Depuis de longues années, je suis frappé par la « force de l’habitude » et je mesure quotidiennement l’énergie qu’elle recèle et les limites qu’elle révèle dans la marche de la vie. L’expérience me prouve, sans être statisticien, que bien des moments sont déterminés par des règles volontaires ou involontaires qui conduisent la vie personnelle et la vie collective.
La Foi est le nom de l’énergie qui permet à l’être de demeurer fidèle dans sa marche, évitant le double danger de l’errance et de l’immobilité.
Ne pas avoir à se poser de questions sur les choix que l’habitude règle inconsciemment est l’aspect positif de cette force qui structure la vie sans réflexion, sans discussion, car elle permet de gagner du temps et de l’énergie vitale. La vie se construit, se déroule sans conscience, sans surprise, sans hésitation, avec une économie de moyens et de temps. En pilotage automatique, les individus et les groupes vivent sans heurts, sans dérangement. Mais la vie n’est pas stationnaire, immobile, et ce fonctionnement ne prévoit pas comment intégrer les imprévus, les accidents de parcours. Pourtant, que ce soit la graine qui pousse, la plante qui se développe, l’enfant qui naît ou l’adolescent en crise de croissance, le mouvement est nécessaire, indispensable, pour grandir, pour devenir soi-même.
Seule une certaine foi éclaire le sens des crises qui obligent au dépassement et permettent de se remettre en mouvement. Leurs effets peuvent être limités par la force de l’habitude, mais elles sont fécondées par la force de la croissance impérieuse qui pousse au développement de la vie. Un chemin inhabituel, déroutant, par le dérangement même, sauve la vie en la remettant dans la bonne direction. Car si le mal nous enferme dans nos peurs, le bien peut aussi se nourrir de celles-ci. La force de l’habitude s’en trouve alors neutralisée dans ses aspects mécaniques, routiniers. Le décentrement qui en résulte permet à la grâce de se manifester et d’agir, et cette nouvelle force n’est autre que l’amour. C’est ainsi que l’amour dérange, il fait continuer à vivre quelle que soit la souffrance, et sauve.
La force de l’habitude est utile pour construire sur du solide mais elle devient un handicap pour le mouvement, si l’on n’y prend garde. La Foi est le nom de l’énergie qui permet à l’être de demeurer fidèle dans sa marche, évitant le double danger de l’errance et de l’immobilité. Deux mots dans la Bible décrivent cette réalité : le chemin et le roc. Ils sont complémentaires. Le chemin dit l’insécurité de la marche vers Dieu et le roc dit quelque chose de la sécurité de l’amour authentique.
Fr. Thierry