Notre-Dame de Paris
L’exposition augmentée
Le Collège des Bernardins est un haut lieu de spiritualité et de culture. Le début de son édification (1248) correspond à la fin, pour l’essentiel, de celle de Notre-Dame de Paris (1250). C’est donc comme par filiation qu’il accueille aujourd’hui une exposition en l’honneur de son aînée. Elle le surplombe toujours à quelques dizaines de mètres à vol de moineau au-dessus de la Seine, de toute sa hauteur ou presque, malgré la catastrophe dont elle fut victime le 15 avril 2019. L’événement blessa le cœur des Parisiens aux premières loges, et celui des chrétiens pour qui elle était et reste un symbole éminent, et il affligea tous les amoureux d’Histoire admiratifs du passé et de la belle pierre, en France comme dans le monde entier.
L’ exposition, présentée dès décembre 2021 sur le parvis de la cathédrale, est d’un genre nouveau, marqué par le spectaculaire technologique : elle est dite « augmentée », sans que l’on sache précisément ce qui a été augmenté… La réponse est peut-être dans le fait que l’établissement public chargé de la restauration de Notre-Dame l’ait réalisée conjointement avec la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image « dans le cadre de l’année de la bande dessinée », et qu’elle soit « soutenue » (terme plaisamment ambigu) par la marque L’Oréal. On peine à voir le lien avec la culture classique et encore plus avec la spiritualité, mais on n’arrête pas le progrès… Et en effet, on y est accueilli par d’accortes jeunes gens qui remettent au visiteur une tablette numérique indispensable et suffisante à parcourir une exposition qui, ne présentant que des objets concrets négligeables en nombre et en intérêt, n’occupe qu’une petite partie de la magnifique nef des Bernardins. On navigue en-suite d’un point à un autre où l’on charge ladite tablette en informations nouvelles, c’est-à-dire en représentations graphiques telles que l’on en trouve dans les jeux vidéo, non pas ici afin de pourfendre des ennemis virtuels, mais dans le but d’accroître la connaissance de ce trésor patrimonial, religieux et historique. Certains trouveront la chose bienvenue, notamment — reconnaissons-le — parce que ce mode d’exposition pourrait favoriser la visite d’un public jeune, voire enfantin, si ce n’est infantile, qui s’initierait plus volontiers à l’exercice d’apprendre quelque chose, à condition toutefois de lire les quelques lignes qui accompagnent les images. D’autres la trouveront contestable, non seulement pour les mêmes raisons, mais aussi parce que la part la plus importante est consacrée aux travaux de restauration, certes intéressants, mais cela au détriment de l’histoire de la construction et de l’évolution de l’édifice et du symbole, moins traitée, et de façon pauvrement scolaire, à travers des événements sortis du manuel tels que le couronnement (par lui-même) de Napoléon, peint par un David de la palette graphique.
L’exposition, qui a le grand et honnête mérite d’être gratuite, reste à visiter comme une nouveauté sans doute destinée à se reproduire : une sorte de « fast culture » à l’instar du fast food et à peu près aussi nourrissante. On pourra y prendre, c’est vrai, un certain plaisir à voir s’animer des images colorées que l’on peut aussi trouver avec plus de profit — mais aussi de fatigue ? — dans des livres, et l’on s’amusera à observer ses co-visiteurs penchés sur leur tablette, dans la même solitude que dans le métro, en conversation « immersive » (variante d’ « augmentée ») avec leur téléphone portable. C’est qu’il ne faudrait pas perdre les bonnes habitudes. « Parce que vous le valez bien » nous rassure L’Oréal.
Jean Chavot
Boro, Est-Ouest
Un livre de D. Franck et J. Vautrin
Un jour de l’année 1987, mon attention fut attirée par le dessin figurant sur un livre de poche. Il me rappelait mon passé de jeune lecteur de l’hebdomadaire Pilote. Le hasard d’une fastidieuse journée, le clin d’oeil lancé sur la première de couverture d’un ouvrage par un homme et une femme portant des tenues des années folles, me jetèrent dans les aventures du jeune Blèmia Borowicz.
