Archives de catégorie : Vie Franciscaine

Ressenti Personnel par rapport à mon parcours de formation qui s’est déroulédu 14 octobre 2023, au 25 mai 2024.

Ce document concerne uniquement mon ressenti et surtout les résonnances spirituelles personnelles éprouvées tout au long de ce parcours de formation Il n’engage que moi et non mes formateurs que je remercie et pour lesquels j’ai la plus grande gratitude.

Chemin de conversion de St François,
Le début de sa vie était banal, celui d’un fils de riche commerçant. A quel moment a eu lieu le point de bascule ? Pour moi je le ressens profondément au moment de son baiser au lépreux. Il n’a pas embrassé un lépreux mais les plaies du Christ, il a serré dans ses bras le Christ agonisant, il a partagé et vécu sa souffrance. Il a été touché en plein cœur. A partir de cet instant plus rien n’a été pareil pour lui, cela a changé le cours de sa vie, et il m’entraîne avec lui. La croix n’est plus pour moi seulement un symbole de mon appartenance à la foi chrétienne, mais c’est un symbole de changement, de conversion et d’amour. Le passage obligé pour mourir à mes propres erreurs et ressusciter à une vie nouvelle dans l’amour du Christ, dans l’amour de Dieu, de toutes ses créatures et de toute la création.

Les balises sur son chemin de conversion : l’Humilité – la Pauvreté- la Fraternité

L’humilité de St François selon l’évangile demande une conversion ce n’est pas se dévaloriser, ni manquer de confiance en soi, ni avoir des complexes d’infériorité, c’est convertir notre instinct de domination en volonté de service, avoir présent dans notre cœur le souci de SERVIR Dieu, de SERVIR l’Autre, car dans l’Autre Jésus m’attend. C’est cesser d’avoir un sentiment de culpabilité qui agit sur moi comme une contrainte lorsque l’autre ne correspond pas à mon idéal de perfection. Je dois accepter avec humilité mes propres limites.

La pauvreté selon St François, ce n’est pas demain me déguiser en mendiant et faire la manche. La pauvreté selon St François s’inspirant de l’évangile c’est la conversion de notre instinct de possession en gratitude pour le Don de Dieu dont je suis le gardien, le gestionnaire. Rien ne nous appartient, même nos inventions sont pour rendre grâce à Dieu et pour aider la création. Etre conscient que rien ne nous appartient cela ne veut pas dire que nous ne devons pas faire fructifier nos dons pour, comme dans l’Évangile, rendre à Dieu plus qu’il nous a confié.
Cette Pauvreté selon St François me rend libre, il n’y a plus d’attaches terrestres seulement le désir de m’enrichir spirituellement.

La Fraternité selon St François et l’Evangile, ce n’est pas, aller uniquement vers ceux qui me ressemblent c’est convertir mon instinct de sélection, d’exclusivité, en attitude bienveillante pour tous, sans rejet, sans jugement, car tous sont mes frères en Jésus-Christ. Nous sommes tous frères car nous avons tous le même père.

Grâce à cette formation je suis sur ce chemin de conversion qui m’amène vers la paix, le détachement et la joie intérieure. Sur ce chemin où l’on pardonne, où l’on se pardonne : les réminiscences, les si j’avais su, les j’aurais dû, pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt. Enfin m’en remettre à Dieu en toute humilité, en prenant conscience et en acceptant mes propres limites.
Ressentir la paix, la joie intérieure, être unie à mon créateur dans sa création universelle.

Jacqueline, fraternité Saint François de Fontenay-sous-Bois

Rencontre régionale des fraternités franciscaines de l’est parisien.

On nous avait annoncé : le 16 juin journée festive au couvent des Franciscains à Paris !
Faire la fête dans l’esprit de Saint François dans cette ambiance morose qui baignait la France ces derniers jours, ça ne pouvait que donner du soleil au cœur, même si la pluie nous accompagnait ce matin-là.
La journée a commencé par un mime orchestré et filmé par Guillaume, sur un passage de la vie de Saint François. La prestation n’aurait sûrement pas eu un prix de théâtre mais elle nous a donné beaucoup de joie.

Lors de la messe concélébrée par plusieurs prêtres franciscains, notre prière s’est laissée envelopper par la lumière chaude des magnifiques vitraux de la chapelle. Une visite de la chapelle était prévue l’après-midi par le frère Jean-Baptiste Auberger : malheureusement cela n’a pas été possible…raison pour refaire, bientôt une rencontre des fraternités au couvent Marie Rose !
Heureusement, l’atelier danse du frère Michel Laloux, bien qu’écourté, nous a permis d’exprimer beaucoup de joie.
Même si nous avions vécu l’esprit franciscain lors de l’apéritif et du repas partagés, une intervention sur ce thème, par le frère Joseph, fut la bienvenue : on s’enrichit toujours plus et il est bien de remettre « sa pendule à l’heure ».
Avant la prière finale, frère Alejandro nous a fait découvrir le « Poulailler », en paroles et par la visite d’une petite maison, logée au fond du jardin du couvent. C’est un lieu simple et convivial où des étudiants et jeunes professionnels se retrouvent dans la joie, pour échanger sur des thèmes de leur vie, aidés par deux frères, à la lumière de Saint François…et bien sûr on y « picore » lors des repas partagés.
Merci Seigneur pour ce moment de soleil (malgré la pluie à l’extérieur !) qui nous redonne de l’énergie pour continuer le chemin de la Vie.

Claudine Garcia, fraternité Saint François, Fontenay-sous-Bois.

Pèlerinage à Assise

Un rêve ancien que d’aller à Assise. Pourquoi ? A vrai dire, difficile de savoir. Souvenir de la prière attribuée à Saint-François, que ma mère nous faisait réciter le soir ? Souvenir bien vague de ce fils de bonne famille recherchant le calme dans une petite église en ruine près d’Assise où il y avait rencontré Dieu?

J’ai eu le plaisir de découvrir Assise dans le cadre d’un pèlerinage organisé du 9 au 15 avril à l’initiative de frère Joseph Banoub, Assistant régional de la fraternité séculière de l’Est francilien. Il fut notre accompagnateur spirituel et célébra chaque jour la messe avec nous, soit dans l’enceinte des lieux visités, soit dans la chapelle de la Casa Francesca.

Crédit Photo L. Pham Van

Nous étions une quinzaine de personnes issues de fraternités de la région parisienne. Le groupe dégageait un sentiment de sérénité et de bienveillance qui a participé à la réussite de ce pèlerinage.
Le soleil a été à nos côtés pendant tout le séjour, et nous avons été hébergés à la Casa Francesca chez les sœurs franciscaines dont l’accueil, la gentillesse et la joie de vivre nous ont laissé un bien agréable souvenir.

Frère Joseph fut un accompagnateur spirituel très présent auprès de nous mais également notre guide. Fin connaisseur du franciscanisme, il nous a menés à Assise, et hors d’Assise, dans des hauts lieux de la spiritualité franciscaine que l’on ressentait fortement imprégnés de la présence de Saint François.

A ASSISE, la visite des principaux lieux liés à la conversion de François fut particulièrement émouvante.

Crédit Photo P. Clamens-Zalay

Le premier fut le sanctuaire de Saint Damien, entouré d’oliviers et de cyprès. C’est dans l’église de Saint Damien que François entendit une voix venue du crucifix lui dire : « François, va et répare ma maison qui, tu le vois, tombe en ruine ». C’est également dans ce lieu qu’après s’être consacrée à Dieu, Claire vécut modestement jusqu’à sa mort.
C’est là aussi que François composa le CANTIQUE DES CREATURES.
Après la messe, sur la terrasse ensoleillée, Frère Joseph nous récita le CANTIQUE DES CREATURES, « le plus beau morceau de poésie religieuse depuis les Evangiles », selon Renan.
C’était touchant de l’entendre en ce lieu où François le composa un an avant sa mort.

