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Dans les liens de la foi

Il est des mondes intérieurs que la seule conscience ne peut décrire. À peine effleurer. La conviction d’une habitation profonde, d’une confiance en ce qui ne peut se dire avec des mots, en un Verbe créateur, ce « souffle » de vie permanente : tout cela fait partie de l’indescriptible. La foi. Trois lettres alignées, à l’image de la Trinité. La fidélité, l’oreille attentive du divin, l’intime.

En tant que déiste, j’ai toujours été admiratif, et le reste, de ces êtres capables de se fondre dans cette conviction située au-delà du tangible. Dans leur capacité à croire sans se défaire de l’humain. Jusqu’à rayonner parfois en dehors de leur enveloppe corporelle. J’ai, par exemple, le souvenir de déjeuners parmi des moines bénédictins, dans le silence juste ponctué d’une lecture d’un ouvrage d’Alain Decaux sur Paul. Ou de sœur Rébecca, des Fraternités monastiques de Jérusalem, à Paris. Nous avions rendez-vous dans le cadre d’une enquête que je menais sur le monde (justement) monastique. À l’église Saint-Gervais-Saint-Protais, j’ai été saisi par la simplicité intense de leur liturgie, mixte par ailleurs. Et lorsque, l’office terminé, je me suis approché de sœur Rébecca, elle s’est retournée. Son visage rayonnait d’une beauté spirituelle fascinante. Comme si tout en elle était habité d’une lumière à la fois intense et apaisée, sans cesse en mouvement tout en étant dépouillement. Un Buisson ardent personnel. De même les frères et les autres sœurs qui l’entouraient. Comment étaient-ils parvenus à cette grâce, puisqu’il s’agissait bien du divin ? Au repas qui suivit, également dans le silence, la réflexion que m’avait faite un moine de l’abbaye Notre-Dame d’Aiguebelle m’est revenue : « Il faut plusieurs vies pour devenir moine. » Plusieurs vies…

Une autre interrogation intervient de manière récurrente. La foi peut-elle se transmettre, notamment par l’éducation, l’environnement culturel, la tradition ? Et les rites suffisent-ils à l’entretenir ? Aucune réponse n’est satisfaisante. Cette habitation est tellement personnelle. Tout individu la vit de façon distincte. Dieu ne s’adresse-t-il pas à tous, et à chacun en particulier ? Les cas de conversion, puis de vocation, sont très nombreux, à l’image de Max Jacob, et de bien d’autres.
Ensuite, lorsque l’on est croyante, ou croyant, où peut-on se situer ? Ici intervient la conscience et le choix individuels conduisant à un engagement. Ainsi que la notion de « religion », ce qui unit, crée un lien autour d’une foi, de textes sacrés et fondateurs, d’une organisation – parfois hiérarchique. En tant qu’historien (précisément encore) des religions, je demeure fasciné par leur capacité à fédérer, que l’on soit juif, chrétien, musulman, c’est-à-dire des frères qui partagent le même Dieu au sein d’une formidable diversité ; hindouiste, bouddhiste, etc. Aussi, si nous laissons de côté le passé et ses errements, ses drames, ainsi que la manipulation au profit d’une radicalisation dont la religion n’est qu’un prétexte politique, que nous reste-t-il ? À revenir sans cesse aux racines, à l’essentiel, aux fondements de chaque religion. Si nous prenons les monothéismes : « Dieu est avant tout un créateur qui, par conséquent, tient à ce qu’il crée, en l’occurrence l’univers, les êtres vivants. Il les entoure d’amour paternel, de protection, de grandeur. En retour, juifs, chrétiens et musulmans s’engagent à vivre leur foi dans le respect de ces préceptes de charité et de fraternité. » Cet extrait est tiré de l’avant-propos du Dictionnaire de Dieu, à paraître en septembre 2023. Ce livre explique simplement, en mille notices, ce que sont ces trois « fois », ou croyances. Parce que l’Homme a toujours ressenti le besoin de « croire », et, lorsqu’elle est d’essence spirituelle, de structurer sa croyance, depuis les premières inhumations identifiées, il y a cent mille ans environ. Parce que, fidèle ou non d’une religion, nous ressentons et ressentirons toujours ce besoin, cet appel. Savoir, comprendre, expliquer, transmettre, restent des actes fondamentaux.

