François Leclerc du Tremblay

Francois Leclerc du Tremblay (1577-1638)

Le père Joseph demeure dans l’Histoire comme le diplomate du règne de Louis XIII et de ce fait le collaborateur privilégié du cardinal de Richelieu pour ce qui concerna la diplomatie cardinalise. Il joua un rôle essentiel dans les rapports établis avec la Sublime Porte[1]. Sous son impulsion, le Royaume de France infléchit sa politique méditerranéenne. Participant à la croisade contre les Ottomans au début du Siècle des Saints[2], il défendit une politique d’évangélisation afin d’assurer la présence de la France sur le pourtour méditerranéen. Quelles furent les circonstances, la nature et la portée d’un tel changement que bien d’autres dévots ralliés à la cause royale adoptèrent dans les années 1620, et encore plus après la Journée des Dupes[3] ?

À partir de 1625 l’action pacifique en Méditerranée prit le relais de la violence armée. Le Père Joseph encouragea les missions capucines dans l’Empire ottoman. En 1626, quatre frères capucins rejoignirent Constantinople avec les lettres du Père Joseph en poche, avec celles du roi et du cardinal de Richelieu. Les clercs franciscains avaient reçu l’autorisation d’y fonder un monastère. À Istanbul, l’ambassadeur les installa dans la chapelle Saint-Georges du faubourg de Péra, à laquelle on ajouta bientôt une école qui devint ensuite le séminaire Saint-Louis. La mission se développa rapidement et conduisit à la fondation de plusieurs maisons en Méditerranée : en 1627 dans l’île de Chios en Grèce actuelle puis l’année suivante à Naxos et Smyrne. La custodie[4] de Grèce prenait forme.

Les Capucins s’installèrent par ailleurs en Syrie et au Liban, puis à Bagdad en 1628, à Ispahan en 1629. L’Afrique du Nord ne fut pas négligée : le Maroc au début des années 1620 puis l’Égypte et la Tunisie. Après 1630, ce furent Tripoli de Syrie, Syros, Andros avec également des projets à Chypre, Adalia et Damas. Les missions devaient apporter l’encadrement et le soutien spirituels nécessaires aux chrétiens d’Orient. Elles étaient chargées par ailleurs d’une action apostolique tournée aussi bien vers les musulmans que les orthodoxes de ces régions. Pour le Père Joseph, le bon missionnaire était celui qui savait confesser et prêcher dans la langue du pays. Les clercs prenaient en charge les tâches traditionnelles des prêtres envoyés à l’étranger : services religieux, prédications, confessions auxquels ils tentaient d’ajouter, lorsque les moyens ou les occasions se présentaient, le service éducatif, la création d’un Tiers Ordre ou encore, mais plus occasionnellement, le rachat des Captifs. À travers cette œuvre religieuse et apostolique de la France, il s’agissait également, pour le père Joseph, de promouvoir l’autorité de l’État en Méditerranée. Le royaume de France se considérait comme le protecteur naturel et universel des chrétiens d’Orient. Sur les recommandations du père Joseph, Louis XIII se fit le protecteur et le fondateur des missions capucines en Méditerranée. Il s’agissait aussi de cultiver la gloire et l’autorité du Roi de France en élargissant l’influence du catholicisme en Méditerranée et à travers lui de renforcer l’autorité du roi au-delà des frontières. Les religieux servaient la politique internationale de la France, en renforçant son système d’alliances. 

D’un catholicisme dévot et universaliste animé par l’idée d’une réunification de la Chrétienté, le Père Joseph passa à un catholicisme d’État replié sur le royaume, défenseur de son prince et partisan des missions pacifiques dans l’Empire ottoman et sur le pourtour méditerranéen. Au temps de la guerre de Trente Ans, c’était finalement la seule politique conciliable avec le rayonnement de la France en Europe. Mais ce qui rendait possible ce passage, c’était la place que le religieux attribuait au Très-Chrétien[5]. Dans un cas comme dans l’autre, le roi était au centre de sa pensée et de l’ordre du monde : au début du XVIIe siècle, il revenait au roi de défendre la Chrétienté non seulement en menant à bien son projet de croisade, mais aussi en se faisant le pacificateur de l’Europe. 

Toutefois, sa politique, favorable à un rapprochement avec la Sublime Porte, s’opposait aux ambitions habsbourgeoises. Le Royaume de France était alors menacé par l’Espagne de Philippe IV qui nourrissait des velléités universalistes devenant dangereuses pour une France encerclée par les possessions des Habsbourg.

Soucieux d’unité chrétienne propice à sa conception d’un ordre international stable et équilibré sous l’égide de la France, il n’hésita pas à négocier un accord avec les Ottomans consécutivement à la victoire allemande de Nördlingen le 6 septembre 1634. Sa plus belle réussite diplomatique fut de contribuer à la coalition des princes allemands contre l’empereur à la Diète de Ratisbonne[6]. Il fut par ailleurs pour beaucoup, avec l’ambassadeur Hercule de Charnacé[7], dans l’entrée de la Suède dans la guerre de Trente Ans. En 1635, la paix était sur le point de revenir grâce à la victoire des Habsbourg catholiques d’Autriche et d’Espagne sur la coalition protestante. Mais la France, qui s’était jusque-là tenue à l’écart, craignit que se reconstituât l’empire de Charles Quint et Richelieu, conseillé par le Père Joseph, s’allia aux puissances protestantes du Nord et relança le conflit. Le 19 mai 1635, le roi Louis XIII déclara la guerre à l’Espagne. La France entra ainsi dans la guerre de Trente Ans. Après une lutte incertaine, l’armée française commandée par le jeune duc d’Enghien[8], vainquit les Tercios espagnols à Rocroi le 19 Mai 1643. Cette victoire mit fin à la suprématie espagnole et à l’invincibilité des Tercios, ces redoutables soldats d’infanterie lourde, armés d’une longue pique. Dans l’ombre, le Père Joseph fut l’un des principaux artisans des traités de Westphalie[9] qui marquèrent l’émergence du principe de la souveraineté des États comme fondement du droit international et furent la base du nouvel équilibre européen dans lequel le royaume de France redevint une grande puissance européenne jusqu’à la Révolution française

Le règne de Louis XIII fut celui du développement de la puissance royale, qui fit de de ce roi le nouveau Saint Louis, capable de restaurer l’harmonie de la chrétienté, face aux prétentions hégémoniques des Habsbourg. 

