Le défi de l’Épiphanie
Notre monde est confronté à des défis économiques, écologiques, démographiques, culturels, moraux… d’une ampleur inédite tant par leur urgence que par leurs dimensions désormais planétaires. Tous liés les uns aux autres, ils interagissent comme un seul défi si gigantesque qu’il semble échapper aux solutions humaines. Pourtant, à y regarder de près, il est essentiellement posé à l’homme par l’homme : alors que le monde n’a jamais été aussi riche, la communication aussi immédiate, que globalement la tyrannie et l’ignorance s’effacent devant les formes démocratiques et les facilités d’échange, ces progrès sont corrompus par une avidité sans limites, une inégalité et une injustice croissantes, l’accaparement, la démission des « élites », lesquelles vivent de plus en plus dans un entre-soi repu comme l’illustre la dernière COP, honteuse vingt-septième du nom. Cet égoïsme irresponsable fait croître dans les peuples un désintérêt pour la politique et une défiance envers les savoirs tels que la résignation, le déni individualiste, les aventures les plus malignes apparaissent comme des refuges au désarroi.
Jésus est né dans un monde qui, bien que très différent du nôtre, vivait des défis analogues. Que vint-il manifester par l’Épiphanie, quand pour la première et dernière fois, trois « rois[1] » s’agenouillèrent devant un pauvre nouveau-né parmi des bergers misérables ? Certainement pas une domination, fût-ce pour le bien, comme il l’affirmera au dernier jour devant Pilate : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. » (Jean 18,37). Il faisait ainsi écho à un prophète millénaire : « Samuel fut mécontent parce qu’ils avaient dit : « Donne-nous un roi pour nous gouverner », et il se mit à prier le Seigneur. Or, le Seigneur lui répondit : « Écoute la voix du peuple en tout ce qu’ils te diront. Ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi qu’ils rejettent : ils ne veulent pas que je règne sur eux. » (Premier livre de Samuel 8,6-7). Les guerres sont décidées par ceux qui ne les font pas et faites par ceux qui ne les ont pas décidées ; le réchauffement climatique dû à la surconsommation des pays riches touche cruellement les pays pauvres de surcroît victimes de pillage néo-colonial ; l’argent s’accumule sur l’argent et la misère sur ceux-là mêmes qui produisent les richesses dans les champs, dans les mines, dans les usines, dans les bureaux… Si les malheurs contemporains sont d’autant plus subis qu’on en est éloigné de la responsabilité — et inversement —, la solution n’est certes pas de rajouter de la domination à la domination, mais au contraire, comme le Centurion de Capharnaüm (Matthieu 8,5-11), de se soumettre à la seule qui ait un sens et une valeur, à la puissance de bonté qui guérit, apte à faire de chacun le frère de tous, à susciter le courage de l’impossible et l’audace du possible propres à relever le défi que nous nous sommes nous-mêmes imposé et qui pourtant nous dépasse, comme Samuel en avertit ses contemporains : « Ce jour-là, vous pousserez des cris à cause du roi que vous aurez choisi, mais, ce jour-là, le Seigneur ne vous répondra pas ! » En effet, Il ne répondra pas à ces cris-là : il nous revient d’emprunter la voie que Jésus nous ouvre on ne peut plus clairement : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » (Marc 9,35).
L’Évangile est l’Espérance de notre monde. Encore lui faut-il un corps qui l’incarne, des mains qui le mettent en œuvre, des pieds qui l’apportent à ceux qui, bien souvent sans le savoir, suivent sa voie de sainteté. C’est la raison d’être de l’Église, corps du Christ. Mais au moment où l’on voudrait la voir porter haut et fort la solution de l’Évangile, celle qui s’érigeait en champion de la morale sexuelle subit un terrible retour de bâton. L’ignominie des abus ne doit toutefois pas nous cacher leur valeur de symptôme : ils sont l’effet de modes de domination importés de longue date dans une Église trop souvent et trop mal inspirée par les puissants, en contradiction avec sa vocation au service fraternel. L’Espérance qu’elle se doit de porter dans le monde passe donc d’abord par elle-même tout entière, par son peuple et pas seulement par ceux qu’il distingue pour l’animer au seul service du Christ. C’est le défi majeur qu’elle se doit relever avec urgence, car Dieu ne sauvera pas le monde sans le concours de l’humanité.
Le comité de rédaction
[1] Trois mages, du grec mágos, dont la tradition a fait des rois.