Corentin Cloarec, Un franciscain en résistance.

3. Une jeunesse bretonne à l’aube du siècle des totalitarismes, … Celle d’un restaurateur de l’ordre avant le second conflit mondial, …qui le conduisit au martyr.

L’actualité et les déclarations récentes d’intellectuels auto-proclamés, illustrent la complexité de la configuration nationale au lendemain de la déroute du printemps 1940. Les illusions nourries par la posture de l’État français[1], la volonté de gommer, à l’issue du conflit, la situation proprement exceptionnelle de la collaboration d’un régime unique en Europe occupée[2], ont contribué à la manipulation éhontée de l’Histoire[3]. Entre 1940 et 1942, seuls des individus mus par des convictions philosophiques, religieuses, patriotiques, humanistes, …entrèrent en résistance. Le mouvement s’accrut avec le temps, les déconvenues allemandes, le poids croissant des restrictions, les exécutions et le STO[4], …Les motivations des résistants étaient variées : du refus de la défaite et de l’occupation, au refus du pétainisme ; du mépris de la collaboration, au rejet de la répression, des mesures antisémites et des rafles, …La résistance revêtit des formes multiples : de l’attentisme prudent, de l’écoute de la BBC, à l’action directe ; du renseignement à la diffusion de la presse clandestine ; des réseaux d’évasion, au refus du STO. Parmi ces résistants de la première heure, des religieux ulcérés par une idéologie mortifère dénoncée en son temps par la Pape Pie XI[5] s’engagèrent et payèrent de leur vie leur fidélité à l’Évangile[6]

Or, le Père Corentin, relativement préservé des combats de la campagne de France[7], refusa la captivité. Revenu à Paris, il ne pouvait qu’être indigné par les perquisitions qui frappèrent les sites franciscains dans la seconde partie de l’année 1940. Dès cette année, ses activités constituèrent des actes de résistance. Ainsi, facilita-t-il la fuite de prisonniers évadés et soutint-il les premiers résistants.  Par ailleurs, au couvent de la rue Marie-Rose, il côtoya le père Bougerol, très engagé auprès de la résistance[8]. Dès 1937, le père Cloarec avait manifesté son hostilité aux régimes totalitaires alors que le discours de componction vichyste[9] ne pouvait que heurter ses sentiments patriotiques. Cet engagement paraît cohérent avec son parcours auprès du Tiers- Ordre, son attachement à l’Action catholique et sa formation théologique plutôt doloriste. 

La résistance s’organisant au fil des années et gagnant en capacité de nuisance ; l’engagement de Corentin Cloarec s’accrut au sein du mouvement Vercingétorix. L’année 1942, charnière[10] d’un conflit qui commença à basculer, conduisit parfois les catholiques à se déchirer. En effet, malgré de notables exceptions[11]l’épiscopat français demeura très majoritairement légitimiste et pétainiste creusant un fossé entre la hiérarchie de l’Église de France et la résistance de sensibilité catholique. La déclaration de repentance de septembre 1997[12] sonna comme l’aveu d’un microcosme frileux attiré par le conservatisme affiché par l’État français, même lorsque la funeste illusion d’une autonomie de Vichy devint flagrante. On ne peut du reste que déplorer le persistant et obstiné décalage existant entre l’épiscopat et nombre de fidèles. Le Père Corentin s’engagea sur une autre voie, celle de l’aide aux filières d’évasion de pilotes et de réfractaires au STO. Ces actes de résistance constituèrent un défi pour la Gestapo et les supplétifs français de tout poil. En effet, les pilotes alliés reprenaient le combat alors que les réfractaires alimentaient les maquis. Corentin Cloarec accueillit même dans son couvent parisien des réunions clandestines et abrita des personnes recherchées. 

En 1944, la répression s’accrut, alimentée par l’imminence de la défaite et la radicalisation des « ultras » de la collaboration[13]. C’est dans ce contexte de règlements de compte que survint l’assassinat du Père Corentin. Le 28 juin 1944, deux jeunes Français envoyés par la Gestapo ouvrirent le feu sur lui. Touché de plusieurs balles alors qu’il tentait de se réfugier dans le réfectoire du couvent, il s’écroula et mourut dans une clinique peu de temps après. Qui fut à l’origine de cette exécution et pourquoi ? Difficile de nourrir des certitudes car un grand nombre de vengeances endeuillèrent la France de l’époque. Peut-être fut-ce une des réponses au meurtre de Philippe Henriot le pétainiste acharné et le collaborateur zélé de la Radiodiffusion nationale, la radio de Vichy. Antisémite forcené, propagandiste devenu secrétaire d’État à l’Information et à la propagande en janvier 1944, engagé dans « la guerre des ondes » contre le « juif » Pierre Dac, Henriot fut exécuté justement le 28 juin 1944. Peut-être le Père franciscain fut-il une victime collatérale des règlements de comptes au même titre que le fut Georges Mandel le 7 juillet 1944. L’assassinat du Père Cloarec conduisit nombre de Parisiens à assister à ses funérailles le 3 juillet au couvent Saint-François. Comme celle de beaucoup de résistants, sa mémoire disparut progressivement après le conflit. 