Crédit Photo P. Clamens-Zalay

Moins intime, mais à la mesure de la renommée mondiale de Saint François, la basilique Saint François. Nous y sommes arrivés suffisamment tôt le dimanche matin ce qui nous a permis de nous recueillir devant le bien triste tombeau de Saint François puis de contempler, dans la basilique inférieure comme dans la basilique supérieure, d’admirables fresques, notamment des fresques de GIOTTO, qui donnent une merveilleuse image picturale de la vie de Saint François.

Hors d’ASSISE, nous avons visité des ermitages situés dans des lieux d’une beauté saisissante où François et ses Frères se retiraient pour prier et méditer.
Devant ces lieux resurgissait l’émotion ressentie des années auparavant en découvrant ces quelques lignes de Barrès sur la Colline de Sion : « il est des lieux où souffle l’esprit. Il est des lieux qui tirent l’âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l’émotion religieuse. »
Cette émotion, on ne pouvait que la ressentir en découvrant les ermitages de l’ALVERNE, de FONTE COLOMBO ou des CARCERI.

Crédit Photo P. Clamens-Zalay

L’Alverne, édifié sur un rocher entouré d’une forêt de pins et de hêtres, où François reçut les stigmates deux ans avant sa mort.
Fonte Colombo où François se retira en 1221, en compagnie de frère Léon et de frère Bonizzo pour rédiger la Régula Bullata approuvée par le Pape en 1223.
Les Carceri, ermitage entouré de chênes, où selon le mot de François Cheng, François avait trouvé ce qu’il cherchait : « une radicale solitude où l’humain ne peut plus dialoguer qu’avec l’invisible Créateur. »
Les Carceri furent également pour nous un lieu de méditation solitaire sur la base de thèmes proposés par frère Joseph : ADMONITIONS II et XXVII; LUC 11 1-4 et LUC 4,1-13.

Emouvant aussi de découvrir la Portioncule qui est, selon le mot de saint Bonaventure, « le lieu que François aima le plus au monde ».
C’est dans cette petite chapelle qu’à la fin de l’année 1208, la lecture par un prêtre de l’Evangile selon Saint Matthieu (Mt ch 10) joua un rôle décisif, dans la conversion de François, en lui faisant découvrir sa vocation à la pauvreté.
A la suite de cette lecture, il s’écria : «Voilà ce que je veux, ce que je cherche, ce que je désire faire du fond du cœur. »
C’est aussi dans cette chapelle que Claire se consacra à Dieu en 1212 et que François rendit son âme à Dieu le 3 octobre 1226.

Crédit Photo L. Pham Van

Emouvant enfin, en entrant à Saint Ruffin, de voir les antiques fonds baptismaux où furent baptisés François et Claire puis de se recueillir, dans la basilique Sainte Claire, devant son tombeau puis devant le crucifix qui parla à François aujourd’hui conservé dans cette basilique.

Nous n’avons pas vu le loup de Gubbio mais avons bien retenu ce message des FIORETTI et notre séjour s’est terminé à Greccio par la visite du sanctuaire édifié sur l’endroit où François fêta, le 25 décembre 1223, dans une joie ressentie par tous , la naissance du Christ dans une grotte de la montagne où avait été placée une merveilleuse crèche vivante semblable à celle de Bethléem.

Les lieux visités, comme la Légende franciscaine, manifestent que pour François la vie est une circulation d’amour entre le Créateur, Dieu, et sa créature.

Sa règle de vie est donc simple : observer la parole de Dieu, qui s’est exprimée par l’Évangile, donc accepter l’Evangile dans toutes ses exigences.
Huit siècles après sa mort, Saint-François reste le Saint le plus fameux de l’Eglise Catholique. Sa popularité fait de lui une figure universelle : croyants, comme non croyants, sont impressionnés par ce «bâtisseur », par son courage, sa générosité et sa force face à l’adversité.

Cette première immersion dans les lieux où vécut François conduit à revisiter certains aspects du quotidien pour rester émerveillé devant la création du monde, pour cultiver l’optimisme, garder le cœur ouvert, voir en l’autre quel qu’il soit un frère ,ne pas imposer sa volonté aux autres, pardonner, partager… la liste pourrait être longue car le Message de Saint-François concerne tous les domaines de la vie. La mise en œuvre, même modeste, de ce magnifique Message demande une sagesse difficile à atteindre, alors que faire devant la difficulté ? Il peut être tentant de renoncer mais le Message d’Assise c’est de se mettre très humblement en chemin et d’entendre la voix du Christ.

Jean-Pierre Guéroult, fraternité Saint François, Fontenay-sous-Bois.

INTERVIEW RÉALISÉE AUPRÈS DE NOS SŒURS FMM DE CLICHY- SOUS-BOIS (3ÈME PARTIE)

Soeur Jolanta

Pour commencer, pourrais-tu, Jolanta, te présenter et nous présenter ton parcours ?
Comme mon nom l’indique, je suis polonaise. J’ai grandi dans une famille chrétienne, où le Seigneur m’a appelée, alors que je faisais des études d’infirmière. J’ai entendu dans mon cœur les paroles du psaume 45 : « Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père. » Ces paroles, je les ai reçues pour moi, comme une invitation de la part du Seigneur. Cet appel était tellement fort que j’ai terminé mes études, et que, tout de suite après, je suis entrée chez les Franciscaines Missionnaires de Marie, que j’ai appris à connaitre tandis que je cherchais ma vocation. J’ai fait une partie de ma formation initiale en Pologne, et, par la suite, j’ai été envoyée en France…En France, où j’ai d’abord appris la langue, car je ne connaissais que quelques mots, où j’ai appris à connaître ce beau pays, mais aussi l’Église de France qui était bien différente, à l’époque, de celle de mon pays.
J’ai suivi une formation théologique à Lyon, et c’est là que j’ai fait mes premiers pas d’inculturation. Plus tard, j’ai été envoyée dans différentes communautés, en région parisienne, à Lille, à Marseille, puis de nouveau en région parisienne, à Clichy-sous-Bois où je vis actuellement.

Comment définirais-tu ta mission à l’aumônerie de l’hôpital de Montfermeil ?
L’aumônerie à l’hôpital est une mission d’Église, confiée par l’évêque. Comme pour les aumôneries dans l’armée ou dans les prisons, cette mission est encadrée par la loi de 1905. Dans ces trois lieux, l’État s’engage à permettre aux personnes de pratiquer leur religion, l’aumônerie n’étant pas réservée à l’Église catholique, et les aumôniers sont salariés par l’État. Ainsi, je suis à la fois salariée de l’hôpital et missionnée par l’Église. L’hôpital ne peut pas m’engager comme « ministre du culte » – puisque c’est mon titre exact – sans la lettre de l’évêque. Cette lettre de mission, comme le contrat avec l’hôpital, est à durée indéterminée.
Je suis salariée de l’hôpital de Montfermeil à 60 %, je fais partie à part entière du personnel, mais avec ce statut un peu à part. J’ai une petite équipe de bénévoles dont je suis responsable, je ne vis donc pas cette mission toute seule, mais avec d’autres.

