« Comment reconnaître la volonté de Dieu et s’y ajuster… en toute liberté ? »

Durant sa conversion, François, fort de son histoire et de toute la fougue de son tempérament, a découvert progressivement, en se confrontant parfois durement à la réalité, que ses ambitions ne pouvaient satisfaire ses aspirations profondes et lui procurer la vraie joie. Des visions ou des évènements très concrets ont été pour lui des lieux de discernement. Un discernement, non pas immédiat, mais par dévoilements successifs, où Dieu se dit, même dans des erreurs et des échecs apparents.
Fils d’un riche drapier d’Assise, François ne manque pas de talents pour le négoce. Ses qualités et sa joie de vivre en font un camarade apprécié et un compagnon de fête très recherché. Il a tout pour réussir et semble promis à un bel avenir…Mais, alors qu’il rêve secrètement de gloire et d’honneurs militaires, sa participation à la guerre contre Pérouse le conduit tout droit dans les cachots de la cité rivale d’Assise. Un an d’emprisonnement, et une longue maladie vont l’affaiblir au point de creuser en lui un grand vide. Période de désenchantement et d’incertitude sur la direction à donner à sa vie…Le voici qui rêve, à nouveau, de chevalerie, conforté dans ce choix par un songe qui lui promet un futur digne d’un prince. « Inhabile encore à pénétrer les mystères de Dieu et ignorant l’art de passer des apparences visibles aux réalités invisibles, il était persuadé, à son réveil, que cette étrange vision lui assurait pour l’avenir un immense succès. » (LM 1, 3) Toutefois, son expédition prend fin à Spolète, de façon quelque peu inattendue : le Seigneur s’adresse à lui dans son sommeil et lui demande de retourner en son pays « car ta vision était l’anticipation figurée d’un évènement tout spirituel qui s’accomplira non de la façon que l’homme propose, mais selon celle que Dieu dispose. » Au matin, François rebrousse chemin vers Assise « confiant, joyeux et déjà modèle d’obéissance, il attendit la volonté du Seigneur. » (LM 1, 3)
Un autre évènement va bouleverser sa vie : c’est le baiser au lépreux. Alors qu’il chevauche dans la campagne d’Assise, il croise sur sa route un lépreux. D’abord pris de peur et de dégoût, comme il l’était à chaque fois en pareille circonstance, François se reprend, puis saute de cheval, lui offre de l’argent et, allant plus loin, saisit la main du malheureux pour l’embrasser. On oublie un peu vite ce que ce geste porte en lui, à une époque où les lépreux sont bannis de la société, exclus parmi les exclus…Dès lors, François les visite régulièrement, leur distribue des aumônes, séjourne parmi eux et les sert humblement. (LM 1, 6 ; Trois Comp. 11) Il en est transformé et franchit un pas décisif dans sa conversion : « Voici comment le Seigneur me donna, à moi frère François, la grâce de commencer à faire pénitence. Au temps où j’étais encore dans les péchés, la vue des lépreux m’était insupportable. Mais le Seigneur me conduisit parmi eux ; je les soignai de tout mon cœur ; et au retour, ce qui m’avait semblé si amer s’était changé pour moi en douceur pour l’esprit et pour le corps. » (Test 1-3)
Temps de conversion, de purification intérieure pour renoncer à tout ce qu’il ambitionnait jusque-là, car François pressent que le Seigneur l’attend « ailleurs »…C’est ainsi qu’il prie devant la croix de Saint-Damien : « Dieu très haut et glorieux, viens éclairer les ténèbres de mon cœur ; donne-moi une foi droite, une espérance solide et une parfaite charité ; donne-moi de sentir et de connaître, afin que je puisse l’accomplir, ta volonté sainte qui ne saurait m’égarer. » Et, poursuit-il dans son Testament : « Ensuite j’attendis peu, et je dis adieu au monde. » (Test 3)
L’Évangile qu’il écoute et médite en son cœur est aussi pour lui un lieu de discernement.
