Églises contre théâtres ?

Le monde du spectacle est l’un des secteurs d’activité les plus touchés par les restrictions décidées en haut-lieu, sans aucune visibilité quant aux espoirs de reprise, toujours renvoyée aux calendes grecques d’une amélioration sanitaire. Cette limite indéterminée, fluctuante, est un horizon ressenti comme arbitraire alors même que les lieux de spectacle ont engagé de longue date toutes les dispositions préconisées et suffisantes. Ainsi, nombreux sont les artistes désorientés qui ne comprennent pas que les lieux de culte dont la disposition matérielle est similaire à leurs lieux de travail puissent eux ouvrir à peu près librement.

D’une posture anticléricale assez répandue dans ces milieux du spectacle, ils interprètent cela comme un favoritisme d’État, fruit d’un mélange des genres entre Églises et Pouvoir, et se sentent les parents pauvres, « non-essentiels », d’une société où il se vivent souvent comme marginalisés. C’est évidemment une position puérile que d’accuser d’injustice celui qui n’en est pas, ou moins, victime que soi, plutôt que de restituer les responsabilités avec discernement au niveau où elles se prennent, et en l’espèce de « bouffer du curé » plutôt que d’engager une réflexion, voire une action, sur les incohérences de la gestion gouvernementale. Mais c’est là un des défauts courants du monde du spectacle dont je me permets de parler pour en avoir longtemps fait partie : un désintérêt habituel assez général pour la chose politique, et même citoyenne, un corporatisme non dénué d’un certain sentiment de supériorité, d’indifférence hautaine pour les conditions d’existence de ceux qui constituent pourtant leur public (hors certains rites caritatifs qu’ils voient parfois comme une simple possibilité d’affichage promotionnel). La situation extrêmement critique dans laquelle les artistes se trouvent aujourd’hui leur rappelle cruellement qu’ils font partie de la société, parce qu’en en étant exclus de fait, ils prennent brutalement conscience, peut-être, qu’ils en faisaient partie au delà de la billetterie et d’un succès attendu. Ils pourraient par exemple, au lieu de crier à la collusion du sabre et du goupillon, réfléchir aux dimensions sociales de leurs professions, à leurs rôles et à leurs places particulières dans l’humanité, la civilisation. Ils verraient peut-être enfin combien l’exercice de leur art s’est engagé de plus en plus, et sournoisement, dans la voie d’un échange de type commerçant avec un public qu’ils ont de plus en plus tendance à percevoir malgré eux comme un marché. Qu’est-ce qui est « essentiel » pour un artiste : gagner de l’argent ou se livrer à sa création ? Les deux bien sûr, car il faut bien vivre. Mais lorsque le gain détermine la création, peut-on encore parler d’art, et d’artistes ? Dire que ce que vivent les professions artistiques aujourd’hui est la mort de l’art et de la culture reviendrait à avouer qu’elles ne vivent que par, et donc pour, l’argent. Ce n’est heureusement pas le cas de très nombreux artistes de toutes disciplines dont la plupart, d’ailleurs, n’ont pas attendu la crise sanitaire pour manger de la vache enragée, quand il y en avait. Ceux-là, habitués au dénuement, survivront. Mais comme pour l’ensemble des acteurs économiques, ce sont les petites productions, les petites salles, les petits réseaux qui sortiront exsangues — ou ne sortiront jamais — de cette interminable disette. Le marché sera alors entièrement dégagé pour les produits de l’industrie culturelle aux reins autrement solides, et l’art aura complètement fini d’être l’émanation d’une population qui choisit en son sein des porte-voix pour traduire en mots, en sons, en images, la multitude de choses qui la traversent.

Mais si les artistes remettent la création authentique au centre de leur travail et de leurs préoccupations, l’humanité saura bien leur refaire la place qu’ils ont depuis l’origine des temps, et le public pourrait bien vite se désintéresser de la culture industrielle marchande pour redevenir ainsi une population en quête de sens. La rude épreuve que les artistes traversent est peut être l’occasion de cette très profitable remise en question. Encore faut-il s’y risquer… Peut-être après tout que ce que certains artistes envient aujourd’hui à l’Église, sans le voir ni le comprendre, bien plus que le privilège momentané de l’ouverture au public, c’est justement sa faculté à se remettre en question à travers les siècles pour se recentrer sur son rôle évangélique et salutaire, comme François d’Assise l’a poussée à le faire en son temps et comme le pape François s’y efforce courageusement aujourd’hui. Alors si c’est ça les amis : à vous de jouer !

