Edito de septembre

Le choix de la rentrée

Au retour des vacances, le rêve d’une vie libre et légère (pour ceux qui ont pu la goûter) est vite ramené à la réalité des difficultés quotidiennes accrues dans l’insouciance de l’été. Car comme il est de piètre tradition, des décisions impopulaires y ont été prises : nouvelles augmentations des prix de l’énergie, de la taxe foncière… dont les effets pèseront encore davantage sur les moins favorisés, ajoutant au lourd climat social dont témoigna l’ampleur inédite du toujours actuel conflit des retraites, ainsi que (quoique d’une façon plus confuse) les émeutes consécutives à la mort du jeune Nahel. De même qu’il n’a été apporté qu’une réponse répressive à ces dernières, réponse dont la légitimité, mais aussi l’insuffisance et la brutalité, ne sont pas contestables, de même les réponses gouvernementales aux inégalités criantes, au délabrement général des services publics, au grave dysfonctionnement démocratique et à l’urgence climatique ne sont qu’annonces pour le moins superficielles, perçues par la population comme des effets de manche inconsistants, voire de grossières diversions. Faut-il par exemple se soucier de l’habillement de quelques collégiens plus que des 2 000 écoliers qui vivent dans la rue ? Peut-on se féliciter du « ralentissement » de l’inflation alors que nombre de familles se nourrissent à grand peine et tandis que les profits battent des records indécents, ceux de l’État compris, qui privilégie les impôts indirects les plus injustes et fourbit déjà d’autres 49-3 ? Peut-on se targuer d’une quelconque action climatique lorsque la seule mesure prise alors que sévissait une sécheresse prémonitoire fut de tenter d’interdire les Soulèvements de la Terre dans l’ignorance du caractère de cette association et au mépris du droit ?

Comment ne pas réagir devant les constats que chacun peut faire à moins d’un aveuglement coupable sur les grandes difficultés dans lesquelles se débat la plus grande partie d’entre nous dont les plus fragiles s’enfoncent dans la misère ? Comment peut-on se vivre comme membre du peuple de Dieu et ne pas faire entendre la voix de l’Évangile dans notre monde blessé, déchiré, afin qu’y soient restaurées l’espérance et la charité, en commençant par aider nos politiques et nos grands acteurs économiques à en revenir à une démarche de vérité et de justice, condition d’un retour à l’écoute d’où seulement renaîtra la confiance très largement perdue ? Le pape François, lui, ne ménage pas sa parole au nom de notre Église, ici pour inviter le gouvernement ukrainien aux concessions territoriales nécessaires à la paix, là pour inciter les patrons du MEDEF réunis dans leur université d’été à quitter la posture de mercenaires de la finance pour s’investir dans le « soin de la Création », dans le « bien commun », à retrouver « l’odeur de l’atelier », à protéger la dignité des travailleurs et l’intégrité de la Maison commune, « notre terre [qui] ne résistera pas à l’impact du capitalisme ». L’épiscopat français, en revanche, garde le silence devant les événements qui secouent le pays et les tensions qui en aggravent les fractures ; il ne s’effraie pas, du moins officiellement, des dérives ultra-libérales et autoritaires, des dangers imminents qui minent la cohésion sociale et la démocratie. On peut concevoir que tous nos évêques, comme nous-mêmes, ne sont pas toujours d’accord entre eux, que même certains, à l’instar des conservateurs de l’Église états-unienne, s’opposent aux initiatives de dialogue et aux admonestations du pape François contre la course au profit. On peut également alléguer l’histoire française des relations entre l’Église et l’État pour justifier le mutisme politique, voire se croire obligé à une réserve honteuse après le choc provoqué par le rapport de la CIASE. On peut aussi s’aligner sur la tradition dépassée de garant de l’ordre établi qui traversa l’histoire de l’Église en contradiction avec son rôle civilisateur éminent et de défense des démunis contre les puissants dans les ordres du soin, de l’éducation, de la justice, des Dix Commandements donnés à Israël pour mieux vivre en société aux prêtres ouvriers en passant par les abbayes dont le tissu structura l’Europe et maintint une vie intellectuelle au cours de longs siècles obscurs.

Mais le choix du silence est exclu car les défis majeurs qui se présentent amènent chacun à se prononcer. La Lumière de celui qui est le Chemin, la Vérité et la Vie n’est pas faite pour être placée sous le boisseau. L’Église aujourd’hui est-elle réellement la barque du Christ dans ce monde ? Est-elle capable, en France, d’être témoin de la Bonne Nouvelle, et donc d’apporter une parole critique ? Il en va de la responsabilité et de la conscience de chacun de le déterminer.

Le comité de rédaction