Le Père Joseph fut donc l’éminence grise du cardinal, « il n’avait rien d’un personnage occulte agissant à l’ombre des pouvoirs » et fut un agent actif de ce « grand siècle des âmes »[10].

En fait, toute l’action du Père Joseph n’avait qu’un objectif : la conversion généralisée de tous les peuples de la Terre pour restaurer l’unité de la Chrétienté. 

Au printemps 1638, il fut victime d’une première attaque cérébrale puis mourut en quelques jours d’une seconde attaque le 18 décembre 1638. Le cardinal de Richelieu écrivit : « Je perds ma consolation et mon unique secours, mon confident et mon appui. ». Une légende noire : c’est le sort que l’histoire a légué au père Joseph du Tremblay, moine austère et « éminence grise » de Richelieu. A la fois Talleyrand et Machiavel, perçu par ses contemporains comme une « âme méchante », une « araignée » et un « bourreau », le père Joseph fut décrié pendant des siècles. Archétype des « éminences grises », conseillers de l’ombre, discrets et mystérieux, entourés d’une réputation sulfureuse qui rend leur influence difficile à mesurer[11]

Érik Lambert.


[1] L’expression « Sublime-Porte » désigne la maison et la résidence officielle du grand vizir, où sont regroupés les services de l’administration centrale. Le mot turc kapi désignait une porte, mais aussi le palais du sultan (d’où parfois l’expression « porte ottomane »), puis le palais du grand vizir et enfin le siège du gouvernement. Les troupes du sultan étaient désignées par l’expression kapi kullari, c’est-à-dire « les esclaves de la Porte ». À partir de 1654, le grand vizir fut doté d’un palais particulier où se tinrent les séances du divan ou Conseil du gouvernement ; ce palais fut d’abord appelé Pasa kapisi (palais du Pacha), puis Bab-i Âli, la « Sublime Porte », nom sous lequel les Occidentaux ont englobé à la fois le palais du sultan, la cour ottomane, le gouvernement et finalement l’État ottoman lui-même. Devenu Turquie après la défaite subie lors de la Grande Guerre. Vaincue à l’issue de la Guerre de 1914-1918, la Turquie ottomane suscita la convoitise de ses voisins, notamment la Grèce. Elle fut sauvée du démembrement par un général de 38 ans, Moustafa Kemal qui entra en rébellion contre le sultan et réunit dès 1919 un Congrès national. Deux pouvoirs s’affrontèrent désormais, le sultan à Istamboul, les nationalistes, regroupés autour de Moustafa Kemal, à Ankara (ou Angora), au cœur de l’Anatolie. Le traité de paix signé à Sèvres en 1920, proposa de dépecer ce qui restait de l’empire ottoman. Pour Moustafa Kemal et l’ensemble des Turcs, il apparaissait insupportable. Dans un sursaut d’énergie, les Turcs chassèrent les armées étrangères, notamment grecques. Surnommé « Ghazi » (le Victorieux), Moustafa Kemal contraignit les Alliés à signer un nouveau traité à Lausanne en 1923, qui jeta les bases de la Turquie moderne. Le sultan discrédité par l’acceptation du traité de Sèvres quitta son palais sans attendre et Moustafa Kemal put dès lors en finir avec le multiculturalisme ottoman. Le nouvel homme fort du pays déplaça la capitale d’Istamboul à Ankara et remplace enfin le sultanat par une République dont il devint le premier président (avec un pouvoir absolu).
[2] La France, au XVIIe siècle, baignait dans un climat de grande dévotion influencé par l’action de St François de Sales, St Vincent de Paul, de Port Royal, des récollets, des capucins et de bien d’autres, ce qui valut à ce siècle d’être qualifié « Siècle des Saints ». La conversion d’Henri IV en 1593, la fin des guerres de religion que conclut l’Édit de Nantes en 1598, la mise en application des décrets du Concile de Trente conduisirent à une « renaissance catholique » en France, et dans une partie de l’Europe. De là découla un enthousiasme pour les missions de la part du clergé séculier français, celles-ci étant jusque-là réservées aux congrégations religieuses. Ainsi, au début des années 1620, le projet d’envoyer des missionnaires capucins à l’étranger prit forme. En janvier 1622, un religieux du même ordre, le père Pacifique de Provins s’embarqua pour les Échelles du Levant à la demande de Joseph Le Clerc du Tremblay. 
[3] Membre du Conseil du Roi à partir de 1624, le Cardinal de Richelieu était l’artisan d’un rapprochement entre la reine mère Marie de Médicis et Louis XIII. Il gagna la confiance du roi, mais lors de la « Journée des dupes » du 9 novembre 1630, la reine mère, devenue son adversaire le plus déterminé, pressa Louis XIII de le renvoyer. Après avoir mis à la raison, les protestants, la noblesse adepte des duels et des révoltes, Richelieu voulait désormais garantir la tranquillité de la France sur ses frontières. Il aspirait à combattre la maison catholique des Habsbourg qui gouvernait l’Espagne et les États autrichiens. Louis XIII était partagé entre le respect pour sa mère et la tentation de se défaire d’elle en politique, pour s’affranchir de ce personnage encombrant, tyrannique et versatile à la fois. Mais ne serait-il pas tenté aussi de se libérer de l’emprise du cardinal, qu’il redoutait autant qu’il l’admirait ? Catholique fervent, le roi de France était rongé par le doute, face à la politique résolue, mais peut-être dangereuse du cardinal en Europe ? Finalement lors de cette « Journée des dupes » Louis XIII renouvela sa confiance et son soutien sans réserve à son ministre.
[4] Du latin custodia: «garde». Subdivision d’une province dans certains ordres religieux, notamment chez les Ordres mendiants (Capucins, Franciscains). La custodie de la Terre Sainte est la plus importante d’un point de vue historique et symbolique, les Franciscains assurant la garde des lieux Saints où Jésus a vécu.
[5] Le terme de très-chrétien est une locution, un paraxalème, issue du latin christianissimus. Ce sont les papes qui ont créé et utilisé cette expression qui désignait jusqu’au XIVème siècle tous les souverains d’Europe auxquels le successeur de Pierre s’adressait. Il s’agissait d’une marque d’amitié et de confiance, et restait donc assez rare. C’est sous le règne de Charles V (1364-1380) que le terme ne désigna plus que le roi de France, et seulement celui-ci. Le roi de France était déjà nommé « nostre bien-aimé et aîné fils » par les papes, il allait être aussi nommé roi très-chrétien
[6] Le Diète de Ratisbonne fut un rassemblement d’États impériaux du Saint-Empire romain germanique, convoqué en 1623 par l’empereur Ferdinand II. La force des princes face à l’empereur, quelle que soit leur couleur religieuse, devint évidente lors du Colloque de Ratisbonne de 1630
[7] Auprès du roi Gustave-Adolphe de Suède et négocia l’alliance entre celui-ci et Louis XIII en 1631.
[8] Connu plus tard sous le nom de grand Condé.  
[9] Traités de Westphalie
Le 24 octobre 1648 furent publiés les traités négociés dans les semaines précédentes en Westphalie (province occidentale de l’Allemagne). Ils mirent fin à la guerre de Trente Ans qui saigna l’Allemagne. Ils se soldèrent par l’émiettement politique de celle-ci. Les deux grands vainqueurs du conflit furent la Suède, devenue la principale puissance de la mer Baltique, et la France, son alliée, désormais sans rivale en Europe occidentale. Les traités consacrèrent la division religieuse de l’Allemagne. Les princes purent imposer leur confession à leurs sujets : catholique, luthérienne ou calviniste, selon le principe : « cujus regio, ejus religio » (tel souverain, telle religion). La France fut confirmée dans la possession des Trois-Évêchés de Metz, Toul et Verdun, ainsi que de la plus grande partie de l’Alsace, à l’exception notable de Strasbourg que Louis XIV annexa quelques années plus tard. Dix ans plus tard, en 1659, la paix des Pyrénées et la paix du Nord confirmèrent la prépondérance française en Europe.
[10] R.Sauzet, Au Grand Siècle des âmes – Guerre sainte et paix chrétienne en France au XVIIe siècle, Paris, Perrin, 2007, 300 pages. Un chapitre est intitulé : « Un homme d’exception : le père Joseph (1577-1638) »
[11] Souvenir encore vivace si l’on en croit une belle chambre d’hôtes en marais poitevin, hommage au Père Joseph, https://www.portail-marais-poitevin.com/chambre-avec-jacuzzi/nuit-romantique-avec-jacuzzi-pere-joseph/

