Un livre (Aout)

La Colère de l’archange
Un livre de Bertrand Révillion

B.Révillion, La Colère de l’archange, Salvator, Paris, 2022, 188 pages.

L’Église a pratiqué l’omerta durant de longues années en étouffant nombre d’affaires de dérives sexuelles. À partir de novembre 2018, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église fut constituée, ouvrant la boîte de pandore. La CIASE rendit un rapport de 2 500 pages le 5 octobre 2021 qui, comme le déclara Jean-Marc Sauvé, fut « l’histoire d’un naufrage ». La parole fut rendue aux victimes mais qu’en fut-il des bourreaux ? Nous les avons croisés, côtoyés, nous avons échangé avec eux et parfois nous les avons conviés à notre table. 

Ébranlé par les révélations des turpitudes au sein de l’Église, l’ancien journaliste Bertrand Révillion imagine en un style très épuré une histoire d’amitié entre deux enfants devenus religieux ; amitié anéantie par l’abjection. À la faveur de la liberté romanesque, il campe un prêtre médiatique, Antoine-Tonio et son ami, l’archevêque Baudouin qui a progressé dans la hiérarchie ecclésiastique. Révillion partage en à peine 200 pages le désarroi qui l’habite face à une Église qui regarde vers le passé sans affronter en vérité ses démons[1].

Sans doute, notre Église de France est-elle secouée dans ses certitudes depuis le concile Vatican II. Sans doute, est-elle confrontée à la crise des vocations sacerdotales dans un monde gagné par le matérialisme où elle ne trouve plus sa place. Sans doute se sent-elle agressée ; sans doute pense-t-elle qu’elle survivra en se recroquevillant dans un réflexe identitaire. Pourtant, l’Évangile incite à regarder au large ; invités que nous sommes à aller dans la paix du Christ, à repartir dans le monde tel qu’il est et non tel que nous le rêvons[2]. La nostalgie d’un supposé âge d’or révolu, l’aspiration au retour d’une liturgie d’une autre époque, la sacralisation du ministère sont autant de manifestations d’une rigueur idéologique. Certes, les certitudes sont confortables, certes l’humain est fragile et appréhende le doute, mais le cœur de la foi n’est pas de savoir comment on célèbre, il ne consiste pas à ergoter sur des questions morales, à se crisper sur des questions vestimentaires. Confronté à la faute de son ami, l’archevêque Baudoin a perdu la foi et l’espérance[3], a refusé le pardon ; il est à l’image de nombre de chrétiens : tourmenté par la question du mal. Pour raviver la flamme, il lui fallait un archange en colère, Saint Michel, le guerrier, défenseur de la foi et de l’Église auquel le pape François a confié l’État de la Cité du Vatican. L’archange prit malicieusement l’apparence d’une femme, ces femmes qui n’ont guère la place qui leur revient, pourtant, en d’autres temps, elles s’approchèrent du tombeau. Cette femme, c’est Camille, loin de l’Église mais soucieuse de son prochain qui réveille la soif de charité endormie de l’archevêque accablé. Le cœur de la foi c’est aimer l’autre ; c’est tendre la main. 

Révillion bouscule le lecteur, interroge le chrétien, sollicite notre foi. Nous plongeons dans les ténèbres du mal mais l’espérance point au cœur de la tempête ; celle de la vraie foi, celle de l’Évangile. 

Érik Lambert.


[1] …que « l’Église a trop longtemps maintenue sur ces affaires pour protéger sa réputation et éviter le scandale. » Page 144.

[2] « Mais le profond fossé entre la parole de Jésus et l’attitude de l’Église me retient sur son seuil, je le crains pour longtemps » Page 134.

[3] « Baudoin avait longtemps rêvé à l’avènement d’une Église plus humble, moins affirmative, acceptant l’inévitable fragilité d’une foi qui claudique et avance à tâtons, cherchant à espérer plus qu’à décréter, osant descendre de la chaire de ses certitudes pour marcher pieds nus, comme le Christ, dans la poussière du chemin en compagnie des pèlerins d’Emmaüs parcourus par le doute que nous sommes tous. Une Église qui, au lieu de s’enferrer si longtemps dans le déni aurait eu, comme Pierre au troisième chant du coq, le courage d’avouer dans les larmes ce reniement effroyable dans lequel elle avait laissé des enfants se noyer. » Page 178.