« L’homme de Dieu »
un film de Yelena Popovic
«L’homme de Dieu» : un film dramatique grec de langue anglaise de 2021, sur la vie d’un moine orthodoxe grec Nectarios. Il est écrit et réalisé par la serbe Yelena Popovic avec Aris Servetalis dans le rôle de Nectarios d’Égine avec également Mickey Rourke et Alexander Petrov.
Sous la pression populaire, l’église grecque orthodoxe n’a pas longtemps hésité à canoniser quelques quarante ans après sa mort, ce moine Nectarios, persécuté par sa hiérarchie.
«Exilé injustement, condamné sans jugement, calomnié sans motif, voici la vie, les épreuves et les tribulations d’un homme de Dieu, Saint Nectarios d’Égine, qui supporta jusqu’au bout la haine injuste de ses ennemis tout en prêchant la Parole de Dieu sans relâche.» Nous avons en 110 minutes l’histoire de cet homme, peu banal et vraiment édifiant, nouvelle figure incarnée du message évangélique, comme le souligne bien les sites « Sens critique » et « les fiches du cinéma ».
Oui, Nectaire d’Égine a bel et bien existé. C’est pour lui rendre hommage qu’a été produit « L’homme de Dieu ». Ce film nous permet de partager les valeurs de cet homme qui a vécu de 1846 à 1920 dans l’Empire ottoman. À l’époque, la religion avait une tout autre influence sur le monde. Le culte orthodoxe était puissant grâce à cet empire qui fut divisé après la Première Guerre mondiale. Les hommes de foi étaient donc des sages que la population écoutait attentivement. Nectaire d’Égine a été canonisé et il est fêté le 9 novembre dans l’église grecque orthodoxe. Son histoire commence à partir du moment où il s’est fait remercier du Caire, jeune moine plein de zèle et de générosité, dépendant du patriarcat d’Athènes.
Ce moine mène une vie retirée et austère sans rechercher ni les honneurs ni l’approbation des foules. Ce qu’il désire c’est une vie humble, de prière et de charité pastorale, servant de son mieux ses ouailles comme prédicateur dévoué et prenant volontiers la place des plus petits et des plus faibles. Mais une rumeur persistante venue de sa hiérarchie l’accuse d’être fanatique et d’être attiré par le trône patriarcal.
Le film prend le rythme lent des maturations humaines et les méandres d’une calomnie insidieuse, tandis que les communautés dont il est le pasteur lui sont très attachées. Constamment Nectarios recherche le vrai et ce qu’il convient de faire en accord avec l’évangile, même avec la douloureuse hostilité du clergé et de son entourage. De style austère, bon et infatigable, il vit dans une extrême solitude le don de sa personne en s’oubliant lui-même à l’image du Christ, dans la bienveillance et une profonde sollicitude envers son prochain, malgré la persécution des supérieurs.
Soupçonné d’ambition personnelle de la part de ses supérieurs mais estimé des gens et en particulier de jeunes femmes désireuses de fonder un monastère, il est aussi accusé faussement d’abuser sexuellement des religieuses et subit le saccage du nouveau monastère féminin dont il est le fondateur.
Nous assistons à son drame personnel, à ses luttes spirituelles. Finalement c’est « la vox populi » qui le canonise et obtient sa réhabilitation, après une mort semblable à celle de tant d’indigents dans un hôpital d’Athènes et la guérison miraculeuse de son voisin de chambre. Sa hiérarchie reconnaît enfin la valeur de son témoignage et la dignité de sa vie.
Voilà une vraie vie de saint en pleine pâte humaine, à raz de terre, mais à hauteur d’évangile et capable d’édification véritable.
