La doyenne de notre fraternité a connu, il y a peu, la grande émotion de fêter un siècle de vie sur cette Terre, entourée de toute la fraternité. Nous avions d’un commun accord décidé que, si elle ne pouvait plus venir à la fraternité, c’est la fraternité qui irait à elle !
Bien nous en a pris, la réunion fut chaleureuse et joyeuse au possible : prières et chants de Noël (la fête avait lieu mi-décembre), ainsi qu’un délicieux gâteau préparé par le chef cuisinier de l’Ehpad, accueil sympathique du personnel, … quelques larmes de notre centenaire en découvrant sa fraternité au complet, la frat, à laquelle elle tient toujours autant. Emotion partagée par les participants, dont certains n’avaient jamais rencontré notre douairière …. Et la tristesse de se quitter en fin d’après-midi.
Un peu d’histoire …. Notre fraternité vieillissante s’était étiolée au fil des ans, puis avait rejoint le groupe avec lequel nous partagions déjà le repas de midi lors des réunions mensuelles tenues au couvent des frères franciscains de Fontenay/Bois. Elle gardait cependant son identité et un échange de bonnes pratiques s’était mis en place au sein de cette nouvelle fraternité.
Bonnes pratiques transmises par nos aînés bien sûr. Dans nos fraternités, mais aussi dans nos familles, dans les cercles d’amis, les groupes paroissiaux… « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » demandons-nous à la suite du Christ
En fraternité : visite des frères et sœurs malades ou esseulés, envoi de cartes signées de tous à celles et ceux qui ne peuvent plus se déplacer pour venir aux rencontres fraternelles, durant des années, sans attendre de réponse.
C’est un vrai plaisir de recevoir ces cartes lorsqu’on est malade. Le groupe est alors présent près de nous, et nous toujours présents en fraternité.
Nos aînés nous ont si bien montré le chemin, dans la bonté et la simplicité franciscaines ! Douceur des rencontres où chacun bénéficie d’une écoute sans jugement, de l’accueil et du service fraternels dans les toutes petites choses comme dans les grandes difficultés de la vie. Nous continuons dans le même esprit, c’est une façon de leur rendre hommage.
Combien de fois, lors des partages de vie, avons-nous entendu chacun des membres de notre fraternité, donner tranquillement et simplement des nouvelles de personnes visitées, accompagnées dans leur vie quotidienne, aussi bien en juillet sous le soleil (« cela a été un peu fatigant par cette chaleur … » disait en souriant notre doyenne déjà âgée de 80 ans) qu’en hiver par un froid appelant à rester bien au chaud dans son salon.
Un joli souvenir : lors d’une réunion de fraternité, l’une de nos aînées a ressenti un malaise, elle a été conduite aux urgences par trois ou quatre d’entre nous. L’agent d’accueil, établissant la fiche de renseignements, prenait les coordonnées de la famille de notre amie, et se tournant vers nous, demanda avec étonnement qui étaient toutes ces personnes. Réponse immédiate et logique : « vous savez, nous sommes une fraternité ! »
Une fraternité de globe-trotters ? Vous connaissez certainement autour de vous un type de globe-trotteurs en maraude de jour et de nuit, des visiteurs à l’hôpital, à domicile, en maisons de retraite. L’accueil est souvent chaleureux ; parfois la maladie ou l’amertume rendent les personnes un peu agressives, mais qu’importe ! La visite peut être, malgré les apparences, appréciée, surtout entre membres d’une même fraternité !
« Parfois je me demande qui visite l’autre » (extrait de la brochure du Service de la Pastorale de la Santé du diocèse de St-Denis (janvier 2021)
« Dès lors que nous acceptons d’accompagner les personnes là où elles sont, nous faisons route avec elles, dans une attitude de compagnonnage où chacun devient Révélation pour l’autre. C’est le Seigneur qui nous attend chez les plus fragiles. Alors il est bien possible que sur les chemins -souvent inattendus- que peuvent prendre nos accompagnements nous faisions l’expérience d’une grâce capable de nous réchauffer le cœur et de le transformer. »
« La joie profonde de la mission de l’aumônier est de découvrir que Dieu nous adresse une parole de consolation et de Vie à travers des hommes et des femmes marqués par la maladie, la souffrance, le deuil. Le Pape François nous invite à entendre « la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous révéler à travers eux (les plus fragiles).
« Être visiteurs, nous rend alors témoins de la lumière du matin de Pâques en plein milieu de la nuit, grâce à tous ceux avec lesquels nous avons cheminé. Chaque visite est comme un nouvel appel à suivre le Christ et à demeurer en lui. »
Anne Ednani, de la fraternité St François de Fontenay
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ANTOINE, DOCTEUR DE L’ÉGLISE. (2ème partie)
Antoine passa plus d’une année à Monte Paolo, de 1221 à 1222, priant dans une grotte, jeûnant au pain et à l’eau, s’adonnant comme les autres frères aux tâches les plus humbles. Pourtant, encouragé par le Poverello[1], il participa, avec d’autres franciscains et quelques dominicains, à des ordinations sacerdotales en la ville de Forli[2] le 22 septembre 1222. Il y remplaça le prêcheur absent, fit son premier sermon public et révéla son talent de prédicateur. Les mots qu’il prononçarévélèrent sa grande culture biblique, son aisance et sa simplicité d’expression une façon simple et concrète de s’exprimer, et un talent pour parler au cœur des personnes. Le Père Gratien, ministre de la province de Bologne qui lui avait confié le poste d’aumônier du petit monastère de Saint-Paul, écrivit le soir même à François d’Assise : « Dans le ciel franciscain, une nouvelle étoile vient de se lever ! »
Dès lors, Antoine mena l’œuvre d’un prédicateur chrétien au fil des routes du nord de l’Italie et du sud de la France pour réveiller par sa prédication les peuples et les pays souvent confrontés à un climat d’héréticité ; il s’agissait pour lui de « Tendre à une seule fin : le salut des âmes »[3]. Il est vrai que le XIII° siècle, fut, au-delà de sa « part d’ombre », une période de mutations suscitées par la croissance rurale et urbaine ; l’essor des activités économiques et commerciales[4]; le renforcement du pouvoir des gouvernants[5] ; l’essor artistique du gothique ; le développement et la circulation des savoirs[6]; l’apparition de nouveaux ordres religieux et de nouvelles formes de spiritualité[7]. Période d’éveil de la curiosité intellectuelle, de l’intérêt pour la nature et l’expérimentation qui se manifestèrent alors.
