Homélie de Mgr Rey lors des obsèques du comédien Michael Lonsdale

Dans le cadre de cette rubrique, nous avons souhaité pouvoir vous partager le texte de l’homélie prononcée par Mgr Rey, le 1er octobre dernier, lors des obsèques du comédien Michael Lonsdale qui avait su si bien mettre son art au service de sa foi…

La barbe mangeait le visage, les sourcils broussailleux et la chevelure blanche balayée en arrière, masquaient une pudeur flegmatique, un humour taquin et surtout une bienveillance qui le rendait disponible et attentif à tous, aux grands comme aux passants de la rue.
Mais que cachait cette voix singulière, à la fois si profonde, paisible et douce et dont la diction grave emportait les mots jusqu’aux tréfonds du cœur ?
34 ans d’amitié avec Michaël me convinrent d’une réponse que je n’aurais jamais pu improviser lors de notre première rencontre place Vauban, à son domicile.
Quelques jours avant son décès, à son chevet, face à ce corps endolori, de plus en plus gouverné par les impossibilités et que désertait peu à peu la vie, résonnaient les confidences entendues en amont, fruit de sa conversion : « Mon idéal est de rencontrer le Christ… La chose la plus chère que je possède dans ma vie, c’est l’amour du Christ… J’aimerais partir en paix. Je voudrais mourir en Dieu. Ce qui fonde ma confiance face à la mort, c’est Jésus. »
Michaël ne se contentait pas d’être un croyant affiché, un chrétien assumé, tant l’expérience de Dieu avait transfiguré sa vie, mais il laissait entrevoir à son contact que la beauté nous est intérieure, que notre propre vie doit devenir une œuvre d’art, sculptée par l’amour, pour réfracter en direction d’autrui une lumière qui nous brûle du dedans.
Son art aussi bien déclamatoire que pictural, ne faisait qu’exprimer une quête spirituelle qui enflammait son être profond. Comédien et plasticien, l’artiste se savait prophète. Prophète d’une transcendance qui passait par sa voix ou par son pinceau, et dont il ne voulait être que l’humble serviteur. Les éternels seconds rôles dans James Bond ou en endossant le personnage de frère Luc dans Des Hommes et des dieux, illustraient cette vertu d’humilité dont il était paré. Laisser Dieu passer devant soi était son leitmotiv.
« Le métier de comédien est un travail de passeur », disait Michaël après l’obtention de son César. Et d’ajouter : « je dois m’efforcer de transmettre la beauté en faisant entendre les mots d’un Autre ».
La beauté extérieure de l’œuvre se présentait pour lui comme un appât pour nous attirer et nous élever vers une beauté supérieure, une beauté incréée. Cette « beauté qui sauvera le monde », dont parlait Dostoïevski. Il nous a aidés à comprendre que l’art n’est qu’épiphanique. A peine esquissée, la clarté que l’on perçoit renvoie à une source lumineuse qui l’explique. Lui qui avait -selon ses mots- « horreur du copinage entre les comédiens », et se méfiait du show business et du star system, bannissait la vacuité des modes. Si le spectateur s’arrête à l’image, s’il la retient en se fixant sur elle, il en devient l’otage. Il devient idolâtre. La vocation de l’artiste, selon Michaël, est simplement de faire signe et de mettre en mouvement vers un au-delà de l’œuvre. Celle-ci s’efface dans le mystère qu’elle ébauche. Comme l’écrivait la philosophe Simone Weil : « La beauté séduit la chair pour obtenir sa permission de passer jusqu’à l’âme » (La pesanteur et la grâce).
Oui Michaël nous conduit à un art oblatif et qui porte une saveur pascale. L’achèvement de l’œuvre tient à ce que l’excès de lumière qu’elle porte ou des convictions qui l’habitent, appelle une ouverture à ce qui la dépasse.
Les philosophes antiques définissaient la beauté comme « la splendeur de la vérité ». Le peintre Matisse intuitionnait ce lien intime qui unit vérité et beauté lorsqu’il confessait : « toute ma vie je n’ai eu qu’un souci, non pas faire beau, mais faire vrai. » Une vérité qui n’est pas conceptuelle ou spéculative, mais que Michaël puisait dans les êtres ou dans les choses qu’il côtoyait, et qui avait pour arrière-fond le visage du Christ. Pour Michael, l’art n’avait pas seulement une fonction décorative ou divertissante, mais il avait pour tâche de rendre l’homme à lui-même à partir de sa source et de sa finalité, c’est-à-dire à partir de Dieu. Une telle perception de l’art refuse tout esthétisme.
Michaël n’était pas d’un côté chrétien et de l’autre artiste. Il était témoin et initiateur du Christ par et dans son art. Son attachement au Christ a été le creuset de sa vie et de sa création. Ses engagements successifs dans le festival Magnificat, la diaconie de la beauté, les groupes de prières et les sessions de Paray-le-Monial, soulignaient toujours son désir brûlant de témoigner de sa foi au travers de son talent.
En ce 1er octobre, l’Eglise célèbre Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. « Ma sainte préférée », avouait Michaël. Coïncidence ou Providence ? Le comédien respecté qui eut la chance de travailler avec Beckett, Duras, Truffaut… ; qui était capable d’entrer et de nous faire entrer dans des personnages si différents les uns des autres en fonctionnant à l’improvisation et à l’instinct…, se retrouvait parfaitement dans des chemins de l’enfance spirituelle que la jeune carmélite avait défrichés à Lisieux.
Cette enfance spirituelle ne ressort point de l’infantilisme puéril, mais procède d’une capacité d’émerveillement qui caractérise l’esprit de celui ou celle qui découvre la nouveauté de la vie… Cet esprit d’enfance offrait à Michaël l’audace d’arraisonner les plateaux de tournage et les planches de la scène tout autant que de gravir les chemins pentus de la foi avec désinvolture, innocence, et une infinie curiosité.
« Quand je me présenterai devant Dieu, c’est l’enfant que je fus qui me précédera. » écrivait Bernanos. « Dominique, je suis un grand enfant » me confiait encore Michaël lors de notre ultime tête-à-tête.
Chers amis, Michaël n’est plus devant nous. Il est en nous, dans notre mémoire et dans notre cœur. Il est surtout en Dieu. Celui qu’il a toujours cherché jusqu’au bout de lui-même, et parfois dans la nuit. Il fut sa passion. Il est désormais sa Paix.