Pierre

Questions de foi

L’athéisme, je suis tombée dedans dès ma naissance. C’était une évidence, Dieu n’existait pas et nous n’en parlions pas. Enfant, malgré une absence totale d’éducation religieuse, j’adorais aller à la messe du village vendéen où je passais mes vacances. Les chants, les odeurs d’encens, le sermon du prêtre auquel, pourtant, je n’entendais rien, me fascinaient. Je me sentais bien entourée par une foule harmonieuse et en communion. Lorsque les cloches retentissaient, j’enfourchais mon vélo pour répondre à cet appel irrésistible qui me donnait des ailes.

Puis, j’ai grandi et suis devenue une jeune femme très éloignée de la religion, quelle qu’elle soit, et opposée à tous ses préceptes. Pourtant, je me suis mariée à l’église. La famille de mon compagnon était très croyante et nous avons trouvé un compromis pour la cérémonie religieuse : une bénédiction. Nous avons rencontré le prêtre, un homme respectueux de nos attentes et freins respectifs, large d’esprit et sans jugement. Il m’a rassurée et a marqué ce jour par sa bonté.

Les années ont passé et les interrogations et les doutes sont, petit à petit, apparus. Lors d’épisodes de désarroi, je suis allée prier, brûler un cierge et me fondre dans l’atmosphère apaisante et silencieuse d’une église.
Pour autant, je n’imagine pas me convertir à une religion car bien des aspects me repoussent. Particulièrement les règles qui, pour certaines, me paraissent contraignantes, obscures voire absurdes.

Il m’arrive de penser qu’une force existe et nous dépasse. Est-ce cela croire en Dieu ? Mais, s’il est omnipotent, omniprésent et omniscient, pourquoi ne fait-il rien face aux injustices, à la pauvreté, à la destruction de notre monde ? L’être humain est-il donc seul face au bien et au mal ? Le choix lui appartiendrait-il entièrement ? Peut-être, Dieu vit-il et agit-il à travers nous et toute sa puissance prend-elle corps à travers nos actions ?

Nous vivons une époque troublée et inquiétante où la lutte éternelle entre le bien et le mal est intense. Je nourris l’espoir que nous, êtres humains, fassions preuve de sagesse et d’humilité et, si Dieu existe, qu’il nous guide sur la bonne voie.

Sophie

Une idée de la foi

Ma foi concerne le destin plutôt que Dieu lui-même. J’entends par foi en mon destin, la foi en la justesse de l’horizon singulier qu’il me tend. J’ai foi en mon destin, car j’ai foi en ma capacité de l’honorer, bien qu’il soit possible d’échouer à la poursuite de sa destinée. Même si je pense que les choses sont en partie écrites, je pense aussi que chaque humain est responsable de la bonne réussite de sa quête, et qu’une partie de la quête est de réunir les biens et les moyens pour finir de l’accomplir. Je pense aussi que devant les forces du destin se dressent les forces de notre propre poussée vers la mort, qui nous feraient mourir avant l’heure. L’humain doit donc se battre contre cette poussée qui le fait dévier de sa destinée. Pour s’assurer de maintenir le bon cap, il doit prendre pour guide le désir profond de répondre aux questions qui le traversent, c’est-à-dire affronter la vérité.

Au fond, foi, désir et destin se confondent, en tant que notre désir est sûrement fait pour nous mettre dans la bonne voie, et qu’il est sûrement la source de notre foi. Encore faut-il écouter ce désir fondamental, souvent aliéné, détourné, refoulé, par la honte, la culpabilité et les souffrances rencon-trées depuis la naissance. C’est pourquoi il faut guérir de ses blessures pour prendre la bonne route. Avoir foi en son destin exige de chacun qu’il prenne soin de lui.

Mais il y a encore autre chose qui rend difficile cette quête de sa destinée. C’est que ce désir doit lui-même être écrit, et donc que le sujet du désir soit dans l’annuaire. Ce cheminement est long, et dépend de cette même inscription de ceux qui l’ont engendré. Le père et la mère s’unissent dans les lignes du destin, et l’enfant reconnu par le père dont il porte le nom, recevra de lui la plume. Mais le père n’est pas toujours en mesure de cette transmission, et il est à la charge du sujet de trouver le maître qui lui remettra la plume. C’est à la suite de cette introduction qu’intervient Dieu pour le nou-veau sujet.

La figure de Dieu recèle différents visages pour chacun, mais si quelqu’un écrit, il semble que ce soit bien lui. Pour advenir, notre désir doit donc rencontrer Dieu qui l’intégrera à ce qui est écrit. C’est ainsi que notre désir, est aussi le désir de Dieu.