Il fut un siècle d’élan intellectuel alimenté par la diffusion des écrits d’Aristote, transmis par les Arabes ; par le développement de la logique qui supplanta alors la rhétorique, et par l’usage croissant de la langue vulgaire dans la littérature, les actes publics ou les écrits scientifiques. Toutes ces évolutions pouvaient susciter des craintes, des égarements et des secousses expliquant en partie l’émergence de nombreux mouvements hérétiques.
Antoine professa la théologie, d’abord en France, à Montpellier, puis à Bologne et à Padoue, et, en dernier lieu, à Toulouse, à Limoges et dans quelques autres villes de France, n’hésitant pas à stigmatiser l’inconduite de certains membres du clergé : « Qui pourra briser les liens des richesses, des plaisirs, des honneurs, qui tiennent captifs les clercs et les mauvais religieux ? ». À partir de 1224, Frère Antoine fut envoyé à Toulouse, au Puy-en-Velay et à Limoges ; lieux où il fonda des communautés dont il devint le supérieur.
Érik Lambert.
[1] François lui écrivit : « Il me plaît que tu enseignes à mes frères la sainte théologie. »
[2] En Emilie-Romagne.
[3] Il y gagna le surnom de « L’Évangéliste »
[4] Foires de Champagne, origines de la Hanse, marchands italiens, …
[5] Rois, papes, républiques urbaines.
[6] Naissance des universités.
[7] Par exemple les ordres mendiants et ordres militaires.
DEPUIS QUE JE T’AI RENCONTRÉ
Texte retrouvé sur le corps d’un soldat américain au moment du débarquement en 1944
Écoute, mon Dieu !
Ils m’ont dit que tu n’existais pas et comme un sot, je l’ai cru. L’autre soir, du fond d’un trou d’obus, j’ai vu ton ciel…
Du même coup, j’ai vu qu’ils m’avaient dit un mensonge.
Si j’avais pris le temps de regarder les choses que tu as faites,
j’aurais bien vu que ces gens refusaient d’appeler un chat un chat.
Je me demande, Dieu, si tu consentirais à me serrer la main…
Et pourtant, je sens que tu vas comprendre.
C’est curieux qu’il m’ait fallu venir à cette plage infernale
avant de pouvoir contempler ton visage.
Je t’aime terriblement, et ça, je veux que tu le saches.
Il va y avoir un horrible combat.
Qui sait ? Il se peut que j’arrive près de toi dès ce soir même.
Nous n’avons pas été des camarades jusqu’à ce jour
et je me demande, si tu m’attendras à la porte.
Tiens ! voilà que je pleure.
Moi, verser des larmes !
Ah ! si je t’avais connu plus tôt…
Allons, il me faut partir !
C’est drôle, depuis que je t’ai rencontré, je n’ai plus peur de mourir.
« Fêter la Nativité avec François d’Assise »
Pour François, nous dit Thomas de Celano, Noël était « la fête des fêtes », celle qui lui procurait une joie ineffable « car en ce jour Dieu s’était fait petit enfant et avait sucé le lait comme tous les enfants des hommes. » (2 C 199)
Trois ans avant sa mort, François voulut célébrer et commémorer la naissance du Seigneur en donnant un éclat particulier à cette fête : « Je veux évoquer en effet le souvenir de l’Enfant qui naquit à Bethléem et de tous les désagréments qu’il endura dès son enfance ; je veux le voir, de mes yeux de chair, tel qu’il était, couché dans une mangeoire et dormant sur le foin, entre un bœuf et un âne. » (1 C 84)
C’est ainsi qu’en cette nuit de Noël 1223, alors que « l’Enfant-Jésus était, de fait, endormi dans l’oubli au fond de bien des cœurs » François fit préparer à Greccio une crèche vivante pour voir de ses propres yeux l’Enfant tel qu’il était à Bethléem et mieux percevoir, dans ce mystère de l’Incarnation, l’humanité et l’humilité de Dieu. « L’homme de Dieu, debout près de la crèche et rempli de piété, ruisselait de larmes et débordait de joie. » (LM10,7)
« C’était le triomphe de la pauvreté, la meilleure leçon d’humilité ; Greccio était devenu un nouveau Bethléem. La nuit se fit aussi lumineuse que le jour et aussi délicieuse pour les animaux que pour les hommes. Les foules accoururent, et le renouvellement du mystère renouvela leurs motifs de joie. » (1 Cel 85-86)
Voir et tenir cet enfant dans ses bras, c’est, pour François, rendre plus concret ce mystère de l’Incarnation qui le fascine. Le contempler, c’est contempler le Christ ; d’ailleurs, Celano précise qu’une des personnes présentes eut une vision merveilleuse cette nuit-là : elle vit, couché dans la mangeoire, l’Enfant Jésus lui-même : Lui qui « de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes. » (Ph 2,6-7)
Dieu, le roi du ciel et de la terre, s’abaisse jusqu’à nous, pour prendre chair de notre chair, sous les traits d’un enfant, dans toute sa dépendance et sa fragilité, nous donnant ainsi la plus belle leçon d’humilité…
François contemple un Dieu qui ne révèle pas sa grandeur de manière triomphante, mais au contraire dans ce qu’il y a de plus humble : un nouveau-né, une petite hostie de pain, la mort sur la croix…