Avec les bénévoles de l’aumônerie, avez-vous des réunions pour reprendre ensemble ce que vous vivez ?
Il y a des rencontres régulières des aumôniers au niveau diocésain de la Pastorale de la santé, et il y a les rencontres de l’équipe. Avec cette particularité d’avoir 2 équipes : l’une pour l’aumônerie de l’hôpital, l’autre pour l’EHPAD et le service des soins palliatifs. Nous avons une fois par semaine une célébration de la Parole pour les personnes qui sont en long séjour. C’est très beau de sentir la joie de se retrouver pour prier ensemble. Certaines personnes sont vraiment seules, elles trouvent un réconfort en participant au partage de la Parole…

Comment vis-tu cette mission ?
Cette mission rejoint ce que je porte en moi depuis très longtemps : cet attrait pour le monde médical… Je suis infirmière de profession, mais, en arrivant en France, je ne pouvais pas exercer mon métier. Donc ce fut une joie pour moi de rejoindre le monde médical, d’être présente, d’une autre manière, auprès des malades, des personnes souffrantes, avec cette étiquette de l’Évangile que je porte dans mon cœur. Cela fait très longtemps que je vis cette mission, dans différentes structures.
C’est tout d’abord une présence d’Église auprès des patients, et auprès des personnels soignants. Etre témoin de la présence du Christ dans ce lieu qu’est l’hôpital. Je pense très souvent à la parole de Paul Claudel : « Jésus n’est pas venu supprimer la souffrance, il est venu la remplir par sa présence »… C’est ce qui m’anime et ce que je vis au quotidien. Aller à la rencontre des personnes qui, pour la plupart, n’ont pas demandé ma présence ; certaines formulent explicitement leur demande, d’autres non, mais je vais à la rencontre de tous.

Cela veut dire que tu passes dans toutes les chambres et que tu demandes aux personnes si elles veulent te rencontrer ? Je croyais que c’était uniquement sur demande…
C’est d’abord à la demande, mais cela m’arrive de passer et de me présenter, tout simplement. J’explique qui je suis, en laissant la liberté à la personne de m’accueillir… ou pas. Pour la plupart, les patients de cet hôpital ne sont pas catholiques ; cependant, ils peuvent être contents de rencontrer quelqu’un. Parfois, la personne a envie tout simplement de parler, de partager, et même de dire sa foi. Je pense à l’une d’elles qui m’a déclaré : « Oh, je ne suis pas vraiment une cliente pour vous…parce que je suis juive. » Mais en disant cela, elle m’accueillait et nous avons pu avoir une belle conversation, surtout en cette période de conflit où, pas très loin d’ici, les Juifs se sentent un peu mis à l’écart. Elle s’est présentée avec une certaine appréhension, j’entendais en arrière-plan cette question « est-ce que je vais être accueillie ? »… Donc il y a des rencontres avec des croyants d’autres religions. Mais il y a aussi ceux qui ne le souhaitent pas. Ce n’est pas toujours facile d’accepter les refus, mais c’est important de respecter la liberté de chacun. J’apprends à le vivre dans la simplicité et l’humilité franciscaines.

T’arrive-t-il d’être confrontée, parfois, à une question comme celle de l’euthanasie ?
Je n’ai pas été confrontée ouvertement à cette question récemment. Ce à quoi je suis souvent confrontée, surtout dans le service d’oncologie, c’est à la souffrance qui fait que la personne désire la mort, qu’elle exprime son désir de mourir. C’est aussi le cas à la maison de retraite où les personnes âgées, qui sont diminuées physiquement ou dans leurs facultés, disent : « Qu’est-ce que je fais là ? Ma vie n’a plus de sens. Le Seigneur m’a oublié… »
Cette question de la mort est donc présente, mais les personnes qui demandent l’euthanasie ne s’en ouvrent pas à moi directement. Ce qui est important, c’est de permettre à l’autre d’exprimer son désir de mourir. Je suis convaincue que c’est aussi notre rôle de pouvoir dire à la personne qu’elle a le droit de le désirer, et même de le dire dans sa prière, car le Seigneur peut tout entendre. Dire son désir, sa colère, sa souffrance, sa révolte…ce qui ne signifie pas passer à l’acte. Donc, la question de la mort est présente, oui, mais pas au sens des débats sur l’euthanasie… parfois, aussi, les soignants expriment leur inquiétude…

Dans le cadre de cette mission, peux-tu nous faire part de certaines de tes joies et de tes difficultés ?
Il y a beaucoup de joies…les plus fréquentes, ce sont toutes les fois où je peux porter la communion, avoir un temps de prière et d’accompagnement, soit avec la personne, soit avec sa famille. En cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens, je pense à un monsieur, protestant, auprès de qui j’ai été appelée par la psychologue du service, à la demande de la famille. Je me suis présentée et j’ai appris que ce monsieur était pasteur…je me suis senti toute petite…Il n’était plus conscient, mais je suis rentrée très facilement en dialogue avec son épouse et sa fille qui étaient présentes. C’était un beau moment d’échange. Nous avons prié ensemble ; sa femme m’a dit que c’était important, pour elle, comme pour lui, d’avoir quelqu’un d’Église, au sens large du terme : l’Église de Jésus-Christ.
Cela a été une grande joie pour moi, d’ailleurs je suis restée en contact avec sa famille et j’ai des nouvelles régulièrement.
Une autre joie : celle de pouvoir mettre en place une célébration de mariage en soins palliatifs…C’était très émouvant…ce couple vivait ensemble depuis plusieurs années et n’avait jamais pris la décision de se marier, et là… le désir a resurgi. Ce mariage a donc eu lieu dans ce service des soins palliatifs ; la dame est décédée une semaine après. Le diacre qui a célébré le mariage m’a dit : « Je n’ai jamais vu autant de gens pleurer et se réjouir à la fois le jour d’un mariage.» C’était vraiment une joie de pouvoir vivre cela en Église…
Joie, enfin, de voir certaines personnes s’ouvrir à la parole de Dieu, à la rencontre avec le Christ, malgré la souffrance. C’est très beau de pouvoir toucher, à chaque fois, quelque chose de ce mystère de la présence de Dieu dans le cœur d’une personne.
Les difficultés…ne pas pouvoir rejoindre tout le monde, tous ceux qui attendent peut-être…se confronter au refus de la rencontre, au refus de Dieu, aux personnes qui s’enferment dans la souffrance. C’est là que, personnellement, je me sens invitée à contempler l’humilité de Dieu qui permet ce refus, qui respecte la liberté de l’autre, jusqu’au bout. Dieu qui se propose, mais qui ne s’impose pas. Tout cela me fait grandir dans la foi.

Propos recueillis par Pascale Clamens-Zalay, le 21 janvier 2024

Retraite des fraternités franciscaines séculières de la région Créteil-St Denis- Meaux 2024

Dimanche 17 mars, les fraternités de notre Région se sont retrouvées chez nos frères Capucins de Paris pour une journée de retraite animée par le frère Miki Kasongo, Franciscain de Paris.
Le thème était : « Centrer sa vie sur Dieu », en lien avec le huitième centenaire de la promulgation de la Règle des frères mineurs, et particulièrement les articles 4 et 5 du Projet de Vie des fraternités franciscaines séculières.

L’intervention du frère Miki était articulée autour de 5 verbes : vivre, suivre, lire, découvrir et être transformé.

Son exposé a été suivi par un temps personnel de prière et de réflexion.

L’après-midi s’est déroulée sous forme de carrefours en petits groupes autour du thème suivant : « Comment vivons-nous les sacrements de l’eucharistie et de la réconciliation ? », puis d’un échange à partir des questions ayant émergé des différents carrefours.

La journée s’est achevée par la célébration eucharistique.

