LEON XIII : Les franciscains, fer de lance du catholicisme social.

Pour Léon XIII, l’Eglise ne devait pas se crisper devant le monde nouveau qui s’esquissait en ce XIX° siècle. Ainsi, souhaitait-il en finir avec les querelles entre l’Église catholique et les dirigeants laïques de la III°République. Le 18 novembre 1890, le cardinal Charles Lavigerie, archevêque d’Alger, profita de la visite de l’escadre française de la Méditerranée pour porter un toast qui annonça le ralliement à la république. En février 1892, la lettre encyclique Au milieu des sollicitudes(1) (publiée d’abord en français – et non en latin) incita les catholiques au ralliement. Ce texte illustrait la volonté du pape de faire vivre l’Eglise dans son temps.
Si la question politique était posée, il convenait aussi de s’attaquer à la question sociale. Le Tiers-ordre franciscain devait constituer l’audacieux levier d’un catholicisme soucieux de dénoncer les abus du capitalisme libéral. Léon Harmel(2), qui avait hérité d’une filature forte de 1 000 ouvriers, s’était rendu en pèlerinage à Rome et avait rencontré Pie IX et le ministre général des frères mineurs Louis de Parme. Devenu tertiaire franciscain, soucieux du sort du prolétariat miséreux naissant, il fit de son engagement social, fidèle à la pensée franciscaine, le sens de sa vie de catholique « …ma vie, mon apostolat ont été imprégnés de la mentalité franciscaine, de son imperturbable optimisme et de ses enthousiasmes. »
En juillet 1893, encouragé par Léon XIII, il prit l’initiative d’une réunion qui se tint près de Reims et conduisit à une réforme du tiers-ordre et à une définition de ses missions face aux évolutions de la société. Il était guidé par la charte nouvelle du Tiers-Ordre, la Constitution Misericors Dei Filius(3) du 30 mai 1883 promulguée par Léon XIII. A partir de cette réunion, furent organisés des congrès régionaux et nationaux qui condamnèrent les abus du capitalisme, en référence à l’esprit de saint François : le capitalisme étant la féodalité du XIXe siècle, les tertiaires devaient le combattre comme ils avaient contribué à faire tomber celle du Moyen-Âge. Pour affronter cet « adversaire », le Tiers-Ordre avait reçu des armes: l’esprit de pauvreté et de charité. Cet engagement social conduisit toutefois le Tiers-Ordre à traverser une crise profonde ; certains considérant qu’il convenait de demeurer dans le spirituel et rejetaient la critique théologique du capitalisme.
Le pape, quant à lui adopta une démarche thomiste défendant l’idée que la création était divine mais constatant que ce bien commun s’élargissait avec les mutations économiques, engendrant des injustices qui reposaient sur la propriété. Le 15 mai 1891, Léon XIII publia l’encyclique rerum novarum(4). Il constatait l’existence d’une inégalité naturelle entre les hommes dès leur naissance. Il ne s’agissait toutefois pas d’une inégalité des droits mais de capacités : tous les hommes n’ont pas les mêmes capacités intellectuelles ou physiques(5). Il sous-entendait que c’était Dieu, créateur du monde, qui l’avait voulu ainsi. Guidé par l’Evangile, le pape comparait la société à un corps humain, chaque catégorie sociale correspondant à un organe remplissant une fonction particulière(6). D’après lui, la misère ouvrière naissait de l’exploitation des ouvriers par de mauvais patrons(7). Il estimait que les lois divines et humaines réprouvaient l’exploitation de la pauvreté et de la misère(8). Le salaire devait être suffisant pour faire subsister l’ouvrier dans de dignes conditions(9). L’Eglise ne considérait pas la force de travail comme une marchandise comme les autres. Il évoquait par ailleurs le rôle possible de l’Etat(10) dans la défense des plus faibles et rappelait les principes chrétiens de justice et d’équité. S’il considérait légitime le syndicalisme ouvrier(11), il mettait en garde contre « l’utopie socialiste » et dénonçait l’idée de lutte des classés (12).
Léon XIII fit reposer son offensive sociale sur les laïcs engagés dans le tiers-ordre. La pensée franciscaine et Rerum novarum suscitèrent un changement de pensée et d’attitude au sein d’une Eglise plus universelle. La doctrine sociale de l’Eglise porta ses fruits : le sillon de Marc Sangnier(13) en 1894, la CFTC en 1919 mais aussi la démocratie chrétienne. Quelques années plus tard, Pie X freina cette dynamique sociale. Toutefois, la rencontre entre des aspirations apostoliques, une volonté de transformation sociale, des préoccupations politiques, demeura avec les années et la lettre encyclique centesimus annus(14) rendit a posteriori hommage à la pensée franciscaine et à l’impulsion donnée par rerum novarum.

