitivement le mal, la consolation peut donc ressurgir à tout moment. C’est pourquoi Ignace conseille, au temps de la désolation, de prier, de méditer, de s’adonner à la pénitence, de conserver la patience et de croire toujours dans le secours d’un Dieu qui nous demeure attaché, quand bien même sa présence ne nous est plus sensible.
Enfin, pour Ignace, la consolation, en tant qu’elle est union à Dieu, ne se limite pas à une contemplation statique et ne doit pas conduire à un retrait du monde, bien au contraire, elle est un élan, elle porte à l’action, à la mise en œuvre de la volonté divine, pour l’amour de Dieu et le service du prochain. Guilhem Causse en parle ainsi : « La contemplation n’est pas d’abord le fait de prier ou de regarder avec émerveillement, mais une attitude de réceptivité à l’action de Dieu, attitude à vivre aussi bien dans la prière que dans le service des frères. L’action est la manière dont l’homme se joint à l’activité divine, dans la louange ou dans le service. Et notre première et fondamentale expérience de cette activité divine est ce qu’Ignace appelle la « consolation ». Ainsi la consolation est ce qui porte à et dans l’action. » (G. Causse, Consolation et action, la spiritualité jésuite pour aujourd’hui)
« Contemplatifs dans l’action », les jésuites se sont donné pour but de porter à ce monde la consolation, avec les fruits qu’elle produit : la joie et la paix. Et ce, à travers le sacrement de la réconciliation d’une part, mais aussi à travers leurs nombreuses œuvres, dans l’éducation, dans l’aide aux plus pauvres, dans l’aide aux migrants… Citons, entre autres, le Service Jésuite des Réfugiés (JRS) lancé en 1980 et présent aujourd’hui dans une cinquantaine de pays.
Qu’à leur exemple, nous puissions goûter ces visites de l’Esprit en notre cœur et découvrir la consolation spirituelle qu’Ignace a expérimentée, pour la partager à nos frères et sœurs, car « tout ce qui n’est pas donné est perdu », selon l’expression favorite de Pierre Ceyrac, jésuite qui fut longtemps engagé auprès des Indiens les plus pauvres dans l’État du Tamil Nadu.

P. Clamens-Zalay

St Jean Chapitre 12 La reconnaissance suspendue

Le chapitre 12 clôt ce que les exégètes appellent « le livre des signes ». Avec un bémol : c’est qu’il manque le signe annoncé au chapitre 3 : la destruction / reconstruction du Temple, à savoir le Corps. Et de fait, la suite des événements sera dominée d’un côté par le discours d’adieu et de l’autre côté par le récit de la Passion et de la Résurrection de Jésus.

C’est aussi d’une certaine manière un discours d’adieu que Jésus prononce ici, mais adressé à la foule. La mission s’achève. Elle devrait normalement se conclure par la reconnaissance de l’Envoyé. Et c’est apparemment le tour que prennent les événements. Arrivé à Jérusalem, à la suite de la résurrection de Lazare, Jésus est accueilli triomphalement. Et pour bien marquer la portée universelle de cette intronisation, Jean nous précise que des « Grecs » étaient présents. Le rassemblement des brebis en seul troupeau et sous la conduite d’un seul Pasteur, envisagée au chapitre 10, semble sur le point d’aboutir. Pourtant, elle tourne court. L’évangéliste à la fin du chapitre explique pourquoi la reconnaissance ne pouvait aboutir : l’incroyance des juifs et des grecs.

Un fil conducteur traverse les différentes séquences, à savoir l’annonce de la mort de Jésus.