Dans le mystère de l’Eucharistie qui vient prolonger celui de l’Incarnation, François reconnait cette même humilité qu’il dépeint de si belle façon : « Voyez : chaque jour il s’abaisse, exactement comme à l’heure où, quittant son palais royal, il s’est incarné dans le sein de la Vierge ; chaque jour c’est lui-même qui vient à nous, et sous les dehors les plus humbles ; chaque jour il descend du sein du Père sur l’autel entre les mains du prêtre. » (Adm 1, 16-18)
« Ô admirable grandeur et stupéfiante bonté ! Ô humilité sublime, ô humble sublimité ! Le maître de l’univers, Dieu et Fils de Dieu, s’humilie pour notre salut, au point de se cacher sous une petite hostie de pain ! Voyez, frères, l’humilité de Dieu, et faites-lui l’hommage de vos cœurs. Humiliez-vous, vous aussi, pour être exaltés par lui. Ne gardez pour vous rien de vous, afin que vous reçoive tout entiers Celui qui se donne à vous tout entier.» (Lettre à tout l’ordre 27-29)
Ainsi, dans son désir d’imiter le Christ pauvre et humble, de la crèche à la croix, François choisit le chemin de la désappropriation. N’avoir rien en propre, n’exercer aucun pouvoir de domination et se faire le plus petit, le mineur, le serviteur, pour tout recevoir comme un don de Dieu, pour s’abandonner au Père et se recevoir de Lui, tel un enfant, dans une relation de pure dépendance.
« La vie s’est manifestée, nous l’avons vue, et nous rendons témoignage : nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et qui s’est manifestée à nous. » (1Jn 1,2)
Fêter la Nativité, c’est fêter Dieu qui manifeste sa bonté et son amour pour tous les hommes. Le Verbe incarné, le Fils bien-aimé du Père, fait de nous des fils adoptifs auxquels le salut est offert, des enfants appelés à communier à cet amour qui unit la sainte Trinité.
Notre Dieu se fait petit pour nous rejoindre dans notre humanité, pour nous élever et nous donner de participer à sa vie divine. Saint Irénée de Lyon dit : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu ».
Puissions-nous retrouver le regard émerveillé de François pour contempler et suivre les pas de Celui qui s’humilie pour notre salut et se donne à nous tout entier…
P. Clamens-Zalay
L’EGLISE AFFRONTÉE à la ROME TOTALITAIRE(12 – 20)
PLAN de la 3ème PARTIE
Après les Lettres aux 7 églises (ch.1-3), puis la rupture de l’Eglise avec Israël (4-11), nous abordons la 3ème partie du livre, l’Eglise affrontée à la Rome totalitaire (12-20) – Elle comporte 4 sections :
- Les personnages du drame : une femme, son enfant, un dragon, l’archange Michel, les 2 bêtes, l’Agneau et ses fidèles. Et comment le scénario se joue d’abord au ciel, puis ici-bas (ch. 12 à 14, 5).
- L’heure solennelle du jugement, avec les « 7 coupes » (ch. 14, 6 à 16).
- Le châtiment de Rome-Babylone (ch. 17 à 19, 10).
- Le triomphe divin de la fin des temps (ch. 19, 11 à 20).
L’Enfant, la Femme et le Dragon (12, 1-18)
Sous forme d’allégorie, c’est tout le drame du Salut qui nous est présenté. Pour Jean il se joue sur 2 scènes : au ciel, puis sur terre ; car rien ne se passe ici-bas qui ne soit inscrit en même temps dans l’éternité.
D’autre part, le fond de décor est constamment le même : à la fois le Jardin d’Eden, prototype de l’affrontement de Satan avec la femme (Gn 3, 15), et la sortie d’Egypte, modèle de la victoire de Dieu contre Pharaon.
Donc, pour expliquer l’affrontement historique concret de l’Eglise de son temps avec les forces du mal ici-bas, et pour en garantir à l’avance l’issue heureuse, Jean nous en montre d’abord en résumé le scénario dans le ciel.
Un scénario grandiose et multiséculaire, car il retrace toute l’histoire du Salut sans cesse combattue par Satan. A savoir : depuis la création (la femme et le serpent au Jardin d’Eden) jusqu’à la Résurrection-Ascension (l’enfant mâle enlevé au ciel), en passant par l’élection d’Israël, sans cesse persécuté (la femme au désert), puis par l’Incarnation du Fils de Dieu (la femme « Fille de Sion » et son enfantement douloureux), enfin par le temps de l’Eglise, nouvel Israël, qui subit elle aussi, mais pour un temps limité, la persécution de Satan.
Et le film céleste se déroule en 4 scènes :
- Une femme enceinte, de condition prestigieuse, est menacée par un dragon plus que redoutable. Mais le bébé mâle, sitôt né, est enlevé à la droite de Dieu, et la mère mise en lieu sûr (12, 1-6).
- Branlebas de combat dans le ciel : Michel (Qui est comme Dieu ?) et les anges fidèles précipitent Satan et ses sbires sur la terre (12, 7-9).
- Joie des élus ! Car le salut est maintenant assuré par la victoire éclatante et définitive de Dieu, de son Fils l’Agneau et des martyrs chrétiens sur le dragon et son armée (12, 10-12).