Ainsi, un jour qu’il assiste à la messe, il entend ce passage de Saint Matthieu où Jésus envoie ses disciples en mission : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. Ne vous procurez ni or, ni argent, ni menue monnaie pour vos ceintures, ni besace pour la route, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton… » (Mt 10, 8-10) François en est transporté de joie et s’écrie : « Voilà ce que je veux, voilà ce que je cherche, ce que, du plus profond de mon cœur, je brûle d’accomplir ! » (1 C 22) Sans attendre, il applique l’Évangile à la lettre et se confectionne un habit grossier en forme de croix, en remplaçant sa ceinture par une corde. Peu à peu, son choix de vie se dessine et va orienter son existence et celle de l’Ordre à venir : « La règle de vie des frères est la suivante : vivre dans l’obéissance, dans la chasteté et sans aucun bien qui leur appartienne ; et suivre la doctrine et les traces de notre Seigneur Jésus-Christ qui a dit : Si tu veux être parfait, va et vends tout ce que tu as et donnes-en le prix aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens et suis-moi. Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et me suive. » (1Reg 1-3)
Observer le saint Évangile, cela se traduit par des choix radicaux. Issu du monde marchand, François connait trop bien le pouvoir de l’argent et sa capacité à corrompre l’homme et ses relations. Pour suivre les traces de son Bien-Aimé qui s’est manifesté, non dans la toute-puissance, mais dans la pauvreté et l’humilité, il choisit de n’avoir rien en propre, de se détacher de tous les biens. Il refuse également tout pouvoir sur l’autre, tout esprit de domination, pour être libre d’aimer celui qui est le seul Bien, et, à travers lui, tous les hommes, ses frères. « N’ayons d’autre désir, d’autre volonté, d’autre plaisir et d’autre joie que Notre Créateur, Rédempteur et sauveur, le seul vrai Dieu, qui est le bien plénier, entier, total, vrai et souverain… » (1 Reg, 23, 9)
Se désapproprier de tout, pour se rendre totalement disponible à l’Esprit du Seigneur qui le guide tout au long de son itinéraire spirituel, comme le souligne son Testament : « Après que le Seigneur m’eut donné des frères, personne ne me montra ce que je devais faire, mais le Très-Haut lui-même me révéla que je devais vivre selon le saint Évangile. » (Test 14)
Et lorsque des doutes subsistent sur des choix à poser qui puissent s’ajuster pleinement à la volonté du Seigneur, François n’hésite pas à recourir à des médiations humaines. C’est le cas, lorsqu’il ne sait s’il doit se consacrer à la prière ou à la prédication : « Lui qui recevait des révélations merveilleuses grâce à son esprit de prophétie n’arrivait pas à s’éclairer lui-même pour trancher la question…Chercher par quelle voie, par quel moyen il pourrait plus parfaitement servir Dieu comme lui-même voulait être servi, telle était sa préoccupation constante » (LM. 12, 1-2). Il se tourne alors vers Claire et vers frère Sylvestre et leur demande de prier pour lui faire connaître la volonté de Dieu…
Enfin, quand les dissensions au sein de l’Ordre le conduisent à démissionner de sa charge de ministre, François se retire dans la solitude et traverse des heures sombres. Il lui faut accepter que son Ordre lui échappe. Il lui faut aller encore plus loin dans la désappropriation et le renoncement à sa volonté propre. Il lui faut tout remettre entre les mains du Seigneur… Dans une de ses dernières interviews, Éloi Leclerc le formulait de la sorte : « Il arrive un moment dans la vie spirituelle où Dieu nous demande de nous déposséder de ce qui nous tient à cœur, de cette mission qu’il nous avait confiée, de cette œuvre que nous avons accomplie, à laquelle nous nous sommes totalement donnés. Il nous faut lâcher prise. Renoncer à notre œuvre pour devenir l’œuvre de Dieu. » (Croire, 6 août 2015)
Toute l’existence de François aura donc été orientée vers cette recherche de la volonté divine afin de l’accomplir pleinement : « Dieu tout puissant, éternel, juste et bon, par nous-mêmes, nous ne sommes que pauvreté ; mais toi, à cause de toi-même, donne-nous de faire ce que nous savons que tu veux, et de vouloir toujours ce qui te plaît ; ainsi, nous deviendrons capables, intérieurement purifiés, illuminés et embrasés par le feu du Saint-Esprit, de suivre les traces de ton Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, et, par ta seule grâce, de parvenir jusqu’à toi, Très-Haut, qui, en Trinité parfaite et très simple Unité, vis et règnes et reçois toute gloire, Dieu tout puissant dans tous les siècles des siècles. Amen. » (Oraison de la Lettre à tout l’Ordre)

P. Clamens-Zalay