L’onction à Béthanie : 12, 1-11

L’évangéliste délimite dans le temps cette séquence : « Six jours avant la Pâque » au verset 1 et « Le lendemain » au verset 12. Nous sommes donc dans la trame de l’histoire. Le cadre est celui d’un repas, dans l’intimité d’une maison accueillante, tandis qu’au-dehors la foule et les autorités recherchent Jésus : la foule pour le voir, les autorités pour le mettre à mort. Deux femmes sont nommées : Marthe qui sert à table et Marie qui répand du parfum sur les pieds de Jésus. Cette pratique était inconnue à l’époque. On versait du parfum sur la tête en signe de bienvenu. Sur cette tablée plane la mort : d’un côté Lazare, un mort rendu à la vie et de l’autre Jésus dont on célèbre la sépulture, en parfumant son corps. On le sait par l’interprétation qu’en donne Jésus : « c’est pour le jour de ma sépulture qu’elle devait garder ce parfum. » Qu’est-ce que cela veut dire ? Tout simplement ceci : elle pensait utiliser ce parfum le jour de mon ensevelissement, et elle a fait cela maintenant. Marie a anticipé l’honneur dû à Jésus mort, comme pressentant son départ proche. Nous avons donc ici un contraste entre la vie retrouvée pour Lazare et la mort attendu pour Jésus. Un contraste qui suggère que la vie nouvelle a comme condition la Pâque de Jésus. Dans cette perspective, la senteur du parfum qui remplit la maison (v. 3) s’oppose à l’odeur du cadavre qui horrifiait Marthe (11, 39), pour manifester la plénitude de la victoire de Jésus sur la mort.

Une autre opposition existe dans cette péricope : Jésus / Judas. Opposition positive / négative du geste de Marie. Judas dit : « Pourquoi ce parfum n’a-t-il pas été vendu trois cents deniers, qu’on aurait donnés à des pauvres ? ». Cette opposition apparaît d’une autre manière au verset 4. Judas est défini : « celui qui allait le livrer ». La mort évoquée de cette façon prépare dans le texte ce que Jésus va dire pour la défense de Marie, d’autant que Jésus sait que Judas le livrera. L’opposition entre Judas et le Maître reflète celle qui oppose vie et mort.

La seconde partie de la réponse de Jésus : « Les pauvres vous les avez pour toujours avec vous » renvoie au livre du Deutéronome 15, 11 : « Il ne cessera d’y avoir des pauvres au milieu du pays » et dont le contexte est le commandement de YHWH de porter secours aux indigents. Jésus veut donc dire que ce commandement vaudra indéfiniment dans l’avenir.

Marie, dans son amour, a communié intuitivement à la Pâque de Jésus ; Lazare, qui partage le repas avec Jésus, va être persécuté comme le Maître : « Les grands prêtres résolurent alors de tuer aussi Lazare ». Cette donnée anticipe ce que Jésus dira dans son discours d’adieu : « Rappelez-vous la parole que je vous ai dite : le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi… » (15, 20). L’hostilité des grands prêtres s’attaque non seulement à l’Envoyé de Dieu mais aussi à celui qui est le témoignage vivant de sa victoire.

Fr Joseph

S’émerveiller !

Qui n’a pas été émerveillé devant un paysage, un ciel étoilé, une fleur, un nouveau-né… : moment de grâce, rencontre avec la beauté, l’immensité, l’infini, dont on se souvient et que l’on voudrait revivre encore et encore. Et pourtant, dans des conditions semblables on peut aussi ne rien ressentir car, si l’émerveillement fait appel à tous nos sens, il dépend aussi d’une attitude d’ouverture personnelle : c’est une porte qui s’ouvre sur l’extérieur pour une rencontre.

Le Pape François, dans l’encyclique « Laudato Si » explique que François d’Assise vivait en « merveilleuse harmonie avec Dieu, avec les autres, avec la nature et avec lui-même »(LS.10), en symbiose avec tous les éléments et les êtres de la création, ses « frères et sœurs », voyant en eux la grandeur et l’amour de Dieu. S’émerveiller de la Création permet d’accueillir le don de Dieu, de respecter « notre Maison commune », de changer son regard sur les autres, nos frères.