La sobriété – 1ère partie : « Y a-t-il une sobriété heureuse ?»

La crise sanitaire de cette année 2020 nous a obligés à limiter ou à cesser une partie de nos dépenses. Ces restrictions que nous avons d’abord subies, par manque d’accès à toutes les offres multiples et variées auxquelles nous sommes habitués, peut-être avons-nous réussi, au fil du temps, à leur donner sens en redécouvrant ce qui se cache derrière des vocables comme « tempérance », « modération », « frugalité » … en un mot la « sobriété », si chère à notre pape François.
La sobriété évoque l’idée de privation volontaire, de refus d’une consommation débridée, de renoncement aux plaisirs et à l’agitation de ce monde. Alors, pour celui qui est sans cesse sollicité à consommer toujours plus ou pour celui qui vit dans l’extrême dénuement, laisser entendre que la sobriété peut être « heureuse », et conduire au bonheur, est difficile à concevoir.
Pierre Rabhi, pionnier de l’agroécologie, prône la sobriété heureuse « comme une sorte d’antidote à la société de la surabondance sans joie dans laquelle les pays dits développés se sont enlisés […] L’observation objective des faits met en évidence la nécessité absolue de placer l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations, ainsi que l’économie et tous nos moyens à leur service […] La sobriété, dans ce cas, devient facteur de justice et d’équité, mais cela nécessite obligatoirement de renoncer au modèle actuel. » (Pierre Rabhi, Vers la sobriété heureuse)

Que nous dit le pape dans Laudato Si ? « La sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière consciente, est libératrice. » (LS 223) « La spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir avec peu. C’est un retour à la simplicité qui nous permet de nous arrêter pour apprécier ce qui est petit, pour remercier des possibilités que la vie offre, sans nous attacher à ce que nous avons, ni nous attrister de ce que nous ne possédons pas. Cela suppose d’éviter la dynamique de la domination et de la simple accumulation de plaisirs. » (LS 222).