Jean Chavot

Abbé Franz Stock

Il est des figures d’Église demeurées trop longtemps ignorées. Celle de Franz Stock en est une. Ce prêtre né en 1904 en Westphalie était l’aîné d’une modeste et fervente famille catholique. Très jeune, Franz aspira à devenir prêtre ; rien de bien original. Mais en 1926, il participa aux rassemblements internationaux de jeunes organisés par Marc Sangnier[1]. Le souci de Sangnier, laïc engagé, consistait à réconcilier l’Église avec le monde moderne et à œuvrer pour la paix. Ce fut une expérience qui marqua le futur séminariste de Paderborn[2]. Il participa avec 800 autres jeunes Allemands au sixième « Congrès démocratique international pour la paix » qui rassembla 6 000 jeunes de 33 pays différents. Il rencontra un Français très engagé socialement, Joseph Folliet[3], qui fonda les Compagnons de Saint-François.  

Favorable à un « pacifisme d’action », Folliet approcha en effet les délégués du Quickborn (on pourrait traduire par fontaine d’eau vive voire fontaine de jouvence) dont l’un des animateurs était Franz Stock. Ce mouvement était d’inspiration franciscaine et invitait à découvrir les bienfaits de la nature, du chant et de la marche[4]. Sa formation de prêtre le conduisit souvent en France et il fut, du reste, le premier étudiant allemand à s’inscrire à l’Institut Catholique de Paris. Fasciné par la France, il maîtrisait à la perfection le français. En 1930, avec le professeur Hans Wirtz, Franz[5] Stock fonda les Pionnieren des Heiliges Franziskus[6], branche allemande du mouvement des Compagnons de Saint-François.

En 1934, le cardinal-archevêque de Paris, monseigneur Verdier le nomma recteur de la paroisse allemande de Paris. Cet intellectuel et artiste qui peignait et lisait avec passion Pascal, Saint-François de Sales et Paul Claudel fut confronté dans son sacerdoce aux conflits qui agitaient l’Allemagne hitlérienne. Sa paroisse était fréquentée par de fervents nazis mais aussi par des réfugiés politiques ou raciaux qui venaient, toutes confessions confondues, chercher aide et secours auprès de Franz Stock.

Quand l’Allemagne occupa la France en 1940, le père Franz Stock devint aumônier des prisons allemandes à Paris. Une de ses tâches fut d’assister les otages et résistants condamnés à mort par les occupants[7]. Il accompagna de multiples condamnés à mort dont Honoré d’Estienne d’Orves, et Gabriel Péri[8], député communiste de Seine-et-Oise et membre du comité central du PCF, qui confia à Franz Stock son alliance afin qu’il la remette à son épouse. L’«aumônier de l’enfer »[9] cousit deux poches à l’intérieur de sa soutane, pour transmettre des objets, des messages et des écrits entre les détenus, leurs familles et leurs proches. Il offrit son soutien pastoral à ceux qui le souhaitaient et visita les détenus des prisons de Fresnes, de la Santé et du Cherche-Midi. À la fin de la guerre, il fut fait prisonnier par les Américains et confié aux Français. Il fut chargé d’organiser puis de diriger le « séminaire des barbelés »[10] rassemblant les séminaristes allemands prisonniers de guerre. L’ambition était de promouvoir la réconciliation et de jeter les bases d’une Europe nouvelle. Plus de 600 prêtres furent formés dans ce séminaire avant qu’il ne fût fermé en juin 1947. Franz Stock resta en France pour s’occuper des Allemands qui y séjournaient, mais les efforts qu’il avait dû déployer pendant la guerre puis à la tête du séminaire l’avaient tellement épuisé qu’il mourut à l’hôpital Cochin le 24 février 1948, âgé de 44 ans.[11] Il fut enterré le 28 février 1948 dans un complet dénuement au cimetière de Thiais. Considéré encore comme prisonnier de guerre, sa famille n’eut pas le droit de venir, et nul hommage ne fut rendu à cet homme de Paix. Apprenant à temps son décès, Mgr Roncalli[12], ignorant les précautions officielles, assista aux obsèques et, au nom de l’Église, rendit à l’abbé Stock l’hommage que la France n’osait lui rendre en affirmant :« Franz Stock, ce n’est pas un nom, c’est un programme ! ». Le 3 juillet 1949, les anciens résistants français rendirent à leur tour hommage à Franz Stock au cours d’une cérémonie commémorative publique au Dôme des Invalides. Enfin, le samedi 15 juin 1963, les restes de l’abbé Stock furent exhumés en présence de nombreux représentants de divers mouvements de la Résistance. Le monument funéraire, offert par les familles des anciens prisonniers et fusillés français, reconnaissantes, fut transféré à Chartres. Beau symbole de réconciliation : ce 15 juin 1963, Franz Stock fut enterré en l’église Saint-Jean-Baptiste de Rechèvres[13] alors qu’était ratifié le traité de Paris pour l’amitié franco-allemande. En 2009, L’archevêque de Paderborn, Mgr Hans-Joseph Becker, ouvrit une procédure de béatification en faveur de Franz Stock qui est en cours d’examen à Rome depuis 2014.

