EDITO d’octobre

Le défi de la Méditerranée

Les déclarations du pape François lors de sa récente visite à Marseille ont suscité des réactions violemment hostiles de la part de personnalités des milieux nationalistes, ultraréactionnaires ou ultralibéraux. Il n’aurait pas à se mêler de politique, cet Argentin ne comprendrait rien à l’offensive islamique que subirait l’Europe, il aurait transformé le Vatican en ONG pro-migrants, etc., le tout saupoudré de noms d’oiseau : immigrationniste ; vicaire de la gauche ; humaniste athée ; islamo-gauchiste ; communiste… Ce n’est pas la première fois que les propos du pape sur des questions de société, de politique ou d’économie soulèvent l’opposition haineuse de ces milieux. On ne peut leur dénier le droit de s’exprimer. C’est tout autre chose en revanche qu’ils se proclament les garants de la foi et qu’au nom de sa défense, leurs partis pris idéologiques soient reçus favorablement par une part non négligeable des catholiques. Car le pape François ne fait rien d’autre, en toutes circonstances et à tout propos, qu’annoncer l’Évangile à ceux qui l’auraient méconnu, oublié ou dévoyé. C’est fidèle à cette mission qu’il s’est exprimé à Marseille — la plus ancienne ville de France, fondée par des « migrants » phocéens venus de l’actuelle Turquie il y a 2600 ans —, l’un des principaux ports qui ouvrent l’Europe à la rive africaine de la Méditerranée.

La question migratoire agite beaucoup de peurs qui génèrent un grand trouble dans les consciences, notamment celle des catholiques souvent déchirée, c’est pourquoi il était urgent que le pape rappelle tous et chacun à l’essentiel de la charité, à ne pas s’abandonner aux « passions tristes », au cynisme désenchanté par « le sécularisme mondain et par une certaine indifférence religieuse ». Notre confort — pour ceux qui en jouissent — ne peut faire oublier la misère qui règne dans l’Afrique dont le capitalisme colonial pilla les richesses et les pille encore par la corruption, ni les conflits terriblement sanglants occultés par la guerre en Ukraine, ni la pression démographique intenable que le changement climatique y aggrave déjà dramatiquement. Beaucoup, détournant le regard des milliers de noyés sans visage, redoutent plus ou moins consciemment le jour où la Méditerranée ne retiendra plus le déferlement de la détresse africaine sur nos côtes. Ce serait la fin de notre civilisation, et même, pour les plus aveuglés par l’ignorance : la fin de notre « race ». Cette angoisse insidieuse exacerbe les impatiences, les tensions qui peuvent naître dans la cohabitation sur notre sol de populations également attachées à leurs traditions, à leur langue, à leurs usages, à leur religion : les Français de souche qui se sentent envahis, dépossédés, les immigrés qui se sentent exploités, méprisés, frustrés dans leur « désir d’Occident » trompeusement suscité par la publicité, le cinéma, les réseaux sociaux où la honte fait mentir aux familiers sur les tristes conditions de la vie d’émigré. Ces crispations sont indéniables ; pour autant, le peuple français dans sa belle diversité reste accueillant et les nouveaux arrivants se montrent très majoritairement respectueux de l’hospitalité, comme le montre la forte proportion de mariages métissés et la réalité harmonieuse des relations de travail et de vie quotidienne, contrairement à l’image propagée par les médias qui promeuvent la très états-uniennes conception foncièrement raciste de « communautés » antagonistes. C’est contre cette vision que le pape François appelle à lutter, à se rebeller avec la force de l’amour du prochain, en rappelant que nous n’appartenons tous qu’à une seule communauté de frères humains. Angélisme illusoire, diront ceux qui dans leur individualisme paranoïaque se pensent « nous contre les autres ». Mais la réalité humaine est tout autre : il n’y a pas nous et les autres, mais toi et moi, un et un dans la vérité de la rencontre, avec nos ressemblances et nos différences qui nous font dire, d’où que l’on vienne et où que l’on arrive : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli ». Nous sommes tous à la fois chez nous et étrangers partout en ce monde dans l’attente du Royaume, et du Jugement : « Ce que vous avez fait au plus petit, c’est à moi que vous l’avez fait » nous avertit amoureusement Jésus.

Écoutons le pape François dans son homélie au stade Vélodrome : « Dieu est relation et souvent il nous rend visite à travers des rencontres humaines, quand nous savons nous ouvrir à l’autre, quand il y a un tressaillement pour la vie de ceux qui passent chaque jour à nos côtés et quand notre coeur ne reste pas impassible et insensible devant les blessures de ceux qui sont les plus fragiles. » Inspiré par la Bonne Mère, il s’arrête longuement sur le « tressaillement de la foi » qu’il nous invite à vivre dans toute rencontre, à l’imitation du fils d’Elisabeth dansant de joie dans son ventre à l’approche de celui en qui il reconnaît le Christ dans le ventre de Marie. L’embrassade de la jeune Vierge et de la vieille femme stérile nous reste alors comme une image de la réunion des deux continents dans l’espérance et la charité pour l’avenir de l’humanité fraternelle, le seul possible contre l’impossible.

Le comité de rédaction