Erik LAMBERT.

(1) http://w2.vatican.va/content/leo-xiii/fr/encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_16021892_au-milieu-des-sollicitudes.html
(2) https://maitron.fr/spip.php?article81406&id_mot=701
(3) https://w2.vatican.va/content/leo-xiii/fr/apost_constitutions/documents/hf_l-xiii_apc_18830530_misericors-dei-filius.html
(4) http://www.vatican.va/content/leo-xiii/fr/encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_15051891_rerum-novarum.html
(5) Le premier principe à mettre en relief, c’est que l’homme doit prendre en patience sa condition : il est impossible que, dans la société civile, tout le monde soit élevé au même niveau.
(6) St Paul aux Corinthiens, 12, 14-27
(7) « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Mt 25,40
(8) « Que le riche et le patron se souviennent qu’exploiter la pauvreté et la misère et spéculer sur l’indigence sont choses que réprouvent également les lois divines et humaines. »
(9) Voilà que le salaire que vous avez dérobé par fraude à vos ouvriers crie contre vous, et la clameur est montée jusqu’aux oreilles du Dieu des armées
(10) Une équité demande donc que l’Etat se préoccupe des travailleurs et fasse en sorte que, de tous les biens qu’ils procurent à la société, il leur en revienne une part convenable
(11) Le siècle dernier a détruit, sans rien leur substituer, les corporations anciennes, qui étaient pour eux une protection. (…) Les travailleurs isolés et sans défense se sont vus, avec le temps, livrés à la merci de maîtres inhumains et à la cupidité d’une concurrence effrénée. (…)
(12) «L’erreur capitale dans la question présente, c’est de croire que les deux classes sont ennemies l’une de l’autre »
(13) Sangnier se définissait lui-même comme «un catholique fervent mais sans pantoufles cléricales».
(14) https://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_01051991_centesimus-annus.html

L’enfant oublié

Le meurtre de George Floyd suscite un mouvement de protestation mondial qui, s’il est bien sûr légitime, n’en reste pas moins ambigu, ou ambivalent, dans ses formes comme dans son contenu. Au-delà de la diversité de ses manifestations, il s’y mêle en effet au moins deux révoltes contre deux aspects confondus dans ce cas mais qui restent distincts : le racisme et la violence policière.

Pour commencer, il serait hasardeux de faire une généralité mondiale de cette confusion en réaction à la situation particulière de ce meurtre. Car il est survenu à la suite d’une longue litanie d’assassinats commis en toute impunité dans un pays historiquement et fondamentalement « communautarisé », où le nombre global de gens tués par la police ou jetés en prison est parmi les plus hauts du monde, si ce n’est le plus haut, touchant une proportion extrêmement élevée de populations « racisées ». Il est sans doute choquant pour beaucoup de prendre conscience que la réalité de ce pays au passé génocidaire est très éloignée du visage de luxe, de liberté et de démocratie qu’il présente au monde, privilèges d’une frange toujours plus réduite de sa population, en grande majorité « WASP » : blanche, anglo-saxonne, protes-tante.

Ensuite, si la solidarité avec les catégories défavorisées ou opprimées aux États-Unis est bienvenue, nous n’en sommes pas au même point en France, ni du point de vue du racisme ni du point de vue de l’âpreté de l’action policière (action qui demeure indispensable face à la délinquance). Il existe encore trop de racistes en France et dans sa police, mais il est faux que le racisme y soit une réalité structurelle au même titre. En revanche, le recours appuyé de l’État français aux « forces de l’ordre » pour contenir les mouvements sociaux est de plus en plus systématique et violent. Les responsabilités de cette violence incombent-elles aux mouvements ou au gouvernement ? On peut en discuter sans fin. Mais on ne peut nier que l’utilisation de la police ait été dernièrement d’une violence inédite, disproportionnée, condamnée par l’Europe, l’ONU et Amnesty International. Cette violence-là n’a rien de racisé, elle est politique, et c’est hautement préoccupant.