- Même si Satan, maintenant déchaîné sur la terre – dont il est apparemment le prince – peut poursuivre la Femme (= Israël au désert), puis s’en prendre au reste de sa descendance (les chrétiens), son action ne sera que provisoire, c’est un prince déjà virtuellement dépossédé (12, 13-18).
Fr Joseph
Prière décembre
Une prière d’Etty Hillesum
Née dans une famille juive néerlandaise, Etty Hillesum a été déportée et est morte à Auschwitz en 1943. Elle a longtemps tenu un journal dans lequel elle évoque son évolution spirituelle qui l’a beaucoup rapprochée du christianisme.
« On a parfois du mal à concevoir et à admettre, mon Dieu, tout ce que Tes créatures terrestres s’infligent les unes aux autres en ces temps déchaînés. Mais je ne m’enferme pas pour autant dans ma chambre, mon Dieu, je continue à tout regarder en face, je ne me sauve devant rien, je cherche à comprendre et à disséquer les pires exactions, j’essaie toujours de retrouver la trace de l’homme dans sa nudité, sa fragilité, de cet homme bien souvent introuvable. Enseveli parmi les ruines monstrueuses de ses actes absurdes… Je regarde Ton monde au fond des yeux, mon Dieu, je ne fuis pas la réalité pour me réfugier dans de beaux rêves – je veux dire qu’il y a place pour de beaux rêves à côté de la plus cruelle réalité – et je m’entête à louer ta Création, mon Dieu, en dépit de tout ! »
Un Film Un livre
En Fanfare
Un film d’Emmanuel Courcol
Un film qui démarre avec vigueur par deux vies bouleversées ; En Fanfare n’est pas seulement la chroniques de deux vies. Thibaut, chef d’orchestre de renommée internationale s’effondre lors d’une répétition et apprend qu’il est atteint d’une leucémie. Seule une greffe de moelle osseuse peut le sauver. Pour cela, il faut un donneur compatible, ce sera Jimmy ; mais ne dévoilons pas les péripéties de cette histoire. Emmanuel Courcol exploite avec bonheur le talent de Benjamin Lavernhe, sociétaire de la Comédie française et de Pierre Lottin ; campant deux hommes si dissemblables que rien ne paraît pouvoir rapprocher, excepté la musique. Un gouffre sépare le tromboniste d’une fanfare du Nord et le « maestro » francilien. C’est l’aventure d’une rencontre improbable, mais aussi l’histoire d’un mensonge et la quête de ses origines. Les dialogues sont savoureux et souvent humoristiques, teintés pour l’un d’un vocabulaire populaire à la prononciation ch’ti et pour l’autre de la langue soignée du gratin social. Pourtant, à y voir de plus près, ces deux personnages retrouvent avec Dalida, Charles Aznavour, Miles Davis et Verdi l’amour commun de la musique. Cette musique rythme le film. Cela débute avec l’Ouverture d’Egmont de Beethoven et se clôt avec le Boléro de Ravel qui unit deux univers musicaux. Michel Petrossian a été l’expert sollicité pour créer les morceaux accompagnant le film et pour choisir les œuvres symphoniques et populaires adaptées. Peut-être nourrissait-il l’espoir que le film présenté au Festival de Cannes 2024, ait un impact similaire aux Choristes de Christophe Barratier et donne un nouveau dynamisme à la tradition des fanfares désormais en déclin ? Oubliés, Orphéons, harmonies, fanfares qui connurent un franc succès sous la III°République. Ouvriers, mineurs, employés, artisans, agriculteurs, petits commerçants, petits fonctionnaires y rencontraient la musique jusque-là privilège de la bourgeoisie. Il ne demeure aujourd’hui des vestiges de cette pratique culturelle dans le Nord ou l’Est de la France.
En Fanfare, est une belle aventure humaine qui pose les questions du déterminisme social, de l’héritage culturel et génétique. Benjamin Lavernhe transporté, hagard, charmeur au regard si expressif, plante avec une surprenante aisance le chef d’orchestre comme s’il avait l’habitude de diriger. Pierre Lottin transmet le peu de confiance qui habite son personnage mû par la recherche chimérique d’une autre vie. Leur duo bénéficie de la présence de Sarah Suco, fervent soutien de Jimmy, Ludmila Mikaël et Clémence Massart en mères adoptives.
Un beau film à n’en point douter, qui ne sombre pas dans la facilité et suscite la réflexion tout en sollicitant public averti et cinéastes du dimanche.
Érik Lambert.
Vous êtes l’amour malheureux du Führer
Un livre de Jean-Noël Orengo
Cet automne, Jean-Noël Orengo, est souvent nominé à l’occasion des nombreux prix littéraires qui tombent, depuis 1901[1] telles les feuilles. « Vous êtes l’amour malheureux du Führer », n’a toutefois, à ce jour, jamais été récompensé, …Peut-être le sera-t-il ce 28 novembre par le Prix Goncourt des lycéens. Il a cela d’original qu’il soulève la question de qui savait quoi ? Qui a fait quoi entre 1933 et 1945 ? Il n’est pas vain d’engager ce débat tant l’horreur de ce que commirent les nazis et leurs affidés bouleversèrent une bonne partie de l’humanité.
