Anarchie et christianisme
Jacques Ellul
Anarchie et christianisme : voilà un titre qui sonne comme une provocation. On imagine mal en effet réunir deux termes aussi éloignés, voire opposés. En apparence du moins : ils ont pourtant en commun la force des préjugés qui entourent chacun, et à travers lesquels chacun voit l’autre.
Pour l’anarchiste, le chrétien est un suppôt de l’ordre établi dealer d’opium (« du peuple » — même si la formule est de Marx qui n’était pas anarchiste) et pour le chrétien, l’anarchiste est un suppôt de Satan poseur de bombes. Même si, incontestablement, certains anarchistes comme certains chrétiens ont incarné ces caricatures, elles sont loin de les représenter tous dans leurs réalités comme dans leurs intentions. C’est l’objet du livre : passer outre les préjugés afin qu’anarchistes et chrétiens se découvrent, dans leurs vérités et leur diversité, des convergences surprenantes pour les deux. Car l’auteur, Jacques Ellul, philosophe, politologue et théologien converti au protestantisme à dix-huit ans, en avertit dès les premières lignes : « (…) les certitudes à ce sujet sont établies depuis longtemps des deux côtés, et jamais soumises à la moindre interrogation ». Il puise pourtant dans l’Ancien, le Nouveau Testament et les enseignements pratiques de Jésus (qui, jusque devant Ponce Pilate, traite le pouvoir par le mépris) matière à démontrer le refus chrétien de toute domination hors celle de Dieu. Conjointement, il voit dans l’aspiration anarchiste le refus de toute violence et de toute oppression nées de la domination de l’homme par l’homme. Car seul Dieu est tout-puissant, et sa puissance est le contraire de la domination qu’il n’a exprimée qu’en trois occasions : Babel, le déluge, Sodome et Gomorrhe. Car « (…) le vrai visage du Dieu biblique c’est l’Amour ! Et je ne crois pas que les anarchistes seraient d’accord avec une formule qui serait « Ni amour, ni Maître ! ».
Alors qu’ill devient urgent aux yeux de la plupart d’entre nous de réinventer nos institutions politiques usées, dépassées par les réalités nouvelles de nos sociétés et incapables de relever les défis de l’avenir, peut-être est-il temps de revoir nos préjugés afin de tenter des rapprochements autrefois inconcevables et, pourquoi pas, à travers ce petit livre plaisamment écrit, de s’intéresser à la longue tradition, aussi riche que méconnue, d’anarchistes chrétiens et de chrétiens anarchistes.
Jean Chavot
Hold-up
Pierre Barnérias et Christophe Cossé
Produit et réalisé grâce à un financement participatif par un journaliste et un producteur expérimentés, le film-documentaire Hold-up a défrayé la chronique après que trois millions de personnes l’ont vu, en version officielle ou piratée, dès le jour de sa sortie (11 novembre). Un record absolu ! C’est dire, quoi qu’on en pense, combien il répondait à une attente dans une période où il est difficile d’y voir clair, et où la confiance de la population dans ses institutions politiques, scientifiques, sanitaires et journalistiques est pour le moins émoussée. Mais répond-il vraiment à cette attente ?
Son objectif premier et proclamé — alerter l’opinion sur les manipulations, les tenants et aboutissants qui marquent la « crise sanitaire » — s’est rapidement retourné contre lui puisque ses auteurs se sont vus taxés eux-mêmes de « manipulateurs complotistes », et cela aussi bien par ceux qui approuvent sans réserves la gestion gouvernementale de l’épidémie que par ceux qui à l’opposé la remettent sévèrement en cause. Le film qui dure environ trois heures est constitué de deux grandes parties. La première expose — à charge contre l’État — les controverses sur les données de l’épidémie et leurs interprétations officielles. La seconde tire argument de la première pour dévoiler et dénoncer un projet (pour ne pas dire un complot) international — le « Reset » — qui mettrait l’épidémie à profit pour opérer une refonte complète des institutions sociales, politiques et économiques de la planète au seul profit d’une mince oligarchie représentée par un gouvernement mondial. C’est dans cette deuxième partie et dans son articulation avec la première, qui semble la justifier, que le film pèche principalement. Il n’en reste pas moins que la première partie pose des questions légitimes et fournit des données solides pour étayer la critique de l’approche gouvernementale de l’épidémie en France, marquée dès l’origine par des approximations, des incohérences et même des mensonges éhontés, de la question des masques à la falsification ou à la manipulation de conclusions « scientifiques » hâtives motivées par des conflits d’intérêt patents, le tout se combinant avec une posture autocratique inquiétante au sommet de l’État, qui disqualifie les institutions démocratiques et locales au profit d’un « conseil de défense » opaque, dont on peut se demander qui il défend exactement, et contre quoi. Mais au lieu de traiter sereinement et honnêtement cette problématique ô combien sensible, le film tombe dans les pires pièges de l’actualité à sensation, en utilisant tous les effets classiques du genre : musique de catastrophe, enchaînements spectaculaires, effets de clair-obscur, démagogie de l’émotion, témoignages suspects mêlés à des témoignages authentiques, experts autoproclamés validés par le côtoiement de personnalités respectables dans un montage si peu honnête que certaines se sont récusées après avoir visionné le film.
On ne peut pourtant pas se contenter de ranger dans la catégorie « complotiste » un documentaire qui connaît un tel retentissement, comme l’ont fait la plupart des grands médias (eux-mêmes propriété d’une dizaine de milliardaires). Parce que tout n’est pas inexact dans la première partie, loin s’en faut, mais surtout parce que la vraie question est : pourquoi les Français se précipitent-ils par millions pour le voir ? La réponse ne peut pas être simple, bien sûr. Mais il semble qu’une des raisons en soit une perte grandissante de confiance, un fossé qui s’élargit entre, d’une part, la population dont trop de catégories sont dans une grande souffrance économique et morale, qui peinent à comprendre des décisions qui leur apparaissent confuses et irrationnelles, et d’autre part un monde politique et médiatique perçu comme enfermé dans ses certitudes et coupé du réel. Comment ne pas comprendre le désarroi de la population devant l’approfondissement de ce fossé ? Rien d’étonnant à ce qu’elle aille chercher ailleurs que dans les canaux officiels la description acceptable du réel indispensable au dialogue. Qu’elle s’en voie privée comporte le risque de compromettre à terme la pérennité des institutions et la stabilité de la société. Vu comme une tentative de sauter ce fossé, le « complotisme » peut aussi exprimer le désir fécond de quelque chose…
Jean Chavot