L’intervention du frère Miki, ainsi que le temps personnel et les partages en groupe ont été très appréciés de tous…

INTERVIEW RÉALISÉE AUPRÈS DE NOS SŒURS FMM DE CLICHY- SOUS-BOIS (2ÈME PARTIE)

Sœur Jolanta : C’est un appel du diocèse : l’évêque a choisi avec son conseil de développer le sanctuaire, avec le projet de la construction de cette église Jean XXIII – au service du sanctuaire Notre-Dame-des-Anges – et d’emblée a été prévu un logement pour une communauté religieuse. Le désir de l’évêque était de rendre ce lieu vivant, ouvert presque continuellement, et d’y développer l’accueil pour permettre à plus de personnes de participer à un pèlerinage. La chapelle étant toute petite, il n’était pas possible de recevoir des groupes. Nous avons donc répondu à cet appel. Il nous a été demandé de veiller à l’accueil et de partager notre prière. Ainsi, nous prions à l’église et les gens peuvent venir se joindre à nous. Nous avons commencé par les vêpres et l’adoration, le soir, car nous gardons chacune nos engagements dans la journée. C’est la 1ère année, nous construisons et découvrons cette mission au fur et à mesure. L’objectif, c’est aussi que tout ne repose pas sur nous, mais que d’autres personnes constituent des équipes d’accueil, avec des permanences, pour garder ce lieu ouvert le plus possible.

Sœur Ana : Pour moi, au début, il était difficile d’imaginer une communauté sans chapelle. Dans toutes nos implantations, même en HLM, il y a toujours une chapelle ; pas ici, justement parce que l’évêque voulait qu’on prie avec les gens et que ce soit dans l’église. Maintenant, je réalise que notre communauté a une « grande chapelle » qui est ouverte à tout le monde. Après quelques mois, on commence à s’approprier cette mission et on comprend mieux la vision de l’évêque d’une vie religieuse ouverte sur le monde. D’ailleurs, l’église est entièrement vitrée…

Sœur Jeanne : Je suis arrivée à Clichy-sous-Bois il y a 5 mois seulement, mais j’ai l’impression que les gens viennent ici pour prier, pour visiter le sanctuaire ou pour partager leurs difficultés. C’est compliqué pour moi et je me rends compte de mes limites : sur le plan de mes connaissances théologiques, de la langue – je ne suis en France que depuis 3 ans – et de la culture française ; mais cela m’a permis d’expérimenter la puissance de Dieu…Le plus important, ce n’est pas d’apporter une solution, c’est d’être avec ces personnes. Nous avons un modèle : la Vierge Marie au pied de la Croix Elle est restée aux côtés de Jésus, elle n’a rien fait, elle portait la Croix avec lui. Visiblement, on ne fait rien, mais c’est notre présence, notre soutien qui comptent.

Sœur Marie : C’est d’abord la disponibilité. Se rendre disponible aux autres. Cela demande une grande adaptation, aussi, parce qu’il faut pouvoir laisser ce que je suis en train de faire pour accueillir les autres. Par exemple si je suis occupée à faire la cuisine et que quelqu’un sonne, je descends. Les gens viennent ici pour découvrir le sanctuaire, pour prier ; ils sentent une présence qui les touche.

Sœur Julienne : Si je fais le lien entre notre vocation franciscaine et la fraternité universelle, je me dis : « Rien ne se fait par hasard avec le Seigneur ». Vivant dans ce sanctuaire, nous répondons aux différents aspects de notre charisme : Franciscaines, Missionnaires / universelles et Mariales, dans le sens où, ici, nous rencontrons le monde entier à travers des personnes de différentes cultures et religions. Elles trouvent toutes leur place dans ce sanctuaire marial ; elles le visitent, elles prient, pour certaines, avec nous à l’Adoration et aux Vêpres, elles demandent de l’eau de la source…. L’évêque de Saint-Denis, Mgr. Pascal Delannoy, nous a envoyées pour une mission d’accueil et d’écoute de ceux qui viennent en ce sanctuaire Notre-Dame-des-Anges. Nous n’avons sûrement pas de solutions adaptées aux attentes de toutes ces personnes ; en revanche, nous pouvons prendre le temps de les écouter, d’être avec elles. Notre mission ne s’arrête pas seulement aux chrétiens, elle est ouverte à tous. Elle se traduit par notre présence, par l’accueil fraternel, la disponibilité, l’ouverture ; j’y vois l’esprit de François qui allait à la rencontre du Seigneur à travers tous ceux qui venaient à lui.

Sœur Jeanne : Nous avons d’abord reçu de l’Institut la vie communautaire, et elle est à peu près la même dans toutes les communautés. Quelques semaines après mon arrivée, le curé a fait savoir qu’il y avait besoin d’une sacristine, j‘ai accepté. Jolanta, notre responsable, m’a questionnée sur mes centres d’intérêt ; je voulais visiter les malades à l’hôpital ou à domicile. C’est devenu ma mission. On m’a fait d’autres demandes mais ça nécessite de discerner et de discerner avec la communauté car ce n’est pas ma mission, mais celle de la communauté. L’équilibre entre les deux vies n’est pas difficile, il faut pouvoir réfléchir et décider avec les sœurs, nous devons faire des choix ensemble.

Sœur Ana : Dès le début, notre fondatrice a voulu que nous vivions du travail de nos mains. Pour moi, c’est très important. Chacune a un mi-temps et ce n’est pas toujours facile de concilier vie religieuse et vie de travail à l’extérieur. Je travaille dans la Pastorale des jeunes. Au moment des vacances scolaires, je n’ai pratiquement rien à faire ; quand il y a des temps forts – la confirmation, les camps d’été… – là c’est plus compliqué. Il faut toujours chercher cet équilibre, et ce n’est pas évident. Mais ce que j’apprécie beaucoup c’est que je sens que la communauté me porte. Parfois je suis en vacances et je pense à mes sœurs qui travaillent, alors je fais la cuisine, le ménage…Mais quand je suis surchargée et que j’ai mille choses à faire, c’est la communauté qui me porte dans la recherche de cet équilibre. Et je trouve ce partage entre vie communautaire et vie de travail très sain pour notre vie spirituelle.

Sœur Marie : C’est la communauté qui m’envoie en mission. Pour trouver un équilibre, il y a un discernement communautaire. J’ai été envoyée dans une école où je travaille comme animatrice périscolaire. Les gens ont découvert petit à petit que j’étais catholique, ensuite ils ont découvert que j’étais religieuse. Quand je rentre, nous pouvons partager, avec les sœurs, sur nos rencontres, nos activités, et ce partage fait partie de notre vie fraternelle. Pour la prière, nous avons chacune notre temps d’oraison, il y a aussi les laudes, l’adoration et les vêpres. Pour les laudes, nous prions ensemble, en communion. Par conséquent, si je suis absente, je suis en communion, je suis portée par la communauté. J’ai des journées parfois très chargées et quelques fois, je me demande pourquoi je n’ai pas choisi un autre métier, mais nous partageons la pauvreté et la précarité de ceux qui nous entourent. Nous sommes solidaires de ces gens, et en même temps nous sommes privilégiées…

Sœur Jolanta : Moi, je dirais que c’est un combat de tous les jours. Il y a tout d’abord ce premier discernement : le choix d’un engagement, le choix d’un travail qui soit compatible avec la vie communautaire, la vie de prière. Ensuite, chaque jour, il y a un choix entre les obligations, les imprévus et la vie communautaire. Dans mon travail, je suis soumise à des contraintes, par exemple des horaires que je ne peux pas changer. Mais, après, il y a tous les jours des rendez-vous, des rencontres, et là je choisis de les prolonger ou d’arriver à l’heure pour la prière, pour le repas avec la communauté. C’est à ce niveau qu’il y a un combat quotidien. Ce n’est jamais acquis, tous les jours il faut s’adapter. Comme le dit Saint François : « Jusqu’à présent, nous n’avons rien fait, commençons !» C’est là aussi que la communauté joue son rôle : nous avons des temps de rencontres, des temps de bilan, de relecture, des temps où nous pouvons nous interpeler les unes les autres pour nous réajuster dans notre façon de vivre ensemble, nous rappeler nos priorités, nos engagements et continuer, et …recommencer…

Sœur Julienne : Nos constitutions, tout comme l’Évangile, nous donnent des orientations et nous essayons de les mettre en pratique. Le projet communautaire définit notre vie en communauté et nos engagements à l’extérieur. La relecture de ce projet nous permet d’ajuster ce qui peut être obstacle à la vie de prière et à la vie communautaire. Nos constitutions nous aident à réfléchir sur nos engagements extérieurs et François nous rappelle « que le travail ne doit pas éteindre en nous l’esprit d’oraison ». La vie communautaire ne doit pas être entravée par les missions extérieures. En tant qu’aumônière à l’hôpital, avec les temps de transport et les horaires qui peuvent changer, c’est parfois compliqué, mais j’essaie de garder cet équilibre. Et en communauté, nous nous portons mutuellement.