F. Gilles
De l’âme
Un livre de François Cheng
Il faut une belle audace pour publier un livre de cent quatre-vingt-trois pages sous le même titre qu’un des piliers de la connaissance qu’est l’œuvre magistrale d’Aristote. Il faut de toute façon du courage pour s’attaquer au sujet de l’âme, tant est infinie sa complexité, et tant notre monde du bien-être technologique — particulièrement notre France prompte au « ricanement voltairien » — l’a reléguée au rang de vieillerie poétique, au mieux à celui de curiosité psycho-folklorique. Difficile de parler de l’âme, donc sans « paraître ridicule, ringard ». Et pourtant, chacun sent, au siècle du dé-veloppement personnel, qu’il manque quelque chose au dualisme corps-esprit. Car l’âme est bien là, qu’on le reconnaisse ou qu’on le nie, au centre de soi comme unicité, au centre de l’autre comme unité, au centre de tout comme souffle vital. Elle est bien là, et elle manque aux esprits et aux corps qui l’ignorent.
François Cheng entreprend de relever le défi sous la forme d’une correspondance avec une belle jeune fille rencontrée trente ans plus tôt dans le métro, à qui il avait glissé ce mot dans l’oreille, mot qui mit trois décennies à germer, si bien que « sur le tard, [elle se] découvre une âme », et le besoin d’en parler. En parler si l’on veut, car les sept lettres de François Cheng en-voyées à sa « chère amie » ne rendent pas compte, à quelques citations près (au style identique à celui de l’auteur), des réponses de la jeune fille, désormais artiste et femme faite. On n’en voudra pas au poète d’une probable coquetterie littéraire destinée à maquiller en sept missives ce qu’il se refuse à présenter comme sept leçons, ou dissertations, comme celles dont il nous avait régalé avec ses cinq méditations sur la mort et autant sur la beauté. Mais voilà, la marche semble ici trop haute. François Cheng en appelle pourtant à son immense culture, passe en revue les religions ; il a beau décliner le thème avec toutes les ressources de sa qualité et de sa sensibilité littéraires, jusqu’à l’emphase, sa conception de l’âme se trouve finalement résumée en peu de mots dans sa lettre ultime, sans nous avoir appris grand-chose que la tradition ne nous eût déjà apporté : « Dans l’indispensable triade corps-esprit-âme, je reconnais pleinement le rôle de base du corps et le rôle central de l’esprit. Mais du point de vue du destin d’un individu, encore une fois, c’est l’âme qui prime ; elle qui est sa part la plus personnelle, donc la plus précieuse, l’état suprême de son être en quelque sorte. C’est à partir de cet état que chaque être est à même d’entrer en communion avec l’âme de l’univers. » C’est le mérite du livre de nous rappeler la tradition, mais on se demande d’où vient le sentiment qu’il n’aboutit pas, que l’auteur répète plus ou moins la même chose de lettre en lettre. Est-ce une difficulté à nommer Dieu, le risque de « paraître ridicule, ringard », qui lui fait em-ployer des périphrases comme « âme de l’univers » ? Ou autrement dit : n’est-ce pas la tentative de parler de l’âme sans nommer Dieu qui provoque cette impression d’un certain vide ? François Cheng est un grand esprit doté de très louables intentions, c’est indiscutable. Mais s’agissant de définir l’âme, est-il pertinent et suffisant de décrire la beauté, la poésie et l’amour amoureux qui n’en sont, tout au plus, que des manifestations ? Est-il opportun pour que l’âme se révèle de l’invoquer à grand renfort de lyrisme, de préciosité et d’auto-citation ? Évidemment non : au jeu de l’inflation poé-tique, sa gloire s’éclipse et seul l’ego est mis au jour.
Comme chacun d’entre nous devant le mystère de l’âme, François Cheng est tenté, se re-prend, cherche, et le suivre dans cette errance méditative est peut-être la bonne manière de lire son livre, bien meilleure en tout cas que celle, didactique, à laquelle l’artifice littéraire malheureux nous induit. Ainsi l’auteur n’est-il jamais aussi pertinent que lorsqu’il fait parler les autres : comme dans sa quatrième lettre où il cite Pascal (Les Pensées. Fragment Preuves de Jésus-Christ n° 11 / 24), pour quelques lignes d’une densité extraordinaire, et dans sa sixième lettre entièrement con-sacrée à la vision magnifiquement éclairante de Simone Weil, en particulier dans L’Enracinement. C’est finalement en sachant s’effacer de cette manière que François Cheng montre le mieux la qualité de son esprit, si ce n’est de son âme, car le chemin de sa découverte n’est-il pas l’humilité ?
Jean Chavot