ÉRIK LAMBERT.


[1] Né en 1873, fondateur du Sillon, revue puis mouvement, il nourrit l’ambition de concilier le spiritualisme chrétien et les revendications populaires pour la justice sociale. Aspira à créer un mouvement démocrate-chrétien.
[2] Paderborn, ville du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Ouest de l’Allemagne) où se trouve un grand séminaire.
[3] Joseph Folliet s’est intéressé à l’apostolat social et à la politique. Ce fut aussi un grand spirituel. Lors d’un voyage à Assise, il découvrit le message franciscain et fonda en 1927 Les Compagnons de Saint François. Il participa aux premières activités de la J.O.C (Jeunesse ouvrière chrétienne), de la J.E.C (Jeunesse étudiante chrétienne) et de la J.A.C (Jeunesse agricole chrétienne). Actif dans le journalisme, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Temps Présent, il dirigea La Chronique Sociale de France. Résistant, Il participa à Témoignage Chrétien et s’engagea dans le réseau Mitterrand des prisonniers de guerre.
Après le conflit, il demeura très engagé pour le respect de la personne humaine, particulièrement lors de la guerre d’Algérie. Il devint prêtre en 1968.
[4] Apparu après la première guerre mondiale dans les cercles catholiques, ce groupement était l’un des nombreux mouvements de jeunesse qui se caractérisaient par le retour vers la nature, l’importance donnée à la communauté, un style de vie simple, la responsabilité du travail de groupe, l’indépendance et la proximité avec les renouveaux théologiques. Les randonnées et les campements en faisaient naturellement partie, l’abstinence d’alcool et de tabac jouait un grand rôle. Le sentiment d’appartenir à une communauté reçut une nouvelle importance grâce à la liturgie : la messe célébrée en communauté, les efforts pour la communion fréquente et surtout le combat pour une nouvelle compréhension des symboles liturgiques furent théologiquement réfléchis et mis en pratique. Celui qui appartenait à l’un de ces groupements de jeunesse pouvait se considérer comme faisant partie de l’avant-garde du catholicisme allemand.
[5] Prénom peut-être prémonitoire…Franz signifie François.
[6] Les pionniers de Saint-François.
[7] F. Stock, Journal de guerre : 1942-1947 : écrits inédits de l’aumônier du Mont Valérien, Cerf.
[8] Honoré d’Estienne d’Orves : https://www.herodote.net/29_aout_1941-evenement-19410829.php
[9] R.Closset, L’Aumônier de l’enfer, Salvator , 1965.
[10] Au Coudray, près de Chartres. https://www.chartres-tourisme.com/explorez/toutes-les-visites/seminaire-des-barbeles-1360810
[11] « Jamais », écrivit le résistant Edmond Michelet, « Franz Stock ne se demande : est-ce un Allemand ou un Français ? Est-il chrétien, juif ou incroyant ? Est-il innocent ou coupable ? Une seule question se posait pour lui : a-t-il besoin de moi ? Comment puis-je alléger ses souffrances ? ».
[12] Futur Jean XXIII.
[13] https://www.chartres-tourisme.com/explorez/toutes-les-visites/eglise-saint-jean-baptiste-de-rechevres-1360797

« Patience et longueur de temps font-elles plus que force ni que rage ?»