S’émerveiller c’est découvrir le monde avec des yeux d’enfant, sans préjugés, sans filtres, sans arrière-pensées ; c’est dire l’importance de l’éducation dans les familles « premier lieu où se vivent et se transmettent les valeurs de l’amour et de la fraternité, de la convivialité et du partage, de l’attention et du soin de l’autre » (Fratelli tutti n°114). De la cellule familiale à la famille humaine il n’y a qu’un pas : tout est lié, « la terre est un héritage commun dont les fruits doivent bénéficier à tous » (LS.93) grâce à « l’écologie intégrale », car nous habitons tous la même Maison.

« Le Seigneur a fait pour moi des merveilles » s’écrie Marie. A Noël, Dieu arrive parmi nous, dans notre famille, notre Maison. A Pâques, Jésus ressuscite : une présence actuelle que nous ne savons peut-être pas bien discerner. En effet, de même qu’il nous est difficile de nous émerveiller, nous avons des difficultés à trouver Dieu dans l’encombrement de nos activités, nos soucis quotidiens, nos craintes… notre « Galilée intérieure » ainsi que l’écrit le frère franciscain Eloi Leclerc dans son livre « Pâques en Galilée » ; la Galilée, carrefour des nations, bouillonnement de populations, cultures et activités. Les disciples découragés après la mort de leur Maître, se rappelèrent que Jésus leur avait dit « Je vous précèderai en Galilée » (Mc 14,28 ; Mt 26,32), là où ils vivaient et avaient leurs racines.
Dieu nous a précédé et nous attend, personnellement. En nous émerveillant de la création nous avons ouvert une porte extérieure ; pour trouver Dieu il nous faut laisser s’ouvrir une porte intérieure ; c’est tout le sens et l’occasion de ce Carême, chemin vers Pâques. Dieu nous précède, attendant patiemment de nous rencontrer personnellement, là où nous vivons, là où nous sommes profondément.

Confiance : tu t’es déjà ouvert aux merveilles de l’œuvre créatrice de Dieu, découvre maintenant son Amour, puisqu’il t’attend chez toi !

Guy BECHU

Antonin Bajewski

Ils furent plus d’un million à mourir entre le 27 avril 1940 et le 27 janvier 1945. La plupart moururent d’être nés juifs mais d’autres périrent de leur opposition au totalitarisme nazi. Un certain nombre étaient des religieux chrétiens venus des quatre coins de l’Europe. Certes, Dachau fut le lieu privilégié d’internement des ecclésiastiques[1] mais d’autres lieux les « accueillirent ». Si la figure de Maximilian Kolbe hante les murs du plus grand camp de concentration et d’extermination du IIIe Reich, les franciscains martyrs de Niepokalanów[2] furent au moins 6.

