Foi et politique
La France a été plongée dans une confusion politique dont on ne sait quand elle se dissipe-ra tant notre démocratie est en souffrance. Il s’avère plus urgent aujourd’hui de réfléchir à la ma-nière utile de vivre ces temps plutôt que de se jeter dans un débat certes indispensable, mais qui en l’état actuel suscite des emportements néfastes, tous imputables à la tentation du pouvoir dont l’Évangile nous renseigne sur l’inspiration diabolique et l’Histoire sur ses conséquences calami-teuses. Prendre du recul n’est en rien se mettre en retrait : « Même si en nous l’homme extérieur va à sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. » (2 Co 4,16)
Sans juger ici de l’honnêteté ni de la validité des différentes propositions, observons que toutes sont avancées non seulement comme les seules tenables, mais comme les seules protec-trices contre les dangers que comportent les propositions concurrentes. Quelle qu’en soit l’orientation idéologique, l’accent est mis sur la défense : de la nation ; du libre marché ; des droits sociaux ; de la femme ; de la nature… et des différentes conceptions de la démocratie attingentes à ces choix. Ainsi le discours politico-médiatique représente-t-il le monde clivé en plusieurs ordres irréconciliables alors qu’il est un dans sa réalité, celle vécue par les citoyens que l’artificialité de ces antagonismes livre au désarroi. De là, et d’une pratique dévoyée de la démocratie, résulte que la plupart se positionnent par défaut contre ce qu’ils estiment être la plus dangereuse des proposi-tions, et qu’un nombre croissant d’autres ne se prononcent plus du tout. Pour les y inciter, la parole publique appuie là encore sur le ressort de la peur, et secondairement sur celui de l’espoir. Mais qu’est-ce que l’espoir sinon le sourire de la peur : une même attente éperdue où s’étiole l’attention au présent et s’éteint la conscience, où prospèrent les faux prophètes en terrain conquis, labouré par des médias aux mains des plus riches, aux ordres des dominants. Ajoutons le creusement indécent des inégalités, l’absence ou l’obscurité des perspectives, la déperdition culturelle et — bien qu’un déplorable consensus autour d’un prétendu « progrès sociétal » censure cet aspect — l’égarement moral dans lequel les insistantes initiatives des différents pouvoirs plongent la popula-tion incitée à rompre avec la stabilité immémoriale des piliers de la civilisation : nous obtenons le tableau d’une société en dissolution, à la recherche désespérée de repères, disponible à toutes les aventures autodestructrices : idolâtriques, hédonistes, pornographiques, technologiques, guer-rières… « Justesse éthique et justice sociale vont de pair » rappelait la conférence des évêques de France à la veille des élections présidentielles de 2022. C’est qu’on n’ébranle pas le contrat social sans de graves dommages pas plus qu’on ne transgresse les lois éternelles sans de très lourdes conséquences. Alors, comment pouvons-nous être utiles à cette société comme à nous-mêmes, nous, fidèles qui sommes « dans le monde sans être du monde » ? Avant toute chose, contre la peur, en écoutant la voix de la paix et en la diffusant autour de nous. « Pourquoi avez-vous si peur ? N’avez-vous pas encore la foi ? » (Mc 4,40) nous interroge Jésus dans l’agitation que nous pre-nons pour une tempête. Laissons donc la foi — la confiance — nous guider afin qu’aussitôt nous revienne la lucidité : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous la donne pas comme le monde donne. Que votre cœur ne se trouble pas et ne se laisse pas effrayer. » (Jn 14.27). Nous sommes dans le monde sans être de ce monde parce que nous y vivons l’Espérance, « vertu surnaturelle par laquelle nous attendons de Dieu, avec confiance, sa grâce en ce monde et la gloire éternelle dans l’autre », nous dit Charles Péguy, « L’Espérance ne déçoit pas » (Rm 5,5), contrairement à l’espoir qui, par la passivité et l’inévitable déconvenue, mène au désespoir. Com-ment faire résonner l’Espérance dans un monde où nous sommes sans en être ? C’est une ques-tion infiniment plus fine et utile que celles qu’on se pose dans l’isoloir, lequel porte de mieux en mieux son nom.
S’il faut rendre à César ce qui est à César, c’est qu’il n’y a pas de voie directe par laquelle la charité pourrait inspirer la politique, seulement une très délicate discipline de dialectique quoti-dienne. Mais ne nous cachons pas pour autant derrière la croix, aimons ce monde où il nous est donné d’aimer Dieu. Être chrétien et citoyen n’est pas si difficile : il suffit de se rappeler que vote signifie vœu.
Le comité de rédaction