Les images de la découverte des camps, les photographies publiées furent la première « source » d’informations permettant de révéler l’existence de l’univers concentrationnaire. Mais l’inimaginable montré en nombre, emporta toute analyse détaillée. Ainsi, L’Humanité du 24 avril 1945 présenta en Une, un article sur Birkenau avec une image de Bergen-Belsen légendée « Ohrdruf [2]». Le procès de Nuremberg qui se tint du 20 novembre 1945 au 1er octobre 1946 devait contribuer à préciser ce que les enquêtes et les réflexions sur les questions juridiques de la Commission des crimes de guerre des Nations unies avaient déjà établi. 31 accusés dont 24 individus[3]étaient devant les juges. Parmi les personnalités, 4 furent acquittées et 7 condamnées à des peines de prison. Pami ces détenus, l’architecte de Hitler, successeur de Fritz Todt[4] au ministère de l’Armement, en partie responsable de l’exploitation de la main d’œuvre concentrationnaire dans le cadre de la guerre totale, maître du décorum des grand-messes nazies : Albert Speer, condamné à vingt ans de prison. Libéré en 1966, il publia en 1969 une autobiographie traduite en quatorze langues qui constitua un grand succès de librairie[5]. Or, dans cet ouvrage reflet de ses sélectives mémoires, comme auparavant lors de son procès, Speer contestait formellement avoir eu connaissance de la Shoah. Il reconnut avoir su que les usines d’armement qui relevaient de son ministère avaient recours au travail forcé, mais il prétendit que l’utilisation de cette main d’œuvre était une nécessité et qu’il avait essayé d’améliorer le sort des ouvriers.
L’ambition de Jean-Noël Orengo dans « Vous êtes l’amour malheureux du Führer » consiste àdémonter les mensonges du nazi Albert Speer. Les questions « Qui savait quoi ? qui a fait quoi ? » n’ont cessé d’alimenter les débats depuis la fin du second conflit mondial. Or, la lecture d’un essai de la journaliste Gitta Sereny consacré à Albert Speer a incité Orengo à se lancer dans ce roman de 264 pages. En effet, si Gitta Sereny enquêta auprès d’Albert Speer, passant de longues heures à s’entretenir avec l’ancien architecte du Führer, traquant dans les archives la vérité de celui qui fut un hiérarque nazi, elle sembla porter un œil complaisant vis-à-vis des « malheurs » vécus par les dirigeants nazis dans Berlin en flammes, offrant à ces suppôts lucifériens une certaine humanité[6]. Speer, brillant personnage, qui n’avait pas l’excuse d’être un marginal ou un déséquilibré devenu un tyran, donnait l’impression d’amoindrir sa culpabilité avec la complicité de la journaliste jouant sur l’aveuglement et la servitude volontaire[7].
Comme l’écrit l’auteur, Albert Speer, à la faveur de son autobiographie, devint « une star de la culpabilité allemande ». Le lien que tissèrent Hitler et son architecte souffrait d’une ambiguïté certaine, « l’incarnation du couple artiste-homme de pouvoir ». Le titre de ce roman illustre parfaitement cette relation quasi-amoureuse qui se noua entre les deux hommes. Ce fut du reste une question « indiscrète » posée par un collaborateur SS de l’architecte, Karl Maria Hettlage[8], sans doute jaloux de la qualité des relations de son patron avec le Führer : « Savez-vous que vous êtes l’amour malheureux du Führer ? » Fasciné par Gitta Sereny, journaliste « juive qui avait décidé à se confronter au mal et qui est devenue amie avec son sujet », Orengo a plongé dans l’analyse de l’entreprise de dissimulation de la vérité menée par l’un des plus proches collaborateurs d’Hitler. Pourtant, dès la parution du livre Au Cœur du Troisième Reich[9], des historiens, comme Daniel Goldhagen[10] relevèrent l’attitude de Speer prétendant se confesser tout en se complaisant dans le mensonge. En effet, à la faveur du procès de Nuremberg, il assura n’avoir pas eu connaissance de la politique d’extermination des juifs, avec une force de conviction suffisante pour éviter la peine de mort. Maître dans l’art de la séduction et du mensonge, Speer, l’architecte du mal, devint une figure morale de la réhabilitation partielle du nazisme et contribua à l’éclosion de mythes nourrissant une malsaine nostalgie de l’Allemagne des années hitlériennes[11]. S’avouant coupable collectivement en tant que dignitaire nazi mais innocent individuellement puisqu’il ne savait rien, Speer affirma être indifférent aux Juifs qui ne l’intéressaient ni ne le dérangeaient. Il fut simplement subjugué un soir, par la voix et les visions d’un bateleur de brasseries enfumées et devint nazi. Séduction réciproque entre l’artiste raté et le bel homme plein de prestance.
Soucieux d’immortalité, partenaire des ambitions architecturales du tyran mégalomaniaque fou, onirique constructeur d’un Reich millénaire, parangon de « La théorie de la valeur des ruines » selon laquelle un bâtiment devait se survivre par ses ruines, il séduisit Hitler, avide de créer un empire mais aussi une mémoire de cet empire après sa disparition. Il fallait donc que les ruines du Reich fussent à l’image de celles de la Rome antique, il convenait de créer la mythologie du Reich après sa disparition. Affirmant que, sans lui, Hitler eût par dépit détruit tout Paris, il parfit soigneusement son image de respectabilité.
Ce roman c’est aussi celui d’une relation quasi-charnelle entres deux hommes attirés par un magnétisme réciproque qui ne pouvaient assumer leur attirance mutuelle bridée par des obstacles insurmontables. Indifférent à l’attrait qu’il exerçait sur Éva Braun, Magda Goebbels, et Leni Riefenstahl, Speer demeura fidèle à son épouse Margarete et à sa relation avec le despote de Branau. Même lorsque que le collaborateur d’Hitler commit des erreurs, voire trahit le guide, le tyran eut une tendre indulgence.
