Dans L’Idiot, un des personnages de Dostoïevski s’interroge : est-ce « la beauté qui sauvera le monde ? » Pour beaucoup de philosophes la beauté est bien difficile à définir, on ne peut l’expliquer par des mots, on ne peut qu’en donner des exemples. Cependant, pour Platon, le Beau, le Bien et le Vrai sont indissociables.
En ce qui nous concerne, nous avons tous fait l’expérience de la beauté : que ce soit celle d’un paysage ou d’une œuvre d’art, celle d’un regard, du sourire d’une personne aimée, ou même inconnue. Beauté d’un instant qui nous saisit de manière fulgurante ou contemplation qui nous procure un sentiment de plénitude…Cette expérience, d’abord sensorielle, suscite en nous un plaisir qui peut se transformer en une joie beaucoup plus profonde et guérir bien des maux, qui peut également nous amener à nous tourner vers Dieu.
Le récit de la création est ponctué par cette exclamation « et Dieu vit que cela était bon », or le mot hébreu tov signifie à la fois « beau », « bon » et « porteur de vie ». Après avoir fait l’homme à son image et lui avoir confié l’ensemble de la Création, Dieu est le premier à se réjouir de la beauté de son œuvre : « cela était très bon ». Nombreux sont les textes bibliques qui chantent les merveilles du Dieu Créateur : « Bénissez le Seigneur dans toutes ses œuvres. Proclamez la grandeur de son nom et publiez sa louange par les chants de vos lèvres et sur vos cithares et vous parlerez ainsi dans l’action de grâce : Qu’elles sont belles les œuvres du Seigneur […] Les œuvres du Seigneur sont toutes bonnes ». (Si 39,14-16 ; 33)
« La grandeur et la beauté des créatures conduisent par analogie à contempler leur Créateur » nous dit le Livre de la Sagesse (Sg 13,5), mais la Création, dans toute sa magnificence, n’en reste pas moins un pâle reflet de son Créateur, car il est, Lui, la source de la beauté. « Devant lui, splendeur et majesté, dans son sanctuaire, puissance et beauté. » (Ps 96,6) Non pas une beauté éphémère et subjective, marquée par une époque ou une culture, mais une beauté éternelle et indicible : la Beauté.
Dans les Louanges de Dieu pour frère Léon, à deux reprises St François écrit : « Tu es beauté, tu es douceur ».Thomas de Celano explique : « En toute œuvre, il admirait l’Ouvrier ; il référait au Créateur les qualités qu’il découvrait à chaque créature. Il se réjouissait pour tous les ouvrages sortis de la main de Dieu et, de ce spectacle qui faisait sa joie, il remontait jusqu’à celui qui est la cause, le principe et la vie de l’univers. Il savait, dans une belle chose, contempler le Très Beau ; tout ce qu’il rencontrait de bon lui chantait : Celui qui m’a fait, celui-là est le Très Bon » (2C, 165)
S’émerveiller devant chaque créature, animée ou inanimée, reconnaître en elle les traces de la beauté et de la bonté du Seigneur Dieu fait naître chez François un chant de louange au Père et à son amour créateur qui culmine dans le Cantique de Frère Soleil.
Si l’homme a été institué pour « dominer », pour gérer la Création, il en a, cependant, défiguré la beauté originelle par le péché. Associés à l’œuvre de Dieu, « cocréateurs », nous avons à restaurer l’harmonie perdue. Ce peut être en éveillant le regard à la beauté car elle ouvre le cœur et l’âme à l’autre et au Tout-Autre ; d’ailleurs, depuis Paul VI tous les papes ont adressé des messages aux artistes en soulignant leur rôle et leur responsabilité (Benoît XVI parle d’une « beauté authentique » qui « peut devenir une voie vers le Transcendant, vers le Mystère ultime, vers Dieu » mais aussi, à l’inverse, d’une beauté « illusoire » et « mensongère » qui peut asservir l’homme).
Mais c’est aussi en posant des actes d’amour qui sont, par nature, porteurs de beauté et de bonté, qui suscitent l’espérance et qui révèlent le Visage de Dieu. Nous redevenons alors image de Dieu. « L’homme est appelé à devenir libérateur et créateur de beauté en rendant ressemblante l’image de Dieu qui le fonde et l’appelle. » nous dit Olivier Clément. (Tychique n°164)
Affirmer que la beauté sauvera le monde, c’est croire qu’elle peut contribuer à restaurer l’harmonie perdue et à orienter la Création toute entière vers Celui qui est à l’origine de toute beauté, son Sauveur et Maître.
Concluons avec Benoît XVI dans son Discours aux artistes de novembre 2009 : « Qu’est-ce qui peut redonner l’enthousiasme et la confiance, qu’est-ce qui peut encourager l’âme humaine à retrouver le chemin, à lever le regard vers l’horizon, à rêver d’une vie digne de sa vocation sinon la beauté? »
P. Clamens