L’un comme l’autre affirment que nous ne pouvons continuer à épuiser ainsi les ressources de la Terre car il n’en va pas uniquement de l’avenir de notre planète, mais, de manière plus urgente, de l’avenir de l’homme. Nous avons développé un système dans lequel une infime partie de la population mondiale consomme, à elle seule, la presque totalité de ce qui est produit. Non seulement nous créons toujours plus d’inégalités et d’injustices, mais ce déséquilibre dans lequel nous nous sommes installés ne peut que conduire à des conflits et à des guerres. Les pays pauvres n’accepteront plus d’être les laissés pour compte de la mondialisation et les premières victimes d’un réchauffement climatique dont les pays riches sont en grande partie responsables.

Comme citoyens, nous pouvons faire le choix d’une certaine sobriété au quotidien, en interrogeant tous les aspects de notre vie : consommation, alimentation, habitat, travail, déplacements, loisirs, vacances, santé, en les analysant sous l’angle de l’utilité et de la nécessité, de la dépendance qui peut en découler, des conditions de fabrication (proximité, niveau de pollution, mais aussi droit du travail et droits de l’homme). Et, au final, nous y trouverons plus de joie que dans l’escalade sans fin de la satisfaction de besoins qui ne sont pas les nôtres mais ceux que l’on nous impose.
Comme chrétiens, nous pouvons découvrir combien la sobriété peut être heureuse car elle porte en elle la promesse d’un bonheur tout autre. François d’Assise en est la parfaite illustration : dans une société médiévale faisant la part belle aux marchands, au pouvoir des seigneurs et à la concurrence entre cités, dans un temps où l’Église vivait dans l’opulence et l’omnipotence, il a fait le choix radical d’un retour à la pauvreté évangélique. Non pas pour la pauvreté en elle-même, mais parce qu’elle est le seul chemin qui nous ouvre au Père et à la fraternité universelle. En se dépossédant de ses biens et de toute volonté de domination, François se fait le frère de toute créature, en particulier de la plus petite, la plus pauvre, la plus méprisée, et avec elle il peut rendre tous biens au Père, Lui qui est le seul Bien.

Cependant, ne soyons pas dupes, vouloir introduire plus de sobriété dans son existence, n’est pas si facile et suppose des remises en cause ou des renoncements. Si le pape présente cette attitude comme « libératrice », c’est parce qu’elle conduit immanquablement à prendre du recul sur tout ce qui mène ce monde mais l’écarte bien trop souvent du Royaume. Choisir la sobriété, c’est rechercher plus de simplicité et une certaine forme de pauvreté dans notre existence, c’est-à-dire renoncer à la toute puissance et accepter de tout recevoir comme un don. Or ce qui nous est donné n’est pas fait pour être amassé et retenu égoïstement, mais pour être partagé. C’est aussi réduire le temps que nous consacrons à nos chers écrans pour nous rendre plus disponibles à Dieu et à nos frères, pour vivre avec eux, non pas la communication, mais la communion…

Concluons en citant Mgr Colomb, qui écrivait dans sa Lettre pastorale, à l’occasion des 5 ans de Laudato Si : « Partout dans le monde chrétien des hommes et des femmes se sont levés pour rappeler l’essentiel : la recherche d’une vie simple, équilibrée, une vie tournée vers Dieu, tendue vers l’espérance du Royaume à venir et marquée par la fraternité et la solidarité envers les plus pauvres. Car l’essentiel pour le croyant n’est pas d’abord la sauvegarde de la planète. L’essentiel est de se tourner vers ce qui est éternel en usant de manière équilibrée de ce qui est transitoire. » (Vers une sobriété heureuse, 1er mai 2020)

P. Clamens-Zalay

Prière d’octobre

Prière d’Evangile

Par tous les pauvres de cœur qui te ressemblent, Seigneur,
que les humbles ne soient pas humiliés.

Par tous les doux qui refusent la violence,
que la terre devienne habitable pour tous.

Par tous ceux qui pleurent et qui mettent en toi leur confiance,
que vienne la consolation des malheureux.

Par tous les assoiffés de justice épris de ta parole,
que s’accomplisse la libération des opprimés.

Par tous les miséricordieux possédés de ton amour,
que brille la joie du pardon.

Par tous les cœurs purs, par tous les cœurs simples,
que le visage de Dieu se laisse voir sur la terre.