Propos recueillis par Pascale Clamens-Zalay, le 21 janvier 2024

Interview réalisée auprès de nos sœurs FMM de Clichy- sous-Bois (1ère partie)

Sanctuaire notre Dame-des-Anges

Sœur Jeanne : Je pense qu’il faut s’arrêter sur l’histoire du changement de nom de notre Institut : nous étions tout d’abord les Missionnaires de Marie. Pourquoi notre fondatrice a-t-elle voulu ajouter le mot « Franciscaines » ? Marie de la Passion était sœur de Marie-Réparatrice, mais, après des difficultés au sein de la congrégation, elle a décidé, avec une vingtaine de religieuses, de se séparer des Réparatrices pour fonder en 1877 les Missionnaires de Marie, « vouées à la mission universelle ». En 1884, elle a souhaité que les sœurs rentrent dans le Tiers-Ordre franciscain parce qu’elle désirait vivre la pauvreté, une pauvreté aussi stricte que possible. L’Institut est alors devenu celui des Sœurs Franciscaines Missionnaires de Marie. L’esprit de pauvreté est donc très présent dans notre charisme.

Sœur Ana : Je ne m’étais jamais posé la question car j’ai toujours pensé qu’il n’y avait qu’une vocation franciscaine… Pour moi, la spécificité de notre vocation c’est de vivre en tant que Franciscaine, non pas seulement avec des frères et sœurs qui m’entourent et qui sont de la même culture, la même nationalité, mais de vivre en tant que frères et sœurs, en dépassant toutes les frontières possibles et imaginables. Je crois que la spécificité de notre vocation franciscaine passe par cette interculturalité, internationalité et par l’aspect missionnaire aussi, dans l’environnement où nous sommes, avec nos voisins maghrébins, tamouls…

Sœur Marie : Pour moi c’est vivre à la manière de François et de Marie, à leur exemple. Marie, c’est la première disciple de Jésus, elle l’a suivi jusqu’au pied de la Croix. François, c’est le frère universel, c’est la fraternité, la joie, la simplicité. Sa manière de prier, de louer le Seigneur, sa communion avec l’universel, tout cela rejoint notre mission. A l’exemple de Marie et de François, j’offre ma vie pour l’Église et le Salut du monde, chaque jour, à travers de petites choses. Je m’engage à vivre à la suite du Christ, dans l’Esprit Saint, je me livre sans réserve au Père parce que lui se donne totalement, gratuitement et librement. De par ma vocation, je m’engage à vivre en communauté fraternelle, j’accueille les sœurs que le Seigneur me donne, ensuite je les choisis, c’est un consentement. C’est suivre les pas du Christ avec l’aide des sœurs et la grâce du Seigneur.
Pauvreté, désappropriation, solidarité, dépendance au Seigneur… Cette relation avec le Seigneur est tellement intime qu’elle transforme ma relation avec les frères et sœurs que je rencontre. J’apprends à aimer par les autres, à vivre avec eux, je suis évangélisée par les autres.

Sœur Jolanta : Notre spécificité, elle est déjà dans notre nom : Franciscaines Missionnaires de Marie… Dans la formule de nos vœux, nous nous engageons à suivre le Christ, à vivre l’Évangile, à l’exemple de Marie et de François, les deux ensemble. J’insisterai aussi sur la fraternité. Ici, à Clichy, cet aspect de la fraternité universelle est très fort. Déjà nous-mêmes, par nos nationalités, nous rendons visible cette fraternité universelle. Dans le concret, elle n’est pas parfaite, mais c’est un chemin pour rejoindre notre entourage qui est composé de multiples nations…c’est à la fois un témoignage et une mission.
Nous nous engageons dans un Institut international. Au moment de l’engagement définitif, nous n’appartenons plus à notre Province d’origine, mais à l’Institut, nous recevons alors notre envoi de la Supérieure générale. Pour moi, cela a été une prise de conscience très forte : « Maintenant, j’appartiens à l’Institut, ma vie est donnée à l’Eglise qui n’a pas de frontières. »

De gauche à droite : Sr Jolanta, Sr Marie, Sr Ana, Sr Jeanne et Sr Julienne

Sœur Jolanta : Oui…et je pense à cette phrase de François : « Notre cloître c’est le monde »…C’est aussi porter le monde dans notre prière.

Sœur Julienne : De par notre nom, nous sommes invitées à vivre l’Évangile comme François et à en témoigner, dans le monde. Je retrouve cette spiritualité de François dans la fraternité et la contemplation.
La fraternité universelle, avec les sœurs que Dieu nous donne, avec ceux qui nous entourent et avec toute la Création.
La Contemplation : comme le disent nos constitutions, le Christ contemplé nous envoie à nos frères…et nos frères nous renvoient à la contemplation du Christ. Nous puisons notre force dans l’Eucharistie célébrée et dans l’adoration pour aller vers nos frères et présenter au Seigneur leurs demandes. C’est la richesse de notre vocation d’Adoratrices et de Missionnaires.
Comme François, nous aimons et essayons de respecter la Création qui est le reflet de la beauté et de la bonté de Dieu. La vie est un don de Dieu, nous avons aussi à témoigner de cette joie de vivre, de la joie de notre vocation, de la joie des rencontres avec ceux que le Seigneur met sur nos chemins, dans nos lieux de mission.
A l’exemple de François, qui a embrassé le lépreux et qui a un amour particulier pour les pauvres, Franciscaines, nous essayons d’être plus proches de ceux qui vivent une pauvreté matérielle mais aussi spirituelle, les marginalisés ou les exclus de la société. Ce sont les lépreux de notre époque, que nous côtoyons chaque jour sur nos lieux de travail.

Propos recueillis par Pascale Clamens-Zalay, le 21 janvier 2024

Soirée de présentation du dernier livre de Michel Sauquet

Trésors de la spiritualité franciscaine aux XXè et XXIè siècles

Une table ronde de lancement du dernier livre de Michel Sauquet, Trésors de la spiritualité franciscaine aux XXè et XXIè siècles s’est tenue au couvent Saint-François de Paris 14è le mercredi 6 décembre 2023.

Autour de Michel Sauquet, elle a rassemblé Gaëlle de la Brosse (éditrice éd. Salvator), Pierre Moracchini (historien et directeur de l’école franciscaine de Paris), Fr. Luc Mathieu o.f.m. (bibliothèque franciscaine), Catherine Delmas-Goyon o.f.s (vice-ministre de la fraternité franciscaine séculière), Fr. Sylvain Besson o.f.m.cap., Brigitte Foch (présidente de l’association Chemins d’Assise), ainsi qu’une centaine d’auditeurs.

Cette table-ronde a permis à chacun de se demander en quoi Saint François est un phare pour notre époque.

