Il dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » et cela, depuis longtemps, me fait violence… Je le trouve arrogant, radical, exclusif, excluant. J’ai avec lui de ces rapports adolescents dans les¬quels on est toujours trop : volubile ou complètement fermé, boudeur, adorateur, accusateur. Ses excès m’excèdent, j’y réponds par les miens. Il dit qu’il est la vie, la vérité, le chemin.
Il dit qu’il est la vie, la vérité, le chemin, et cela me fait violence.
Devant tous ceux que j’aime, je m’oppose ; devant toute grandeur, je me cabre. J’éprouve. C’est cela ou fonctionnariser l’amour. Mieux vaut mourir !
Je n’ai pas vraiment décidé de le suivre. C’est à force d’opposition que je me suis retrouvée sur ses talons. À la manière des enfants qui vous suivent bras croisés, men¬ton enfoncé dans leur colère. Dites-leur qu’ils ne sont pas tenus de rester dans vos pattes [ainsi me l’a-t-il dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie, mais… va donc où tu veux »], ils tapent du pied et s’avancent encore plus près. Ils vous veulent et je le voulais. Malgré moi. Et je voulais aussi ces paroles agaçantes, frustrantes, choquantes qui me contrariaient, me laissaient sèche, faisaient toujours bouger les lignes du portrait-robot que je m’évertuais à vouloir faire de lui. Pour qu’on reconnaisse ce bandit de ma vie, pour le placarder sur les murs du monde. Wanted !
Mais je jure que jamais je n’ai pu mettre la main sur lui. J’ai senti son souffle tout près du mien, je crois sentir souvent sa main masser mon cœur pour le réanimer. Puis, je le vois tourner à l’angle d’une rue. Car il est le chemin, la vérité et la vie. Toutes ces choses qu’on ne sait ni quantifier ni borner. Ces choses infiniment mouvantes. À la différence des gourous et des dictateurs, il met la vérité en mouvement. Il l’incarne de façon à ce qu’on la désire ardemment et qu’on placarde son nom sur les murs du monde. Ainsi, nous ne mettrons pas la main sur la vérité non plus. Mais nous nous raconterons encore longtemps — et c’est cela qui fait lever la pâte humaine — les fois où nous l’avons aperçu tourner à l’angle d’une rue.
Marion Muller-Colard
Théologienne protestante
(avec l’aimable autorisation de la revue ‘Panorama’- magazine de spiritualité chrétienne- N° 540, année 2017)