Par tous les artisans de paix animés de ton Esprit,
qu’apparaisse une terre nouvelle.

Prière d’EvangilePar tous ceux qui sont persécutés à cause de toi,
que vienne parmi nous le règne de Dieu.

Anonyme.

Un livre, un film

La disparue de Saint-Maur
Jean-Christophe Portes

J.C.PORTES, La Disparue de Saint-Maur,
Paris, City Poche, mai 2019, 8,50 €.

Paris en novembre 1791 ; tel est le cadre du roman historico-policier de Jean-Christophe Portes. Plongé dans les convulsions d’une Révolution qui s’emballe depuis l’arrestation de Louis XVI à Varennes, d’un pouvoir qui vacille et qui est à ramasser, des menaces qui grondent aux frontières ; le jeune Victor Dauterive se lance dans une nouvelle enquête. L’officier de gendarmerie essaie de découvrir pourquoi Anne-Louise Ferrières, fille d’une famille noble désargentée, a disparu. Tout serait simple s’il n’était aussi sollicité par le marquis Gilbert du Mortier de La Fayette, de retour de ses terres auvergnates de Chavaniac, afin de discréditer Jérôme Pétion lancé à la conquête de la mairie de Paris.

Deux histoires distinctes sans lien entre elles si ce n’est Dauterive. Le lecteur attend qu’elles se rencontrent mais J.C.Portes profite de l’une pour dénoncer les turpitudes d’une société hiérarchisée d’Ancien Régime peu soucieuse de la condition féminine, et de l’autre pour évoquer les menaces qui pesaient sur la nouvelle France. Le gendarme affronte de multiples dangers, aidé par une intrépide Olympe de Gouges.
L’ambiguïté d’Orléans et de François Sergent, le clin d’œil aux Genevois Mallet, les intrigues d’une monarchie acculée, les affrontements au sein des factions révolutionnaires constituent le décor !

L’auteur a le souci de décrire ses personnages et la générosité d’en proposer une mince biographie en début d’ouvrage. C’est d’une Révolution dont il s’agit ; un changement des élites qui nourrit rancoeurs et appétits.

Ce roman a l’ambition d’être historico-social. Alexandre Dumas a offert à Portes une espionne : Lady Arrabella Winter et Eugène Sue lui a suggéré les enfants miséreux, abandonnés des Mystères de Paris*. L’auteur s’attache à présenter la capitale française et Londres à la fin du XVIIIème siècle. On comprend que les distances entre « la ville lumière », ainsi qualifiée depuis que Nicolas de la Reynie eût installé des lanternes et des flambeaux dans beaucoup de rues et demandé aux habitants d’éclairer leurs fenêtres à l’aide de bougies et lampes à huile, et ce que nous appelons désormais la banlieue**, étaient longues à parcourir…point de RER. Le héros avale les kilomètres, affronte les périls, subit cachot et tortures ; est menacé, se fait tirer dessus et tout cela en 560 pages ! On découvre aussi les doutes qui animent le héros sur cette Révolution qu’il appelle de ses vœux tout en craignant les excès qu’elle semble porter. Avec Dauterive, on perçoit ce que les sentiments humains peuvent amener à faire : jalousie, ambition, envie,…

Sur la forme, on peut regretter des fautes de frappe voire les erreurs orthographiques. On peut déplorer l’utilisation de termes adaptés à l’époque côtoyant d’autres qui paraissent très anachroniques. On décèle des entorses à la chronologie des événements, des opinions personnelles que l’on pourrait discuter sur la manière dont sont évoqués les événements de cette année 1791. Que ce soit le décret contre les prêtres réfractaires, la pression des émigrés, le décret d’Allarde abolissant les corporations au nom de la liberté d’entreprendre ou la loi Le Chapelier interdisant la reconstitution de toute association professionnelle de patrons et de salariés. Quant au fond, l’apparition fugitive d’une femme aperçue dans l’atelier de David n’apporte pas grand chose à l’intrigue, à moins que dans de prochaines péripéties, …
Mais soyons indulgents, le roman historique n’a d’autre ambition que de nous permettre d’entrer dans l’intimité d’une époque, d’imaginer ce que vécurent les gens d’alors, petits et puissants. Ce n’est pas Dumas, mais c’est épique. Les deux intrigues sont un peu convenues et le dénouement alambiqué mais on se laisse entraîner dans cette aventure échevelée qui ne fut qu’une parenthèse. En effet, Farcy court toujours et on se demande si Victor parviendra à le rattraper en 1792, année qui marque la fin d’un monde.