Plaquer la problématique américaine sur la nôtre — tendance malencontreuse des médias — est source d’une autre dramatique erreur d’appréciation : nous enfermer dans une vision rétrécie du monde, centrée sur l’occident. Car une inégalité globale terrifiante règne entre les pays riches dits « blancs » et les pays pauvres dits « colorés », dont les témoins désespérés sont les migrants, émissaires à nos portes de l’énorme masse de leurs frères qui vivent dans la misère, dans la terreur des bombes ou de leurs gouvernements néo-coloniaux et qui meurent de faim à raison de 25 000 personnes par jour, dans notre indifférence quasi générale. Que se passera-t-il pour eux si on réforme la police américaine, si on interdit la prise au cou en France, si Adama Traoré est reconnu victime d’une bavure, si on déboulonne toutes les statues ? Un petit enfant connaît la réponse : les touristes qui larmoyèrent un temps sur sa photo sont revenus se baigner sur la plage de Turquie où la mer le déposa à nos regards : rien. Il ne se passera rien. Il s’appelait Aylan. Qui s’en souvient ?

En France, la question du racisme est trop souvent traitée non pas pour être résolue mais pour servir de distinction morale et formelle entre formations politiques, et pour renvoyer chacun à un questionnement individuel plus ou moins victimisant ou culpabilisant. Il ne se passera rien, donc, tant qu’on ne s’attaquera pas réellement et profondément à la racine du mal qu’est l’injustice. Et rien ne changera tant que les relations personnelles et collectives ne seront pas refondées sur la réalité fraternelle de l’humanité. Car cet oubli est le terreau de toutes les injustices.

Jean Chavot

La femme adultère (suite)

« Que celui qui est sans péché… » Chap 8, 7-9

• Jésus se réfère lui aussi à la loi : en effet, l’expression « jeter la pierre en premier » est tirée du Dt. 17, 7 : « … Que ce soient les témoins qui jettent la pierre en premier, et ensuite tout le peuple ».

• Jésus troque le mot ‘témoin’ pour le mot ‘innocent’ (sans péché). Ceci est d’une conséquence importante, car il ôte du même coup à tout homme le droit de juger. Personne n’a le droit de juger ni de sévir, car tous sont pécheurs.

• Se pose, alors, un problème important pour la vie sociale : un tel principe anéantirait toute morale judiciaire : aucun juge ne serait jamais en droit de punir ni même aucun parent avec ses enfants.

•Quand il y a une aporie (contradiction, impasse) dans l’Evangile, c’est qu’il y a une autre raison, une autre intention dans la pensée de Jésus.
En effet, que vient-il faire ? En empêchant toute lapidation, il suspend en fait la loi de Moïse, au profit de la miséricorde. Mais de quel droit ? Sinon du droit de celui qui s’arroge les pouvoirs de Dieu. Si bien que cette phrase étonnante et inquiétante, « que celui qui est sans péché » implique une déclaration d’identité divine, sonne comme une révélation christologique : « Je possède le même pouvoir que le Père, le maître de la loi ».
  => … quand il dira en 8, 46 : « Qui de vous me convaincra de péché ? »
  => … quand il a déclaré au début de son ministère qu’il était venu annoncer la ‘Bonne Nouvelle’
  => … quand, la veille de son arrestation, il pouvait dire dans sa prière : « Père, j’ai manifesté ton Nom aux hommes » 17, 6 (le nom dans la bible révèle la réalité profonde de la personne).
Quelle était cette « Bonne Nouvelle » ? Quel était ce visage non encore révélé de Dieu ? C’était toute la raison de l’Incarnation, à savoir :
Dieu, par la venue de son Fils, avait décidé, unilatéralement et gratuitement, d’accorder un délai de grâce, de suspendre le jugement, pour ne laisser voir que sa miséricorde.

Jésus n’est donc pas un prophète de plus… il est, sous forme humaine la MISERICORDE INCARNEE. Il est Dieu vu (au sens de visible) sous l’aspect de miséricorde.
Si un juge n’a pas à juger, si les parents n’ont pas à juger, ils ont à discerner. La différence est de taille : on ne juge pas l’homme, mais son acte. On laisse donc la porte ouverte pour une conversion possible.

« Moi non plus, je ne te condamne pas… Va et désormais ne pèche plus » Chap 8 10-11

Saint Augustin commente : « Restent deux personnages : la misère et la miséricorde. » La Miséricorde incarnée, Jésus, Dieu miséricordieux.

Ne nous trompons pas de personnage principal. Ici, c’est Dieu le Père ; c’est lui qui, en Jésus, fait miséricorde. Même chose que dans la parabole du ‘fils perdu et retrouvé’ ; ce n’est pas l’attitude du fils qui importe le plus, c’est celle du père !