Saint François a profondément marqué les personnes de son vivant et celles qui ont suivi sa mort jusqu’à nous, que ce soit dans un contexte proprement religieux ou dans un contexte simplement culturel (Fr. Luc Mathieu o.f.m.). D’ailleurs l’ouvrage de Michel Sauquet offre un florilège de textes de ces différents auteurs issus de contextes de vie et de pensée très différents, voire éloignés, et classés selon huit grandes thématiques typiquement franciscaines que le lecteur peut picorer ici ou là selon ses envies.

Ainsi, on trouve dans cette anthologie des expressions et des élans typiques de Saint François avec par exemple Padre Pio : « Reste avec moi Seigneur, parce que si pauvre que soit mon âme, elle souhaite être pour toi un nid d’amour. » Mais on y trouve aussi le poète Antonin Artaud qui a écrit un poème sur Saint François : « Je suis celui qui peut dissoudre l’épouvante / D’être un homme et de s’en aller parmi les morts / Car mon corps n’est-il pas la merveilleuse cendre / Dont la terre est la voix par où parle la mort.« 

L’influence de Saint François est réelle chez nos contemporains. Les publications sur lui sont de plus en plus nombreuses depuis la fin du XIXè siècle. Mais il demeure insaisissable comme l’a rappelé Catherine Delmas-Goyon. Sa volonté de prendre l’Evangile sans glose le rend à la fois totalement présent au monde mais aussi échappant à toute doctrine humaine, tout comme Jésus dans l’Evangile qui passe au milieu des docteurs et des pharisiens sans qu’ils puissent le saisir (cf. Luc 4, 30). Il touchera ainsi les jeunes comme l’a évoqué Fr. Sylvain o.f.m.cap. Il touchera aussi les moins jeunes, tel un texte de Michel Hubaut lu par François-Xavier Durye : « D’une vieillesse qui sait encore écouter, fais-moi la grâce Seigneur« .

Saint François permet d’être rencontré dans les actes. On le rencontre en cheminant « sur le chemin de Vézelay à Compostelle qu’on commence comme randonneur et qu’on termine comme pèlerin« . On le rencontre aussi au contact des pauvres, qui ne sont plus alors regardés comme les pauvres rêvés et imaginés par les décideurs de la société, mais comme ce qu’ils sont réellement, avec leur vrais visages comme l’évoque le poète Christian Bobin. On rencontre aussi Saint François dans l’amitié (Pierre Moracchini).

François-Xavier Durye a lu avec souffle et inspiration quelques textes des auteurs cités ; Grégory Turpin, accompagné de sa guitare, a chanté les merveilles de la création si chères à Saint François.

« Seigneur, fais de moi un instrument de paix » ont entonné avec lui les personnes présentes à cette soirée fraternelle.

Jean Alvarez

Témoignage de frère Michel Laloux (2ème partie)

Nous avons souhaité, dans le cadre de notre réflexion, « François…ou quand l’autorité se fait service », recevoir le témoignage d’un frère en responsabilité. Le Frère Michel Laloux a accepté de nous rencontrer et de partager son expérience de ministre provincial des Franciscains de France-Belgique.

Sans rentrer dans des situations personnelles… vous pouvez, dans l’exercice de votre charge, avoir été blessé ou découragé par l’attitude de vos frères. Comment vivez-vous ce que dit François dans la Lettre à un ministre à propos du pardon ?
Oui, être blessé, être incompris, être perçu comme un tyran ou comme une vache à lait financière… Il y a plusieurs niveaux dans tout cela. Par rapport au fait d’être blessé, l’important est de parler, dans le cadre de l’accompagnement spirituel, mais aussi avec mes frères, pour recadrer les choses, ne pas me laisser envahir, et repérer qu’il y a des projections par rapport à l’autorité. C’est-à-dire que selon ce que le frère a vécu dans son enfance, s’il a été écrasé, par l’autorité du père par exemple, il me verra comme un danger, il fera des projections sur moi que je serai appelé à comprendre plus profondément pour ne pas prendre les choses à titre personnel. A propos du pardon, il y a la relation au Christ qui compte : lui demander, et demander au Père, que je puisse pardonner profondément, surtout dans les cas difficiles. Je crois que le pardon ne se décrète pas, il se mendie : c’est Lui qui permet que je pardonne en profondeur. Ça prend parfois du temps. Je pense souvent à Maïti Girtanner…Combien de temps elle a demandé à Dieu de pardonner vraiment à Léo, son bourreau, officier médecin nazi… Et quand elle l’a rencontré, après des dizaines d’années, elle a su qu’elle avait pardonné. Je n’ai pas vécu des choses de cet ordre …mais ça montre que le pardon est un cheminement. Au début, je peux seulement l’espérer, le demander, être un mendiant devant Dieu. Puis, après, avoir le cœur tout à fait libre. Autre chose d’important aussi, pour moi, c’est de prier pour mes frères. Prier pour la relation, parfois dans des cas personnels avec des frères qui sont plus violents ou plus problématiques, mais aussi prier pour l’ensemble des frères de la province. C’est de poser une triangulation : les frères, Dieu et moi.

Dans le cadre de ce service auprès de vos frères, pouvez-vous nous faire part de l’une de vos plus grandes joies, d’une difficulté et d’un regret ?
Une de mes plus grandes joies, c’est quand il peut y avoir avec les frères, ou avec l’un ou l’autre frère, des conversations à un certain niveau de profondeur, au niveau de Dieu, où je sens le cœur d’un frère touché par Dieu, où il y a une vie spirituelle. Autre joie, c’est quand je perçois un frère bien à sa place, heureux dans ce qu’il fait, épanoui. Je pense, par exemple, à un frère qui a 92 ans, qui est heureux… Il a une jeunesse, un dynamisme, il est passionné… C’est cette jeunesse, même chez des frères âgés.
Une grande joie, aussi, mais ça ne concerne pas les frères, parce que j’ai beaucoup d’autres rencontres, c’est au contact de personnes victimes de frères prédateurs, de pédocriminels. En mai-juin dernier, ce fut de voir comment des personnes, après tout un chemin, ont vécu une libération profonde. Une femme me disait : « Je suis ressuscitée !» Un homme expliquait : « Mon épouse me dit que mon sommeil est plus paisible », cinquante-cinq ans après avoir été violé… Un autre monsieur me disait : « Eh bien, ça me donnerait envie de « re-croire » ». Là aussi, il y a mort et résurrection, et c’est une grande joie lorsque pour une personne qui a été écrasée, détruite, il y a de la vie qui resurgit.

Je trouve cela très intéressant : vous vous situez sur le plan relationnel, alors que d’autres pourraient répondre : « Ma plus grande joie c’est d’avoir réussi telle ou telle chose …»
Oui, je me méfie des réussites extérieures, si elles n’ont pas d’épaisseur. Avant d’être Provincial, j’ai fondé une maison de quartier avec une dame pour des personnes du quart-monde. Cette fondation a grossi, a embelli ; il y a 30 animateurs. Mais je suis plus sensible au fait qu’il y ait de la joie qu’au fait que cette maison ait grossi. « Vous serez jugés sur l’amour »… C’est ça l’important.

Mais il n’y a pas que des joies, une difficulté peut-être…
C’est le volume de travail, l’énorme volume de travail. Par exemple, des centaines de mails qui m’attendent en permanence ! Ça, c’est la difficulté : la gestion du temps… avec cette question : est-ce que je donne son importance à chaque chose et à chaque personne ? Ce n’est pas seulement régler des dossiers. La difficulté, aussi, c’est d’être impuissant, et c’est une difficulté plus terrible. Quand je perçois qu’un frère n’est pas heureux et qu’il va d’échec en échec, d’être impuissant face à cela, même après lui avoir fait différentes propositions, avoir réfléchi avec d’autres… Le frère peut ne pas en être conscient. Il y a un scénario qui se reproduit de communauté en communauté, mais il ne le voit pas. Pour moi, c’est une souffrance, parce qu’on n’a qu’une vie, et c’est tellement dommage. Ça me renvoie à moi-même et je me dis : « Michel, profite de la vie ! Tu n’as qu’une vie, profites-en pour ta qualité de relation avec Dieu, avec les autres.