Un livre agréable à lire, d’autant plus que vous serez peut-être tentés de lire les trois autres aventures du ci-devant Victor Brunel de Saulon, chevalier d’Hauteville.

* « Ce 16 novembre 1717, a été ramassé un garçon nouvellement né, trouvé exposé et abandonné dans une boîte de sapin blanc exposé dans le parvis de Notre-Dame, sur les marches de l’église Saint-Jean le Rond, que nous avons fait à l’instant porter à la Couche des Enfants Trouvés pour y être nourri et allaité en la manière accoutumée ». Ce bébé baptisé le lendemain sous le nom de Jean le Rond, ce fut …d’Alembert.
** Banlieue, Au Moyen Âge, banlieue désigne la distance d’une lieue où les habitants vivent sous la même autorité, où s’exerce le droit de ban.


Erik Lamert


La Femme des steppes, le Flic et l’œuf
Wang Quanan

Sur l’océan d’herbes roussies par le vent et le gel navigue une bergère tout emmitouflée, bien calée entre les deux bosses de son chameau asiatique, ou juchée haut sur son petit cheval, comme un centaure, son fusil d’un autre âge à portée de main, si quelquefois elle croisait un loup (dans ce pays, il ne pourrait être que solitaire, comme elle). La femme des steppes suit des pistes invisibles, ou visibles à elle seule et aux êtres qui vivent dans l’intimité de la plaine immense : des animaux, moutons, chevaux, et de rares hommes, selon des parcours rectilignes, comme l’inexorable horizon. Des histoires de vie et de mort naissent et finissent aux croisées de ces droites patientes ; elles se révèlent tantôt fertiles et joyeuses, tantôt tordues par les hasards, effacées par les pièges du temps. La naissance, la vie, le travail, la langue, la musique, l’amour, la mort, tout est rudimentaire, comme une ascèse, un équilibre fondé sur l’essentiel, sur une émotion qui ne fait pas de sentiment, sur l’obstination à parcourir son propre destin.
Les acteurs n’en sont plus, tellement ils portent en eux leur humanité universelle et la vérité de leur terre mongole ; ce n’est pas une moto, une voiture, une radio qui chante Elvis Presley ni la lointaine Oulan Bator qui les compromettra. Pour l’instant, car qui sait ce que l’avenir réserve. Il est encore contenu dans un œuf de dinosaure, dans le désir d’enfant d’une bergère, dans le corps d’un jeune flic ingénu, dans les attentions d’un proche, dans un couple formé malgré lui et celui qui tarde à s’accomplir dans son évidence.
La caméra discrète cadre le plus souvent des plans larges qui laissent deviner l’immensité tout entière ; et quand l’objectif se resserre sur l’intimité de la yourte, du poêle ou d’un feu de camp, on n’oublie pas l’infini dans laquelle toute vie, si minuscule soit-elle, se déroule.
Le film ne repose pas sur une intrique policière ou sociétale, ni sur le charme apprêté d’acteurs connus et reconnus, encore moins sur les effets spéciaux ; il n’est pas soutenu par le mode d’emploi émotionnel d’une musique envahissante ou par d’autres artifices spectaculaires. Il est tout en recherche de vérité et de simplicité, et il élève tout ce qu’il montre à la dimension symbolique. En un mot, c’est une œuvre d’art, et c’est devenu suffisamment rare pour se précipiter au cinéma prendre ce bain de nature et d’humanité.

Jean Chavot

Pardons d’Assise (2/2)

Le comité de rédaction a souhaité partager avec vous l’homélie du frère Michael Perry, ministre général de l’Ordre des Franciscains, pour la fête du pardon, le 2 août, à la basilique Notre Dame des Anges – la Portioncule. Texte toujours d’actualité.
Comme elle est un peu longue, nous la publierons en deux parties.
Bonne lecture, et peut-être bonne méditation.


PS : Les chiffres donnés datent du début août. Ils ont fait un bond faramineux depuis.

