«François et l’Église de son temps» 2ème partie

Comme nous l’avons déjà évoqué dans la 1ère partie, l’Église à l’époque de François connait bien des contestations dans sa forme de vie mais aussi dans les fondements de sa foi. Nous avons parlé des Vaudois, les Cathares ont été eux-aussi très influents. En quoi sont-ils considérés comme hérétiques ? Tout d’abord, ils nient l’Incarnation : pour eux, le Christ ne s’est pas fait homme mais a simplement pris l’apparence d’un homme. Ils nient également sa passion et sa mort sur la Croix. Ils rejettent un certain nombre de sacrements parmi lesquels l’Eucharistie car ils refusent de croire à la transsubstantiation (conversion totale du pain et du vin en Corps et Sang du Christ pendant la Consécration, alors que ces espèces visibles restent les mêmes). Enfin, ils croient en l’existence de deux mondes, l’un bon, monde invisible et éternel créé par Dieu et peuplé par les anges, et l’autre mauvais, monde visible qui est l’œuvre du diable. Le Christ, Fils de Dieu, est venu porter un message de salut aux hommes et aux femmes de ce monde, car ils sont eux-mêmes habités par le mal, mais il n’est point le Rédempteur.
On comprend mieux dès lors les « insistances » de François, dont la foi est celle de l’Église.

Foi en l’Incarnation, ce mystère d’amour dans lequel Dieu, le « roi du ciel et de la terre », s’abaisse humblement pour prendre chair de notre chair : « Ce Verbe du Père, si digne, si saint et si glorieux, le très haut Père du ciel annonça, par son saint ange Gabriel, qu’il viendrait dans le sein de la glorieuse Vierge Marie ; et de fait il reçut vraiment, dans son sein, la chair de notre fragile humanité » (Lettre à tous les fidèles, 4) Ainsi, trois ans avant sa mort, alors que « l’Enfant-Jésus était, de fait, endormi dans l’oubli au fond de bien des cœurs » François organise à Greccio une crèche vivante, la nuit de Noël, pour voir de ses propres yeux l’Enfant tel qu’il était à Bethléem et mieux percevoir, dans ce mystère de l’Incarnation, l’humanité et l’humilité de Dieu. « C’était le triomphe de la pauvreté, la meilleure leçon d’humilité ; Greccio était devenu un nouveau Bethléem. La nuit se fit aussi lumineuse que le jour et aussi délicieuse pour les animaux que pour les hommes. Les foules accoururent, et le renouvellement du mystère renouvela leurs motifs de joie. » (1 Cel 85-86)

Foi en l’Eucharistie, prolongement de l’Incarnation et sacrement privilégié de la présence du Christ, qui lui donne à voir et à contempler son Bien-Aimé : « du très haut Fils de Dieu, je ne vois rien de sensible en ce monde, si ce n’est son Corps et son Sang très saints » (Test 10) « Voyez : chaque jour il s’abaisse, exactement comme à l’heure où, quittant son palais royal, il s’est incarné dans le sein de la Vierge ; chaque jour c’est lui-même qui vient à nous, et sous les dehors les plus humbles ; chaque jour il descend du sein du Père sur l’autel entre les mains du prêtre. Et de même qu’il se présentait aux saints apôtres dans une chair bien réelle, de même se montre-t-il à nos yeux maintenant dans du pain sacré… Lorsque, de nos yeux de chair, nous voyons du pain et du vin, sachons voir et croire fermement que c’est là, réels et vivants, le Corps et le Sang très saints du Seigneur. Tel est en effet le moyen qu’il a choisi de rester toujours avec ceux qui croient en lui, comme il l’a dit lui-même : Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. » (Adm1, 16-22) Pour François, il y a véritablement un lien profond entre l’Incarnation du Verbe dans le sein de la Vierge et la venue du Christ chaque jour, depuis le sein du Père, dans le pain consacré.

Vénération pour la Croix, parce qu’elle symbolise les souffrances du Christ mais aussi parce qu’elle est le signe de la puissance et du salut de Dieu, non pas dans la gloire et la richesse, mais dans la faiblesse, l’abandon, l’humiliation, le dénuement le plus total. « Ce dont nous pouvons tirer gloire, c’est de nos faiblesses. C’est de notre part quotidienne à la sainte Croix de notre Seigneur Jésus-Christ » (Adm 5, 8)
En recevant les stigmates, François vit la Passion du Christ dans sa chair, mais aussi dans son cœur, lui qui ne peut retenir ses larmes et reste inconsolable au souvenir des plaies du Christ. (2 Cel 10-11)

Louange de la Création et de son Créateur. « Il savait, dans une belle chose, contempler le Très Beau ; tout ce qu’il rencontrait de bon lui chantait : Celui qui m’a fait, celui-là est le Très Bon. » (2 Cel 165)
Pour François, aucun doute, la Création tout entière est l’œuvre de Dieu, elle reflète en toute chose, en tout être, la beauté et la bonté de l’amour divin. François ne se contente pas de la célébrer, comme dans le Cantique des Créatures, il porte aussi sur elle un regard nouveau, il reconnait en elle la sagesse et la bienveillance d’un Père pour chacune de ses créatures. Il peut alors fraterniser avec l’ensemble de la Création et devenir le chantre de la fraternité universelle.

Ainsi donc, François ne remet pas en cause la foi de l’Église, il en est même un ardent défenseur. Par contre, et nous le verrons dans la 3ème partie, c’est à travers son itinéraire spirituel et la forme de vie qu’il choisit pour son Ordre qu’il va contribuer à renouveler cette Église de l’intérieur et à lui donner un nouveau souffle.

P. Clamens-Zalay