Dans l’Ancien Testament, Dieu se présente comme le maître d’Israël sur lequel il exerce son autorité avec bienveillance : il conduit, il avertit, il corrige, il protège… et peu à peu se dessine l’image d’un père pour son peuple « Vous êtes des fils pour Yahvé votre Dieu » (Dt 14,1). Les prophètes Osée et Jérémie insistent en soulignant la tendresse débordante de Yahweh pour son enfant, celle d’un père mais aussi d’une mère : « Et moi j’avais appris à marcher à Éphraïm, je le prenais par les bras, et ils n’ont pas compris que je prenais soin d’eux ! Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour; j’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson tout contre leur joue, je m’inclinais vers lui et le faisais manger. » (Os 11, 3-4) « Éphraïm est-il donc pour moi un fils si cher, un enfant tellement préféré, que chaque fois que j’en parle je veuille encore me souvenir de lui ? C’est pour cela que mes entrailles s’émeuvent pour lui, que pour lui déborde ma tendresse ». (Jr 31,20). Lorsqu’il faut consoler les affligés, Isaïe a recours à des images maternelles pour exprimer l’amour de Dieu : « Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles. Même si les femmes oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas. » (Is 49, 15). Ému jusqu’aux « entrailles » par les souffrances de ses « fils », Dieu est celui qui chérit ses enfants plus qu’un père, plus qu’une mère, car la fidélité de son amour ne se dément pas, ce serait se renier lui-même. Il est à la fois Créateur, Seigneur, Dieu et Père d’un peuple qu’il s’est choisi et dont les fils sont ses « bien-aimés » (Ps108, 7) et de ce fait objets de sa protection et de sa miséricorde.
Le Nouveau Testament, les Évangiles et les Lettres de Paul, nous désigne Jésus comme le Fils bien-aimé du Père. Il est celui qui accomplit les prophéties de l’Ancien Testament concernant l’Emmanuel : « un enfant nous est né, un fils nous a été donné, il a reçu le pouvoir sur ses épaules et on lui a donné ce nom : Conseiller-merveilleux, Dieu-fort, Père-éternel, Prince-de-paix » (Is 9,5). Lors de son baptême, et de la Transfiguration, Dieu l’identifie comme son Fils : « Et voici qu’une voix venue des cieux disait : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur. »(Mt 3,17). Jésus est non seulement le « Fils » mais plus encore « le Fils bien-aimé », c’est-à-dire le « Fils unique », expression que Jean emploie à de multiples reprises. Il est celui qui peut s’adresser à Dieu en le nommant « Abba ! Père ! », ce qui traduit cette relation intime et à nulle autre pareille qui les unit tous deux. Affirmer sa filiation, c’est donc affirmer sa condition divine, ce que les Juifs de son temps ne pouvaient accepter. Jean explique clairement l’unité entre le Père et le Fils, unité de nature, unité dans la gloire et dans les œuvres car le Père a tout remis au Fils et lui a donné tout pouvoir. (Jn 5,19-23) Paul, dans l’Épître aux Colossiens, célèbre la primauté du Fils bien-aimé, exalté comme Seigneur et comme Sauveur : « Il est l’image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature, car c’est en lui qu’ont été créées toutes choses…Tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toutes choses et tout subsiste en lui…Premier-né d’entre les morts, il fallait qu’il obtint en tout la primauté, car Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix. » (Col 1,15-20).
Enfin, Jésus est celui qui connait le Père et qui seul peut le révéler : « Tout m’a été remis par mon Père, et nul ne connait le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connait le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler. » (Mt 11,27).
Si tout être humain est enfant de Dieu, le chrétien devient « fils du Père » par adoption. C’est un thème cher à Saint Paul : tous les chrétiens sont fils de Dieu par la foi au Christ : « Car vous êtes tous fils de Dieu, par la foi, dans le Christ Jésus » (Ga 3,26) ; L’Esprit qu’ils ont reçu fait d’eux des fils adoptifs : « En effet, tous ceux qu’anime l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait crier : Abba ! Père ! L’Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu. Enfants, et donc héritiers ; héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui. » (Rm 8, 14-17). Par la foi nous sommes un seul être dans le Christ Jésus, lui le frère
aîné avec lequel nous partageons l’héritage paternel. Nous sommes baptisés dans le Christ pour renaître à une vie nouvelle, pour prendre part à la Vie du Fils, pour nous conformer à lui et devenir ce que nous sommes, les bien-aimés de Dieu : « Vous donc, les élus de Dieu, ses saints et ses bien-aimés, revêtez des sentiments de tendre compassion, de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience, supportez-vous les uns les autres et pardonnez-vous mutuellement, si l’un a contre l’autre quelque sujet de plainte ; le Seigneur vous a pardonné, faites de même à votre tour. »(Col 3, 12-13).
Prendre conscience de notre filiation au Père, c’est reconnaitre en l’autre un frère, lui aussi un bien-aimé du Père, alors même qu’il m’est peut-être indifférent ou hostile…C’est garder présent au cœur le commandement d’amour de Jésus : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » et le « comme je vous ai aimés » est essentiel, il est le fondement de toute fraternité. Thème tout à fait franciscain : dans notre Projet de Vie, nous pouvons lire : « En tout homme le Père des Cieux voit les traits de son Fils, premier-né d’une multitude de frères ; de même les laïcs franciscains accueilleront, d’un cœur humble et courtois, tout homme comme un don du Seigneur et une image du Christ. » (PdV 13).
Vouloir vivre en fils et filles bien-aimés du Père, c’est donc témoigner de notre confiance en un Dieu présent à chaque instant de notre vie, un Dieu qui ne peut nous oublier, comme nous le dit Isaïe ; c’est nous donner tout entier pour chacun de nos frères à la mesure de l’amour dont le Père nous aime et le traduire par des actes de charité fraternelle ; enfin, c’est rayonner pour nos frères et sœurs de sa grande douceur et de sa miséricorde inépuisable, c’est participer déjà à la nature de Celui qui nous a adoptés.
P. Clamens-Zalay