Et avez-vous un regret ?
De ne pas connaître suffisamment l’anglais ! Toutes les rencontres des provinciaux européens se déroulent en anglais. Je peux me débrouiller, mais lorsqu’on aborde des choses un peu profondes et que mon anglais est insuffisant, ça pose problème. Ne pas avoir non plus d’éléments d’économie.
Est-ce que j’ai d’autres regrets ? Oui, beaucoup. Par exemple, il y a souvent des jubilés de frères ; je n’arrive pas nécessairement à les suivre tous, à y participer sur place. Alors j’envoie un sms, un petit mot. Pour les funérailles également…

Une dernière question : François dresse le portrait du ministre et de ses qualités. Après ces 10 ans d’expérience, pour vous, quelle est la qualité indispensable pour pouvoir être le ministre, le serviteur de ses frères ?
Le flash qui me vient, c’est Jésus avec Pierre. Dans son entretien avec lui, qu’est-ce qu’il dit du fait d’être berger de ses brebis ? Jésus explique que c’est l’amour qui est important. Pour moi, fondamentalement, ce qui est essentiel c’est d’aimer mes frères, même si je peux être en colère. Etre berger, ce n’est pas d’abord une compétence organisationnelle, intellectuelle, etc., c’est aimer. C’est cela qui fait tout traverser. Aimer Dieu, recevoir son amour et pouvoir le redonner.

D’où l’importance de ce temps personnel de vie spirituelle …
Absolument, c’est capital. Temps de vie spirituelle, d’oraison, de lecture de la Parole de Dieu, de relecture le soir. En 2015, j’ai suivi les Exercices spirituels dans la vie courante de St Ignace, pendant un an et demi. Il y a eu une évolution dans ma relation à la Parole, dans la relecture, etc. La vie spirituelle est capitale parce qu’être Provincial, c’est dangereux, comme toute responsabilité.
C’est dangereux — c’est sans doute la même chose pour une vie de couple ou pour une vie à hautes responsabilités — parce qu’on est, et je le suis, poussé au bout de soi-même. C’est dangereux, parce qu’en étant confronté à des choses très difficiles, je peux aller soit vers des compensations, soit vers un approfondissement. Donc, il y a danger, et il y a chance. Une chance de transformer le danger en approfondissement de la relation amoureuse avec Dieu. Ou alors, il peut y avoir compensation, dans le pouvoir, dans l’alcool, dans la dépression. C’est le même enjeu que dans toute vie : elle est dangereuse mais elle peut être géniale ! Je comprends beaucoup mieux certains psaumes aujourd’hui qu’hier. Je suis en train de méditer le psaume 21, le 68 aussi. Vu les situations que nous vivons et que je vis, il y a un autre éclairage… « Que la bataille s’engage contre moi, je garde confiance », « Seigneur, ma lumière et mon salut ». Des paroles des psaumes ou de l’Évangile ont une autre couleur à présent. Jésus prit avec courage le chemin vers Jérusalem. Avec courage, et je sais beaucoup mieux maintenant ce que ce courage peut signifier. C’est le passage pour moi de l’agacement face aux difficultés : « Merde, je suis Provincial ! Je voudrais être ailleurs ! » à la joie : « Michel, c’est une chance ! » Je crois que l’enjeu, c’est de passer du ressentiment, de la colère, à la louange. La vie me propose des évènements que je dois accepter profondément pour y voir le chemin qui m’est offert afin d’aller plus loin dans ma relation à Dieu, aux autres, et à moi-même. Ce qui est très beau, c’est que nous avons un Dieu trinitaire. La Trinité, c’est la relation entre le Père, le Fils, dans l’Esprit. Tout est relationnel. Si je suis devenu Franciscain, c’est parce que je suis tombé amoureux… Le Christ est au centre ; s’il n’y a pas la relation au Christ, je ne sais pas ce qu’est la relation à Dieu. Pour moi, la relation au Christ, c’est le tout. Mon combat, c’est de faire tout en Lui. Parce que le danger est d’être « un athée pratique », c’est-à-dire de faire des choses sans Lui. J’avoue que je suis assez régulièrement athée ! Je ne crois pas qu’il m’en veuille trop… mais c’est indispensable de repérer ce danger, d’en être conscient.

Propos recueillis par Pascale Clamens-Zalay, le 5 octobre 2023
La première partie de cet entretien a été mise en ligne sur notre site au mois de novembre.

Témoignage de Frère Michel Laloux (1ère partie)

Nous avons souhaité, dans le cadre de notre réflexion, « François…ou quand l’autorité se fait service », recevoir le témoignage d’un frère en responsabilité. Le Frère Michel Laloux a accepté de nous rencontrer et de partager son expérience de ministre provincial des Franciscains de France-Belgique.

François invite le ministre à se faire le serviteur de ses frères. Comment vous, Frère Michel, vivez-vous votre charge de ministre provincial ?
Actuellement, je rends visite à chaque communauté, une visite canonique, et c’est justement mon rôle de rencontrer et d’écouter en profondeur chaque frère. Je le rencontre, puis je rencontre la communauté, et c’est véritablement le premier rôle du Provincial: écouter chaque frère, écouter jusqu’au bout (écouter jusqu’au bout, ob-audire, c’est être obéissant). Un exemple : récemment, un frère âgé refusait absolument de quitter sa communauté, pour ne pas être placé dans un EHPAD. On a pris en compte sa demande. Je l’ai étudiée avec la communauté, puis je lui ai dit : « Oui, c’est possible. » Donc, c’est écouter le frère, mais c’est aussi écouter la communauté. Être Provincial, c’est ne pas se substituer au responsable local. Etre le Provincial ça veut dire, pour moi, être serviteur, ni plus, ni moins. Par exemple, s’il y a un conflit dans une communauté entre deux frères, et que l’un des deux me téléphone, je vais d’abord le renvoyer au responsable, au gardien parce qu’il y a subsidiarité. Ou s’il y a une demande qui m’est adressée, je vais voir avec le gardien. Cela fait dix ans que je suis Provincial. Plus j’avance, et plus je vois que c’est vraiment important d’agir dans le cadre de ma fonction, ni plus, ni moins.
Alors, mon rôle ?…comment être serviteur de mes frères ? Mon rôle, c’est d’abord, comme le dit François d’Assise, d’exhorter mes frères, de les encourager — une des choses les plus difficiles aujourd’hui, c’est la dépression, la dévalorisation de soi — et de pouvoir encourager un frère dans ce qu’il est, dans ce qu’il fait, et donc de refléter ce qui est positif, mais pas ce qui est imaginaire : d’être toujours vrai.

Il y a deux excès d’un Provincial, ou d’un serviteur de ses frères, c’est l’autoritarisme et le laxisme. Pour freiner l’autoritarisme, il y a le discernement des communautés, il y a l’aide du conseil du Provincial. Beaucoup de choses permettent un contre-pouvoir. Il y a aussi un cadre qui est donné par l’ensemble des frères, dans les mandats, au moment d’un chapitre provincial, donc ce n’est pas « faire ce que je veux ». Mais aussi, pas de laxisme, et François est une boussole…Pas de laxisme, pourquoi ? Il peut y avoir un frère, par exemple, qui disjoncte, qui se montre violent envers les autres frères. Ça doit d’abord être réglé par le gardien. Mais, si c’est trop grave, alors là je dois intervenir. Et ça peut aller jusqu’à demander au frère de quitter la communauté, de recommencer dans une autre communauté… Ce n’est pas simplement m’en laver les mains. Evidemment, il faut d’abord que j’en parle au conseil provincial, mais c’est parfois dire stop ! C’est un des cas où il faut exercer l’autorité. Parce que, chez les Franciscains, parfois, on peut être gentil. Mais il ne s’agit pas d’être gentil, il s’agit d’être bon, et même par moments d’être tranchant. Voilà, c’est un peu comme dans l’éducation d’un père ou d’une mère, c’est de voir ce qui est ajusté au réel.