Retraite régionale du 16/03/2025 –animée par le frère François Comparat, sur le thème de la Miséricorde

La retraite régionale de la Fraternité franciscaine séculière de l’Est francilien s’est déroulée le 16 mars 2025, au couvent des frères capucins, rue Boissonade à Paris.

Le frère François nous a éclairés sur le fait qu’aujourd’hui, nous n’utilisons plus guère le terme de « miséricorde ». Pourtant, il évoque cette idée concrète d’un amour qui écoute nos souffrances : c’est le cœur de Dieu qui bat à l’unisson de nos cœurs pleins de misères (« miseri » et « cordia »). L’amour passionné de Dieu pour nous trouve une expression particulière dans l’écoute de nos peines.

Le Pape François a mis d’ailleurs tout son pontificat sous le signe de la miséricorde. La bulle d’indiction du jubilé extraordinaire pour la miséricorde de 2025 Misericordiae Vultus avance que
« La miséricorde de Dieu n’est pas une idée abstraite, mais une réalité concrète à travers laquelle Il révèle son amour comme celui d’un père et d’une mère qui se laissent émouvoir au plus profond d’eux-mêmes par leur fils. Il est juste de parler d’un amour « viscéral ». Il vient du cœur comme un sentiment profond, naturel, fait de tendresse et de compassion, d’indulgence et de pardon. »

Dans l’hébreu de l’ancienne alliance, le mot est synonyme d’ « amour » dans ce qu’il a de plus maternel, de plus corporel : c’est l’amour d’une mère qui souffre jusque dans ses entrailles pour son enfant. En nous aimant, Dieu frémit devant nos malheurs. C’est un amour viscéral d’infinie compassion.

A ce titre, dans la nouvelle alliance, Jésus va au-delà de la Loi juive qu’il respecte en montrant son fondement : l’amour profond du Père. Jésus a été condamné parce qu’il pratiquait une grande miséricorde : il a montré le visage d’un Père créateur dont l’obsession est le salut et la souffrance de ses enfants. La parabole du Fils prodigue montre ainsi que nous ne perdons jamais notre condition de fils, quelles que soient nos mauvaises actions. Dieu souffre de nos souffrances.

Comme disciples, nous sommes alors invités à imiter la tendresse de Jésus-Christ et notre Père qui nous pardonne : le pardon est un préalable à la miséricorde, de même que nos œuvres qui vont bien plus loin que la simple charité. Il nous faut aimer l’autre comme le Père l’aime, avec vigueur et inquiétude. Nos actions formeront alors le cadre d’expression de notre amour.

