Compagnie k

113 courtes nouvelles qui dénoncent l’absurdité de la guerre et des horreurs qu’elle engendre.

W.March, Compagnie K, Gallmeister, 2013, Paris, 230 pages, 23,10€

Ce ne sont pas les ouvrages témoignant de la première guerre mondiale qui manquent. Britanniques, Français, Allemands ont relaté leur expérience du conflit. De Barbusse en 1916 à Lemaitre en 2013, à de multiples reprises, le Goncourt honora des ouvrages qui évoquaient la « Guerre de 14 ». Elle demeure si présente dans les mémoires qu’elle fut qualifiée de « Grande Guerre » avec deux G majuscules.

Toutefois, peu d’écrits américains rapportèrent ce que vécurent les combattants du nouveau monde dans les tranchées. Certes, il y eut le très pacifiste Johnny s’en va-t’en guerre de Dalton Trumbo, il y eut aussi Hemingway, mais La Compagnie K de William March n’eut que tardivement les honneurs de la traduction en France.

Arrivé en Europe en mars 1918, March participa aux combats du bois Belleau, de Soissons et Saint-Mihiel. Ses blessures et son comportement au feu lui valurent la Croix de guerre, la Distinguished Service Cross et la Navy Cross…
Né William Edward Campbell, il ne sortit pas indemne de son expérience.
Comme d’autres, il fut victime de troubles post-traumatiques, déjà décrits dans l’Épopée de Gilgamesh, dans Homère ou Hérodote, mais le phénomène foisonna à la faveur du premier conflit mondial. Assailli par les fantômes de ses camarades morts ou mutilés, hanté par l’éphémère masque évanescent du jeune Allemand qu’il avait immolé à la baïonnette ; il plongea dans une profonde dépression. Le sentiment de culpabilité, nourri des tueries auxquelles il a participé et auxquelles il a survécu, l’empêcha de raconter sa guerre. Toutefois, en 1933, il publia Company K, compagnie de marines dans laquelle il servit.

113 courtes nouvelles qui ne relatent pas sa propre histoire mais qui dénoncent l’absurdité de la guerre et des horreurs qu’elle engendre. Quelques tranches de vie et de mort, de souffrances au quotidien et de ce que l’homme est capable de faire lorsqu’il porte un uniforme. Chronologiquement rythmées, de la traversée de l’Atlantique à l’émergence des souvenirs d’après-guerre, les acteurs demeurent anonymes tant leur sort est banal. Des saynètes où le rare héroïsme côtoie la lâcheté, où les grades importent peu, où les situations paraissent grotesques, où l’horreur rencontre parfois l’humanité. Brutalité des combats, interminable attente, extravagante propagande, mesquineries humaines et stupidité de la logique militaire constituent le canevas de ce recueil. Situations si improbables, nées de la guerre, qui bouleverse la confortable banalité de la vie quotidienne des temps de paix. Ainsi, en est-il de la burlesque mais tragique mésaventure du soldat Benjamin Hunzinger, considéré comme déserteur pour avoir lutiné une jolie serveuse. On tue, on exécute les prisonniers, on donne des ordres absurdes, on est confronté à des situations ineptes et l’on est aveuglé par la propagande.

Parfois comparé à Remarque, March offre pourtant une œuvre originale d’une centaine de témoignages fictifs ou vécus longs d’une page ou deux, dont la cohérence est ancrée dans la réalité de ce qu’est la guerre.

ERIK LAMBERT.