Qu’est-ce que pardonner pour Dieu et pour Jésus ? C’est d’abord ne pas réduire la femme coupable à son péché ; c’est lui ouvrir de nouveau un avenir possible. « Par-donner », c’est « re-donner » une personne à elle-même. C’est refuser de figer et parier sur le vivant.

Mais Dieu, quoique miséricordieux, ne renonce pas à être Dieu, c’est à dire l’ennemi du péché. Aussi Jésus peut dire : « désormais, ne pèche plus ! »

« … personne, Seigneur ! » Remarquons pour terminer le titre divin que la femme décerne à Jésus. Seigneur, c’est à dire « Dieu ». Ce qui ne fait que confirmer la révélation christologique qui est au centre de ce récit de la « femme adultère ».

Frère Joseph

Comment pouvons-nous nous dire fils et filles bien-aimés du Père ?

Dans l’Ancien Testament, Dieu se présente comme le maître d’Israël sur lequel il exerce son autorité avec bienveillance : il conduit, il avertit, il corrige, il protège… et peu à peu se dessine l’image d’un père pour son peuple « Vous êtes des fils pour Yahvé votre Dieu » (Dt 14,1). Les prophètes Osée et Jérémie insistent en soulignant la tendresse débordante de Yahweh pour son enfant, celle d’un père mais aussi d’une mère : « Et moi j’avais appris à marcher à Éphraïm, je le prenais par les bras, et ils n’ont pas compris que je prenais soin d’eux ! Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour; j’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson tout contre leur joue, je m’inclinais vers lui et le faisais manger. » (Os 11, 3-4) « Éphraïm est-il donc pour moi un fils si cher, un enfant tellement préféré, que chaque fois que j’en parle je veuille encore me souvenir de lui ? C’est pour cela que mes entrailles s’émeuvent pour lui, que pour lui déborde ma tendresse ». (Jr 31,20). Lorsqu’il faut consoler les affligés, Isaïe a recours à des images maternelles pour exprimer l’amour de Dieu : « Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles. Même si les femmes oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas. » (Is 49, 15). Ému jusqu’aux « entrailles » par les souffrances de ses « fils », Dieu est celui qui chérit ses enfants plus qu’un père, plus qu’une mère, car la fidélité de son amour ne se dément pas, ce serait se renier lui-même. Il est à la fois Créateur, Seigneur, Dieu et Père d’un peuple qu’il s’est choisi et dont les fils sont ses « bien-aimés » (Ps108, 7) et de ce fait objets de sa protection et de sa miséricorde.
Le Nouveau Testament, les Évangiles et les Lettres de Paul, nous désigne Jésus comme le Fils bien-aimé du Père. Il est celui qui accomplit les prophéties de l’Ancien Testament concernant l’Emmanuel : « un enfant nous est né, un fils nous a été donné, il a reçu le pouvoir sur ses épaules et on lui a donné ce nom : Conseiller-merveilleux, Dieu-fort, Père-éternel, Prince-de-paix » (Is 9,5). Lors de son baptême, et de la Transfiguration, Dieu l’identifie comme son Fils : « Et voici qu’une voix venue des cieux disait : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur. »(Mt 3,17). Jésus est non seulement le « Fils » mais plus encore « le Fils bien-aimé », c’est-à-dire le « Fils unique », expression que Jean emploie à de multiples reprises. Il est celui qui peut s’adresser à Dieu en le nommant « Abba ! Père ! », ce qui traduit cette relation intime et à nulle autre pareille qui les unit tous deux. Affirmer sa filiation, c’est donc affirmer sa condition divine, ce que les Juifs de son temps ne pouvaient accepter. Jean explique clairement l’unité entre le Père et le Fils, unité de nature, unité dans la gloire et dans les œuvres car le Père a tout remis au Fils et lui a donné tout pouvoir. (Jn 5,19-23) Paul, dans l’Épître aux Colossiens, célèbre la primauté du Fils bien-aimé, exalté comme Seigneur et comme Sauveur : « Il est l’image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature, car c’est en lui qu’ont été créées toutes choses…Tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toutes choses et tout subsiste en lui…Premier-né d’entre les morts, il fallait qu’il obtint en tout la primauté, car Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix. » (Col 1,15-20).

Enfin, Jésus est celui qui connait le Père et qui seul peut le révéler : « Tout m’a été remis par mon Père, et nul ne connait le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connait le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler. » (Mt 11,27).