A la fin de cette intervention, nous avons été invités à prendre un temps de silence et de méditation.

Puis, une bonne tablée partagée a permis à tous de se retrouver, de refaire connaissance et de grandir en humanité.

L’après-midi a commencé par un temps de carrefours et d’échanges qui nous a permis de tirer ensuite des perspectives pratiques de l’intervention du frère François : comment la miséricorde permet-elle de changer les choses concrètement et d’aller de l’avant ? Nous avons pu évoquer un bel exemple pour nous qu’est l’action des militants et bénévoles d’associations caritatives qui ne travaillent pas pour les pauvres, mais avec eux, tout comme Jésus faisait avec tous les pauvres et les pécheurs qu’il rencontrait.

Avant de regagner nos maisons, dans la paix et l’assurance d’être profondément aimés par notre Père, nous avons célébré ensemble l’Eucharistie pour toutes les grâces que le Seigneur nous a accordées au cours de cette journée.

Jean et Sophie Alvarez

Une Expo

« Revoir Cimabue. Aux origines de la peinture italienne », jusqu’au 12 mai, Louvre, Paris 1er. Catalogue : coéd. SE / Louvre, 280 p., 42 €.

Pour atteindre l’exposition temporaire consacrée au peintre italien du XIII°siècle Cenni di Pepo, dit Cimabue, c’est presque une aventure.  Se ranger sagement au sein d’une file d’attente reptilienne, puis s’engager dans le dédale « louvresque », emprunter escalier après escalier, tenter d’identifier un fléchage approximatif tout en affrontant une foule multinationale oppressante plongeant le visiteur aux portes de la crise d’ochlophobie. Une fois franchis les nombreux obstacles, après être parvenu à se faufiler au travers d’un étroit couloir dans lequel des toilettes-placards obstruent le bon écoulement des flots de visiteurs, on atteint avec soulagement un espace plus confidentiel enclavé dans une aile de l’immense ancienne résidence royale. 

Si l’exposition réserve la place d’honneur à la Grande Maestà qui trônait dans l’église San Francesco de Pise, on est subjugué en entrant par une Vierge et l’Enfant, de Botticelli longtemps attribuée à Cimabue. L’exposition « Revoir Cimabue », présente à cette occasion le chef-d’œuvre, entouré d’une quarantaine de pièces de « primitifs » italiens. Maître de Giotto, Cimabue fut longtemps demeuré mystérieux. Pourtant, en cette fin du XIII°siècle, il fascinait les artistes de son temps. Si Giotto est mondialement connu, on ignore tout de la vie et de l’œuvre de Cenni di Pepo tout comme de son surnom de « tchi », « ma », « boué » qui paraît si étrange. Une dizaine de peintures lui sont désormais attribuées ainsi que le cycle de fresques d’Assise et de mosaïques à Florence et à Pise. Il fut un des premiers peintres à représenter le monde tel qu’il pouvait l’observer ; il s’agissait d’émouvoir et non de s’émerveiller.  

Le monde dans lequel il vécut était tourné vers la Méditerranée. Les ports d’Italie étaient les portes d’entrée des productions byzantines et musulmanes. Échanges commerciaux mais aussi scientifiques et intellectuels ; ce qui ne laissa pas indifférents les artistes. À partir de 1250, les cités italiennes profitèrent de la fragmentation du Saint-Empire pour se développer : Pise, Gênes, Venise, Florence, Milan, Lucques, Arezzo, Rome et Naples. Si le latin dominait dans l’administration, la langue « vulgaire » commençait à coloniser l’écrit. Dès 1225, François d’Assise composa, le Cantique de frère Soleil ou des Créatures, le texte fondateur de la littérature religieuse en langue italienne. Au-delà des langues locales, le toscan fut servi par le Florentin Dante Alighieri qui engagea avec son ami Giotto la révolution intellectuelle et culturelle qui mena à la Renaissance. Certes fort méconnu des Français, le « triste Florentin »[1] demeure le symbole de l’identité italienne…La réputation de Cimabue était déjà faite puisqu’il est cité dans La Divine Comédie où, prémonition, il est question du caractère éphémère de la renommée[2]. La conjoncture économique était alors favorable, l’accumulation du capital et des richesses dégagées des campagnes, les mouvements des bateaux, la mobilité des hommes, les progrès de la connaissance et les évolutions de la pensée s’épanouissaient.     L’influence des « modèles » de l’Antiquité et d’une sensibilité nouvelle aux formes, aux lumières et aux couleurs de la nature – ce que Pétrarque qualifia d’« art revenu à la lumière »-, contribuèrent à l’éclosion des peintres italiens. Cimabue et Le Crucifix de Santa Croce puis le Christ souffrant de Giotto symbolisèrent cette évolution artistique. L’art des icônes et des manuscrits provenant de Byzance et des royaumes latins de Terre Sainte jouissaient d’un réel prestige en Italie. Toutefois, Cimabue, peintre majeur du Duecento[3], s’inspira plus des manuscrits grecs qui circulaient alors en Italie introduisant un naturalisme qui offrait l’impression que les éléments peints appartenaient non au monde du divin mais à celui du monde réel. 

