Francesco Forgione fut ordonné prêtre en août 1910 en la cathédrale de Bénévent en Campanie et devint dès lors Padre Pio. Seule sa mère assista à son ordination car son père, à l’instar de nombre d’Italiens, avait émigré aux États-Unis pour travailler.
Ordonné à Bénévent, pays des sorcières. On suppose que dans cette région, les Lombards pratiquaient des rituels païens et une légende prêta à certaines femmes l’habitude de se rassembler la nuit aux alentours de Bénévent pour pratiquer le Sabbat. En réalité, des femmes du lieu fabriquaient des potions à vertus médicinales avec leurs cheveux, mais l’Église d’alors les diabolisa. Ainsi, 200 procès en sorcellerie auraient été menés par l’Inquisition à partir du XVe siècle dans la région où Francesco fut ordonné et devenu Padre Pio. Peut-être le mysticisme local eut-il une influence sur le jeune prêtre. De santé fragile, Padre Pio demeura à Pietrelcina où il servit le curé de la paroisse Santa Maria degli Angeli. Levé tôt, il priait le bréviaire, célébrait la messe et prenait un long temps d’adoration. Il semblerait qu’à partir de 1911, apparurent les premiers stigmates, accompagnés de phénomènes mystiques : extases, visions célestes et combats avec le diable. Un épisode troublant aurait eu lieu alors qu’il priait au fond de l’église. Une femme pénétra dans le lieu de culte avec son enfant lourdement handicapé. Elle en appela à Jésus afin qu’il guérisse la petite sans qu’il se passât quoi que ce fût. De dépit, elle aurait jeté l’enfant en disant au Christ de la garder puisqu’il ne la guérissait pas et l’enfant aurait été rétablie alors que Padre Pio demeurait en prière.
En 1915, il fut mobilisé dans le corps médical italien. Toutefois, ses problèmes de santé obligèrent l’armée à lui octroyer de nombreuses permissions sanitaires. En 1916, Padre Pio se rendit au couvent de San Giovanni Rotondo pour un séjour provisoire qui devint définitif. A l’âge de 31 ans, le 20 septembre 1918, après avoir célébré la messe dans son couvent de San Giovanni Rotondo, en extase devant un crucifix, « un personnage ayant les pieds et les mains ensanglantés » lui apparut. Le capucin s’évanouit. A son réveil, ses mains, ses pieds, son côté se mirent à saigner. Aux mêmes endroits que le corps du Christ suspendu et transpercé sur sa croix. La légende du Padre Pio, sept siècles après François d’Assise commença. On lui prêta nombre de miracles et il fut aux prises avec des périodes d’extase mystique ; un ange lui aurait percé le côté avec une lance spirituelle qui le fit saigner, il appela les stigmates ses « douces blessures ». Les frères installés à proximité de sa cellule entendaient des bruits insolites, qui étaient attribués aux assauts de Satan qui se manifestait tantôt sous l’apparence d’un chat noir, tantôt sous les traits du pape Pie X ou sous ceux d’une femme lascive.
C’est pendant la guerre que se situa un événement déroutant raconté par le héros de l’aventure. Lors de ce conflit peu favorable à l’armée italienne, eut lieu le désastre de Caporetto[1] qui conduisit à la destitution du général en chef italien Cadorna[2]. Retiré à Trévise, il s’apprêtait à mettre fin à ses jours lorsqu’un moine capucin surgit le sommant d’arrêter son geste, le réconfortant et disparaissant aussitôt.Une fois le religieux reparti aussi soudainement qu’il était apparu, le général s’en prit aux sentinelles leur reprochant de ne pas avoir intercepté ce moine inconnu. Les soldats jurèrent qu’ils n’avaient vu personne entrer ou sortir. Plusieurs années plus tard, le général voyant une photo de Padre Pio dans un journal, reconnut le capucin qui lui avait sauvé la vie par des paroles de réconfort, un soir de novembre 1917. Il se précipita aussitôt à San Giovanni Rotondo et, avant même que le général n’eut le temps de se présenter, Padre Pio fit un clin d’œil au général, lui disant : « Alors, général, on l’a échappé belle ! »
Miracles, stigmates[3] : manifestation de sainteté, union mystique au Christ dans sa Passion ? Fraude, imposture, suggestion pathologique ou hystérique ? Comment les fidèles d’une part, comment l’Église d’autre part ont-ils réagi ?
Érik Lamb
[1] L’Italie se rangea du côté des alliés le 23 mai 1915. Pendant les deux années qui suivirent l’entrée en guerre, le front des Alpes fut relativement calme. Tout changea lorsque le 24 octobre 1917, les Austro-Hongrois appuyés par la XIVe armée allemande du général Otto von Below lancèrent une violente offensive contre les lignes italiennes adossées à l’Isonzo, cours d’eau alpin, au niveau de la ville de Caporetto. Écrasés par un déluge d’obus et de gaz de combat, les Italiens reculèrent dès le premier jour de 25 kilomètres puis refluèrent en désordre d’une centaine de kilomètres, jusqu’aux portes de Venise, abandonnant à l’ennemi la plus grande partie de la Vénétie. Le front se stabilisa sur la Piave grâce à l’intervention de six divisions britanniques aux côtés des Italiens. Au terme de la bataille, 300 000 Italiens furent tués, blessés ou disparus contre 5 000 seulement pour leurs adversaires.
[2] Chef d’état-major général de l’armée italienne en juillet 1914. Pendant les trente premiers mois du conflit, il mène une guerre d’usure contre l’Autriche ; le résultat le plus clair de ces opérations est la perte de 200 000 hommes pour une avance de vingt kilomètres en direction de Trieste. Dès le printemps de 1917, ces opérations catastrophiques entraînent une crise de défaitisme dans tout le pays et jusque dans l’armée. Négligeant les informations sur une prochaine offensive austro-allemande, il laissa surprendre les IIe et IIIe armées ; ce fut le désastre de Caporetto. Le nouveau gouvernement Orlando réclama sa destitution ; il fut remplacé par Diaz et fut traduit, en 1918, devant une commission d’enquête. Ayant manifesté sa sympathie à Mussolini, il en fut récompensé par le bâton de maréchal qu’il reçut en même temps que Diaz.
[3] On peut se reporter à : Les quatre morts de Padre Pio, in D. Van Cauwelaert, Dictionnaire de l’impossible. Ce qui nous dépasse, Paris, J’ai lu, 2014, pages 329-339.