Restaurateur de l’Ordre après la Grande Guerre, rejetant la défaite et l’occupation, le combat de Corentin Cloarec fut celui d’un chrétien, fidèle à son engagement franciscain auprès de ceux qui souffraient, en lutte contre le mal ; pour Dieu et sa patrie jusqu’au martyr. Érik Lambert.


[1] L’État français qui nourrit l’illusion d’une indépendance par rapport aux Allemands tout en entrant dans la collaboration. Le 24 octobre 1940, Pétain, chef de l’État français, rencontre Hitler dans la petite gare de Montoire-sur-le-Loir. Par une poignée de main très médiatisée, le vieux maréchal célèbre officiellement la « collaboration » entre la France vaincue et l’Allemagne triomphante. Il s’en explique à la radio comme à son habitude, quelques jours plus tard, le 30 octobre 1940 : « C’est dans l’honneur et pour maintenir l’unité française, une unité de dix siècles, dans le cadre d’une activité constructive du nouvel ordre européen, que j’entre aujourd’hui dans la voie de la collaboration (…). Cette collaboration doit être sincère… ». https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000226/entrevue-de-montoire-entre-petain-et-hitler.html

[2] Le 10 juillet 1940, à Vichy, les députés confient à Pétain les pleins pouvoirs constitutionnels. Seul cas en Europe d’un régime mis en place par le pays occupé lui-même.

[3] L.Joly, La Falsification de l’Histoire, Eric Zemmour, les droites, Vichy et les Juifs, Grasset.

[4] Le 16 février 1943, une loi de l’État français institua le Service Obligatoire du Travail, rebaptisé très vite Service du Travail Obligatoire (STO) en raison des moqueries suscitées par ses initiales. On compta jusqu’en juin 1944 un total de 650 000 départs au titre du STO. Mais aussi environ 200 000 réfractaires. Beaucoup de ceux-ci entrèrent dans la Résistance et prirent le maquis…

[5] Mit Brennender Sorge (Avec une vive inquiétude), par Pie XI, le 14 mars 1937. Cette Encyclique fut volontairement rédigée en allemand et non en latin. https://www.doctrine-sociale-catholique.fr/les-textes-officiels/197-mit-brennender-sorge

[6] On peut par exemple se reporter au livre de Guillaume Zeller, La Baraque des prêtres, Dachau, 1938-1945 ou à l’interview de Louis Malle à propos de son film : Au Revoir les enfants https://www.youtube.com/watch?v=KS6t4G9Mx5o

[7] Il fut mobilisé dans un dépôt à Brest. 

[8] Il fut contraint de fuir en Afrique du Nord, pour éviter l’arrestation et reprit le combat au sein de la France Libre. J.G. Bougerol, Ceux qu’on n’a jamais vus, Arthaud. 

[9] On peut se reporter avec profit au discours de Pétain du 17 juin 1941 : « Nous n’avons pas fini de payer toutes nos fautes » qui pointe celle du vote pour le front Populaire. https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000233/francais-vous-avez-vraiment-la-memoire-courte.html

[10] Mondialisation du conflit avec l’entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941, premiers revers allemands en Afrique, débarquement en Afrique du Nord et occupation allemande de la zone sud, politique d’extermination des Juifs, STO, difficultés allemandes en Union Soviétique (Défaite de Stalingrad, 2 février 1943)

[11] Mgr Jules Saliège (23 août 1942, lettre pastorale Et clamor Jerusalem ascendit, condamnation des déportations), de Mgr P.M.Théas, Mgr E.Vansteenbergh, Mgr J.J.Moussaron, ou Mgr G.Piguet, seul évêque français déporté.

[12] https://eglise.catholique.fr/wp-content/uploads/sites/2/2017/02/1997_Declaration-de-repentance-de-Drancy.pdf

[13] Ainsi, Pierre Laval institua le 16 février 1943 le STO, cas unique en Europe d’un gouvernement qui imposa à ses jeunes citoyens de travailler pour l’ennemi. Entraîné dans des compromissions de plus en plus douteuses, le gouvernement français forma une Légion des volontaires français contre le bolchevisme pour combattre sur le front soviétique aux côtés des Allemands. Il organisa des rafles de Juifs comme celle du Vél d’Hiv (16-17 juillet 1942). Il ordonna aussi aux troupes françaises d’Afrique du Nord de résister au débarquement anglo-saxon du 8 novembre 1942. Mais l’occupation de la « zone libre » par la Wehrmacht le 11 novembre 1942, en violation des accords d’armistice, conduisit l’opinion française à basculer contre la Collaboration pendant l’été 1942. L’imminence de la défaite incita les partisans les plus acharnés de la collaboration, considérant Vichy trop frileux, à s’engager plus encore dans la collaboration comme le firent Doriot, Déat ou d’autres. Englués dans des compromissions criminelles, les dirigeants de Vichy, parmi lesquels Pétain et Laval, furent transférés par les Allemands à Sigmaringen (Bavière), en août 1944, dans le vain espoir d’échapper à l’infamie d’un procès.