L’exposition est organisée autour de la magnifique Maestà peinte pour l’église San Francesco de Pise, qui permit à Cimabue d’exploiter des modes de représentation dans lesquels les personnages s’animent comme on peut l’admirer par ailleurs dans la Madonne Gualino de Cenni di Peppo où l’on voit l’Enfant tendre ses mains vers sa Mère ou dans laMadone de Crevole de Duccio avec des anges accoudés nonchalamment à des nuages. Les peintres ne cherchent plus à reproduire un modèle ancien mais à donner l’illusion de la vie dans la peinture. Certes, il demeure certaines techniques propres aux icônes mais l’artiste cherche à représenter l’humanité des personnages. Majestueuse œuvre qui représente une Vierge, au visage doux, à la robe bleu nattier, entourée de six anges aux ailes couleurs pastel apportant au corps humain une densité inédite. La Vierge, flanquée d’anges sur son trône d’impératrice du ciel, porte des vêtements à l’antique qui structurent l’anatomie et couvrent le corps. En extraordinaire coloriste, il joue sur les couleurs pour produire des effets de lumière, par des jeux d’ombres dans les vêtements et les cous des personnages. Des inscriptions qui pourraient suggérer visuellement l’idée d’un langage divin inaccessible à notre pauvre compréhension humaine apparaissent dans le tableau. Des personnages et des accessoires sont peints de manière « naturaliste » , la main de l’Enfant en volume et une surprenante suggestion de la pression exercée sur un rouleau de parchemin ou de papier, qui se déforme. 

On ne pourra par ailleurs, qu’être fasciné par la dossale[4] d’autel d’un peintre anonyme représentant la Vierge et l’Enfant entre Saint André et Saint Jacques, certes encore d’inspiration orientale, moins naturaliste que le chef d’œuvre de Cimabue, mais d’une très grande beauté. Un petit panneau très animé pour l’époque présente l’Enfant qui recule sa jambe et bénit les trois Franciscains agenouillés aux pieds de la Vierge. On s’arrêtera enfin à La Dérision du Christ, peinture respirant la vie, dotée de personnages aux visages tous différents, aux muscles saillants, aux costumes raffinés et colorés comme saisis sur le vif, reflet d’une spiritualité plus intériorisée, plus émotionnelle. 

Revoir Cimabue – Aux origines de la peinture italienne est le titre donné à l’exposition, peut-être parce qu’à la faveur de la restauration de la Maestà et de l’acquisition du panneau inédit de Cimabue découvert en France, La Dérision du Christ, des détails ont été découverts et permettent de redécouvrir le talent novateur de ce peintre connu des seuls initiés. 

Une exposition qui se conclut par la présentation du grand Saint François d’Assise recevant les stigmates de Giotto, illustrant les mutations artistiques d’une époque à laquelle les certitudes d’un monde souvent figé dans l’immobilité du sacré, s’ouvre à de nouvelles perspectives.

Érik Lambert.


[1] Selon Joachim du Bellay
[2] « Cimabue se crut, dans la peinture, Maître du champ, mais on crie pour Giotto, Tant que de lui, la gloire s’obscurcit », Le Purgatoire, chant XI.
[3] Terme italien utilisé pour qualifier le mouvement artistique italien du XIIIe siècle.
[4] Panneau placé contre la paroi à laquelle est adossé l’autel auquel il est destiné, à l’arrière et en surplomb de celui-ci, et dont l’ornementation est en lien avec la liturgie.

événements

« Des ténèbres à son admirable lumière » – Saint François d’Assise
Un temps fort pour vivre ensemble le mystère pascal, de la croix à la résurrection.
Retraite animée
par Fr .Joseph BANOUB, O.F.M.
avec les sœurs de St François d’Assise

Inscriptions et informations :
➡️ Sœur Brigitte Desserre (Deauville) : 06 77 60 30 60 / brigittedesserre8@gmail.com
➡️ Sœur Judith Akpata (Laval) : 07 48 11 48 19 / judithakpata@yahoo.fr
https://www.soeurs-saint-francois-assise.


5 jours de découverte du Maroc, rencontre avec les habitants du village

4 jours de retraite spirituelle avec la Fraternité de Tazert
la Visitation BP 234 43350 SIDI RAHAL –

Prix sur demande : tel (00212) 6 10 04 28 00
Inscriptions et informations : animation.tazert@gmail.com
https://www.soeurs-saint-francois-assise


Pour célébrer le 8ème centenaire du cantique des créatures, la fraternité franciscaine séculière vous invite à un grand rassemblement à Lourdes avec toute la famille franciscaine et au-delà.
Quand Du jeudi 29 mai vers 17h, avec la participation à la messe de l’Ascension, au dimanche 1er juin 2025 matin.

Au programme :
• Approche historique, philosophique et théologique du cantique des créatures.
• Ecologie intégrale : Cri de la terre et cri des pauvres.
• Actualité du Cantique des créatures.
• L’émerveillement et la louange
• des ateliers : Louer en prenant soin de la création
• des activités pour les enfants et les jeunes.

Programme détaillé, coûts et modalités d’inscription : C’est ici

Prière

Tard je T’ai aimée, ô Beauté si ancienne et si nouvelle, tard je T’ai aimée
Et voici que Tu étais au-dedans, et moi au-dehors,
Et c’est là que je Te cherchais ;
Je me jetais, moi difforme, sur ces belles formes que Tu as faites.
Tu étais avec moi, et je n’étais pas avec Toi.
Me retenaient loin de Toi ces choses qui, sans Toi, ne seraient pas.
Tu m’as appelé, et Ton cri a forcé ma surdité.
Tu as brillé, et Ton éclat a chassé ma cécité.
Tu as exhalé Ton parfum, je l’ai respiré,
Et je soupire après Toi.
Je T’ai goûté, et j’ai faim et soif de Toi.
Tu m’as touché, et je me suis enflammé du désir de Ta paix.

Saint Augustin

Entretien avec Philippe Pierre

Le 15 février dernier, Philippe Pierre, ancien DRH dans de grandes entreprises et aujourd’hui consultant et formateur très apprécié dans les milieux de l’entreprise (https://philippepierre.com), nous a fait l’amitié d’intervenir avec Michel Sauquet à Fontenay-sous-Bois, autour du thème de l’intelligence de l’Autre. Les membres des fraternités présentes ont particulièrement apprécié son apport et constaté à quel point nous avons besoin, pour enrichir notre spiritualité, du détour par des regards extérieurs à l’Ofs, qu’ils soient de croyants ou d’agnostiques. Nous lui avons demandé de dire en quoi le franciscanisme l’a intéressé.