Si tout être humain est enfant de Dieu, le chrétien devient « fils du Père » par adoption. C’est un thème cher à Saint Paul : tous les chrétiens sont fils de Dieu par la foi au Christ : « Car vous êtes tous fils de Dieu, par la foi, dans le Christ Jésus » (Ga 3,26) ; L’Esprit qu’ils ont reçu fait d’eux des fils adoptifs : « En effet, tous ceux qu’anime l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait crier : Abba ! Père ! L’Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu. Enfants, et donc héritiers ; héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui. » (Rm 8, 14-17). Par la foi nous sommes un seul être dans le Christ Jésus, lui le frère
aîné avec lequel nous partageons l’héritage paternel. Nous sommes baptisés dans le Christ pour renaître à une vie nouvelle, pour prendre part à la Vie du Fils, pour nous conformer à lui et devenir ce que nous sommes, les bien-aimés de Dieu : « Vous donc, les élus de Dieu, ses saints et ses bien-aimés, revêtez des sentiments de tendre compassion, de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience, supportez-vous les uns les autres et pardonnez-vous mutuellement, si l’un a contre l’autre quelque sujet de plainte ; le Seigneur vous a pardonné, faites de même à votre tour. »(Col 3, 12-13).

Prendre conscience de notre filiation au Père, c’est reconnaitre en l’autre un frère, lui aussi un bien-aimé du Père, alors même qu’il m’est peut-être indifférent ou hostile…C’est garder présent au cœur le commandement d’amour de Jésus : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » et le « comme je vous ai aimés » est essentiel, il est le fondement de toute fraternité. Thème tout à fait franciscain : dans notre Projet de Vie, nous pouvons lire : « En tout homme le Père des Cieux voit les traits de son Fils, premier-né d’une multitude de frères ; de même les laïcs franciscains accueilleront, d’un cœur humble et courtois, tout homme comme un don du Seigneur et une image du Christ. » (PdV 13).

Vouloir vivre en fils et filles bien-aimés du Père, c’est donc témoigner de notre confiance en un Dieu présent à chaque instant de notre vie, un Dieu qui ne peut nous oublier, comme nous le dit Isaïe ; c’est nous donner tout entier pour chacun de nos frères à la mesure de l’amour dont le Père nous aime et le traduire par des actes de charité fraternelle ; enfin, c’est rayonner pour nos frères et sœurs de sa grande douceur et de sa miséricorde inépuisable, c’est participer déjà à la nature de Celui qui nous a adoptés.

P. Clamens-Zalay

Prière de Juillet-Août

Nous te prions de ressusciter nos vies

Seigneur, nous te prions de ressusciter nos vies,
de les rendre claires et belles sous la lumière de l’Évangile…

Que ta parole nous touche au plus secret de nous-mêmes,
mettant chaleur, paix et joie dans notre cœur.

Que ton amour emporte nos volontés mauvaises ou trop faibles.

Que ta paix chasse en nous les troubles et les hésitations,

Que ta joie nous accompagne dans nos chemins
quand ils sont semés d’obstacles et quand ils sont pleins de merveilles,

Car tu es un Dieu de vie, et tu prends soin de tes enfants…

événements Juillet – Août

Le site du conseil international de l’OFS a fait peau neuve : allez le visiter !

Vous verrez que nous appartenons à une grande famille internationale et pourrez découvrir des projets concrets mis en œuvre dans différents pays du monde.

Découvrir le site

La formation « En chemin trinitaire avec St François» en région parisienne

14 et 15 novembre 2020 et 9 et 10 janvier 2021 (arrivée le vendredi soir) à la Clarté –Dieu à Orsay

Après le succès de ce parcours dans différentes régions de France, la formation « En chemin» va être proposée une dernière fois en Ile de France pour donner à tous ceux qui n’ont pas encore pu ou voulu y participer une dernière possibilité de le faire. Nos fraternités ont besoin d’être nourries pour rayonner davantage et attirer ceux qui cherchent, parfois sans le savoir, un chemin spirituel à la suite de saint François d’Assise.

L’objectif de cette formation est de permettre aux participants d’acquérir une intelligence de leur expérience spirituelle – chrétienne et franciscaine – et de pouvoir en rendre compte, ce qui permet de donner un ancrage solide à la vie fraternelle et de proposer à d’autres ce chemin franciscain. Pour pouvoir transmettre le flambeau, il faut qu’il ne s’éteigne pas et pour pouvoir donner du goût, le sel ne doit pas s’affadir.
Pensez à vous inscrire à temps : le nombre de places est limité.

Une seule adresse : formationenchemin@gmail.com

Pour les propositions franciscaines de cet été

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Un Livre, Un Film

Vatican, La Fin d’un monde
Henri Tincq

ÉRIK LAMBERT

H.Tincq, Vatican, la fin d’un monde, Paris, cerf, 2019, 250 pages. 20 €.