Durant l’année écoulée, ce qui nous était apparu, de prime abord, comme un « simple virus » a suffi pour déstabiliser nos scientifiques et nos politiques, et pour mettre à mal notre existence au quotidien. Patience… Combien de fois n’avons-nous pas entendu ou prononcé cette injonction, tant il est vrai que notre monde, habitué à vivre, non le présent, mais l’immédiateté, a perdu le sens de cette vertu.

La patience est avant tout un attribut de Dieu. Dans l’Ancien Testament, Dieu est décrit comme miséricordieux et « lent à la colère » ; certes il punit en cas de nécessité, mais le plus souvent, il se montre longanime. Les manquements de l’homme à son Alliance ne le rebutent pas, et il laisse au pécheur le temps pour se repentir et revenir à lui. Son amour est fidèle et patient, il ne se dément pas, il sait attendre. Nombreux sont les passages proches de celui-ci : « Le Seigneur est miséricordieux et bienveillant, lent à la colère et plein de fidélité. » (Ps 103,8) Et s’il advient que l’homme fasse preuve de patience, c’est qu’il a acquis une certaine sagesse : « Mieux vaut un homme lent à la colère qu’un héros, un homme maître de soi qu’un preneur de villes. » (Pr 16,32)

La Bible nous parle également d’une autre forme de patience : l’endurance, c’est à dire la persévérance dans la foi face aux épreuves, aux doutes, à l’incompréhension, à la souffrance, ou dans l’attente que se réalisent les promesses de Dieu. Des exemples nous en sont donnés à travers de grandes figures : Abraham, Moïse, Job, les prophètes…

C’est la patience de l’homme de foi qui ne se décourage pas, qui reste constant, même dans le malheur, qui s’en remet à la volonté de Dieu car il sait que son Seigneur ne l’abandonnera pas. C’est la patience du croyant qui attend dans la confiance que s’accomplissent les promesses divines et qui espère contre toute espérance.

Dans le Nouveau Testament la patience se conjugue avec l’espérance, celle du salut final « Car notre salut est objet d’espérance ; et voir ce qu’on espère, ce n’est plus l’espérer : ce qu’on voit, comment pourrait-on l’espérer encore ? Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec constance » (Rm 8,24-25), celle des biens célestes à venir « vous avez soutenu un grand assaut de souffrances […] Ne perdez donc pas votre assurance ; elle a une grande et juste récompense. Vous avez besoin de constance, pour que, après avoir accompli la volonté de Dieu, vous bénéficiez de la promesse. » (He 10,32-38) Dieu ne choisit pas d’éprouver l’homme, par contre c’est l’espérance qui a pris corps en Jésus Christ qui permet au chrétien de tenir et de vérifier sa foi dans l’épreuve « Tenez pour une joie suprême, mes frères, d’être en butte à toutes sortes d’épreuves. Vous le savez : bien éprouvée, votre foi produit la constance » (Jc 1,2-3), « Heureux homme, celui qui supporte l’épreuve ! Sa valeur une fois reconnue, il recevra la couronne de vie que le Seigneur a promise à ceux qui l’aiment. Que nul, s’il est éprouvé ne dise : C’est Dieu qui m’éprouve. Dieu en effet n’éprouve pas le mal, il n’éprouve non plus personne » (Jc 1,12-13). Le croyant se conforme ainsi au Christ, exemple parfait de la patience dans l’épreuve jusqu’à la mort : « Car c’est une grâce que de supporter, par égard pour Dieu, des peines que l’on souffre injustement […] Or, c’est à cela que vous avez été appelés, car le Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un modèle afin que vous suiviez ses traces. » (1 P 2,19-21) Bien loin d’être passive, la patience se traduit par une attente active et dynamique qui engage tout notre être ; Paul et Pierre nous invitent à « courir avec constance l’épreuve » à laquelle nous sommes confrontés, notre patience s’en trouvera alors fortifiée. Enfin, Paul nous rappelle que nous vivons par l’Esprit et que nous devons marcher sous son impulsion, or « voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi » (Ga 5,22-23). Le fruit de l’Esprit par excellence c’est l’amour et c’est l’amour seul qui produit la patience car : « il ne s’irrite pas, il n’entretient pas de rancune […] Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout. » (1 Co 13, 5-7)