Michel Sauquet : Philippe, comment vois-tu le franciscanisme et l’influence du fait religieux en entreprise ?

Philippe Pierre : Je le vois comme une invitation à la mesure et à la compréhension mutuelle. Je ne suis pas croyant mais je considère que toute personne est une histoire sacrée et que l’étranger est un ami que l’on ne connait pas encore. 

Le fait religieux en entreprise amène des questions que l’on peut résoudre avec de l’intelligence et de la volonté à propos de différences de rites alimentaires, de manières de se saluer, de manières de se vêtir, de normes de politesse à décoder et décrypter… En permanence. Au final, la République et la laïcité nous rassemblent en indiquant le chemin souhaitable. Un principe qui refuse qu’une personne affiche son appartenance à un collectif restreint, sa « communauté », pour n’avoir nul compte à rendre à la nation, voire au genre humain. Un principe qui appelle à la mise entre parenthèses de ce qui nous différencie au profit de ce qui nous unit. 

MS : Qu’est-ce qui t’a amené à t’intéresser au franciscanisme ? 

PhP : Surtout tes livres et nos dialogues. Et je t’en remercie. Alors que je viens du monde des entreprises privées et toi du domaine de l’humanitaire, j’ai pu confirmer – dans notre collaboration – que nous avions de communes aspirations, et notamment les mêmes inquiétudes sur les dangers de méthodes et de discours uniques, la même volonté de mettre en débat une question interculturelle souvent trop chargée, de références nationales qui enferment (tous les « Chinois » ou « Coréens » travaillent comme cela, les « Italiennes » ou les « Maliennes » ont d’abord ce type de comportement quand on les approche…). Nous voulons dépasser les dualismes[1].

Je vois dans le franciscanisme une occasion de contester des réflexes communautaires victimaires. Le franciscanisme me semble produit par la rencontre et non la simple mise en présence. Tolérer, c’est vivre côte à côte, sans véritablement chercher à se connaitre. On se tolère. Cela amène à se dérober…

Le franciscanisme m’intéresse car il invite à reconnaitre et à couronner cette maxime : pour être proche, il faut s’approcher… Je le comprends d’abord comme un art de la rencontre et du dialogue, face au loup de Gubbio, aux brigands, aux lépreux, au Sultan…

MS : Tu veux dire qu’une rencontre est davantage qu’un rendez-vous ? 

PhP : Oui. Un rendez-vous, on l’encarte dans un agenda. Une rencontre, c’est d’abord une posture d’accueil à l’inconnu. En suis-je capable ? Le franciscanisme nous montre que beaucoup de contradictions sont de fausses contradictions : il ne s’agit pas d’une juxtaposition d’éléments totalement contraires, mais plutôt d’éléments hétérogènes qu’une suspension de jugement pourrait aider à résorber, qu’une posture interculturelle pourrait élucider et enrichir. Précisément parce qu’une posture interculturelle nous apprend qu’il n’y a pas de situation où A et B sont incompatibles parce qu’ils n’ont pas de cadre ou de référent commun, appartiennent à deux mondes qui ne se rencontrent pas. On mésestime le pouvoir d’élucidation des humains quand il s’agit de comprendre les raisons d’agir de l’autre. On surestime même « cette part de la réalité qui nous échappe si nous demeurons passifs[2] ».

L’Autre n’est autre que par l’effraction qu’il ouvre. C’est ce que je comprends du message de François. Le frère Gwénolé Jeusset, dans Saint François et le Sultan écrit : « il ne s’agit nullement de se mépriser et de canoniser celui d’en face, mais de traverser la rue et de lui serrer la main en espérant un partage ». La rencontre est donc disposition d’accueil, forme psychique aimantée par la réciprocité de véritables fluides et énergies… A l’opposé de la consommation de relations feintes, comme celles que nous proposent le plus souvent une certaine télévision et un type d’Internet. La représentation d’un homme substituable, interchangeable, flexible, mobile, jetable. 

La rencontre est un appel à une réflexion sur soi-même. Et du reste, en nos sociétés, ce n’est peut-être pas le désir d’affirmer la supériorité de son désir de reconnaissance qui est le fondement de la lutte des hommes mais le désir plus secret d’échapper au mépris dans la présentation de soi. Or une société juste permet à l’homme d’échapper au mépris. Et « le rôle de la politique », écrit Alain Ehrenberg, « dans un âge de subjectivité généralisée ne consiste pas à s’occuper des âmes ou des inconscients, à définir le bien commun, mais à régler les rapports entre les hommes de telle sorte que les articulations entre souci pour soi et pour autrui soient facilitées[3] ».

MS : Quelles sont les valeurs du franciscanisme que tu as repérées comme pouvant inspirer le management ?

PhP : François m’apparaît médiateur entre des mondes à mille lieues les uns des autres. Or, une entreprise, c’est un projet de socle commun avec des personnes qui discutent des principes et veulent comprendre pourquoi. Pourquoi on agit comme cela, pour quoi on évalue nos performances comme cela… Aussi, beaucoup de messages forts issus du franciscanisme peuvent influencer des pratiques managériales au quotidien. J’en vois deux principaux. 

D’abord, faire preuve de volonté. « Vouloir vouloir… » disait un philosophe[4]. Je crois que l’espace du travail, si exigeant, appelle à refuser le fait de donner la même chose à chacun quel que soient les efforts consentis. Le risque du nivellement. Non, l’horizon pour moi, doit être celui de l’équité : identifier et assumer dans nos équipes de travail des différences qui profitent à toutes et tous. 