Henri Tincq a quitté ce monde le 29 mars terrassé par le COVID-19. Avant de s’éteindre, il publia Vatican, La Fin d’un monde. Fin connaisseur de l’Église catholique, il dresse en trois parties, d’une rare clarté, les contours de la crise que traverse l’Institution depuis quelques années. Hasard ou signe, chaque chapitre adopte un titre où apparaît le nombre trois, une Église au service d’un Dieu en trois personnes…En 242 pages d’un style alerte, Henri Tincq explore une trentaine d’années de l’inexorable déclin d’une Église si loin des réalités vécues par les fidèles, engoncée dans ses certitudes et minée par les scandales et les atermoiements. L’Institution souffre d’une profonde cécité, effrayée par la marche du temps.

Se succèdent sur le trône de Saint-Pierre un pape polonais charismatique mais aveuglé par son anticommunisme, un brillant théologien allemand lucide, volontaire mais soumis à une Curie sclérosée dans ses privilèges et son obscurantisme. La fresque de l’ancien journaliste du Monde s’achève avec l’élection d’un souverain pontife sud-américain engageant la « Glasnost » d’une Église au passé révolu. Comme ce monde cher à Stefan Zweig(1) qui meurt avec la Grande Guerre, l’Église conforterait l’idée que « Tout Empire périra »(2). Née le 50ème jour, forte de vingt siècles d’existence elle est ébranlée par des secousses internes de moralité, une crise de gouvernance et de cohérence doctrinale. Perspective eschatologique ou prophétique Apocalypse(3) qui permettrait la renaissance d’une Église nouvelle ? Là réside une part du débat.

Elle affronte les défis du populisme, des pressions migratoires, du péril islamiste, des nouveaux modèles humanistes et du défi écologique. Pour braver ces convulsions, Jean-Paul II a restauré une centralisation de l’Église et soutenu les courants les plus conservateurs, couvrant ainsi les turpitudes diaboliques de Marcial Maciel. Il a rejeté fermement la théologie de la libération, gourmandant le père Ernest Cardenal suspense a divinis en 1984 et transférant Jacques Gaillot au siège titulaire épiscopal de Partenia. Benoît XVI fut confronté au flot des affaires de pédophilie, aux scandales financiers et au climat délétère qui règne au Vatican. François prend ses distances avec la Curie en s’entourant d’un C9(4), il identifie non pas 10 mais 15 plaies qui frappent l’Église. Il estime que la religion catholique ne doit pas être une religion d’interdits ou d’initiés mais celle de la miséricorde de Dieu.

Les racines des certitudes, des silences et de l’isolement mortifère résideraient dans l’histoire de l’Institution. Puisant sa légitimité en tant que seul vestige survivant à l’effondrement de la domination romaine(5), l’Église est devenue la colonne essentielle d’un ordre figé durant des siècles. Elle a raidi ses positions à la faveur des affrontements religieux du XVI°siècle ; le concile de Trente(6) affirmant l’absolutisme romain, tridentin et patriarcal. On peut déplorer que le Vatican nourrisse un narcissisme nuisible en canonisant certains papes mais en ignorant les plus audacieux : Léon XIII, Benoît XV et Pie XI.

Tincq cultive toutefois l’espérance et discerne quelques pistes de reconstruction. Il suggère de balayer l’hypocrisie sur le sexe, le célibat obligatoire; de lutter contre le cléricalisme dont François considère qu’il est la source de tous les abus et de songer à ordonner des femmes ministres du culte.

Pour lui, ce n’est pas la fin du monde voire de l’Église, mais la fin d’un monde. Il s’interroge lorsque l’Église a peur car la foi, la confiance et le courage sont des principes fondateurs de l’Église.

Un brillant essai qui suscite un vif intérêt dans lequel Tincq assume avec humilité son propre aveuglement. Son message est aussi celui de l’espérance mais il montre malheureusement combien la route est longue en érigeant en mai 2019 comme parangon de droiture Jean Vanier.