Niepokalanów, le château de Marie, située à Teresin, 40 kilomètres à l’ouest de Varsovie, fut fondé en 1927 par Saint-Maximilien Kolbe. C’est en effet en ce lieu que Kolbe y installa le siège de la Chevalerie de l’Immaculée, association mariale. Avant la seconde guerre, 760 frères franciscains vivaient au monastère qui était un lieu de publication de magazines religieux et un centre radiophonique. La guerre conduisit les frères à accueillir des soldats blessés et des réfugiés, de toutes confessions. La répression nazie s’abattit donc sur eux. Parmi les frères, l’un d’entre eux partagea le sort de Maximilan Kolbe : Jan Eugen Bajewski.  Il était né à Vilnius en Lituanie le 17 janvier 1915. Il montra de belles aptitudes scolaires et maîtrisait plusieurs langues. Après de solides études et malgré de vives réticences de sa famille, il décida en juin 1933 de se consacrer à Dieu. Certain de sa vocation, il hésita toutefois entre la prêtrise diocésaine et le clergé régulier. Échangeant avec ses coreligionnaires du séminaire de Vilnius, il considéra que l’appel à la vie religieuse était si intense qu’il quitta le séminaire pour rejoindre les conventuels franciscains[3]. Il fut admis le 17 août 1934 au sein de la Province polonaise sous le nom de frère Antonin. Il effectua son noviciat à Niepokalanów et prononça ses vœux temporaires en septembre1935 puis partit au séminaire franciscain de Cracovie[4] afin d’étudier la théologie. Il s’engagea définitivement en novembre 1938 et fut ordonné prêtre en mai 1939 et rejoignit Niepokalanów. Très rapidement, Maximilian Kolbe le choisit comme vicaire. Il manifesta une foi profonde, une grande douceur vis-à-vis des autres. De santé fragile, il fut admis durant les premiers mois à l’infirmerie située à quelques kilomètres de la communauté. Il y fut surpris par le déclenchement des hostilités en septembre 1939, ce qui lui permit d’échapper à l’arrestation frappant la plupart des frères de la communauté. Pourtant, il fut arrêté avec Maximilian Kolbe et trois autres frères et enfermé à la prison Pawiak de Varsovie. Durant cette détention, il soutint spirituellement les autres prisonniers et offrit ses rations de nourriture. Bien que cela fut une cause de mauvais traitements, il conserva ses habits franciscains et fut transféré début avril 1941 à Auschwitz. Il fut sauvagement battu à son arrivée, tatoué du numéro 12764. Rapidement il fut malade du typhus, continua pourtant à se dévouer aux autres au péril de sa vie et mourut le 8 mai 1941. Avant de rendre son dernier soupir, lors de son ultime confession, il dit au frère Szweda : « Dites à mes frères de Niepokalanów que je suis mort en fidélité avec le Christ et la Vierge Marie ». Il fut béatifié par Jean-Paul II parmi les 108 martyrs de la seconde guerre mondiale par le 13 juin 1999.

Érik Lambert.


[1] G.Zeller, La Baraque des prêtres, Dachau, 1938-1945, Paris, Tallandier, 2017, 320 pages.
[2] Béatifiés par Jean-Paul II le 13 juin 1999. M.Kolbe canonisé en 1982.
[3] Les Frères Mineurs Conventuels constituent une des trois branches de l’Ordre fondé par Saint François d’Assise sous le nom de ‘Frères Mineurs’. La qualification ‘Conventuels’ a été ajoutée, provient du latin ‘cum venire’ qui signifie se réunir. Ce sont donc des frères qui vivent dans des couvents.
[4] http://www.lamortdanslart.com/danse/Pologne/dmcracovie.htm http://www.krakow.travel/fr/226-krakow-bernardine-church

Bénévole au resto du cœur

Voilà 2 ans que je suis engagée en tant que bénévole au « resto du cœur », espace bébés (distribution pour des enfants de 0 à 18 mois).

Ce témoignage me donne l’occasion de faire le point sur cet engagement, mes joies, difficultés à assumer ce service.

Ayant travaillé dans la petite enfance, une ancienne collègue psychologue m’a sollicité pour rejoindre l’équipe de bénévoles. J’ai répondu « oui » rapidement à cette proposition. Après une vie professionnelle consacrée à la petite enfance, l’occasion m’était de nouveau donnée d’accueillir et d’accompagner parents et jeunes enfants.

L’équipe de bénévoles est riche par sa diversité, croyants et non croyants avec des parcours professionnels très différents. Les échanges sont riches et se font dans le respect de chacun, il y règne un esprit d’équipe. La richesse des expériences de chacun nous aide à améliorer notre accueil.

Quelles que soient les raisons de l’engagement de chacun, nous sommes tous là pour apporter de l’aide aux personnes en difficultés, mais aussi et surtout pour vivre la solidarité avec les bénéficiaires et entre bénévoles.