Comment conciliez-vous la part administrative croissante de votre charge et la présence indispensable aux frères ?
Concrètement, si je reçois une demande de la curie générale franciscaine de Rome pour connaître l’état de la province en terme de nombre – on est cent quinze –je vais la renvoyer à Jean-Pierre, qui est mon secrétaire. Dès que j’ai une demande d’ordre administratif, je vois si c’est moi qui dois m’en occuper ou si c’est quelqu’un d’autre. C’est pareil pour chaque courriel, parce que j’ai énormément de courriels et de demandes. Je vois si c’est à moi ou à quelqu’un d’autre de répondre, ou si ce n’est pas opportun. C’est toujours un discernement dans ce que je dois faire, ce que je peux faire. C’est vrai aussi, au niveau financier, avec Yannick qui est économe provincial. C’est lui demander s’il peut gérer, ou lui demander un avis, parce que c’est ma charge mais que j’ai besoin d’être éclairé. Donc, effectivement, il y a un boulot administratif qui est énorme et mon rôle c’est de déléguer. Parfois, je signe simplement.

Et vous avez le sentiment que vous arrivez vraiment à rester disponible pour vos frères ?
C’est tout mon problème : la gestion du temps. Mais c’est aussi la distance intérieure, par rapport à tous les problèmes, à tout le quotidien. C’est une grosse question. Ça rejoint celle de l’hygiène de vie, de la vie spirituelle. Ce n’est pas simplement une délégation. C’est ne pas être habité par tous les problèmes. Pour moi, c’est la question numéro un : comment je reste centré sur le Christ ? Non seulement centré, mais comment est-ce que mon union au Christ va grandissante ? En étant accompagné spirituellement, en méditant la Parole de Dieu, en faisant du sport, en courant 30 à 40 km par semaine. J’ai moins de temps pour la danse, mais j’ai besoin d’oxygène, d’aller à l’extérieur. L’équilibre de vie, l’hygiène de vie, c’est primordial. Je pense souvent aux athlètes de haut niveau : une des choses importantes pour eux, c’est la récupération. Comment je récupère ? Comment je fais le vide ? En ayant chaque matin une bonne période d’oraison, c’est-à-dire de silence. Ça équilibre par rapport au nombre de paroles que j’entends. Se mettre à l’écoute de la parole de Dieu, c’est fondamental.

Ce n’est donc pas qu’une question de temps et de délégation, c’est aussi une question de vie intérieure pour ne pas se noyer et pour rester disponible pour ses frères ?
Absolument. Et puis je demande souvent à Dieu de me rendre présent à l’instant. C’est tout simple, mais…mais d’être vraiment là… c’est tout un travail. Chacun, avec son emploi du temps, comment faire pour être quelqu’un de vivant, quelqu’un de présent à chaque instant, qui écoute vraiment en profondeur ?

Pour tout être humain, l’autorité peut se transformer en pouvoir. Comment, en tant que Provincial franciscain, parvenez-vous à vous garder de ce danger, pour que votre autorité soit toujours un service ?
Chez les Jésuites, le Provincial a un socius, un numéro deux, qui interpelle le Provincial et qui lui dit : « Il me semble que là, ou là, ce n’était pas tout à fait juste. » On n’a pas cela au niveau structurel chez les Franciscains. Mais, quand même, Frédéric-Marie, qui est le vicaire provincial, peut, à certains moments, m’interpeler, me dire là où ça a « beugué ». C’est important pour que l’autorité ne se transforme pas en pouvoir. Il n’y a pas que lui, il y a le conseil provincial et puis il y a les frères. Il y a donc de nombreux éléments qui peuvent permettre de faire attention à ce pouvoir, parce que c’est un des risques. C’est un risque important, d’autant plus important chez les Franciscains que, structurellement, à la différence des Dominicains ou des Jésuites, les contre-pouvoirs ne sont pas organisés, c’est-à-dire écrits. Un Provincial pourrait être très autoritaire, chez les Franciscains, parce que son domaine de décision est très étendu. Est-ce une question de tempérament, ou de limites que je perçois chez moi aussi ? En général, j’essaie, le plus possible, de partager les questions. Par exemple avec le conseil, le définitoire, pour qu’on puisse décider ensemble. Encore une fois, structurellement, le Provincial pourrait être autoritaire. Mais la mentalité est différente dans la spiritualité franciscaine : il y a une fraternité, et un esprit démocratique. Parfois même, il y a des frères qui me disent : « Michel tu pourrais décider beaucoup plus tout seul »… J’hésite par rapport à cela. Je préfère partager trop plutôt que trop peu. Les choses sont certes plus lentes, car plus participatives, mais je crois aussi plus profondes.

Et vous pensez qu’aujourd’hui les frères, dans un conseil, n’hésitent pas à dire non au Provincial ?
Oh oui ! Nous venons d’avoir des définitoires, et sur plusieurs questions, les frères m’ont dit : « non, non, nous on voit autrement. » Il y a une liberté de parole assez large et les frères sont suffisamment à l’aise pour me dire les choses. Un petit exemple : quand j’envoie une lettre à tous les frères de la province, je la fais toujours relire par l’ensemble du conseil. Ils me font des corrections, des compléments. Donc ce n’est pas la parole du Provincial, ou, en tout cas, elle peut être corrigée. Et puis je vois que certains frères peuvent mieux s’exprimer que moi…et donc, en étant Provincial, je touche beaucoup plus à mes limites parce qu’il y a tellement de domaines : administratif, canonique, juridique, psychiatrique parfois… J’ai besoin d’aide, et pas seulement de mes frères. Par exemple, je travaille avec une psychanalyste sur toutes les questions d’abus sexuels, car on a parlé des frères jusqu’ici, mais c’est beaucoup plus vaste…

Par conséquent, je crois que c’est très important, par rapport au pouvoir, de toucher ses limites. Je les perçois beaucoup plus aujourd’hui qu’avant d’être Provincial. Je pense souvent au curé d’Ars à qui on demandait : « Est-ce que vous n’êtes pas tenté par l’orgueil ? » Il répondait : « Non, je suis tenté par le désespoir. »
On ne voit pas cela chez ceux qui détiennent l’autorité, mais ça peut être terrible… le sentiment de ne pas être à la hauteur. Il ne faut pas avoir un complexe d’infériorité, mais reconnaître qu’on n’est pas à la hauteur et que c’est normal. Oui, c’est normal que je sois impuissant dans certaines situations.

Pour que l’autorité ne se transforme pas en pouvoir, il y a aussi toute la vie spirituelle, dont je parlais tout à l’heure. C’est extrêmement important, pour vivre vraiment, de savoir qu’il n’y a qu’un seul responsable, et c’est Dieu. C’est la question de la confiance de la foi qui se pose à toute vie humaine : c’est lorsque nous sommes confrontés à notre impuissance que peut se développer la confiance en Dieu, avec une autre profondeur. L’enjeu est le même pour tout un chacun, parce qu’on a tous des responsabilités, mais dans un cadre particulier pour le Provincial.

Propos recueillis par Pascale Clamens-Zalay, le 5 octobre 2023
La seconde partie de cet entretien sera mise en ligne sur notre site au mois de décembre.