François d’Assise, lui aussi, souligne que c’est dans les difficultés que se mesure notre patience : « Ce qu’un serviteur de Dieu possède de patience et d’humilité, on ne peut pas le savoir tant que tout va selon ses désirs… » (Adm 13). Dans le Cantique des Créatures, il loue la persévérance de ceux « qui supportent épreuves et maladies » en conservant la paix, il reprend également l’image de la couronne de vie qu’ils recevront du Très-Haut. Par ailleurs, il associe patience et humilité : humilité de celui qui renonce à sa volonté propre pour s’abandonner en toute confiance à celle du Père.

Souhaitons que l’année nouvelle nous redonne le goût de la patience…Patience envers nos frères et sœurs : il ne s’agit pas d’apprendre à les supporter mais d’apprendre à les aimer toujours davantage car seul l’amour peut transformer leur cœur et le nôtre. Patience face aux épreuves : quand tout semble se dérober, c’est dans la foi que nous puiserons l’espérance qui nous maintiendra fermes et résolus, car notre Père ne peut se détourner de nous. Nous savons bien que son amour et sa tendresse pour nous ne passeront jamais…

P. Clamens-Zalay

Saint Jean Chapitre 11 Versets 1-54

La Résurrection de Lazare

Remarques préliminaires

1. Utiliser le mot « résurrection » pour Lazare est équivoque ; au sens strict, il ne devrait s’appliquer qu’à Jésus, devenu « corps glorieux ». Pour Lazare, c’est plutôt le ‘retour à la vie’.

2. C’est le récit le plus long du 4ème évangile. Mais aussi le plus central (le 11ème des 21 chapitres). Il sert en quelque sorte de charnière aux deux grandes parties de l’évangile : il « clôt » le livre des « signes » (ch. 1-12), et prépare celui de « l’heure de la gloire » (ch. 13-21). C’est à partir du retour à la vie de Lazare que les juifs décident définitivement de mettre Jésus à mort. C’est parce qu’il a rendu la vie à Lazare qu’on va prendre la sienne.

3. Ce signe est le 7ème et dernier « miracle-signe » opéré par Jésus (4 en Galilée + 3 à Jérusalem) :
• Cana
• Guérison du fils de l’officier à Capharnaüm
• Guérison du paralytique de Bethzatha (Jérusalem)
• Multiplication des pains
• Marche sur la mer
• Guérison de l’aveugle-né (Jérusalem)
• Le retour à la vie de Lazare (Jérusalem)

Introduction

Lazare est un « Signe » : c’est à dire qu’il n’est pas qu’un fait, il est une prédication au travers d’un geste, une révélation en acte.
Révélation de deux vérités insoupçonnées, du moins pour un regard purement humain, purement « charnel », dirait Jean :

1. Jésus laisse deviner ici le mystère de sa condition transcendante ;
2. et en rendant la vie à Lazare, il symbolise sa propre résurrection prochaine.

La mystérieuse condition transcendante de Jésus

1. Après la guérison du paralytique de la piscine de Bézatha, Jésus disait : « En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu’il voit faire au Père ; car ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement. C’est que le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait ; il lui montrera des œuvres plus grandes encore, de sorte que vous serez dans l’étonnement. Comme le Père en effet, relève les morts et les fait vivre, le Fils aussi fait vivre qui il veut » (5, 19-21).
C’est ce qui se passe pour Lazare quand Jésus lui rend la vie.
Et l’on comprend alors le début de cet épisode, le retard de Jésus et l’une ou l’autre de ses réflexions : « Cette maladie n’aboutira pas à la mort, elle servira à la gloire de Dieu : c’est par elle que le Fils de Dieu doit être glorifié » (11, 4)
« … Notre ami Lazare s’est endormi, je vais aller le réveiller » (11)
« … Lazare est mort ! et je suis heureux pour vous de n’avoir pas été là, afin que vous croyiez » (15)

2. « … afin que vous croyiez ». Que les disciples croient à quoi ? Pas seulement au pouvoir de Jésus de faire des miracles, mais à sa condition tout à fait transcendante, qui seule explique un tel pouvoir sur la vie et sur la mort.
Et cette condition transcendante (cette ‘gloire’), c’est la condition même du Père.