Mon travail est d’accueillir dans un espace de jeux les enfants que le parent peut nous confier pendant le temps où il retire les denrées qui lui sont nécessaires. C’est aussi un temps où il peut se poser, échanger, se détendre dans l’espace de convivialité autour d’une boisson chaude. Si la séparation est difficile pour l’enfant, le parent n’est jamais très loin… Mon rôle est de créer un lien de confiance et d’accompagner l’enfant dans ses découvertes, de l’aider à se poser et à respecter quelques consignes. Ma satisfaction est de voir comment l’enfant aime retrouver ce lieu chaque semaine ; rapidement, le parent nous le laisse avec confiance. Pour moi l’accueil est important d’autant que nous ne connaissons rien de l’histoire de ces familles et qu’un geste, une parole, un regard peuvent laisser des traces. Souvent ces familles sont de passage et changent fréquemment de lieux d’accueil. Il me faut faire preuve d’humilité et accepter de ne pas faire du travail sur du long terme.

Mon rôle peut être aussi de trier du linge et de préparer des trousseaux, mais aussi de trier et compléter des jouets et livres pour jeunes enfants.

Pour moi, respecter le bénéficiaire, c’est :
• l’accueillir dans un espace propre, convivial et chaleureux,
• respecter ces choix, ses goûts,
• en proposant du linge et du matériel de puériculture propre et correct,
• en proposant aux enfants des jeux complets et adaptés à leur âge.

Ce que je retiens de cette expérience, c’est qu’il s’agit souvent de rencontres brèves.

Pour celles qui vivent dans un même lieu d’hébergement, c’est le groupe qui se présente à nous, alors il est très difficile de faire de l’individuel, elles communiquent entre elles et ne sont pas en lien avec nous. Avec d’autres, l’échange est plus facile et elles font part de leurs besoins.

Mon objectif, c’est d’observer et d’aller vers la personne en retrait pour parler avec elle et saisir ses besoins. Etre bienveillante et à l’écoute.

Malheureusement la pandémie a eu beaucoup d’impacts négatifs : les bénéficiaires ne peuvent plus rentrer dans le local, la distribution se fait à l’extérieur (plus de moment de convivialité…). Les enfants ne peuvent plus être accueillis. Une distance doit être maintenue, alors que ces personnes ont besoin d’être mises en confiance. Le masque accentue cette distance, il n’y plus que le regard comme support à la communication. Ma plus grande difficulté est d’accepter les limites de cet échange, de maintenir la distance, et ne pas se toucher…. Les familles n’ont plus la possibilité de choisir le linge de leur enfant, le trousseau est préparé à l’avance et remis dans des sacs plastiques transparents (et non plus des sacs poubelle, heureusement !!!!)

Ma plus grande joie est de voir l’effet de surprise et le sourire des enfants au moment où je leur remets un jeu, un livre….

Cette expérience me fait réfléchir sur la « pauvreté » dont parle St François. Nous sommes tous pauvres de quelque chose ; pour moi, pauvre de ne pas trouver la bonne attitude, la bonne parole. Mettre de côté mes peurs et mon jugement.

Seul, nous ne pouvons rien faire. Il s’agit de voir en chaque personne (bénéficiaire et bénévole) un Frère.

Elisabeth

Prière à St Joseph

Salut, gardien du Rédempteur,
époux de la Vierge Marie.
À toi Dieu a confié son Fils ;
en toi Marie a remis sa confiance ;
avec toi le Christ est devenu homme.
Ô bienheureux Joseph,
montre-toi aussi un père pour nous,
et conduis-nous sur le chemin de la vie.
Obtiens-nous grâce, miséricorde et courage,
et défends-nous de tout mal. Amen.