Travailler, c’est se confronter au réel et vouloir dépasser la contrainte. Emmanuel Mounier remarque que « tant que furent ignorées les lois de l’aérodynamique, les hommes rêvèrent de voler ; quand leur rêve s’inséra dans un réseau de nécessités, ils volèrent. Sept notes sont un étroit registre : et cependant sur ces sept notes, plusieurs siècles d’invention musicale se sont déjà établis. Qui prend argument des fatalités de la nature pour nier les possibilités de l’homme s’abandonne à un mythe ou tente de justifier une démission »[5].

Ensuite, former au doute constructif : pour promouvoir une véritable intelligence de l’autre, il faut en finir avec les certitudes conquérantes et endosser — la pandémie nous y a incité — une culture de l’incertain. Il nous faut en permanence questionner nos certitudes culturelles, comprendre que nos évidences ne sont pas forcément celles de l’autre, que derrière nos mots, l’autre met peut-être autre chose que nous, que nous n’avons pas tous les mêmes rapports au temps, à l’espace, au statut social, à l’autorité, pas la même manière de gérer les conflits, pas les mêmes modes de communication interpersonnelle… 

Il s’agit de passer d’une logique du « ou » (toi ou moi, tes méthodes, tes références ou les miennes, et l’un doit prendre le pas sur l’autre) à une logique du « et » (que nous nous soyons choisis ou non, quel commun pouvons-nous trouver entre nous, quels repères communs sur lesquels nous pouvons nous appuyer nous aideront à vivre et travailler ensemble ?) Nous devons avoir l’humilité de reconnaître que nous ne savons pas tout de l’autre, nous faire expliquer la façon dont il raisonne ; en rabattre sur nos certitudes sur ce qui est bien ou mal dans l’autre ; distinguer l’essentiel de l’accessoire, et, au total, pratiquer une « négociation socioculturelle » : comment, sans abdiquer ses propres valeurs et sans mettre l’autre sur un piédestal, trouver des terrains d’entente ?

Comme l’écrivait Jean Cocteau : « Ce qui caractérise notre époque, c’est la crainte d’avoir l’air bête en décernant une louange et la certitude d’être intelligent en décernant un blâme. »


[1] : Philippe Pierre et Michel Sauquet, L’archipel humain. Vivre la rencontre interculturelle, ECLM, 2022.
[2] : Gabrielle Halpern, Tous centaures ! Éloge de l’hybridation, Le Pommier, 2020, p. 15.
[3] : Alain Ehrenberg, L’individu incertain, Calmann Lévy, 1995.
[4] : Philippe Pierre et Michel Sauquet, Abécédaire interculturel. 50 mots à prendre en compte par temps d’intolérance, ECLM, 2024.
[5] : Emmanuel Mounier, Le Personnalisme, PUF, 2016, p. 24.

L’HEURE SOLENNELLE du JUGEMENT

La trinité infernale : Avant d’étudier cette nouvelle section, revenons sur les 2 chapitres précédents, en conclusion desquels s’impose une constatation étonnante : nous avons vu apparaître une véritable caricature de la trinité chrétienne, en la personne du Dragon, de la Bête de la mer, et de la Bête de la terre, répliques impies du Père, du Fils et du Saint-Esprit. C’est intentionnel chez Jean.

  1. Le DRAGON, figure mythique par excellence de l’opposition à Dieu, servait déjà de symbole dans l’A.T. pour qualifier Pharaon ou le roi de Babylone ; d’où son emblème royal. Sans avoir une puissance égale à celle de Dieu, le Dragon exerce son pouvoir sur terre – Surtout il est la réplique du Père, puisqu’il est à l’origine du surgissement des 2 bêtes, comme le Père engendre le Fils et l’Esprit Saint.
  2. La BETE de la MER a reçu du Dragon  » toute sa puissance, son trône et son pouvoir immense  » (13, 2). Cette investiture est une véritable parodie de celle qui fut si solennellement conférée à 1’Agneau au chapitre 5, 9-14.
    « L’une des têtes de la Bête était comme immolée à mort, mais sa plaie mortelle fut guérie » (13, 3) : ici encore, parodie évidente de l’Agneau apparaissant  » comme égorgé  » mais glorieusement vivant au chapitre 5 verset 6.
  3. La BETE de la TERRE a 2 cornes comme un agneau. Elle «  parle comme un dragon « , c.-à-d. que l’origine de son message vient du Dragon, comme celui de l’Esprit Saint vient du Père. Mais elle est entièrement au service de la 1ère bête, singeant ainsi ce que l’évangile de Jean disait de l’œuvre de l’Esprit Saint, tout au service du Fils :  » II ne parlera pas de son propre chef, mais il vous communiquera ce qui vient de moi  » (Jn. 16, 13) – Par ex. :
  • la 2nde Bête amène toute la terre à adorer la 1ère Bête, dont elle fait reconnaître l’étonnante guérison = démarquage évident de l' »évangélisation », qui consiste à faire confesser la résurrection et la divinité du Christ.
  • elle accomplit de grands prodiges et fait descendre le feu sur la terre, allusion probable au feu de la Pentecôte et aux miracles qui accompagnèrent la toute première évangélisation.

On retrouvera cette trinité infernale en Apocalypse 16, 13 et 20, 10.

L’annonce du jugement (14, 6-20)

Toute Apocalypse comporte les éléments suivants :
1) Une annonce du jugement par Dieu des persécuteurs à la fin des temps,
2) L’annonce de signes avant-coureurs de ce « jugement », sous forme de « malheurs »,
3) Enfin et surtout la promesse solennelle que les fidèles sont déjà au-delà du jugement, déjà sauvés. Or nous avons ici un résumé de la façon dont s’accomplira cette fin des temps, en quelque sorte une anticipation du jugement.

Fr Joseph

Edito avril

Accueil des étrangers : vers un retour à l’Évangile ?

