Le père Éric de Rosny, tel que je l’ai connu

Vous trouverez dans la rubrique « culture – deux livres » une présentation d’un passionnant recueil d’articles d’Éric de Rosny : « Cultures et guérisons »

Je m’appelle Pierre-Thierry EMALIEU. Je suis religieux camerounais, membre de la Congrégation des Missionnaires Xavériens. Le père jésuite Éric de Rosny, à propos duquel je fais ce témoignage, a surtout vécu, pendant son séjour Camerounais, à Douala, ville où j’ai grandi. Outre la direction d’un collège (le collège Libermann) qui a formé une frange importante de l’élite intellectuelle camerounaise, les Jésuites y animent un centre spirituel, une paroisse, et l’aumônerie des prisons.
Le père de Rosny a été professeur au collège Libermann. Quand j’étais au lycée, il partageait la vie de la communauté jésuite du Centre spirituel de Bonamoussadi. A Douala, et dans d’autres régions du Cameroun, il était bien connu en raison de sa manière atypique d’habiter le ministère presbytéral. En effet, le prêtre catholique français qu’il était, avait vécu l’itinéraire initiatique proposé, dans la culture du peuple douala, à ceux qui se destinent à devenir « nganga », c’est-à-dire prêtres et guérisseurs traditionnels. Dans un contexte où, en dépit des travaux des théologiens africains qui posaient les jalons d’une inculturation du christianisme en Afrique, la pastorale ordinaire des diocèses désormais dirigés par des évêques africains avait tendance à s’inscrire dans une logique d’affrontement vis-à-vis des religions traditionnelles, son attitude bienveillante à l’égard de celles-ci suscitait des interrogations et des réactions contrastées. En effet, des chrétiens convaincus de ce que l’assomption de la foi chrétienne devait être articulée aux éléments lumineux des cultures africaines, trouvaient en lui un repère ; ceux qui prétendaient avoir radicalement rompu avec le « monde des ancêtres » le critiquaient virulemment ; les adeptes des religions traditionnelles saluaient en lui le prêtre qui avait reconnu et accueilli avec respect les richesses de celles-ci. Son bureau du Centre spirituel de Bonamoussadi était fréquenté par de nombreuses personnes désireuses d’être accompagnées, dans leur quête de guérison et de sens, par celui que l’on appelait affectueusement le « prêtre-guérisseur ».
J’eus l’occasion de le rencontrer personnellement à Yaoundé, au cours de mon premier cycle de théologie. La communauté du théologat xavérien à laquelle j’appartenais l’avait invité, dans un premier temps, à donner une conférence sur le thème des pratiques de guérison dans les cultures traditionnelles africaines ; il avait ensuite été sollicité pour l’animation d’une semaine de retraite selon les exercices spirituels de saint Ignace de Loyola. Sa personnalité nous avait alors fortement impressionnés : une grande paix et une profonde tendresse se dégageaient de lui ; il parlait des « choses » de la culture traditionnelle sans porter sur elles aucun jugement. Cela tenait sans aucun doute à son réflexe d’anthropologue. Par ailleurs, la sérénité avec laquelle il s’exprimait laissait entrevoir la rencontre harmonieuse qui s’était opérée en lui, au fil des années, et probablement au prix de douloureuses « conversions », entre le christianisme occidental d’où il venait, et les religions sous-jacentes aux cultures des ethnies camerounaises au sein desquelles il témoignait du Christ. Sans cesser d’être français, il était devenu camerounais dans l’âme ; l’altérité des religions traditionnelles à laquelle il s’était ouvert, loin de l’aliéner, lui avait fait découvrir le « lieu » à partir duquel parler de Jésus-Christ à l’homme africain !

Père Pierre-Thierry EMALIEU, sx.