Pape François

Deux livres

La chauve-souris et le capital
Stratégie pour l’urgence chronique
Andreas Malm

La chauve-souris et le capital. Stratégie pour l’urgence chronique.
Andreas Malm
Éditions La Fabrique.
200 pages. 15 €

Corona, Climate, Chronic emergency, le titre original rend davantage justice au livre qu’Andreas Malm, géographe rigoureux, a écrit dès avril 2020. Il y fait preuve d’une lucidité et d’une précision remarquables en ces temps de grande confusion où l’inquiétude pourrait faire passer l’épidémie pour un événement en soi, fortuit, dont découleraient des conséquences incalculables. Or, cette épidémie est elle-même la conséquence d’un contexte de très grand déséquilibres entre la nature et l’activité industrielle et commerciale, mais aussi entre la zone riche tempérée et la ceinture tropicale. D’énormes populations déjà déshéritées y subissent les premiers effets désastreux de la dégradation globale de l’environnement qu’ils ne participent pourtant que très marginalement à créer. L’auteur souligne l’écart entre la promptitude et la force de la réaction des pays riches face à l’épidémie, et leur attentisme, leur passivité face aux défis de l’urgence chronique — comme s‘ils croyaient pouvoir y échapper après l’avoir provoquée. Leur seul souci, le virus une fois maîtrisé, serait-il que le monde reparte comme avant, autrement dit pour le capitalisme mondial : que les affaires reprennent, selon le cynisme destructeur du Business-as-usual qui semble devenu sa seule loi ?

Aucune épidémie n’est jamais tombée d’un ciel vengeur. Elles naissent et s’épanouissent toutes dans des situations favorables où l’on retrouve les mêmes facteurs depuis qu’elles existent : surpeuplement, tension entre ressources et subsistance, promiscuité avec la faune sauvage et domestique, propagation par les voies commerciales. Ces conditions sont créées et réunies par l’homme, ou plutôt aujourd’hui par une petite frange de l’humanité qui en tire un profit colossal au prix de l’appauvrissement général, de l’épuisement des ressources naturelles, de la destruction quasi méthodique de la nature. Andreas Malm nomme « capitalisme fossile « cet ordre — plutôt ce désordre — qui marche au charbon et au pétrole pour ponctionner massivement les ressources naturelles et humaines de la ceinture tropicale, multipliant les transports, les déforestations à grande échelle, les élevages industriels qui sont des incubateurs à virus, les trafics en tout genre, et provoquant l’entassement dans des mégapoles, la promiscuité des populations locales avec la faune sauvage en même temps que cette dernière disparaît du fait de la réduction de son habitat naturel. Telles sont les conditions déclencheuses de la « crise sanitaire » actuelle. On peut soigner la maladie — et c’est tant mieux ! — avec des médicaments ou des vaccins, mais il faudra plus que ça pour soigner la Terre et l’humanité : une vraie prise de conscience, une vraie volonté d’agir à la racine du mal, un vrai et profond changement.

Réformisme, socialisme, léninisme, communisme, anarchisme… pour finir, Andreas Malm nous invite à revisiter les propositions de l’histoire contemporaine, sans parti pris, afin d’élaborer la stratégie d’un changement politique qui pourrait réparer les déséquilibres dans lesquels notre monde s’enfonce, puisque le régime de l’actuel capitalisme globalisé ne semble apte qu’à les aggraver. Cette recherche d’autres perspectives est indispensable, car la force du capitalisme est de faire croire qu’il est le seul ordre possible, et urgente, si l’on veut éviter la catastrophe. Finalement, le titre français de ce livre éclairant est peut-être bien vu, pris comme une question : qui est le plus nuisible : la chauve-souris, ou le capital ?