Théodore Chavot

Dieu, la foi et moi !

La foi, je lui ai tourné le dos, car je n’en suis pas digne, je ne la comprends pas, et je ne veux pas finir ma vie dans un monastère. Voilà d’où je viens.

Pour moi, la foi est réservée à un petit nombre d’élus, de personnes hors du commun prêtes à donner leur vie à Dieu. Elles portent soutane et vivent dans des églises, des monastères, des lieux de recueillement, froids et silencieux.

La foi avec un petit « f », je ne l’envisageais pas. J’ai découvert son existence grâce à un ami qui en parle peu mais qui vit avec elle. Quand il l’évoque, je suis à chaque fois étonnée. C’est vrai, me dis-je, elle est là, en lui, un trésor caché qui lui fait regarder, ressentir, humer les choses, les êtres et le monde différemment.

Pourtant, il a l’air tout à fait normal ! Son comportement, son habillement, son lieu de vie, rien n’indique cette différence que je soupçonne fondamentale. Il ne s’est pas retiré du monde des vivants. Ces vivants, comme moi, qui courent après des chimères et s’enfoncent dans la frivolité comme dans une guimauve sucrée. J’observe toutefois dans sa manière de vivre quelque chose d’extrêmement mesuré et une grande sobriété.

Une foi qui ne se voit pas, ne s’entend pas, ne se repère pas avec le nez, comment la trouver ? Et où apprend-on à avoir la foi ? Nulle part. Décidément, je ne sais pas ce que c’est et je suis navrée de ne pas avoir la foi. Je n’arrive même pas à l’imaginer. Pourtant je suis dans une quête spirituelle. Le yoga, la méditation sont pour moi d’éventuelles portes d’entrée vers une vision plus large, plus claire, plus juste et plus aimante de notre humanité. Assise en tailleur, les yeux fermés j’ai une conscience forte de mon appartenance à ce monde extraordinaire et je rêve de fusionner avec lui. Mais j’ouvre les yeux et tout disparait.

Alors comment ça vient ?
Peut-être au seuil de la mort, pour se réconforter face à cet inconnu.
Peut-être en s’intéressant aux étoiles, aux fourmis, à la terre, aux coquelicots. Peut-être en portant un regard « béat » sur la beauté du monde et son immensité.
Peut-être en s’oubliant ? En se fondant dans cet impensable merveilleux ?

Comme dit mon ami qui a failli mourir, quand on part, tout reste. Et je me dis, quand on part on reste aussi, mais différemment. Là, sûr, je ferai partie du grand tout, les yeux définitivement fermés.

Isabelle Bal

La foi, un tout petit mot, un sujet inépuisable.

En relisant mon parcours, j’ai découvert que ma vie de foi se divisait en deux périodes très distinctes. Il y a eu un avant et un après.
Un avant semblable à celui de beaucoup de chrétiens. Née dans une famille croyante et pratiquante j’ai suivi une route qui, au départ, s’est imposée à moi mais qui me plaisait : école religieuse, scoutisme, retraites spirituelles, engagements sur ma paroisse,… Je me suis mariée et ma foi a commencé à évoluer : plus d’engagements, des formations, un mari devenu diacre. C’était toujours la même certitude, Dieu existe mais il restait tout de même très lointain et inaccessible.
Et puis un après. Lionel se tue à moto et tout bascule. Je me retrouve seule avec ma douleur. Tout s’écroule, je me sens vide, bancale, inutile. Seul l’amour de mes enfants et leur propre souffrance me forcent à tenir debout. Certes il y a aussi la présence des amis mais il me manque quelque chose.
Alors commence un long chemin de reconstruction et peu à peu je prends conscience que ce vide intérieur qui m’a envahie est habité. Je me mets à l’écoute, je sonde mon cœur et je sens enfin que le Seigneur est là, blotti au plus profond de moi. Il m’attend. Je me laisse apprivoiser, je suis en confiance, je m’ouvre librement et peu à peu je m’apaise. Il est la réponse à ce manque, à cette absence que je n’arrivais pas à définir. Il devient mon compagnon de route.
Avec le temps, je suis moins active mais ma foi s’est fortifiée. Elle est devenue plus personnelle, plus intime. Elle s’est incarnée.

La foi, un tout petit mot dont les racines s’étendent à l’infini, un tout petit mot débordant d’espérance et de charité.