Orphelin depuis 2009 du photographe-aventurier, son souvenir me revint durant l’été 2021 lorsque le fonds Hélène et Édouard Leclerc exposa des œuvres d’Enki Bilal sur le site de l’ancien couvent des Capucins construit au xviie siècle à Landerneau. Je retrouvais l’artiste, complice iconographique de Franck et Vautrin créateurs de Boro, le photographe-reporter-aventurier du XX°siècle dont le neuvième tome des aventures est enfin paru. Certes, Jean Vautrin nous a quittés mais Dan Franck poursuit l’équipée débutée avec La Dame de Berlin[1]. Boro, c’est Blèmia Borowicz, un juif hongrois venu à Paris afin de respirer le vent de la liberté. Témoin des soubresauts du XX°siècle, il a connu la montée du nazisme, les conjurés fascisants de la Cagoule, le Front Populaire, la guerre d’Espagne, le second conflit mondial et la résistance. Insolent, sûr de lui, intrépide, on l’imagine élégamment vêtu de blanc coiffé d’un trilby arpentant les rues avec sa canne et son Leica. Spectateur et acteur des bouillonnants événements de l’Histoire, ayant côtoyé les plus grands, il nourrit une fougueuse conscience libertaire, luttant contre les iniquités et les oppressions, défendant l’amour contre vents et marées. Il y a bien sûr du Robert Capa dans le charme du héros, dans ses engagements politiques, dans sa judaïcité comme dans l’agence Alpha-press. Boro, à l’instar de Endre Ernő Friedmann perdit un amour sur le front de Brunete[2] et courut après le souvenir d’une actrice, sa cousine Maryicka Vremler, peut-être inspirée de Hedwig Kiesler-Hedy Lamarr, la « plus belle femme du cinéma ». Pourtant, les similitudes s’arrêtent là, car le neuvième volume des aventures de Boro commence avec la capture du sinistre Eichmann et s’achève avec l’érection du mur de Berlin. Or, Robert Capa mourut en Indochine en mai 1954. Boro aurait dû du reste disparaître lui aussi comme l’envisageait l’un de ses créateurs mais Dan Franck décida de laisser la vie au burlesque aventurier.
Est-Ouest, c’est l’histoire des Hongrois qui ont fui Budapest, celle de l’espionnage durant la guerre froide ; c’est la chasse aux nazis, la guerre d’Algérie, les porteurs de valises, l’avion U2, la Baie des Cochons et la mort d’un président américain icône des années 60 ; bref, un temps que les moins de 70 ans ne peuvent pas connaître. Boro toujours à la pointe du combat des convictions contribue à l’enlèvement d’Eichmann, participe aux activités du réseau Jeanson, organise la fuite d’Allemands sous le mur de la honte, photographie les bidonvilles nanterriens des victimes de la ratonnade d’octobre 1961. Cinq années intenses durant lesquelles Boro-Franck demeure fidèle à ses engagements avec courage et humour au coeur de l’Histoire et au fil des histoires humaines. Roman-reportage, aventures incessantes au gré des pays et des époques, péripéties vouées à continuer. Les errances du témoin boiteux devraient se poursuivre d’autant qu’apparaît un nouveau personnage, Jolan, jeune résistant hongrois ramené en 1956 par Boro ; un apprenti photo-reporter qui ressemble fort au héros « historique » lorsqu’il avait lui-même 20 ans.
Un excellent livre de vacances en un style alerte que l’on referme sur un post-scriptum attisant la fébrilité : « à suivre ».
Érik Lambert.
[1] Franck et Vautrin, La Dame de Berlin, Paris, Pocket, 1999.
[2] Robert Capa perdit Gerta Pohorylle, alias Gerda Taro le 26 juillet 1937 lors de la guerre d’Espagne.