Comme membres d’une fraternité cosmique toutes les créatures partagent la même vocation et dignité donnée par Dieu – Suite de l’homélie du Ministre Général pour la fête du Pardon d’Assise

Frères et sœurs, l’appel au repentir et à la conversion, afin d’ouvrir nos esprits, nos cœurs et nos vies à un nouveau mode de vivre ensemble sur cette planète est aujourd’hui plus urgent qu’à n’importe quel autre moment de l’histoire humaine. La conversion exige que nous écoutions « autant le cri de la terre que le cri des pauvres ».  (cf. Pape François, Laudato si,  par. 49) Mais ce n’est pas encore ce qu’entendait François d’Assise quand il priait pour que toutes les personnes et, j’ajouterai, tout l’univers créé puissent être admis au paradis. Il s’agit de faire l’expérience de ce que saint Matthieu appelle « un style de vie des Béatitudes » (Mt 5, 1-11) et la vivre dans une bonne et juste relation réciproque entre nous, et avec toute la création.

Aujourd’hui nous arrivons dans cet espace sacré de la Portioncule, un lieu de prière, de rencontre, de pardon, de miséricorde et d’amour. Dieu nous a conduits ici afin d’entrer plus pleinement dans le drame divin de l’acte rédempteur de Jésus, de libération du péché. Le pouvoir de réconciliation de la croix nous invite à chercher la voie du retour vers Dieu, vers l’autre, vers nous-mêmes, et vers la création. Nous venons comme frères et sœurs, en portant dans nos cœurs, dans nos esprits et dans nos corps, toute créature vivante, afin que tous puissent participer au pouvoir libérateur de l’amour de Dieu qui réconcilie. Comme dit Saint Paul : « Nous savons que toute la création gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement ; elle n’est pas la seule, mais nous aussi qui possédons les prémices de l’Esprit nous gémissons intérieurement, attendant l’adoption filiale, la rédemption pour notre corps ». (Rm 8, 2-23) L’acte même de cette adoption, cette démarche de rédemption, n’est rien d’autre que la pleine réconciliation de toutes choses dans le Christ Jésus, obtenue par la mort de Jésus sur la croix (Col 1,20). C’est ici que convergent le témoignage de Saint Paul et celui de François qui nous offrent une voie nouvelle pour faire l’expérience des conséquences de la grâce d’une vie réconciliée. 

Dans son Cantique des Créatures François nous indique la route pour rejoindre une vie de Béatitudes, de Paradis retrouvé. Dans le Cantique, François célèbre la présence amoureuse de Dieu dans toute la création. Il contemple la nature comme un guide sur lequel nous devons modeler nos rapports avec Dieu, entre nous et avec le monde naturel.

Il reconnait dans la création – Frère Soleil, Sœur Lune et tous les autres éléments, l’appel à vivre en totale dépendance du Créateur. Il nous invite à ouvrir notre vie à une compréhension de notre identité authentique comme membres d’une « fraternité cosmique » où toutes les créatures partagent la même dignité et vocation donnée par Dieu depuis le moment de la création. Cette unique fraternité, cette maison commune a été créée par Dieu avec la vocation d’aimer, de servir et d’honorer le Créateur en s’aimant, en servant et en s’honorant les uns les autres. Les êtres humains et le monde créé ont comme vocation le devoir de se soutenir et de se compléter mutuellement, non pas de s’opposer et se détruire mutuellement. Nous sommes coresponsables les uns des autres, surtout des pauvres et des exclus. Nous sommes coresponsables de la vie de l’habitat naturel, en démontrant de la gratitude et respectant les limites de la nature sans pousser la planète sur la rive du désastre écologique. 

« Venez à moi vous qui me désirez et rassasiez-vous de mes fruits. Car mon souvenir l’emporte en douceur sur le miel et ma possession sur le rayon de miel. » (Sir 24, 18-19) Ces mots de consolation nous offrent l’espérance que Dieu sera toujours miséricordieux, qu’il nous accueillera toujours à nouveau, pour loin que nous dévions dans nos vies, et peu importe combien nos communautés humaines sont éloignées de la pratique de l’amour, de l’attention, de la justice et de la miséricorde envers chaque être humain et envers le monde naturel, notre maison commune.