3. Cette révélation sur la condition transcendante de Jésus est bien marquée par la progression de la triple confession de foi de Marthe (21-27)
• D’abord, tout comme sa sœur Marie après elle, la simple foi au pouvoir de Jésus sur la maladie : « … si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort » (21.32).
• Puis, sa foi (Marthe) à la résurrection générale à la fin des temps (24).
• Puis, sa profession de foi complète : je crois que tu es, Seigneur, de filiation et d’origine divine : « Oui, je crois que tu es la Résurrection et la vieque tu es le Messie, le Fils de Dieu, Celui qui vient dans le monde » (27). Marthe croit à ce Messie insoupçonné et stupéfiant, qui se prétend maître de la vie. C’est déjà le credo chrétien.

Fr Joseph

Prière de confiance (Suite)

Seigneur,
Donne-moi un cœur pur – afin que je te voie,
Un esprit humble – afin que je t’entende,
L’esprit de l’amour – afin que je te serve,
L’esprit de la foi – afin que je demeure en toi.

Toi
que je ne connais pas
mais à qui j’appartiens.

Toi
que je ne comprends pas
mais qui m’as voué à ma destination, Toi.

Un livre

Et si le vivant était anarchique
Jean-Jacques Kupiec

Et si le vivant était anarchique.
Jean-Jacques Kupiec.
Ed : Les liens qui libèrent. 244 pages. 20 €

La biologie a connu des avancées spectaculaires au cours des deux derniers siècles. Elle donne aujourd’hui lieu à des applications technologiques, d’ordre médical en particulier, qui exigent une très grande attention philosophique et éthique car elles touchent, avec la génétique et la biologie moléculaire, au cœur même du vivant. Le livre de Jean-Jacques Kupiec, chercheur émérite, est une étude épistémologique extrêmement bienvenue pour soutenir cette réflexion collective urgente, bien que son titre et son sous-titre à sensation (politique éditoriale ?) ne lui rendent pas bien justice.

L’auteur éclaire l’histoire de la génétique depuis la vision essentialiste d’Aristote (la forme préside à l’existence) ou de Descartes (le corps-machine) en passant par les précurseurs naturalistes de Darwin (Linné, Buffon, Lamarck) jusqu’à sa naissance et son développement initial (Mendel, de Vries, Morgan). Mais le terme même de génétique pose question dès l’origine, car comme Kupiec le rappelle, le gène ne représente qu’une unité de travail hypothétique dont on n’a toujours pas la définition précise ni même la description matérielle, comme pour la notion de « caractère » qui lui est associée. Il s’appuie entre autres sur l’étude du développement embryonnaire pour renouer avec l’observation de la « tendance inhérente à varier des êtres vivants » mise en évidence par Darwin dont ses successeurs ont amputé l’œuvre pour n’en retenir que la sélection naturelle, orientant ainsi la biologie sur la voie d’un déterminisme réducteur autant qu’erroné où n’interviendrait que l’environnement, « défaut originel de la génétique : la projection d’un ordre sur le vivant ». Pourtant, la variabilité stochastique (aléatoire) est présente à toutes les échelles : variabilité du développement embryonnaire, de la différentiation cellulaire, de l’expression des gènes et de leur constitution, jusqu’à la variabilité moléculaire avec la « non-spécificité des protéines (qui) sape la théorie de l’information génétique » et restitue dans son intégralité la théorie de l’évolution en détruisant la vision fixiste des espèces, d’inspiration aristotélicienne à la vie dure, alors qu’elles ne sont que des projections arbitraires, qu’on les attribue à un plan de la nature ou à Dieu. La variabilité est première à la classification qui n’en est que la généalogie. Elle dément également le finalisme selon lequel l’évolution aurait pour but l’être humain qui serait son achèvement. La variabilité est au contraire la constante et le principe même de l’évolution autant ontogénétique que phylogénétique : « Un être vivant n’est pas un « organisme » qui réalise un ordre (plan) préétabli mais une communauté qui se construit par les relations des cellules qui la composent ». Ainsi, « (…) l’espèce et l’individu ne sont pas des entités premières, mais des entités secondaires abstraites du flux du vivant ».