Quel paradoxe ! Oui, paradoxe de la division des chrétiens quant à leur attitude sur l’accueil des étrangers dans notre pays, alors que les textes qui alimentent notre foi appellent constamment à cet accueil et ne laissent pas la moindre marge d’hésitation dans ce domaine. Ainsi l’Ancien Testament ne cesse-t-il de rappeler au peuple juif son passé de déracinement (« Tu ne molesteras pas l’étranger ni ne l’opprimeras, car vous avez été vous-mêmes étrangers au pays d’Égypte[1] »), et de décrire des situations d’errance, d’exil, évoquant notamment la situation d’Abraham, toujours étranger en terre nouvelle. Ainsi le Nouveau Testament offre-t-il aux étrangers une place privilégiée, non seulement ceux des peuples voisins (la Samaritaine du puits, le bon Samaritain, etc.) mais aussi les envahisseurs (le centurion romain par exemple). Plus encore : de l’accueil de l’étranger dépend le salut du croyant (« J’étais étranger et vous ne m’avez pas accueilli[2] »).

D’autres religions, d’ailleurs, ne sont pas en reste : le Coran prône par exemple le devoir d’hospitalité comme un héritage d’Abraham, qui accueillit royalement chez lui des hôtes étrangers dont il ignorait qu’ils étaient des envoyés divins. La sollicitude à l’égard de l’étranger est également présente dans la sagesse bouddhiste – « Autour du feu, il n’y a plus ni hôte, ni invité » – et dans l’hindouisme : « Tu fais des prières à ton Dieu, mais quand un homme frappe à ta porte, si tu l’ignores, ta prière est une impiété[3] ». En Afrique, l’étranger est, dans les cultures bantoues, un envoyé. Son message pourrait venir de l’au-delà et apporter une information nouvelle et importante. C’est pourquoi il est accueilli avec un mélange de curiosité et de vénération[4].

Sans aller jusqu’aux dangereuses extravagances de Donald Trump dont le premier acte, après avoir juré sur la Bible en janvier a été d’engager l’expulsion d’un maximum d’étrangers, ou de son vice-président pour qui le concept chrétien d’amour signifie « d’aimer d’abord sa famille et puis ses voisins, et puis sa communauté, et puis ses concitoyens et seulement après de donner priorité au reste du monde[5] », de plus en plus nombreux sont les catholiques de notre pays — y compris dans les cercles de pouvoir —  qui invoquent, pour justifier leur résistance à l’accueil d’étrangers, un luxe d’arguments plus ou moins acceptables. Lorsque l’on est, comme beaucoup d’entre nous, bien logés et bien nourris, on ne peut pas ironiser sur la crainte d’une concurrence portant sur le logement, l’emploi ou la protection sociale. En revanche, les réactions identitaires (peur de perdre notre « identité française », de voir notre religion submergée par d’autres, etc.) sont le plus souvent chargées d’une xénophobie et d’un racisme en opposition radicale avec l’idéal évangélique. Quant à tous ceux qui mettent en avant les menaces sur notre sécurité, ils versent facilement dans des amalgames et des stigmatisations, encore une fois peu évangéliques, et surtout ils oublient que les migrants eux-mêmes, particulièrement les mineurs non accompagnés, sont pour la plupart dans des situations de grave insécurité.

Reste la surexploitation de la fameuse phrase de Michel Rocard lorsqu’il était premier ministre dans les années 1990 « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde », phrase dont on omet régulièrement de signaler qu’elle était prolongée par la nécessité de traiter déjà le mieux possible la part de cette misère qu’elle a déjà. Cette prudence, ce prétendu réalisme est-il quant à lui compatible avec l’esprit de l’encyclique Fratelli Tutti du pape François quand on sait les conditions dans lesquelles sont refoulés sans ménagement ou parqués dans des centres de rétention administrative surpeuplés les arrivants étrangers « irréguliers » ? Nombreux sont d’ailleurs les franciscains, religieux ou laïcs, qui participent depuis de nombreuses années à des « cercles de silence » destinés, à l’initiative du frère Alain Richard en 2007, à protester de manière non violente contre ces conditions de rétention.

La fraternité occupe une place centrale dans notre spiritualité, à la suite de saint François dont on peut se demander s’il transigerait sur ces questions aujourd’hui. Réfléchissait-il à trois fois avant de soigner les lépreux, d’accueillir les brigands (et pourtant nos migrants ne sont pas des brigands ni des loups), de célébrer la différence ? Ne nous montrait-il pas, par son exemple que nous devons être « frères de tous ». Tout simplement parce que nous avons le même Père ! Commentant la prière enseignée par Jésus, le pape François écrivait fort à propos que si nous disons « Notre Père » et non « Mon Père », c’est parce qu’aucun de nous n’est fils unique et que si nous n’acceptons pas d’être frères, « nous pourrons difficilement devenir les fils de ce Père, puisqu’il est le père de tous[6]. »

Malgré cette évidence, les catholiques sont divisés, les évêques sont divisés, et sans doute la famille franciscaine elle-même est-elle divisée. Il ne s’agit pas ici de réclamer une abolition radicale des frontières, bien entendu, mais de tendre toujours plus vers ce que nous dit l’enseignement du Christ. Serons-nous un jour assez convertis non pour juger ceux qui ne pensent pas comme nous mais pour oser une parole publique réclamant une autre façon de considérer l’accueil, et, par là-même, même si rien n’est simple, réclamant un simple retour à l’Évangile ?  

Comité de rédaction


[1] Exode 22, 21
[2] Matthieu 25, 31-46
[3] Toukârâm, Psaumes du Pèlerin, Gallimard, Paris, 1956.
[4] Thierry VERHELST, Des racines pour l’avenir – cultures et spiritualités dans un monde en feu, L’Harmattan, Paris, 2008.
[5] Interview de J.C Vance le 30 janvier 2025 à la chaine Fox News
[6] Pape François, Quand vous priez, dites Notre Père, Bayard éditions, 2018.