Épisode 1 : Une vocation à l’épreuve de la guerre et de la montée des fascismes.
1er décembre 2006, une messe eut lieu en l’église « Saint Jean-Baptiste » à New York. Cette cérémonie organisée par la fondation Wallenberg[1] commémorait le quarantième anniversaire de la désignation du frère capucin Marie-Benoît comme « juste parmi les Nations », un des premiers Français à être ainsi honoré. Qui était ce religieux connu jusqu’outre-Atlantique ?
La France des débuts du XX°siècle était agitée par les conflits politiques et les conséquences des progrès de la connaissance. La III°République devait « s’enraciner » dans le sol d’une France qui demeurait sensible aux idées monarchistes. Née d’une défaite et d’une révolution, elle dut affronter de multiples crises au cours desquelles l’Église et ses fidèles prirent toute leur part. Considérée comme l’agent essentiel de l’obscurantisme et du conservatisme, l’Église catholique constituait une cible privilégiée. Suite au vote des lois du 7 juillet 1904 et du 9 décembre 1905, les rapports entre l’Église et l’État étaient fort conflictuels. La suppression de l’enseignement congréganiste, œuvre de l’ancien séminariste castrais Émile Combes, puis la loi de séparation des Églises et de l’État d’Aristide Briand tendirent les rapports entre l’État et les catholiques. L’État manifestait ainsi sa volonté de neutralité religieuse et aspirait à « garantir » à chacun les moyens d’exercer librement sa religion dans le respect de celles d’autrui. Ces textes étaient la conclusion de 25 ans de tensions entre la République et l’Église catholique qui se disputaient le magistère moral sur la société.
Ce fut dans ce contexte politique difficile que naquit Pierre Péteul le 30 mars 1895 dans un petit village du Maine-et-Loire, au Bourg-d’Iré où se trouvait le château du comte de Falloux[2].
Il semblerait que ce contexte marqua le jeune fils de meunier « blanc »[3] qui perdit sa mère très jeune. En 1907, à l’âge de 11 ou 12 ans, le garçon déclara « aller n’importe où pour être prêtre », le diocèse étant alors surabondant en vocations. Soucieux d’être formé chez les Capucins il partit en Belgique. En 1913, au terme d’excellentes études, Pierre, devenu Frère Marie-Benoît, fit profession religieuse. Le déclenchement de la « Grande Guerre » commanda son retour en France.
Pierre Péteul fut mobilisé en décembre 1914, affecté au 77ème régiment d’infanterie. Il changea d’affectation à plusieurs reprises et se retrouva brancardier ce qui n’était pas une charge confortable d’embusqué tant les risques étaient considérables. Sa mission consistait en effet à évacuer les blessés dans des conditions délicates et dangereuses. Sa première mention militaire pour bravoure data d’août 1915. Il reçut plusieurs citations lors des batailles de Verdun et de la Somme et fut blessé à Bouchavesnes[4]. Blessé à nouveau en 1917, il fut sauvé par la protection du corps d’un jeune Breton tué par l’explosion d’un obus et demeura à l’hôpital 9 ou 10 mois. Singulier soldat que ce Pierre Péteul qui composa dans les tranchées un traité de chant grégorien rédigé en latin. Il laissa par ailleurs 52 lettres désormais conservées aux Archives des Capucins à Paris et un récit postérieur publié par Les Amis de Saint-François en 1970. Il y décrivit les souffrances des combattants, la désorganisation lors de l’offensive allemande de février 1916 sur Verdun, comprenant que, devant ces horreurs, on pût se demander : « Comment Dieu permet-il cela ? » Il évoqua aussi une trêve tacite : les Allemands étant obligés de lancer des grenades lorsque leurs officiers étaient présents, ils avertissaient les Français en leur jetant d’abord des pierres, ce qui permettait à ceux-ci de se mettre à l’abri.
Comme nombre de ses camarades, il ne fut pas démobilisé tout de suite et fut affecté au 7ème régiment de tirailleurs algériens. Il passa sergent puis aspirant et partit pour Casablanca puis Meknès où il supervisa la construction de routes et de fortifications. Il ne fut donc démobilisé qu’en septembre 1919[5] et s’installa à Angers où il apprit la mort d’un de ses frères, René Gabriel porté disparu à la fin de 1916 dans la Somme à l’âge de 19 ans et celle de sa tante au printemps 1919. La période de la guerre, l’expérience du poilu, furent sans doute décisives sur sa perception de la vie. Certains de ses biographes, émettent l’hypothèse qu’il combattit aux côtés de Juifs dans les tranchées ce qui pourrait en partie expliquer ses réactions par la suite.