Marianick

Bonne nouvelle !

Seigneur, j’ai regardé le monde. Seigneur, j’ai regardé les hommes. Et j’ai vu la misère des pauvres. J’ai entendu leur silence. J’ai vu tous ceux qui ne comptent pour personne. J’ai vu ces enfants abandonnés par leurs parents et ces parents abandonnés par leurs enfants. J’ai vu tous ceux qu’on rejet¬te, ceux qu’on méprise, ceux qui travaillent sans même avoir un mot à dire, sans avoir une responsabilité à prendre. J’ai vu toutes ces cohortes de jeunes qui cherchent désespérément un sens. Et, j’ai vu aussi la foule des meurtris et des résignés…
Seigneur j’ai vu aussi les guerres et le sang des guerres. Et j’ai entendu comme une rumeur de grandes eaux. J’ai entendu le silence des pauvres et Ta colère, car Tu es Père et ce sont tes propres enfants qui sont là devant nous. Dans leurs cris, comme dans leurs silences, j’ai entendu ton appel insistant : EGLISE, SOIS BONNE NOUVELLE !…

Seigneur j’ai regardé le monde. Seigneur j’ai regardé les hommes. Et j’ai vu aussi la joie de ceux qui s’aiment, la joie d’un couple accueillant un enfant, la joie d’un homme devant sa création. La joie d’un jeune devant toutes les capacités de vie qui s’éveillent en lui. J’ai vu des visages s’éclairer quand fleurit le pardon. J’ai vu des mains s’ouvrir pour que triomphe la vie. J’ai entendu des poèmes faire danser les années…
Et j’ai perçu encore dans la joie et l’espérance des hommes, encore et encore ton appel insistant : Eglise sois BONNE NOUVELLE

WANTED

Il dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » et cela, depuis longtemps, me fait violence… Je le trouve arrogant, radical, exclusif, excluant. J’ai avec lui de ces rapports adolescents dans les¬quels on est toujours trop : volubile ou complètement fermé, boudeur, adorateur, accusateur. Ses excès m’excèdent, j’y réponds par les miens. Il dit qu’il est la vie, la vérité, le chemin.

Il dit qu’il est la vie, la vérité, le chemin, et cela me fait violence.

Devant tous ceux que j’aime, je m’oppose ; devant toute grandeur, je me cabre. J’éprouve. C’est cela ou fonctionnariser l’amour. Mieux vaut mourir !
Je n’ai pas vraiment décidé de le suivre. C’est à force d’opposition que je me suis retrouvée sur ses talons. À la manière des enfants qui vous suivent bras croisés, men¬ton enfoncé dans leur colère. Dites-leur qu’ils ne sont pas tenus de rester dans vos pattes [ainsi me l’a-t-il dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie, mais… va donc où tu veux »], ils tapent du pied et s’avancent encore plus près. Ils vous veulent et je le voulais. Malgré moi. Et je voulais aussi ces paroles agaçantes, frustrantes, choquantes qui me contrariaient, me laissaient sèche, faisaient toujours bouger les lignes du portrait-robot que je m’évertuais à vouloir faire de lui. Pour qu’on reconnaisse ce bandit de ma vie, pour le placarder sur les murs du monde. Wanted !
Mais je jure que jamais je n’ai pu mettre la main sur lui. J’ai senti son souffle tout près du mien, je crois sentir souvent sa main masser mon cœur pour le réanimer. Puis, je le vois tourner à l’angle d’une rue. Car il est le chemin, la vérité et la vie. Toutes ces choses qu’on ne sait ni quantifier ni borner. Ces choses infiniment mouvantes. À la différence des gourous et des dictateurs, il met la vérité en mouvement. Il l’incarne de façon à ce qu’on la désire ardemment et qu’on placarde son nom sur les murs du monde. Ainsi, nous ne mettrons pas la main sur la vérité non plus. Mais nous nous raconterons encore longtemps — et c’est cela qui fait lever la pâte humaine — les fois où nous l’avons aperçu tourner à l’angle d’une rue.

Marion Muller-Colard
Théologienne protestante
(avec l’aimable autorisation de la revue ‘Panorama’- magazine de spiritualité chrétienne- N° 540, année 2017)

FLAGRANT DELIT

La Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Eglise (CIASE) présidée par Jean-Marc Sauvé, un haut fonctionnaire de haute stature physique et morale, a rendu son rapport le 5 octobre dernier. 13000 victimes déclarées, plus de 3000 abuseurs identifiés, une projection raisonnable de plus de 330000 victimes. Des chiffres qui donnent le vertige.

