Ne mettons pas nos responsabilités en vacances !

Habitués à un temps rythmé, dans nos existences, par un été synonyme de vacances — du moins pour ceux qui peuvent se permettre d’en prendre — beaucoup d’entre nous, cette année, sont un peu perdus dans leurs repères, il faut bien le reconnaître. Les commentaires habituels (un peu rebattus) des revues « catho » sur le temps des vacances, temps de ressourcement et de réflexion, temps d’arrêt dans nos vies frénétiques ont-ils encore un sens au seuil de l’été 2020 ? Avec le confinement que nous venons de vivre, ce temps-là ne nous a-t-il pas été précisément imposé par la crise sanitaire ?

Il me semble plutôt que le temps est à la reprise en main et à la réflexion en termes de citoyenneté, de solidarité et de responsabilité.

La spiritualité franciscaine est-elle une spiritualité de la responsabilité ? À plusieurs égards, les témoignages recueillis auprès des fraternités de la région Créteil Saint-Denis Meaux par son bureau régional (comment avez-vous vécu le confinement et qu’aimeriez-vous changer dans votre vie ?) me paraissent apporter bien des réponses à cette question.

Ils ont d’abord mis en évidence l’exercice d’une responsabilité fraternelle immédiate : au lieu de se recroqueviller dans leur propre confinement, beaucoup d’entre nous ont spontanément joué du téléphone ou des écrans, prenant ou reprenant contact avec des personnes particulièrement isolées et fragiles. Certains ont participé à des actions solidaires comme la collecte et la distribution de produits alimentaires pour les plus démunis, tellement plus durement frappés par la crise que les autres. Nous savons que le message de saint François suppose que chacun se sente, fraternellement, responsable des autres sans pour autant se penser supérieur.

Les témoignages ont montré ensuite que le confinement a été — comme peuvent l’être parfois des vacances — l’occasion d’un lâcher prise, d’un vide intérieur qui a permis un véritable renouveau de la prière. À n’en pas douter, ce renouveau laissera des traces : reprise en couple d’habitudes de prière que la routine avait fait négliger, partages spirituels inédits avec des voisins, temps nouveau consacré à la lecture et à la méditation de la Parole, découverte d’une nouvelle dimension de la vie de foi. Il n’est pas certain que la privation de célébrations en direct et la distance forcée avec la liturgie n’aient pas permis à beaucoup d’entre nous, trop habitués au train-train de la pratique religieuse « d’avant », de faire l’expérience d’une foi plus intérieure et plus profonde. De mieux être imprégné, à la faveur, si l’on peut dire, du jeûne eucharistique, du don de la communion, et d’en retrouver le désir profond. Notre mise à l’arrêt imposée aura permis à certains de retrouver cet esprit d’adoration auquel François n’a cessé de nous engager. Beaucoup d’entre nous ont ainsi témoigné de leur intention de ne pas laisser s’éteindre, après la crise, cette flamme spirituelle étonnamment ravivée par le confinement. Renouveau de l’intériorité.

Le lâcher prise imposé par le confinement a pu se révéler aussi comme une désappropriation matérielle. Combien se sont précipités, dès le début du confinement pour trier, classer, éliminer, jeter, faire le vide dans des lieux d’habitations (et dans des têtes) encombrés par des années d’accumulation de superflu ? Combien, contraints pour cause de magasins fermés, à oublier tout achat n’étant pas dit « de première nécessité », ont constaté qu’ils n’avaient pas forcément besoin de ces emplettes, redécouvrant ainsi le détachement et la sobriété franciscaine, redistribuant les économies réalisées de force, prenant davantage conscience des désastres de la surconsommation sur l’avenir de la planète ? Renouveau de l’éthique de la sobriété heureuse.

Notre responsabilité franciscaine est enfin celle de construire la paix. Peut-être la période estivale qui s’ouvre va-t-elle calmer l’ardeur de justiciers qui s’est emparée de certains d’entre nous au plus fort de la crise. Comme si tout était simple, comme si tout était manipulation, intentions perverses ou même complot, il était facile de chercher des responsables, de rejeter sur d’autres notre propre malaise. En faisant l’impasse sur nos propres responsabilités, en ne cessant de jeter l’opprobre sur les autres, nous nous révélons être parfois de fieffés moralisateurs. J’aime à ce sujet l’esprit d’humilité et de minorité de saint François, qui ne cessa jamais de supplier ses frères de faire preuve de retenue dans le jugement moral. Avant de blâmer le monde entier, disait-il, «que chacun se juge et se méprise soi-même(1)».

Michel Sauquet

(1) Deuxième Règle, chap. II, 17.