Le vin réjouit le cœur de l’homme

« Bonum vinum laetificat cor hominis … » (Qo 10,19) Sapa, le vin cuit, est à l’origine de sapientia, l’homme sage étant celui qui a du goût. Ce goût de Dieu, donc, est une allégresse pour l’homme qui sait en jouir, reconnaître à Dieu toute sa saveur. Saint Thomas explique ainsi le don de sagesse, le plus grand, puisqu’il le lie à la vertu de charité qui ne passera jamais. Cette jouissance de Dieu, qui n’est pas sensible en soi, mais peut rejaillir dans le corps, ne peut être vécue qu’en accueillant le don de l’Esprit Saint, auquel nous ne faisons pas obstacle, en le lais-sant se déployer, par notre connaissance et notre agir. La foi en Dieu, l’amour de Dieu est insé-parable d’une connaissance de ce qu’Il est, de ce qu’Il révèle. Il ne peut exister aucune opposi-tion entre la science et la charité, et si l’une empiétait sur l’autre, ce ne pourrait être de leur faute, mais de celle du sujet qui ne sait trouver l’équilibre en lui-même.

Quel mari oserait dire à sa femme qu’il l’aime profondément tout en se moquant éper-dument de ce qu’elle est ou de ce qu’elle dit ? Cet amour ne serait qu’une domination objecti-vante détestable, qui ne voit dans l’autre, non pas un tout, un sujet qui se tient lui-même dans une unité fragile, mais n’en extrait qu’une partie, objet de jouissance personnelle. Comment dire ainsi aimer Dieu et ne pas se soucier de ce qu’Il est, de ce qu’Il nous a dit et continue de nous enseigner par son Église ? Telle a été depuis deux mille ans l’enjeu de toute théologie, de tout exposé de la foi, de tout enseignement : comment rendre compte de la doctrine chré-tienne sans la trahir, sans la réduire à ses idées propres. Depuis le péché originel, la tentation de l’homme est toujours celle de dominer l’autre — la femme, par Eve, symbolise le mystère auquel il est confronté — et d’en user pour son propre plaisir.

Rester fidèle à la doctrine chrétienne est une ascèse depuis cette histoire de pomme croquée, un travail humble et parfois même difficile : non seulement nous n’avons plus les faci-lités de nos premiers parents pour saisir les mystères de la foi, mais la doctrine elle-même heurte le monde : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous. » (Jn 15,18) Et nous en sommes de ce monde, ne nous en excluons pas avant notre mort : que ne cherchons-nous pas à édulcorer l’enseignement du Christ, du Catéchisme, pour ne pas choquer les autres, pour ne pas nous choquer…, pour ne pas nous convertir ! Et pourtant, quelle fierté de savoir que l’Église s’est opposée à la torture ou à l’esclavage alors que la société n’y voyait aucun pro-blème, quelle fierté de reconnaître que la femme a la même dignité que l’homme, révolution-nant ainsi les mentalités antiques.

Comment s’imaginer s’en sortir avec ses propres forces ? Les dons de l’Esprit sont néces-saires pour une véritable fidélité à la doctrine, à l’enseignement que Dieu nous révèle, notam-ment le don d’intelligence qui nous fait pénétrer la richesse des mystères, celui de science qui nous aide à lire toute réalité terrestre sous le regard de Dieu, celui de sagesse qui nous fait goûter Dieu et nous permet de tout ordonner à Lui. L’invocation de l’Esprit Saint dans la prière est bien nécessaire, pour écouter avec attention, comprendre avec acuité, enseigner avec clar-té. Tel est l’exemple des saints théologiens qui nous ont précédés tout au long de l’histoire de l’Église ; l’avertissement du théologien Hans Urs von Balthasar doit nous alerter personnelle-ment : pourquoi sainteté et théologie se sont-elles tant séparées depuis le XIIIe siècle ? De grandes figures nous rappellent cependant que ce lien est toujours possible, saint Robert Bel-larmin, saint François de Sales…, et, sans vouloir aucunement précéder le jugement de l’Église, ne peut-on pas songer aussi à Benoît XVI ?

De même que Claudel nous invite à écouter la Bible à genoux, ainsi le théologien suisse nous invite à avoir la même attitude en théologie. Double exigence qui est celle du chrétien, penser et prier, alliage, équilibre de nature et de grâce, quand l’ordre transcendantal fonde l’ordre prédicamental : « Accipite et bibite, hic est enim calix sanguinis mei. »

Benoît Bottineau

Né en 1997, Benoît est séminariste en études de théologie au séminaire de Toulon.