Mais la part la plus sombre du tableau n’est pas dite dans ces chiffres aussi terribles et révélateurs soient-ils.
La part sombre, c’est le flagrant délit d’inhumanité de l’Eglise hiérarchique masculine dont je suis.
La part sombre, c’est que nous savions et nous n’avons pas été touchés dans notre chair. Des victimes ont parlé et n’ont pas été écoutées, ont témoigné et n’ont pas été crues. Elles ont eu l’incroyable courage de dire l’indicible de leur souffrance et cette souffrance n’a pas été entendue, n’a pas été prise au sérieux.

Qu’est-ce qui fait que n’avons pas pu nous identifier, au moins un peu, à ces victimes ? Comment a-t-on pu si communément et si longtemps penser que des caresses ou des attouchements sexuels « ce n’est finalement pas si grave » quand ces gestes laissent un enfant en état de sidération et toute une vie en état d’implosion ? Pourquoi avons-nous dû attendre ce travail de la CIASE pour découvrir l’ampleur de crimes dont certains d’entre nous se sont directement ou indirectement rendus coupables et dont nous sommes tous collectivement responsables ? Pourquoi …?

L’audace du rapport « Sauvé » va jusqu’à se risquer à identifier les causes théologiques et structurelles qui ont favorisé ce caractère « systémique » des abus dans l’Eglise selon l’expression employée par le cardinal Marx, archevêque de Munich, dans sa lettre de démission refusée par le pape François. Et aussi à formuler des recommandations.
Parmi elles, la nécessité de distinguer davantage la fonction sacramentelle des clercs et les fonctions de gouvernement dans l’Eglise, l’exercice de l’une n’étant pas nécessairement lié à l’exercice sans partage des autres. Sans qu’elle soit transposable, la vie religieuse masculine et féminine offre à cet égard un modèle d’autorité dans l’Eglise qui a su institutionnaliser des contre-pouvoirs (constitutions, chapitres, conseils, mandats…) qui ne nuisent pas à l’autorité symbolique du supérieur, sans besoin d’avoir recours à des titres honorifiques dont on peine à voir les fondements évangéliques.
Plus que l’organisation hiérarchique de l’Eglise, c’est sa connotation monarchique qui est en question. Juridiquement les trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont de fait concentrés dans les mêmes mains. Symboliquement, les clercs peuvent facilement être entourés d’un halo de sacralité qui n’est salutaire pour personne et qui en ferait presque des êtres de droit divin.
C’est là un deuxième travers évoqué par le rapport : la figure du prêtre alter Christus dans tous les actes de sa vie. En tant que baptisé chacun de nous est appelé à se conformer au Christ, pas au Christ Pantocrator mais au Christ serviteur souffrant, au Christ des petits et des humiliés, au Christ des victimes abusées.
Il est un autre trait qui fait le lit des abus d’autorité, et les abus sexuels sont des abus d’autorité, c’est le rapport à la vérité. Là encore, la vérité déborde largement son cadre naturel qui est celui du dépôt de la foi. Trop de vérité tue la vérité en même temps qu’elle porte atteinte à l’altérité, au débat, à la différence, et donc aux conditions même d’une vérité humainement recherchée. S’attaquer à la racine des abus sexuels dans l’Eglise suppose de s’attaquer à tous les abus d’autorité, et donc aussi à l’abus de vérité.

Ce constat d’une faillite et l’analyse de certaines de ses causes n’ont pas le dernier mot sur ce que l’Eglise porte de précieux et d’unique en ses vases d’argile. La chute de certains n’a pas le dernier mot sur la fidélité de tant et tant d’hommes à la figure prophétique du prêtre et de la vie consacrée dont le cléricalisme tant dénoncé par le pape François est une pâle caricature. Loin de se résoudre à une impasse, ce rapport est paradoxalement la convocation la plus impérieuse au synode sur la synodalité initié ce 17 octobre et dans lequel le Pape François veut engager toute l’Eglise. C’est une chance à ne pas laisser passer !