Érik LAMBERT

(1) À lire ou à relire, cet admirable ouvrage d’un brillant intellectuel bourgeois empreint de nostalgie : S.Zweig, Le Monde d’hier, souvenirs d’un Européen, paru en 1943, Livre de Poche.
(2) J.B.Duroselle, Tout Empire périra, publications de la Sorbonne, 1981.
(3) L’Apocalypse de Jean, dernier livre du Nouveau Testament. Il date d’une époque de persécutions pour les chrétiens. Il est perçu dans le langage courant comme une fin en soi. Or, il signifie « révélation » et annonce la victoire du royaume du Messie sur Terre, après une vague d’épreuves portées par les quatre Cavaliers de l’Apocalypse et les trompettes des Anges.
(4) c9 : Organe créé par le pape François après son élection en 2013, composé de neuf cardinaux qui le conseillent afin de réformer la Curie romaine.
(5) Cf. L’excellent ouvrage de P.Brown, À travers un trou d’aiguille, Les Belles Lettres.
(6) Le pape Paul III convoqua en 1542 un grand concile oecuménique à Trente (en Italie actuelle) pour affronter la Réforme protestante. Il débuta le 13 décembre 1545. Le pape lui fournit pour objectif de dynamiser l’Église catholique. Ce mouvement prit le nom de Contre-Réforme, ou Réforme catholique, pour se distinguer de la Réforme protestante.

Elephant Man
David Lynch

Le film de David Lynch, qui connut un grand succès dans les années 80, vient de ressortir quarante ans après avec la réouverture des salles de cinéma, dans une version longue restaurée et retravaillée par le cinéaste lui-même. Il met en image une histoire réelle, précédemment l’objet d’une pièce de théâtre : celle de Joseph Merrick atteint dès sa tendre enfance d’une maladie terrible qui déforma progressivement son visage et son corps, jusqu’à en faire le « monstre » dont personne ne voulut plus après la mort de sa mère, survenue lorsqu’il avait onze ans, si bien qu’il n’eut d’autre ressource que de se soumettre à son exploitation comme phénomène de foire sous le nom d’Homme Éléphant.

S’il semble abusif et réducteur d’y voir une fable sur l’antisémitisme comme on a pu le faire lors de sa sortie, le film traite bien du rejet de la différence, autant que de la fascination morbide qu’elle exerce, et cela de manière plus ambivalente que paradoxale. C’est le principal reproche qu’on peut faire à David Lynch : jouer sur les deux tableaux. Reproche qu’il se formule lui-même par l’intermédiaire du médecin bienfaiteur de Joseph Merrick, qui s’interroge sur ses propres motivations où la charité n’est pas exempte d’arrière-pensées carriéristes. À l’instar de l’artiste qui comptait sur le mélange de compassion et de voyeurisme du public pour garantir le succès de son travail cinématographique ? Le spectateur ne peut manquer de se poser la question pour lui-même… L’autre reproche serait d’avoir à la fois caricaturé l’aspect extérieur et la réalité intérieure du personnage de Joseph Merrick, en exagérant le monstre d’un côté et l’ange de l’autre. Il en résulte un certain simplisme moralisateur et explicatif qui est souvent la marque du cinéma grand-public américain.
Il n’en reste pas moins que l’œuvre est digne qu’on aille la revoir ou la découvrir. En noir et blanc, la réalisation est somptueuse, le travail de lumière, de décor et aussi de maquillage (qui décida à créer un Oscar spécifique après le film) est magnifiquement maîtrisée, et la reconstitution de l’Angleterre victorienne est parfaitement réussie, conjuguant un réalisme très touchant sur les réalités sociales de cette époque de Révolution industrielle, avec une beauté poétique des images saisissante. Le tout est magistralement interprété par de grands acteurs dont Anthony Hopkins, jeune à l’époque, qui incarne Frederick Treves, le médecin philanthrope qui fait disparaître l’éléphant pour qu’on ne voie plus que l’homme, avec le soutien de la reine Victoria.

Tout le XIXe siècle, au moins, fut traversé par l’exhibition spectaculaire de « phénomènes » plus où moins « monstrueux », pratique courante dont par exemple Sarah Baatman — la Vénus Hottentote — fit la cruelle expérience, retracée elle aussi par un film. Les êtres humains « différents » attiraient les foules, mais aussi tout ce qui pouvait arriver d’un monde encore à découvrir, comme la girafe qui fit courir tout Paris au Jardin de Plantes, peu avant les Trois Glorieuses (1830). Nous trouvons cela naturellement naïf, vulgaire, condamnable, la folie cruelle d’une époque révolue. Mais l’est-elle vraiment ? Ou bien les promoteurs médiatiques n’ont-ils pas simplement remplacé les crieurs de foire pour fasciner un public qui, lui non plus, n’aurait pas fondamentalement changé ?

Jean Chavot

Ne mettons pas nos responsabilités en vacances !

