La pipe qui prie et qui fume de Maurice Chappaz (Réédition), Edition Conférence, 200 pages, 25€. Lien vers la boutique
Maurice Chappaz (1916-2009) est un écrivain suisse, attaché corps et âme à ses montagnes du Valais. « Seuls les paysans ont une patrie et une religion », dit-il, et en effet son regard d’une méticulosité presque paysanne, nourri par une culture profonde, éclairé par une foi vivante, se voue avec un hétéroclisme voyageur à observer le « oui pur et simple au bonheur ou au malheur d’être né », formule qui est plus qu’une formule tant le pur et le simple suffiraient à qualifier la pleine attention qu’il porte aux gens et aux choses, retranscrite avec une belle constance dans la grande diversité de thèmes et de formes de son œuvre considérable.
La pipe qui prie et qui fume (2008), dernière publication de Maurice Chappaz, est un ultime journal estival du poète qui contemple sa terre et tout ce qu’elle lui suggère en miroir de souvenirs, de rêves, de questions certaines et de réponses incertaines, sans cesse changeantes comme le paysage et le ciel qui s’offrent à ses improvisations méditatives, tandis qu’il fume sa pipe, qu’il inhale et exhale la fumée comme une manifestation de la vie entrante et sortante, que l’on nourrit et qui nourrit. Fumer, prier…
« Prier c’est fumer et souffler vers le ciel cette réalité immédiate ». Celui qui « mordille dans l’au-delà » se rend disponible à l’instant où « La pipe aussi cesse son rêve, s’éteint comme la lune » ; il « avance à reculons comme une écrevisse dans un ruisseau vers un dernier curieux premier jour ». Tout semble apprendre à ne faire qu’un dans la poésie presque synesthésique de Maurice Chappaz où la nature n’est pas séparée de l’homme qui la contemple non pas de l’extérieur, mais de l’intérieur et à l’intérieur de lui, une nature avec laquelle il se confond et qui redevient ce qu’elle est : la Création. « Dieu se parle à lui-même, la nature est son corps et Dieu lui parle, nous lui appartenons. L’esprit de Dieu plane sur nous et si nous l’écoutons nous sommes libres, nous accomplissons notre longue et brève naissance avant de laisser s’échapper l’âme devenue ce qu’elle doit être dans l’éternité. »
Plus qu’illustré — ce dont il n’aurait aucun besoin — le livre est orné de monotypes de Pierre-Yves Gabioud propres à prolonger la méditation inspirée par ces textes et, comme eux, intenses, vibrants et délicats. À défaut de partager une liqueur du Valais avec l’homme que l’on voudrait connaître « vraiment », on peut se plonger dans d’autres ouvrages publiés par le même éditeur, par exemple dans le Journal intime d’un pays qui rassemble une importante collection d’articles lumineux écrits entre 1931 et 2009 par cet auteur terrien et céleste.
Jean Chavot