En 1921, la guerre achevée, il se rendit à Rome, au Collège international Saint-Laurent de Brindes. Il était enthousiaste et heureux de s’y trouver et accueillit l’élection en 1922 du Pape Pie XI au trône de Saint-Pierre avec joie. Docteur en théologie de l’université grégorienne de Rome, il fut ordonné prêtre en 1923. Portant une belle barbe noire[6], il devint professeur et directeur spirituel au scolasticat de son Ordre à Rome et demeura enseignant au séminaire capucin de Rome jusqu’en 1940. Chaque jour, il rédigeait de très courtes notes sur les activités qu’il menait. Par ailleurs, le père Marie-Benedetto – de son nom italien- connaissait bien la communauté juive. En effet, étudiant à Rome, il obtint le prix du meilleur étudiant en hébreu et en judaïsme. Avant l’éclatement de la deuxième guerre mondiale, il avait été professeur de théologie et d’hébreu au séminaire des capucins à Marseille. « Les Chrétiens, dit-il, se sentent les fils spirituels du grand patriarche Abraham… ce qui suffirait à exclure tout antisémitisme, mouvement auquel nous, Chrétiens, ne pouvons avoir aucune part ».
Du reste, il s’engagea dans l’association Amici Israël[7] en 1926, association destinée à cultiver les relations entre Juifs et chrétiens.
Il était à Rome lors du déclenchement de la seconde guerre mondiale, dut quitter la ville et rejoindre, comme d’autres prêtres français la France. Mobilisé en 1939, il se retrouva donc à Marseille en 1940, alors que l’Italie se préparait à entrer dans le conflit. Il fut interprète à l’État-major du Général Billotte[8] à la 15e D.I, à Marseille. Lorsqu’il fut démobilisé, il demeura dans la capitale provençale, ville dans laquelle commença l’aventure qui fit de lui un discret héros.
Érik Lambert
[1] Fondation à vocation internationale créée par la famille Wallenberg, famille la plus fortunée de Suède. Organisation non gouvernementale dont la mission consiste à contribuer au développement des programmes d’éducation et à des campagnes de sensibilisation reposant sur les valeurs de solidarité et de courage civique, éthique et donc conserver le souvenir de ceux qui ont sauvé des juifs de la Shoah. Raoul Wallenberg, diplomate suédois délivra des milliers de sauf-conduits et abrita des Juifs hongrois pour les protéger. Le sauf-conduit autorisait son titulaire à se rendre en Suède ou dans n’importe quel autre des pays représentés par la Suède. En octobre 1944, le parti fasciste des « Croix fléchées » s’empara du pouvoir et mit en place un régime reposant sur la terreur. Des Juifs étaient abattus en pleine rue ; d’autres traînés jusqu’au Danube puis exécutés ou noyés dans l’eau glaciale du fleuve. Wallenberg institua un ghetto international, protégé par les pays neutres. Eichmann ordonna la déportation des Juifs de la ville organisant une « marche de la mort » de dizaines de milliers de personnes jusqu’à la frontière autrichienne. Wallenberg et les représentants d’autres pays neutres suivirent les marcheurs à bord de leurs véhicules, leur distribuant nourriture, vêtements et médicaments. Il parvint à arracher de nombreux Juifs à cette marche de la mort en affirmant qu’ils faisaient partie de ses « protégés » juifs. Après l’entrée des Soviétiques dans la ville, Wallenberg fut emmené par des soldats de l’Armée rouge et disparut. Les Soviétiques déclarèrent finalement qu’il était décédé en prison en 1947 à l’âge de 34 ans. Le 26 novembre 1963, Yad Vashem décerna à Raoul Wallenberg le titre de Juste des nations. En 1987, Wallenberg fut fait citoyen d’honneur de l’État d’Israël.
[2] Alfred de Falloux. Homme politique légitimiste, député et ministre. Une loi du 15 mars 1850 porte son nom. Elle organisait l’enseignement primaire et secondaire et prévoyait que le clergé et les membres d’ordres religieux, hommes et femmes, pourraient enseigner sans produire d’autre qualification qu’une lettre d’obédience. Cette exemption fut même étendue aux prêtres qui enseignaient dans les écoles secondaires, alors qu’un grade universitaire était exigé des enseignants laïcs. De leur côté, les écoles primaires étaient placées sous la surveillance des curés. Il déclarera à propos de cette loi : « le premier devoir du prêtre c’est d’enseigner aux pauvres la résignation ». Le château existe toujours et mérite la visite. https://www.tourisme-anjoubleu.com/decouvrir/vous-aussi-aimez-lanjou-bleu/un-patrimoine-bati-riche-et-secret/terre-de-chateaux/le-chateau-de-falloux/
[3] Favorable aux monarchistes. S’il eut été qualifié de « bleu » cela aurait signifié « républicain ».