Habitués à un temps rythmé, dans nos existences, par un été synonyme de vacances — du moins pour ceux qui peuvent se permettre d’en prendre — beaucoup d’entre nous, cette année, sont un peu perdus dans leurs repères, il faut bien le reconnaître. Les commentaires habituels (un peu rebattus) des revues « catho » sur le temps des vacances, temps de ressourcement et de réflexion, temps d’arrêt dans nos vies frénétiques ont-ils encore un sens au seuil de l’été 2020 ? Avec le confinement que nous venons de vivre, ce temps-là ne nous a-t-il pas été précisément imposé par la crise sanitaire ?

Il me semble plutôt que le temps est à la reprise en main et à la réflexion en termes de citoyenneté, de solidarité et de responsabilité.

La spiritualité franciscaine est-elle une spiritualité de la responsabilité ? À plusieurs égards, les témoignages recueillis auprès des fraternités de la région Créteil Saint-Denis Meaux par son bureau régional (comment avez-vous vécu le confinement et qu’aimeriez-vous changer dans votre vie ?) me paraissent apporter bien des réponses à cette question.

Ils ont d’abord mis en évidence l’exercice d’une responsabilité fraternelle immédiate : au lieu de se recroqueviller dans leur propre confinement, beaucoup d’entre nous ont spontanément joué du téléphone ou des écrans, prenant ou reprenant contact avec des personnes particulièrement isolées et fragiles. Certains ont participé à des actions solidaires comme la collecte et la distribution de produits alimentaires pour les plus démunis, tellement plus durement frappés par la crise que les autres. Nous savons que le message de saint François suppose que chacun se sente, fraternellement, responsable des autres sans pour autant se penser supérieur.

Les témoignages ont montré ensuite que le confinement a été — comme peuvent l’être parfois des vacances — l’occasion d’un lâcher prise, d’un vide intérieur qui a permis un véritable renouveau de la prière. À n’en pas douter, ce renouveau laissera des traces : reprise en couple d’habitudes de prière que la routine avait fait négliger, partages spirituels inédits avec des voisins, temps nouveau consacré à la lecture et à la méditation de la Parole, découverte d’une nouvelle dimension de la vie de foi. Il n’est pas certain que la privation de célébrations en direct et la distance forcée avec la liturgie n’aient pas permis à beaucoup d’entre nous, trop habitués au train-train de la pratique religieuse « d’avant », de faire l’expérience d’une foi plus intérieure et plus profonde. De mieux être imprégné, à la faveur, si l’on peut dire, du jeûne eucharistique, du don de la communion, et d’en retrouver le désir profond. Notre mise à l’arrêt imposée aura permis à certains de retrouver cet esprit d’adoration auquel François n’a cessé de nous engager. Beaucoup d’entre nous ont ainsi témoigné de leur intention de ne pas laisser s’éteindre, après la crise, cette flamme spirituelle étonnamment ravivée par le confinement. Renouveau de l’intériorité.

Le lâcher prise imposé par le confinement a pu se révéler aussi comme une désappropriation matérielle. Combien se sont précipités, dès le début du confinement pour trier, classer, éliminer, jeter, faire le vide dans des lieux d’habitations (et dans des têtes) encombrés par des années d’accumulation de superflu ? Combien, contraints pour cause de magasins fermés, à oublier tout achat n’étant pas dit « de première nécessité », ont constaté qu’ils n’avaient pas forcément besoin de ces emplettes, redécouvrant ainsi le détachement et la sobriété franciscaine, redistribuant les économies réalisées de force, prenant davantage conscience des désastres de la surconsommation sur l’avenir de la planète ? Renouveau de l’éthique de la sobriété heureuse.

Notre responsabilité franciscaine est enfin celle de construire la paix. Peut-être la période estivale qui s’ouvre va-t-elle calmer l’ardeur de justiciers qui s’est emparée de certains d’entre nous au plus fort de la crise. Comme si tout était simple, comme si tout était manipulation, intentions perverses ou même complot, il était facile de chercher des responsables, de rejeter sur d’autres notre propre malaise. En faisant l’impasse sur nos propres responsabilités, en ne cessant de jeter l’opprobre sur les autres, nous nous révélons être parfois de fieffés moralisateurs. J’aime à ce sujet l’esprit d’humilité et de minorité de saint François, qui ne cessa jamais de supplier ses frères de faire preuve de retenue dans le jugement moral. Avant de blâmer le monde entier, disait-il, «que chacun se juge et se méprise soi-même(1)».

Michel Sauquet

(1) Deuxième Règle, chap. II, 17.