Après avoir abordé la notion de « consolation » dans les textes bibliques, il s’agit, dans cette seconde partie, d’en découvrir le sens dans la spiritualité ignatienne car elle en est l’un des fondements. Une autre vision de la consolation, pour éclairer notre foi…
Ignace disait, à la fin de sa vie, qu’il ne pouvait vivre «sans consolation, c’est-à-dire sans éprouver en son âme quelque chose qui ne venait et ne pouvait venir de lui-même, mais avait sa source en Dieu seul».
C’est durant sa jeunesse (dont certains épisodes ne sont pas sans rappeler ceux de la vie du jeune François d’Assise) qu’il va faire cette expérience. Blessé en défendant la citadelle de Pampelune assiégée par les Français, il passe sa convalescence dans le château familial. Sans projet, sans envie, il trompe son ennui dans des lectures, non pas des romans de chevalerie qu’il affectionne tant, mais des ouvrages pieux, les seuls disponibles en ce lieu. Il se rêve alors réalisant, tantôt les exploits d’un chevalier au service d’une grande dame, tantôt les miracles et les hauts faits d’un nouveau saint, à l’image de Saint François et de Saint Dominique. Peu à peu, il comprend que si ses rêves de grandeur en ce monde l’enthousiasment sur le moment, ils le laissent ensuite « sec et mécontent. Mais quand il pensait aller nu-pieds à Jérusalem […], non seulement il était consolé quand il se trouvait dans de telles pensées, mais encore, après les avoir laissées, il restait content et allègre. » (Ignace de Loyola, Récit) Il prend conscience que la vraie consolation, celle qui vient de Dieu, procure une joie et une quiétude que rien ne peut éteindre, contrairement aux fausses consolations. Ainsi, s’opère en lui une conversion qui n’échappe pas à son entourage et qui le conduit à suivre le dessein de Dieu.
Pour Ignace, la consolation n’est donc pas simplement le baume que Dieu vient apposer sur nos souffrances pour nous permettre de les dépasser. Il expérimente la consolation comme un temps privilégié de rencontre avec le Seigneur ; les jésuites parlent des « visites de l’Esprit dans l’âme humaine ». De cette union au Seigneur naissent une joie et une paix profondes, inaltérables, même si les douleurs et les épreuves sont encore présentes. Ignace écrit dans les Exercices spirituels : « j’appelle consolation toute augmentation d’espérance, de foi et de charité, et toute joie intérieure qui appelle et attire l’âme aux choses célestes et au soin de son salut, la tranquillisant et la pacifiant dans son Créateur et Seigneur. » (ES n°316) A la consolation, il oppose la désolation, c’est à dire : « les ténèbres et le trouble de l’âme, l’inclination aux choses basses et terrestres, les diverses agitations et tentations qui la portent à la défiance, et la laissent sans espérance et sans amour, triste, tiède, paresseuse, et comme séparée de son Créateur et Seigneur. » (ES n°317) Certes, la désolation peut ruiner tout ce que la consolation avait établi jusque-là, mais il est intéressant de noter qu’elle ne se définit pas en elle-même, mais uniquement en tant que le contraire de la consolation. Le Christ, par sa mort et sa résurrection, a vaincu définitivement le mal, la consolation peut donc ressurgir à tout moment. C’est pourquoi Ignace conseille, au temps de la désolation, de prier, de méditer, de s’adonner à la pénitence, de conserver la patience et de croire toujours dans le secours d’un Dieu qui nous demeure attaché, quand bien même sa présence ne nous est plus sensible.
Enfin, pour Ignace, la consolation, en tant qu’elle est union à Dieu, ne se limite pas à une contemplation statique et ne doit pas conduire à un retrait du monde, bien au contraire, elle est un élan, elle porte à l’action, à la mise en œuvre de la volonté divine, pour l’amour de Dieu et le service du prochain. Guilhem Causse en parle ainsi : « La contemplation n’est pas d’abord le fait de prier ou de regarder avec émerveillement, mais une attitude de réceptivité à l’action de Dieu, attitude à vivre aussi bien dans la prière que dans le service des frères. L’action est la manière dont l’homme se joint à l’activité divine, dans la louange ou dans le service. Et notre première et fondamentale expérience de cette activité divine est ce qu’Ignace appelle la « consolation ». Ainsi la consolation est ce qui porte à et dans l’action. » (G. Causse, Consolation et action, la spiritualité jésuite pour aujourd’hui)
« Contemplatifs dans l’action », les jésuites se sont donné pour but de porter à ce monde la consolation, avec les fruits qu’elle produit : la joie et la paix. Et ce, à travers le sacrement de la réconciliation d’une part, mais aussi à travers leurs nombreuses œuvres, dans l’éducation, dans l’aide aux plus pauvres, dans l’aide aux migrants… Citons, entre autres, le Service Jésuite des Réfugiés (JRS) lancé en 1980 et présent aujourd’hui dans une cinquantaine de pays.
Qu’à leur exemple, nous puissions goûter ces visites de l’Esprit en notre cœur et découvrir la consolation spirituelle qu’Ignace a expérimentée, pour la partager à nos frères et sœurs, car « tout ce qui n’est pas donné est perdu », selon l’expression favorite de Pierre Ceyrac, jésuite qui fut longtemps engagé auprès des Indiens les plus pauvres dans l’État du Tamil Nadu.
P. Clamens-Zalay