L’amoureux malheureux du diable, l’élégant acteur, le redoutable mystificateur se dévoila en 1981 lorsqu’il téléphona à l’historienne et un peu éméché lui avoua : « Ce que je voulais vous dire, c’est qu’en fin de compte, je trouve que je ne m’en suis pas si mal sorti que ça. Après tout, j’ai été l’architecte d’Hitler. J’ai été son ministre de l’Armement et de la Production de guerre. J’ai été vingt ans à Spandau et en sortant, j’ai fait une nouvelle bonne carrière ! Pas si mal tout compte fait, non ? » Séducteur, devenu ami de Simon Wiesenthal, l’infatigable traqueur de nazis, il parvint à 75 ans à nouer une relation avec l’historienne Gitta Sereny, se promenant avec elle sur les chemins de Bavière, là même où il se promenait avec Hitler.
Le livre est configuré à la manière du jeu d’échecs et ses soixante-quatre cases. Il est en effet composé de huit chapitres correspondant à un découpage chronologique comprenant chacun huit parties. Le style est dépourvu d’effets de style même si, à l’évidence, le mot truisme mis à la mode en 1996 par Marie Darrieussecq[12], plaît beaucoup à Orengo qui l’utilise avec grande générosité. Un roman qui, sans être « noir » bouscule beaucoup de certitudes.
Érik Lambert.
J.N.Orengo, Vous êtes l’amour malheureux du Führer, Paris, Grasset, 2024, 264 p., 20 €, numérique 15 €.
[1] Prix Nobel de littérature en 1901 puis la « Société littéraire des Goncourt », dite « Académie Goncourt », fut créée en 1903 ; le premier prix Goncourt étant décerné le 21 décembre de cette année à Force ennemie de John-Antoine Nau.
[2] Annexe de Buchenwald, au sud de Gotha, en Thuringe (centre de l’Allemagne) dernier camp d’extermination par le travail ouvert par les nazis.
[3] Étaient également jugés des organismes, institutions comme la SA, la SS, la Gestapo, le Parti Nazi ou le Haut-commandement de l’armée, …
[4] Mort le 8 février 1942 dans l’explosion en vol de son avion. Il fut ministre du Reich pour l’armement et les munitions de 1940 à 1942.
[5] Publication en allemand : Erinnerungen, « réminiscences ». En français sous le titre Au Cœur du Troisième Reich chez Fayard ; désormais disponible en poche : A.Speer, Au Cœur du Troisième Reich, Paris, Pluriel, 2011, 848 p. Il écrivit ensuite un récit de ses années de détention : A.Speer, Journal de Spandau, 2018, Paris, Pluriel, 640p.
[6] G. Sereny. Albert Speer, son combat avec la vérité, Paris, Seuil,1997, 752 pp. mais aussi : Gitta Sereny, Dans l’ombre du Reich. Enquêtes sur le traumatisme allemand, 1938-2001 (The German Trauma. Experiences and Reflections. 1938-2001), traduit de l’anglais par Johan-Frédérik Hel Guedj, Plein jour, 522 p.
[7] Il est toujours intéressant de se plonger dans l’extraordinaire Discours de la servitude volontaire écrit en 1576 par La Boétie et ce, probablement, alors qu’il n’était âgé que de 16 ou 18 ans.
[8] Il dirigea l’Office de l’économie et des finances du Ministère pour l’armement et la production de guerre. Il ordonna le 24 septembre 1943 la création de Mittelwerk une usine souterraine d’armement employant des détenus d’un camp de concentration. Il ne fut jamais membre du NSDAP, mais appartint à la SS de 1936 à 1942, d’abord en tant que Untersturmführer (premier grade d’officier dans la SS ; donc, à peu près sous-lieutenant) puis, dès septembre 1938, de Hauptsturmführer (capitaine). À la fin de la Seconde guerre mondiale, il fut interné au château de Kransberg avec Albert Speer. Il eut ensuite de nombreuses responsabilités en Allemagne de l’Ouest. https://www.lemonde.fr/archives/article/1962/10/25/m-hettlage-succede-a-m-potthoff-comme-membre-de-la-haute-autorite-de-la-c-e-c-a_2358368_1819218.html
[9] Publié après sa libération en 1966, avec l’aide de l’historien Joachim Fest. À noter par ailleurs qu’une adaptation inspirée du livre sous forme d’un téléfilm américain de Marvin Chomsky Inside the Third Reich fut réalisée en 1982.
Fest a réalisé en outre un bon documentaire de 2h35, Hitler, eine Karriere actuellement disponible sur les plates-formes Prime vidéo et Netflix.
[10] Qui publia en 1996 le « décapant » Les Bourreaux volontaires de Hitler : Les Allemands ordinaires et l’Holocauste.
[11] On pourrait citer l’idée que la Wehrmacht n’a commis aucune exaction (Pourtant, le livre de l’historien Browning détricote ce mythe : C.R.Browning, Des hommes ordinaires, Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne), Le mythe du grand général Rommel, ou celui d’une armée allemande invincible, … On écoutera avec très grand intérêt sur cette dernière question le podcast : Wehrmacht : la fin d’un mythe, avec Jean Lopez(https://www.youtube.com/watch?v=jlkPTnbBHxg ).
[12] Marie Darrieussecq, Truismes, Folio. la transformation progressive de la narratrice, d’abord humaine, en truie. L’Académie définit le terme comme : « Vérité trop manifeste, banale, qu’il est superflu de vouloir démontrer, et même d’énoncer. Son discours était un enchaînement de truismes. « On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie » est un truisme.
événements décembre
Lourdes 2025
8ème centenaire du Cantique des créatures
Une approche écologique franciscaine
Pour célébrer le 8ème centenaire du cantique des créatures, la fraternité franciscaine séculière vous invite à un grand rassemblement à Lourdes avec toute la famille franciscaine et au-delà.
Quand 👉 Du jeudi 29 mai vers 17h, avec la participation à la messe de l’Ascension, au dimanche 1er juin 2025 matin.