Jean Chavot

M, l’enfant du siècle
Antonio Scurati

M. L’enfant du siècle,
A.Scurati,
Paris, Les Arènes, 2020, 861p., 24,90 Euros.

Benito Mussolini naquit le 29 juillet 1883 en Romagne, dans une région à tradition militante « rouge ». Un père forgeron anarchiste, une mère institutrice très pratiquante, une enfance misérable mais une éducation chrétienne chez les Salésiens firent de ce jeune homme un militant socialiste. Directeur d’un hebdomadaire de gauche, La Lotta di classe, il souhaitait l’émergence d’un homme nouveau au service de la Nation et de l’État. Devenu directeur du quotidien du parti socialiste Avanti ! à Milan, il bascula dans le nationalisme en créant un nouveau journal, Il Popolo d’Italia, grâce au soutien financier d’une de ses multiples maîtresses. En novembre 1921, il fonda le Parti National fasciste, premier parti d’Europe occidentale ouvertement non-démocratique avant d’accéder au pouvoir dans des conditions grandguignolesques le 29 octobre 1922. Qui était-il ?  Répondre à cette question constitue l’ambition du singulier ouvrage d’Antonio Scurati, avide d’appréhender le personnage complexe de Mussolini. Ce livre, pertinemment intitulé M, l’enfant du siècle, fut primé en Italie. La forme choisie par l’auteur peut être déconcertante. Ce n’est pas tout à fait un roman, ce n’est pas non plus vraiment un ouvrage historique ; on pourrait considérer qu’il s’agit d’une chronique. L’« intrigue » court des années de naissance du fascisme à la mise en place effective de la dictature après l’assassinat du député Giacomo Matteotti en juin 1924.

Nombre de protagonistes s’expriment par la plume de Scurati : Mussolini, mais aussi le poète nationaliste Gabriele d’Annunzio, Marinetti, fondateur du futurisme, Margherita Sarfatti, maîtresse, égérie et généreuse donatrice. S’expriment aussi les adversaires du futur Duce ; le tout ponctué d’archives, de discours, de citations, d’articles de presse. Il est plus aisé de naviguer dans ce volumineux ouvrage (de 842 pages[1]) lorsque l’on a des connaissances historiques ou lorsque Google est à proximité. L’ambiance particulière des bonimenteurs de cette époque, propice à toutes les ambitions, même celles des plus médiocres, est perceptible. L’incroyable expédition de Fiume, la violence des squadristes, les gesticulations du dictateur romagnol ne sont que le prélude d’un siècle gourmand en bateleurs de foire. Il est vrai que le dictateur, par ses mimiques, par son verbe, par ses tenues, confine au personnage de la Commedia dell’arte dépourvu de masque. Organisé en saynètes d’une dizaine de pages sous un chapeau comportant le nom d’un acteur, une date et un lieu, il faut être concentré pour ne pas perdre le fil du roman-journal d’autant que, tout d’un coup[2], la configuration initiale s’efface au profit de titres offerts aux chapitres, alors que la narration alterne avec les postures introspectives.

Mussolini fut parfois perçu comme un aimable dictateur comparé à Hitler, peut-être par les mécomptes militaires du César de carnaval[3] ; mais ne nous y trompons pas ; il sut exploiter efficacement les angoisses, les peurs et les frustrations de tout un peuple.

Ne sourions pas au souvenir des pantomimes ou des outrances de l’homme de Predappio car les solutions et promesses simplistes nourrissent toujours les attentes de ceux qui ont besoin de certitudes.

Un livre intéressant, mais il est parfois difficile d’empêcher l’esprit de s’évader vers des horizons moins complexes.

Érik Lambert.


[1] Hors annexes ! C’est le premier volume d’une trilogie.
[2] Page 779.
[3] L’armée italienne fut souvent mise en échec durant toute la guerre et ce, dès juin 1940 lors de la bataille des Alpes. César de carnaval, qualificatif attribué par Joseph Paul-Boncour, Entre-deux-guerres. Souvenirs de la IIIe République, t. II, Les lendemains de la Victoire, Paris, Plon, 1945, p. 338.


Joseph, vous avez dit Joseph ?

En cette année déclarée par notre pape « année saint Joseph » et en ce mois de mars qui, le 19, célèbre sa fête, que dire de cet honnête père de famille, artisan de son état, et surtout, comme le précise l’évangile de Matthieu, « homme juste » ? Qu’est-ce qu’un homme juste, et qu’est-ce, pour nous tous qu’être « justes » dans ce monde plutôt injuste ?