Pour l’auteur, le rôle éminent de la variabilité remettrait en question la conception chrétienne de la création selon lui à l’origine des conceptions déterministes qui faussent l’observation scientifique du vivant. Mais ce n’est à mon avis qu’un préjugé dû à une réduction plus qu’erronée de la théologie à un créationnisme auquel elle s’oppose profondément. Au contraire, la variabilité stochastique corrobore pour moi magnifiquement la vision — franciscaine mais pas seulement — d’une création constante, en perpétuel renouvellement, dans un « ordre » divin qui se réinvente lui-même avec une liberté qui est la forme d’un amour dont toute hiérarchie entre les êtres est absente. La pensée franciscaine pourrait donc accueillir avec une curiosité bienveillante la conclusion de ce livre passionnant : « Le darwinisme et l‘anarchisme s’opposent à l’idée d’un ordre préétabli qui s’imposerait à la nature et aux sociétés humaines. Tous deux mettent en avant la vision d’une autoconstruction à partir de relations directes entre les êtres vivants ou les humains, dans laquelle la dépendance mutuelle et la coopération sont des éléments clés. »

Jean Chavot

Et l’essentiel dans tout cela ?

Il y eut une annonce de tempête puis une annonce d’accalmie et au moment où vous me lirez, vous seul pourrez dire le temps qu’il fait ! Nous nous souviendrons longtemps de cette période de notre existence… mais je ne suis pas un prophète, et je ne peux donc réfléchir qu’à partir de notre passé récent.

Tous nous n’avons pas la même vision de la vie et de l’avenir, il se trouve parmi nous des êtres qui sont marqués par une foi chrétienne et d’autres qui ne se réfèrent pas à la vision que cette foi inspire, mais, qui que nous soyons, personne n’est sourd à cette aspiration au « Bien et à la Paix ». Même s’il y a des hauts et des bas dans notre vie, ces deux aspects constituent des références vitales. C’est pourquoi je me pose cette question : la crise sanitaire que nous traversons pourrait-elle devenir une crise salutaire ? Et ce n’est pas seulement mon imagination qui apporte une réponse, mais l’expérience récente. Dans le ciel « sinistrosé », n’y-a-t-il pas des espaces de lumière à l’horizon ! Un mot me frappe, c’est le mot « essentiel ». Chacun sent bien qu’’il existe, à notre portée, des choix plus ou moins prioritaires. Dans l’urgence des restrictions ou du confinement, nous pouvons opérer un discernement pour mieux orienter nos décisions. En ce temps de crise, la formule « Que choisir » prend tout son sens dans une humanité fragile qui peut dériver ou régresser. Sur l’échelle des valeurs, où mettons- nous le curseur ? Je pense que le principal est de fraterniser dans un environnement parfois sauvage. C’est tout un programme, bien reformulé par la dernière encyclique « Tous Frères » du Pape François. Avec lui, nous constatons les bouleversements qui secouent notre monde. C’est comme un tremblement de terre à partir de quoi il nous faut reconstruire. Sinon l’habitude ou la peur peuvent nous transformer en inadaptés.

La situation que nous venons de traverser montre la capacité de s’adapter en inventant des manières de vivre ou de commencer. Chacun comprend bien qu’il faut s’adapter ou mourir. Les restrictions de tous ordres ont donné une saveur nouvelle à cette période de fêtes. La solution n’est pas dans la fuite sous d’autres cieux (cette formule n’est d’ailleurs pas donnée à tous) mais dans l’intériorité. C’est la charge spirituelle de ces mots nouveaux pour les fêtes : sobriété, fragilité, ouverture.

« C’est Noël tous les jours » Ce chant fredonné autrefois marque aussi cette vie nouvelle qui peut durer. C’est un vaste chantier qui commence et nous rapproche des corps fragilisés ou des êtres blessés. Alors surgit une Joie, comme une étoile, qui attire notre cœur. A l’avenir, le passage lumineux se fera par l’intériorité et par la faiblesse des petits.

Et je vous redis « Paix et Bien » les uns avec les autres.

Fr. Thierry