Au programme :
- Approche historique, philosophique et théologique du cantique des créatures.
- Ecologie intégrale : Cri de la terre et cri des pauvres.
- Actualité du Cantique des créatures.
- L’émerveillement et la louange
- des ateliers : Louer en prenant soin de la création
- des activités pour les enfants et les jeunes.
Programme détaillé, coûts (jusqu’au 17 janvier 2025) et modalités d’inscription 👉 C’est Ici
François d’Assise et l’intelligence de l’autre
Rencontre-débat
Intervenants : Michel Sauquet et Philippe Pierre
Coauteurs de deux livres sur l’interculturalité, L’Archipel humain, Vivre la rencontre interculturelle, ECLM, 2022 et l’Abécédaire de l’interculturel. 50 mots à prendre en compte par temps d’intolérance, ECLM,2024
Quand 👉 Le samedi 15 février 2025 de 15h à 17h.
Où 👉 Chez les Sœurs de St François d’Assise,
31 rue du commandant Jean Duhail, 94120 Fontenay-sous-Bois.
Edito Décembre
La prière franciscaine
François d’Assise apparut à ses contemporains comme un homme de prière : « La prière-faite-homme », dira l’un de ses biographes. Sa prière est louange gratuite et action de grâce, tout du moins sa prière exprimée, car la prière d’adoration, gratuite par essence, est silencieuse, et quand elle atteint vraiment son objet : proprement ineffable. Si la prière est notre relation consciente à Dieu, alors la prière « gratuite » est notre seule vraie prière, ou plus exactement la perfection de notre prière.
Tant que nous sommes empêtrés de nous-mêmes, de nos besoins, de nos désirs, de nos soucis… nous sommes à notre place de créatures totalement dépendantes. En affirmant cette dépendance par la manifestation de nos désirs, nous voudrions que les actions divines s’y conforment. Notre prière est alors intéressée. Mais quand nous contemplons Dieu en lui-même, découvrant son amour « qui ne veut et ne fait que le Bien » dans l’acte par lequel, éternellement, il aime et engendre son Fils, nous percevons que le Père nous aime éternellement dans son Fils en qui il a aimé et voulu tous les êtres, et dans son Esprit, le Don suprême. Alors nous découvrons admiratifs que toute l’histoire du Salut est exprimée dans l’Incarnation de son Fils et nous ne pouvons que soupirer avec François : « Qui es-tu Seigneur, et qui suis-je ?…» Cette expérience spirituelle nous renvoie vers le monde que nous contemplons avec un regard purifié, elle sollicite de nous une compréhension et une action nouvelles envers les créatures éternellement aimées de Dieu qu’il nous propose comme des dons. À commencer par nous-mêmes, notre propre existence, notre propre histoire à l’intérieur de l’histoire des hommes. L’esprit évangélique, l’esprit d’enfance qu’il faut pour entrer dans le Royaume, c’est aussi s’aimer soi-même par amour pour Dieu et s’émerveiller de ce premier don. La prière nous pousse à une bienveillance et une admiration fondamentales pour tout ce qui nous est donné par Dieu, qu’il nous faut respecter, partager gratuitement et dans l’action de grâce. La prière de gratuité s’adresse à Dieu, elle attend de lui seul ce qu’il lui plaira de donner. En ce sens, la prière de demande peut être une prière de gratuité, pourvu que l’on soit toujours disposé à recevoir son Esprit-Saint qui seul, comme le dit Paul, « sait prier comme il faut », c’est-à-dire selon le vouloir de Dieu. Parfaite illustration de cet enseignement, François d’Assise nous a légué la très belle Oraison qui clôt sa lettre à tout l’Ordre : « Dieu tout-puissant, éternel, juste et bon, par nous-mêmes nous ne sommes que pauvreté ; mais toi, à cause de toi même, donne-nous toujours de faire ce que nous savons que tu veux, et de vouloir toujours ce qui te plaît ; ainsi nous deviendrons capables, intérieurement purifiés, illuminés et embrasés par le feu du Saint- Esprit, de suivre les traces de ton Fils notre Seigneur Jésus-Christ, et, par ta seule grâce, de parvenir jusqu’à toi, Très-Haut, qui en Trinité parfaite et très simple unité, vis et règnes et reçois toute gloire, Dieu tout puissant dans tous les siècles des siècles. Amen ».