Quand on se souvient de l’attitude de Joseph lorsqu’il apprit que Marie, son épouse, était enceinte à son insu, on comprend qu’il a fait alors tout à la fois preuve de justesse et de justice. Justesse par la délicatesse de sa première réaction, consistant à ne la répudier qu’en secret, sans le faire publiquement et de manière tapageuse comme l’esprit de son époque aurait pu le pousser spontanément. Et justice, en refusant la dénonciation et en protégeant Marie, comme le firent, près de vingt siècles plus tard, tant de « Justes » qui évitèrent à des milliers de juifs l’extermination nazie. Justesse et justice chez cet homme qui, ensuite, après la révélation de l’Ange du Seigneur, « prit chez lui son épouse » sans se soucier des préjugés, des on-dit et des ragots qui n’ont sans doute pas manqué de circuler dans le Clochemerle de Nazareth : « Tu te rends-compte, enceinte avant même qu’ils aient habité ensemble ! ». Acceptant de sauter dans l’inconnu, pressentant une vérité qui le dépassait, il accueillit Marie avec amour, la choya, l’accompagna dans sa grossesse et dans l’aventure de la crèche de Bethléem, et s’enfuit en Égypte avec elle et l’enfant pour les protéger de la fureur d’Hérode.

Quel défi pour nous tous, si souvent terrifiés par le regard des autres, lâches parfois, esquivant les difficultés, dégageant en touche en présence de situations peu claires… Et par-dessus-tout, manquant de cette justesse, de cette foi et de cette espérance que manifesta cet homme qui n’hésita pas à croire ce qu’en songe l’Ange lui avait révélé, pas plus que Marie n’avait hésité à croire l’Ange de l’Annonciation.

Nous débattant, surtout en ces temps de pandémie, dans un monde incertain, nous avons plus que jamais besoin de cette foi, de cette espérance, et de cette simplicité de Joseph. Simplicité… Peut-être naïvement, je l’imagine au travail dans son atelier et dans ses chantiers, apprenant à son divin fils tel ou tel secret pour bien raboter une planche, scier droit, positionner un tenon, concevoir une huisserie qui tienne, traiter le bois contre l’humidité, les vrillettes et les termites, je l’imagine serein, pleinement dans l’instant présent, heureux d’un travail bien fait, « sans ombre ni trouble au visage », comme dit le psaume…

Pourtant, Joseph ne vivait pas dans une bulle et même s’il ne recevait pas les chaînes TV d’information en continu, il ne pouvait ignorer la violence, les inégalités, les injustices de son époque. De sa sérénité supposée dans un monde en ébullition, de sa patience, de son refus de l’enfermement, de son acceptation de l’inattendu, de l’incertain, nous pouvons aujourd’hui nous inspirer pleinement. Au lieu de monter au créneau face au retard des vaccins, d’exiger de la science qu’elle soit exacte et infaillible, des dirigeants politiques qu’ils ne se trompent jamais, au lieu de nous recroqueviller sur notre angoisse, ne pouvons-nous nous inspirer de la foi de Joseph dans l’avenir et, avant de juger les autres, voire de les agonir de reproches, ne pouvons-nous commencer par nous convertir nous-mêmes, comme saint François ne cessait de nous supplier de le faire ?

Vivre l’inattendu, l’incertain non dans la peur mais dans le souci de contribuer, par des actes concrets (de solidarité, de partage, de lutte contre les inégalités) à un monde plus durable et plus vivable, voilà bien le défi qui se présente à nous aujourd’hui. La pandémie nous oblige à nous secouer, à sortir de nous-même, à « aller vers les périphéries » comme nous y incite le pape, et à ne jamais, jamais rester indifférent au monde qui nous entoure.

Michel Sauquet