Frères et sœurs, Dieu nous appelle à travers cette grande célébration du Pardon d’Assise, à abandonner tout ce qui porte à la mort, tout ce qui nous vole la miséricorde, le pardon, la paix et la joie de Dieu. Nous sommes invités à vivre comme des fils aimés par un Dieu amoureux, destinés à la liberté, destinés à l’amour, destinés à Dieu. Il n’y a pas d’espace pour la peur, il n’ya pas d’espace pour l’exclusion, il n’y a pas d’espace pour l’apathie ou l’inaction. Au Paradis, en Dieu, tous sont bienvenus, tous sont pardonnés et tous sont aimés. 

Que Marie, Mère de Jésus, nous embrasse et nous console alors que nous renouvelons ensemble notre engagement à vivre une amitié authentique avec Dieu, les uns avec les autres et avec notre mère terre, notre maison commune. 

Frère Michael Anthony Perry, OFM
Ministre et Serviteur

L’AVEUGLE-NÉ (CHAP 9, 1-41) 2ème partie

L’itinéraire d’un croyant, ou comment un aveugle vient à la lumière

1. Le miracle est rapidement signalé, mais 2 choses sont à noter :
➢ La boue sur les yeux rappelle le geste créateur (Gn. 2, 7). 
➢ Durant la fête des Tentes, on puisait l’eau, symbole des bénédictions messianiques, à la piscine de Siloé, mot qui veut dire « Envoyé ». Les bénédictions viennent désormais par Jésus. 

2. La progression vers la foi, chez l’aveugle, est caractéristique. Regardons les étapes :
➢ v. 7 : la confiance en un guérisseur. L’aveugle ne demande rien, mais il obéit (Va te laver à la piscine de Siloé… et il y va).
➢ v. 17 : « C’est un prophète » : un homme de Dieu, un Envoyé.
➢ v. 32 : Cet homme est plus grand que tous les prophètes : « Jamais on n’a ouï dire que quelqu’un ait ouvert les yeux d’un aveugle de naissance ».
➢ v. 34 : La persécution pour sa fidélité envers son bienfaiteur : « Ils le chassèrent » (de la synagogue cf. v. 22). 
➢ v. 35 : « Crois-tu au Fils de l’homme ? »
➢ v. 38 : « Je crois, Seigneur », et il se prosterna devant lui (titre + adoration réservés à Dieu).

Le procès à Jésus, ou comment des endurcis s’enfoncent dans la cécité.

L’accusé principal, Jésus, est absent et on le juge par personne interposée, l’aveugle-né guéri, avec sentence d’excommunication. 

Déroulement du procès :
➢ Enquête des voisins et des badauds : le fait (9), le comment (10), le qui (12)
➢ Interrogatoire par les pharisiens : ils sont divisés
➢ Audition des parents : connaissant le monde religieux, ils restent sur leur garde – ils ne veulent pas d’histoire
➢ 2nd interrogatoire par les pharisiens : le miraculé est plus hardi 
➢ Sentence d’excommunication : exclusion de la synagogue

Les griefs officiels :
➢ Jésus a violé le sabbat
➢ Il laisse donc entendre que Moïse n’est pas l’absolu
➢ Il laisse croire aux gens qu’il pourrait être le Messie (22)

Les griefs cachés :
➢ Jésus ébranle leur savoir sur Dieu. Ce miracle brouille tout. Les pharisiens savent que Dieu a parlé à Moïse ; ils savent donc que Dieu est pour le sabbat et qu’il ne peut pas approuver ce guérisseur. Par conséquent Jésus est un pécheur (24).
➢ Or ils savent aussi, et certains parmi eux l’avouent, qu’un pécheur ne pourrait pas obtenir de Dieu d’opérer de tels miracles. S’il en opère, c’est que Dieu est avec lui !
➢ Du même coup, Jésus ébranle leur autorité sur les observances et les conduites, sur les jugements concernant les personnes, sur le droit d’appartenir à une communauté juive ou d’en exclure. Qui alors discernera les justes et les pécheurs ?
➢ Jésus, par son obéissance à la volonté de Dieu, et la caution que Dieu semble lui donner dans ses pouvoirs miraculeux, dispute en fait aux Pharisiens le pouvoir d’autorité, et s’apprête à exercer lui-même le « jugement » qu’ils se croyaient seuls habilités à porter.
 