Oran octobre 2021 fr. Jean-Paul Vesco op

Je m’imagine

L’actualité parfois nous bouscule, nous réveille et nous révèle. Je voudrais m’arrêter sur ce que l’on appelle désormais « la crise des migrants ». Elle a agi en moi comme un révélateur ; elle m’a ouvert les yeux sur ce qui m’entoure et que je ne voyais pas.
Peu souvent, jusqu’alors, je n’avais réalisé la chance que j’ai d’avoir grandi et de vivre dans un pays en paix. Dans un pays que j’ai parfois envisagé de quitter, mais uniquement motivée par la soif de découvrir de nouveaux horizons. Jamais par peur de la guerre, de sa violence, de ses privations.

« Qu’aurais-je
fait si cet
inconnu nommé
Joseph m’avait
demandé
l’hospitalité ? »

J’ai donc grandi dans un pays en paix où la pratique de ma religion n’a jamais été dangereuse ni problématique. Et pourtant, comme j’ai pesté, en vacances le plus souvent, quand il me fallait parcourir plusieurs dizaines de kilomètres en campagne avant de trouver une messe. Et là encore, une fois arrivée, combien j’ai pu râler devant le ton monocorde du prêtre octogénaire et les voix chevrotantes de l’assemblée ! Je n’ai jamais risqué ma vie pour assister à un office ni craint quoi que ce soit en affirmant ma foi, si ce n’est quelques railleries bien inoffensives.
Enfin, ces exodes d’Afghans, de Syriens, d’Irakiens ou de Lybiens sont venus me bousculer dans mon nid douillet. Parce qu’ils m’obligent à me poser une question, et par là-même à me remettre en question : suis-je capable d’ouvrir ma porte à celui qui frappe ? Suis-je capable, pour l’accueillir, de chambouler mon confort et mon quotidien tranquille ?
En cette période de Noël, cette interrogation prend tout son sens, alors que je vois Joseph tirant son âne dans les rues de Bethléem, inquiet de voir Marie le ventre tendu par la vie qui point, soucieux de n’avoir pour elle et l’enfant à naître aucun logis correct. Je m’imagine cette nuit-là. Qu’aurais-je fait, alors, si cet inconnu m’avait demandé l’hospitalité ? Aurais-je ouvert ma porte, et par là-même mon cœur, ou lui aurais-je demandé de passer son chemin pour ne surtout pas risquer de troubler ma tranquillité ?

ANNE-DAUPHINE JULLIAND
Journaliste, Écrivain

(avec l’aimable autorisation de la revue ‘Panorama
-magazine de spiritualité chrétienne- N° 524, année 2015)

Une déflagration

Car il ne restera plus jamais rien de l’innocence crédule qui m’habitait, plus rien de l’élan salvifique qui me tenait.
Car veuve, je n’ai plus personne à mes côtés pour entendre mon désarroi et porter ma tristesse.
Car je ne verrai plus jamais cet homme, abusé, avec lequel j’ai travaillé, que j’ai entendu être remercié dans le couloir ce lundi pour son témoignage lors d’une assemblée paroissiale, sans pleurer dans mon cœur. Et tant d’autres…
Car il ne me reste plus qu’une déception abyssale. Parce qu’en son sein, j’ai défendu son intégrité face aux accusateurs, croyant les clercs qui m’entouraient.
Je travaille dans l’Eglise, j’y suis engagée… corps et âme ! et je souffre. Comment continuer à chanter, à concevoir de beaux documents en y mettant tout mon cœur sans me dire : « tu les enveloppes de miel, tu les attires, tu les touches au cœur… tu les trompes ! » Il s’agit bien de cela. Je me sens trompée. L’Eglise nous a accueillis, mon époux et moi, et nous avons été d’une grande sincérité. L’a-t-on été envers nous ? Avec le temps, j’ai su que non. Et je redoute ce que je pourrais encore découvrir. 
La souffrance des révélations, en rien comparable à celle des victimes, ne saurait nous appeler au repli. Le rapport de la CIASE (si intègre !) dont les nombreuses et précises recommandations nous invite à un travail en profondeur. L’Eglise doit se réformer. Pour elle-même et pour le monde Je crains que le cléricalisme grandissant ne conduise les communautés vers un entre-soi rassurant, contentes d’elles-mêmes, s’agenouillant tous les dimanches derrière leur pasteur, pour les victimes. Le Christ est venu nous sauver. Il nous veut debout et manches retroussées, prêts à servir ! L’Église ne se sauvera qu’en revenant à Jésus. Le veut-elle ? Faut-il là aussi accepter la déflagration ?Il me reste, à moi, la contemplation de la beauté du monde. Elle seule me sauve. Et je sais que des nouveautés y germent déjà.

Suzanne
Famille Cor Unum.