[4] Bouchavesnes, petite commune de la Somme fut en grande partie détruite lors de l’offensive de la Somme. Un notable fortuné de la ville norvégienne de Bergen décida de soutenir la reconstruction de la ville. Désormais la localité porte le nom de Bouchavesnes-Bergen. Le lundi 1er juillet 1916, à 7h30, débuta une gigantesque offensive anglo-française sur la Somme, la plus insensée et la plus sanglante de toutes les batailles de la Grande Guerre de 1914-1918. Le 1er jour de l’offensive, il y eut 20 000 morts En ce jour le plus meurtrier de toute la Grande Guerre avec le 22 août 1914, L’offensive se poursuivit jusqu’en novembre 1916. Les alliés obtinrent un gain dérisoire de 10 km. Le prix en fut exorbitant : 400 000 Britanniques tués et blessés ainsi que 200 000 Français et 450 000 Allemands… À comparer aux 750.000 victimes de Verdun. Son souvenir demeure aussi vif chez les Britanniques, dont toute une génération de jeunes soldats a été fauchée sur la Somme, que l’est celui de Verdun en France. Ce sont des troupes de tout le Commonwealth qui furent engagées. Originalité : c’est à Bouchavesnes que l’ancien ministre de la guerre, le Lieutenant-colonel Adolphe Messimy se lança à la tête de son unité. Blessé deux fois, à la cuisse le 27 juillet 1915, au cours de la bataille du Linge en Alsace, puis à la joue le 4 septembre 1916 au Bois de Riez (Somme), il fut cité sept fois, nommé chevalier puis officier de la Légion d’honneur pour faits de guerre et reçut la Croix de guerre avec palme. La visite des lieux et de l’Historial de Péronne mérite d’être encouragée. https://www.historial.fr/
[5] Le renvoi des soldats à la vie civile s’effectua de façon échelonnée, avec priorité donnée à l’ancienneté. Toutefois, les dirigeants alliés s’inquiétèrent des réticences allemandes consécutives aux rudes conditions des traités. Les autorités françaises envisagèrent donc une intervention militaire afin de pousser les Allemands à accepter le « Diktat ». Cet échelonnement peu apprécié fut par ailleurs à l’origine d’un relâchement de la discipline car les soldats estimaient que la fin de la menace allemande justifiait la fin de l’application de règlements acceptables en temps de guerre. Il y eut un certain nombre d’actions de protestation.
[6] Un peu d’humour. Un franciscain se rend dans un salon de coiffure pour se faire couper les cheveux. Lorsqu’il est sur le point de payer, le coiffeur lui dit qu’il ne demande jamais rien aux membres du clergé. Le franciscain reconnait bien que son ordre recommande pauvreté et humilité, mais qu’il peut tout de même s’offrir une coupe de cheveux. Mais le barbier insiste, et le franciscain accepte finalement. Le jour suivant, il y avait à la porte du barbier un panier de pain frais déposé par le prêtre franciscain. Quelques jours plus tard, un prêtre dominicain va chez le même coiffeur. Encore une fois, quand il est sur le point de payer, le coiffeur lui indique qu’il a coutume de ne jamais rien demander aux membres du clergé. Le débat s’engage, le dominicain argue auprès du barbier qu’il n’y a pas de raison que sa coupe de cheveux soit gratuite. Mais le barbier insiste et le frère accepte finalement. Le lendemain, le coiffeur trouve à sa porte une collection de livres de théologie publiés par l’Ordre dominicain. Quelques jours plus tard, un jésuite se présente chez le même coiffeur et se fait coiffer et tailler la barbe. Quand il s’apprête à payer, le barbier lui dit la même chose qu’il a dite au franciscain et au jésuite. Le jésuite lui dit: « Je suis un enseignant, et par conséquent je ne suis pas riche, mais je peux me permettre de régler mes coupes de cheveux ». Le barbier insiste, et le jésuite accepte finalement. Le jour suivant, il y avait dix jésuites alignés à sa porte.
[7]L’Opus sacerdotale Amici Israel était une association internationale fondée à Rome le 24 février 1926 avec pour objet la prière pour les juifs et l’apostolat en vue de leur conversion. Dès la première année de son existence, y adhérèrent 18 cardinaux, 200 évêques, et environ 2000 prêtres. La première mission que se donna l’association consistait à faire supprimer le mot perfidis qui qualifiait le peuple juif dans la prière du Vendredi saint. Cette réforme fut rejetée par la Curie et l’Opus fut dissous par le Saint-Office en mars 1928.https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01421250
[8] Gaston Billotte, un des treize officiers-généraux morts en opération en mai-juin 1940. À ne pas confondre avec son fils Pierre, général et homme politique d’après-guerre, Saint-cyrien, blessé en 1940, évadé d’un OFLAG, retenu en URSS puis chef d’État-major du général de Gaulle. Député, ministre puis maire de Créteil.