  Le « jugement » opéré par Jésus 

La rentrée en scène de Jésus provoque un renversement de situation : Jésus, l’accusé principal, devient tout à coup le Juge : 

➢ Il proclame l’acquittement et le ‘salut’ de celui que les juges précédents viennent d’excommunier (35-38)

… le salut, c’est de croire à la condition divine de Jésus. 

➢ Il constate, à l’inverse, que les ‘bien-pensants’ qui font autorité et s’affichent comme maîtres de vertu sont en réalité des ‘pécheurs’ (41)

… le péché, ici, c’est le refus de croire en la relation toute spéciale de Jésus avec Dieu. Ce n’est donc pas pour rien que Jésus avait envoyé l’aveugle se laver à Siloé, puisque Siloé, note saint Jean, signifie ‘Envoyé’.

L’enjeu de ce récit, comme ailleurs, est la véritable identité de Jésus.

A noter que pour les premiers chrétiens, l’histoire de l’aveugle-né est une illustration du baptême. C’est la troisième portée symbolique du signe.

Avec la crise, qu’est ce que nous découvrons ?

Le covid 19 marque encore notre quotidien et nous découvrons un horizon nouveau. Au fur et à mesure que nous avançons, nous constatons notre fragilité. Nous « tutoyons » la mort de plus près, les projets personnels ou collectifs disparaissent, comme un horizon qui recule de jour en jour. L’ignorance sème la confusion dans les cerveaux les mieux informés habituellement : «Je ne sais pas vous dire » ou « Nous n’avons pas de réponse satisfaisante ». De nouvelles manières de vivre donnent de nouveaux points de repère et laissent quand même deviner la face cachée d’ouvertures possibles… Du nouveau et de l‘ancien coexistent. Le réflexe du « Sauve qui peut » laisse place peu à peu au souci des « petits et des fragiles». 

Avec François d’Assise, que nous fêtons le 4 octobre, resurgit le mode de vie de cet homme qui, au milieu d’un monde en crise, plaça un lépreux au centre de ses relations. Le baiser qui sauva la vie de deux hommes que tout séparait  y fut pour beaucoup : la sécurité de vie de l’un et le mépris subi par l’autre introduisent une ouverture inattendue et inespérée ! L’Evangile retrouve sa vraie place. Ce baiser change tout et pourtant cela ne change rien collectivement. Dieu n’est pas tout-puissant mais donne sens et cela appelle à un combat nouveau pour l’humanité. C’est en vain que nombre d’entre nous se tournent vers Dieu, en lui reprochant son absence et son silence, mais  il existe une nouvelle « apparition » de Dieu dans  une proximité humaine et cette infinie patience qui le caractérise.  Que s’efface de notre esprit cette pensée du «  tout, tout de suite. » La vie est une succession de crises avec des morts et des naissances. Quand François nomme notre sœur la mort, il s’inscrit dans cette logique nouvelle d’une vie transformée. Dieu, invisible et présent, n’est pas le Dieu des morts mais le Dieu des vivants.

​ La crise que nous traversons mérite débat dans la dimension économique de l’existence et met en lumière la place de l’argent, non pas comme pouvoir de domination ou d’échange, mais comme solidarité et don. C’est aussi une vision de la pauvreté de François d’Assise qui n’est pas validée par la richesse accumulée mais par le pouvoir envahissant de  l’amour, pour sauver  la vie. Depuis l’arrivée du Covid 19, nous avons aussi pris conscience de la force de l’imagination qui est une forme imprévisible de l’Amour. Et nous découvrons aussi que l’avenir ne se limite pas au passé comme modèle, fut-il glorieux. La normalité trouve sa vraie place dans l’avenir et non dans le souvenir. Quand un enfant traverse sa crise d’adolescence, nous ne considérons pas que l’idéal est dans son enfance mais nous attendons que la crise, en se développant, produise un adulte responsable. La normalité attendue est dans l’avenir quand l’humain retrouve la création comme don, pour la re-construction de notre « maison commune ». Heureuse crise qui nous ouvre les yeux. En tout, nous pouvons  retrouver la « bonne distance» qui peut nous sauver.

Fr. Thierry Gournay