La prière gratuite est christique, filiale, spontanée, constante, libre, sans complication ni méthode, car elle se laisse guider par l’Esprit Saint. Humble, elle se sait émaner d’un pécheur qui ayant tout reçu ne saurait rien revendiquer. Admirative, confiante, elle est prête à tous les recommencements. C’est le sens de l’invocation à la prière du Christ et de l’Esprit, dans la grande action de grâce de la première Règle : « Indigents et pécheurs que nous sommes tous, nous ne sommes pas dignes de te nommer ; accepte donc, nous t’en prions, que Notre Seigneur Jésus-Christ, ton Fils bien-aimé en qui tu te complais, avec le Saint-Esprit Paraclet, te rende grâce lui-même pour tout, comme il te plaît et comme il lui plaît, lui qui toujours te suffit en tout, lui par qui tu as tant fait pour nous. Alleluia ! » (1R 23, 5)
Fr. Luc Mathieu, ofm
SAINT ANTOINE DE PADOUE, LA NAISSANCE D’UN GRAND PRÉDICATEUR …
Né en 1191 ou en 1195 sans que l’on sache vraiment quand il vint au monde, peut-être d’origine noble apparenté à Godefroy de Bouillon[1], le prestigieux avoué du Saint-Sépulcre[2], était probablement un roturier lisboète. Né et baptisé Fernando, Antoine de Padoue demeure un saint illustre et légendaire célébré le 13 juin. Élevé par sa mère dans le culte de la Vierge Marie, il était animé d’une foi profonde. Le premier des nombreux miracles prêté au saint, survint alors qu’il était encore adolescent. Agenouillé sur les marches de l’autel de la cathédrale Santa Maria Maior de Lisbonne, le diable lui apparut. Le jeune homme traça alors une croix sur le sol afin de repousser le démon, croix toujours visible aujourd’hui. Encore jeune, en 1210, il revêtit l’habit des chanoines[3] réguliers de Saint Augustin au monastère Saint Vincent de Fora fondé en 1147 par le premier roi portugais Alphonse 1er. Puis, il rejoignit le monastère de la Sainte-Croix de Coimbra au centre du pays où il fut ordonné prêtre. Frère portier, il côtoya une petite communauté de Frères, venus d’Assise vivant pauvrement et prêchant l’Évangile. Installés à l’ermitage Saint Antoine, sur la colline d’Olivares, ils descendaient demander l’aumône au couvent. En 1220, impressionné par l’exposition des reliques de cinq missionnaires franciscains martyrisés au Maroc, il aspira à suivre leur exemple. Il rejoignit donc les frères mineurs, prit le nom d’Antoine, et, après avoir vainement cherché le martyre au « Pays du couchant », il tomba malade et, suite à une tempête sur le chemin du retour, échoua en Sicile[4] où il rencontra peut-être Saint François d’Assise. Âgé de vingt-six ans, il arriva donc en Italie où il vécut jusqu’à sa mort. Il participa au premier chapitre général de l’ordre, le « Chapitre des nattes »[5] qui se déroula à la Pentecôte de 1221, en présence de cinq mille frères. Lors de cette rencontre, il impressionna lesdits frères par ses qualités de prêcheur chrétien et il commença alors sa carrière de prédicateur populaire. Le Provincial de Romagne, Frère Gratien, l’envoya au Monte Paolo dans les Apennins[6], tant les frères prêtres étaient rares au sein de l’Ordre franciscain naissant. Il y trouva un lieu de silence, un « désert de l’esprit », mena une vie de haute contemplation propice à la familiariser avec le charisme franciscain.
Érik Lambert.
[1] Par son père, Don Fernando Martins de Bulhões. Godefroy appartenait à l’une de ces familles qualifiées par les contemporains de « très nobles et très illustres », ce que justifiaient une parenté royale et l’éclat de la vie de ses ancêtres. Le pape Étienne IX était son grand-oncle. Godefroy faisait partie d’un clan de ducs, comtes et évêques, d’un groupe aristocratique qui gouvernait la Lotharingie depuis 950 au moins. Il n’était que le second fils du comte Eustache de Boulogne et d’Ida, mais son oncle, le duc Godefroy le Bossu, connaissait sa valeur et, à sa mort en février 1076, il le désigna pour être son successeur à la tête du duché de Basse-Lorraine.
[2] Pour lui la Terre sainte, Jérusalem surtout, était propriété du Christ et donc du Siège apostolique, qu’il ne pouvait être lui-même qu’un gérant, mettant son bras au service de l’Église. Dans l’Empire germanique, l’avouerie, (En droit féodal, l’avoué -du latin advocatus– est un laïc chargé de défendre les intérêts temporels d’une abbaye ou d’un chapitre. Reste désormais le terme français d’avoué) garde et protection des Églises, se muait souvent en seigneurie, tout en maintenant le respect de l’autorité ecclésiastique.
[3] Les chanoines réguliers vivent généralement selon la règle de Saint Augustin. Les chanoines séculiers sont des clercs diocésains, membres d’un chapitre cathédral ou collégial, ou de certaines basiliques dont la fonction essentielle est de réciter l’office divin. Chanoine honoraire est un titre honorifique donné à certains ecclésiastiques. In, glossaire de l’Église catholique de France.
[4] Son bateau fut dévié par les vents sur la côte de Sicile où il rencontra les franciscains de Messine et se rendit avec eux au Chapitre général de 1221 et passa ensuite près d’un an en retraite au couvent de Montepaolo, pratiquement isolé du reste de la communauté. En 1221, saint François avait convoqué ses 5 000 frères à Assise, pour ce qui fut le premier chapitre général de l’ordre. On l’appela le « Chapitre des Nattes », car, faute de lits, les religieux avaient été contraints de dormir sur des nattes et des joncs.
[5] Son bateau fut dévié par les vents sur la côte de Sicile où il rencontra les franciscains de Messine et se rendit avec eux au Chapitre général de 1221 et passa ensuite près d’un an en retraite au couvent de Montepaolo, pratiquement isolé du reste de la communauté. En 1221, saint François avait convoqué ses 5 000 frères à Assise, pour ce qui fut le premier chapitre général de l’ordre. On l’appela le « Chapitre des Nattes », car, faute de lits, les religieux avaient été contraints de dormir sur des nattes et des joncs.
[6] Les Apennins sont des montagnes sauvages dont les sommets peuvent atteindre 2000 m. Chaîne longue de 1 200 kilomètres qui « coupe » l’Italie en deux. Le Gran Sasso (« grande pierre » en italien) culmine à 2912 mètres au Corno Grande. Ce fut en ces montagnes que Mussolini fut retenu captif. Le 12 septembre 1943, des forces spéciales allemandes composées de parachutistes dirigées par Otto Skorzeny parvinrent à le libérer. Skorzeny et le Duce s’envolèrent de manière spectaculaire dans un petit appareil de reconnaissance, un Fieseler Storch piloté par le pilote virtuose Gerlach. (opération Eiche ce qui signifie chêne en allemand). Les Apennins sont désormais le refuge du loup des Apennins (Canis lupus italicus)