EDITO

« Ils iront à la table du Seigneur… »

« Les frères qui savent travailler, travailleront, et exerceront le métier qu’ils connaissent (…). En échange de leur travail, ils pourront recevoir tout ce qui leur est nécessaire, mais pas d’argent. Si besoin est, ils iront à la quête comme les pauvres. » (1R7, 3a.7-8)

Cette expression contenue dans les Ecrits de saint François donne raison aux frères qui font confiance à la Providence pour parcourir le monde, sans un sou, quêtant leur nourriture et leur logement. Cela suscite le reproche de ceux qui, témoins de ce choix de vie, affirment qu’ils « feraient mieux de travailler »…

Ce que je retiens d’abord, c’est la réalité de la Providence, actualisée par celui qui agit en « bon Samaritain ». Cet aspect-là n’est pas dépassé. Combien d’entre nous aujourd’hui travail-lent gratuitement, sans feuille de paie, au service de la collectivité ? Dans le contexte actuel comme au Moyen-âge, le travail rétribué concerne une minorité. Il suffit de voir le nombre de volontaires, en retraite ou au chômage, engagés dans une association. Jour après jour, la société s’organise afin de répondre aux besoins de chacun et de compenser ce salaire qui fait défaut pour joindre les deux bouts. La Providence se manifeste d’abord dans le souci fraternel qui règle de manière ponctuelle des besoins essentiels. Mais l’argent obtenu par le travail, s’il per-met une certaine libération, comporte aussi le risque, si celui qui le reçoit n’y prend garde, de devenir suffisant ou dominant.

Travailler, c’est participer à la création d’un monde plus conforme au projet de Dieu et au bonheur humain. « Et Dieu dit que cela était bon » lit-on dans le livre de la Genèse. En cher-chant le sens de l’existence, nous découvrons que le travail humain, fondamentalement, contri-bue au bien-vivre selon Dieu. Mais dans notre histoire, l’activité n’est pas immédiatement asso-ciée à un salaire. L’œuvre réalisée dans l’harmonie est la première satisfaction, et c’est peu à peu que l’expression « L’ouvrier mérite son salaire » donne une nouvelle qualification à l’activité humaine. Mais si le salaire reçu n’est pas suffisant pour vivre, l’appel à la charité manifeste aus-si la confiance en l’autre et en une présence providentielle. La encore se révèlent les effets posi-tifs du travail accompli et de sa reconnaissance.

Le travail fait apparaître une dimension essentielle de la vie humaine. Le récit symbolique de la Création en six jours souligne ses étapes encore inachevées. Ce monde est en croissance constante, dans laquelle le « jour de repos » rythme les progressions et les retards liés à la liberté humaine. Nous sommes amenés à travailler pour une nourriture qui « demeure en vie éter-nelle ». Nous le constatons chaque jour : l’aménagement du monde est permanent, à titre indivi-duel ou collectif. Cependant, le chaos des Origines est loin d’être oublié. Il se manifeste par des résistances, des dérives d’appropriation ou de domination… Seule l’aide de l’Esprit peut mener à une plénitude bienfaisante.

Dans ce contexte de vie, une Bonne Nouvelle annonce qu’il y a du travail pour tous dans ce monde en croissance. Idéal à viser quelle que soit la place de chacun, une clé nous permet d’entrer sur ce chantier : la composante fondamentale de la Fraternité universelle, la gratuité et le partage. C’est peut-être l’exemplarité dont nous pouvons témoigner en nous associant à la manière de vivre prophétique des frères confiants dans la Providence, pour un « ciel nouveau et une terre nouvelle ». « À table ! » en ce début d’année.

Fr. Thierry