Épisode 3 : Ut boni fiamus,[1]
Réfugié au Vatican entre 1943 et 1944, Marie-Benoît Péteul poursuivit son action et accrut ses activités. En effet, il constitua une organisation internationale d’aide aux familles juives persécutées. II fut confronté à la frilosité du Pape Pie XII déchiré entre son souci d’aider les Juifs et sa hantise viscérale du communisme[2]. Le Père Marie-Benoît affronta dans son entreprise la lourdeur des rouages de la diplomatie pontificale poursuivant cependant avec vigueur l’action de sauvetage des Juifs qu’il avait déjà entreprise, au risque d’être victime de la répression menée par les Allemands. Ses activités reçurent toutefois le soutien discret mais explicite du Pape.
À l’issue du conflit, médaille de la Résistance, croix de guerre, chevalier de la Légion d’honneur, il nourrit le souci de la réconciliation entre Juifs et Chrétiens, luttant pour que l’Institution reconnut ses « frères aînés ».
Avec son ami L’écrivain et philosophe Edmond Flegenheimer, dit Edmond Fleg, il participa à la création de l’Amitié judéo-chrétienne de France qui avait pour ambition de cultiver entre Juifs et Chrétiens la connaissance, la compréhension, le respect et l’amitié. Il s’agissait de lutter contre les peurs, les chimères et fantasmagories multiséculaires entre les communautés[3]. Le poids de la Seconde Guerre et particulièrement de de la Shoah incitait à ce que les Églises chrétiennes revissent leur façon d’appréhender le peuple juif et son histoire dans leur enseignement et leurs conceptions théologiques. Suivant le chemin tracé par l’historien Jules Isaac, il s’agissait de dénoncer ce qu’il nommait l’enseignement du mépris. Des siècles de catéchèse avaient en effet incité les chrétiens à rejeter la perfidie juive et son caractère satanique. Les Dix Points de Seelisberg [4] identifièrent et condamnèrent les sources chrétiennes de l’antisémitisme et suggérèrent des réformes indispensables à la réconciliation entre juifs et chrétiens. La première équipe comprenait un petit groupe de protestants, de catholiques, d’orthodoxes et de juifs qui oeuvraient à l’éradication de l’antisémitisme mais avaient aussi le souci d’inciter Juifs et Chrétiens à orienter la société en reconstruction par leur présence civique et spirituelle. L’initiative s’inscrivit dans le grand courant de Risorgimento insufflé par le Concile Vatican II dont la déclaration Nostra Ætate approuvée par 2 221 voix contre 88[5] constitua une manifestation spectaculaire. Ce texte fut en effet à l’origine d’une vraie révolution doctrinale pour l’Église qui s’engagea ainsi dans un dialogue interreligieux.
Après avoir à vécu à Rome jusqu’en 1953, le Père Marie-Benoît fut envoyé dans un séminaire au sud de la péninsule jusqu’en 1956 puis renvoyé en France où il mourut en 1990 à l’âge de 94 ans.
Padre Benedetto, « Père des Juifs » qui sauva 4 500 juifs, était un diplomate mais aussi un franc -tireur, doté de beaucoup d’imagination et un grand sens de l’humour d’après l’historienne américaine Susan Zuccotti qui le rencontra.
Sans chercher à convertir les Juifs, le capucin de Bourg d’Iré nourrit son philosémitisme tant dans sa culture biblique que dans sa connaissance de l’hébreu. Les Capucins, à l’image de Pierre-Marie Benoît et Callixte Lopinot jouèrent un rôle considérable pour renouer les liens entre Juifs et Chrétiens. Statue à Washington en 1964, » Juste des nations » en 1967[6], il reçut en 1984 du grand rabbin Jacob Kaplan les insignes d’officier de la Légion d’honneur, la croix de chevalier lui ayant été remise, à Rome, en 1946, par Jacques Maritain. À l’image de saint François avec les musulmans, il fut l’artisan d’un dialogue pacifié avec les juifs.
Il fut un témoin de l’action d’une partie de l’Église durant la période sombre des années noires. Ainsi, dans son Journal, Paul Morand, alors membre du cabinet civil de Pierre Laval écrivit : « Les évêques font une démarche collective des plus énergiques en faveur des Juifs en zone libre. C’est inouï l’enjuivement des curés ! C’est à vous rendre anticlérical ! » Padre Benedetto contribua à la déclaration de Serge Klarsfeld : « dette immense à l’égard de l’Église», dette qu’il aimerait que « notre pays reconnaisse, partage et mette en lumière, plutôt que de la laisser dans l’ombre par préjugé anticlérical »[7].
Érik Lambert.
[1] Saint-Bonaventure, (1217-1274). « Pour que nous devenions bons ». Septième ministre général de l’Ordre des Frères Mineurs, il fut évêque d’Albano
[2] On peut lire sur cette question les biographies nuancées de J.Chélini, L’Église sous Pie XII, La Tourmente, 1939-1945 et celle de P.Milza, Pie XII ; toutes deux parues chez fayard et voir le film à charge Amen de Costa Gavras.
[3] Il serait intéressant de se reporter aux conséquences de l’appel à la croisade d’Urbain II lors du Concile de Clermont en 1095 puis au traité contre les Juifs de Pierre le Vénérable (vers 1140) et au Concile de Latran IV de 1215.
[4] 30 juillet au 5 août 1947 eut lieu à Seelisberg (canton d’Uri en Suisse) une conférence internationale destinée à discerner les causes de l’antisémitisme.
[5] « À notre époque » : Texte promulgué par le Pape Paul VI en octobre 1965.
[6] Un arbre fut planté dans l’allée des Justes parmi les Nations, arbre, symbolisant le renouveau de la vie, sur le site de Yad Vashem. À proximité de chaque arbre, des plaques rappellent les noms de ceux auxquels ils rendent hommage et le pays où ils résidaient durant la guerre.
[7] Lire à ce propos : J.Semelin, Une Énigme française, Paris, Albin Michel, 2021.